Madeleine Borgomano
Université de Provence
Aujourd'hui, l'enfance change de façon très rapide et très
radicale partout dans le monde, même dans les pays les plus riches et qui
se disent les plus développés, où ces changements se
manifestent souvent à l'occasion de "faits divers" tragiques et
deviennent l'enjeu de luttes de pouvoir. Mais c'est dans les régions les
plus pauvres et les plus politiquement instables, comme beaucoup de pays
d'Afrique, qu'ils prennent les formes les plus spectaculaires et semblent les
symptômes d'une véritable mutation sociale. Bouleversées et
décalées, les représentations de l'enfance, instables et
fortement ambivalentes, deviennent les signes brouillés d'un monde
inquiétant. Dans le même temps, aux enfants victimes des grandes
catastrophes contemporaines - déplacements de population, famines,
guerres, sida etc.- s'opposent les enfants bourreaux - sauf que ce sont parfois
les mêmes. Aux enfants gâtés s'opposent les enfants des
rues. Des enfants sont vendus comme esclaves, d'autres recrutés comme
soldats, et ceux-ci peuvent prendre le pouvoir ou aider à le prendre,
comme le peuvent aussi ces enfants-sorciers que leurs parents redoutent.
L'enfance est devenue un état indéfinissable, sans
frontières fixes, où tous les stéréotypes sont
ébranlés, toutes les valeurs remises en question. Il est devenu
difficile de chanter, comme pouvait encore le faire Senghor, la magie du
royaume d'enfance. Mais il est permis d'espérer que de ces
bouillonnements naisse un monde nouveau.
Les instances internationales se préoccupent de plus en plus du sort des enfants et, même si leurs résolutions généreuses restent souvent lettre morte, elles sont un signe de changement. Ainsi, en mai 2002, l'Assemblée générale de l'ONU a tenu à New York une session extraordinaire consacrée aux enfants. 500 enfants venus de plus de 100 pays y participaient effectivement. Par rapport aux engagements pris en 1990, ce sommet malgré de rares progrès ponctuels dressait un constat d'échec : "Près de 11 millions d'enfants meurent encore de maladies évitables [...] On estime à 150 millions le nombre d'enfants sous-alimentés [...] 120 millions d'enfants ne vont pas à l'école [...] environ 250 millions travaillent dans des conditions souvent dangereuses" (Le Monde, 10 mai 2002, p. 4). "Entre 1990 et 2000, plus de 2 millions d'enfants ont perdu la vie dans les guerres civiles, plus de 6 millions ont été mutilés, 20 millions chassés de leurs foyers, quelque 300 000 enfants recrutés comme soldats et plus de 700 000 sont victimes chaque année, du trafic de personnes". (Le Monde, 12-13 mai 2002, p. 3). Ces chiffres font mal et font honte.
Mais les enfants invités ont pu faire entendre leurs voix, certes sévères pour les adultes responsables de l'état catastrophique du monde dans lequel ils doivent vivre, mais lucides positives. Telle la déclaration de Gabriela Azurdy Arriétaire, jeune Bolivienne de 13 ans : "Nous sommes les victimes des exploitations et des abus de tous genres, nous sommes les enfants de la rue, nous sommes les enfants de la guerre, nous sommes les orphelins du sida, nous sommes les victimes et nos voix n'ont pas été entendues, il faut que tout cela cesse, nous voulons un monde digne de nous...". Leur message pose clairement les données essentielles et souvent oubliées : "Nous ne sommes pas les sources de vos problèmes, nous sommes vos ressources ; nous ne sommes pas des dépenses, nous sommes des investissements ; nous ne sommes pas juste des enfants, nous sommes aussi des citoyens de cette planète ; vous dites que nous sommes l'avenir, mais nous sommes aussi le présent". Selon Olara Otunnu, représentant spécial de l'ONU pour les enfants dans les conflits armés, ce sont les paroles des enfants qui, face au "pinaillage des gouvernements", ont donné "sens à cette conférence" (Le Monde, 11-12 mai).
"Etre enfant en Afrique" : en proposant ce thème, Mots Pluriels s'était fixé l'objectif très ambitieux de tenter une approche multidisciplinaire et très large. On en trouvera l'écho dans les articles retenus, même si le hasard des réponses à notre appel d'articles nous a conduit à privilégier l'Afrique noire et francophone. Ce même hasard a donné une place prédominante aux approches littéraires, ou plus largement, artistiques. La question de l'enfance est donc abordée moins au niveau des faits qu'au niveau des représentations. Mais ne sont-elles pas essentielles ? Surtout quand il s'agit de l'image que l'Afrique est en train de construire d'elle-même, puisque les textes étudiés, dans leur majorité, sont des textes d'auteurs africains et de publication très récente. Constater que l'art, en Afrique, n'a jamais été gratuit, ni même seulement séparé est un lieu commun. Kourouma, par exemple, déclare avoir toujours voulu "écrire pour témoigner". À une journaliste qui lui demandait à quoi servait la littérature, il répondait très simplement : "À réfléchir, je crois. Prenez Allah n'est pas obligé. Je n'invente rien, la presse a déjà tout dit [mais] cela n'a pas provoqué beaucoup de réactions. Quand c'est un écrivain qui les raconte, les choses prennent une autre dimension." (Entretien dans Lire, septembre 2000, p. 33).
C'est donc aux perspectives littéraires qu'est consacrée la première partie de ce numéro de Mots Pluriels. "Comment la littérature africaine contemporaine représente-t-elle l'enfance ?" et "Comment interpréter ces représentations ?". Telles sont les questions qui sous-tendent l'ensemble des articles. Elles entraînent, évidemment, des recouvrements qui permettent une lecture transversale, autour des auteurs, comme, par exemple, Monemembo qui figure dans plusieurs articles, ou encore autour de thèmes, comme celui de l'orphelin.
La littérature africaine des vingt dernières années ne risque plus d'être qualifiée de "littérature rose", comme le faisait Mongo Beti critiquant la vision édulcorée de Camara Laye dans L'enfant noir. Loin de cultiver le mythe d'une harmonie originelle qui avait cours au temps de la négritude, elle travaille à le déconstruire presque systématiquement en projetant la désillusion contemporaine sur les enfances passées.
est la seule à parler de poésie. En intitulant son article "À la recherche du royaume perdu", elle montre qu'il ne reste que de rares traces de ce vert paradis dans les oeuvres des poètes-femmes africaines. À la différence des poètes hommes, celles-ci, "pressées par l'urgence de l'actualité", ne s'attardent guère à l'évocation du passé et préfèrent " les chemins de fracture" (Boni). C'est plutôt le douloureux présent et " l'avenir déchiré " qu'elles évoquent. Mais sans pour autant perdre confiance, en affirmant, au contraire, comme le proclame un poème de V. Tadjo que cite A. Bassolé : "Nous irons chercher l'espoir".
En quête de "L'enfant colonial dans le roman post-colonial", , nous propose une lecture de deux romans guinéens, Les écailles du ciel, de Tierno Monemembo, paru en 1986 et Mémoire d'une peau, deWilliams Sassine (1998), qui évoquent en flash back, deux enfances de l'époque coloniale. Cousin Samba, dans Les écailles du ciel, rejeté par son père et traité cruellement par les villageois qui voient en lui un sorcier est condamné à la solitude. Milos Kan, "l'albinos, sans enfance, sans père ni mère", subit lui aussi insultes et brutalités, encore aggravées par le poids des malédictions qui pèsent sur l'albinos. C'est dans ces enfances douloureuses que se sont construits les personnages vides, creux et même odieux qui servent de "héros" dérisoires aux romans. C'est montrer que les malheurs de l'enfance ne sont pas chose nouvelle en Afrique, que la situation présente a sa source dans les temps coloniaux, mais c'est peut-être aussi projeter sur le passé la noirceur des temps présents.
L'article de , "African Childhoods : Identity, Race and Autobiography", se distingue nettement de tous les autres articles de ce numéro par un corpus de textes anglophones d'auteurs blancs, inversant la perspective présupposée par le titre de ce numéro, celle d' "enfants noirs" et la confronte aux représentations de l'Afrique dans l'imagination européenne, longtemps et peut-être toujours, dominantes. Tony da Silva s'intéresse à des récits d'enfances blanches en Afrique. Les uns, dans la lignée de Karen Blixen (1937), perpétuent le stéréotype de l'histoire d'amour avec l'Afrique, comme le récit d'Alexandra Fuller. Mais Tony da Siva s'intéresse surtout aux récits d'individus blancs nés en Afrique "qui se servent du compte-rendu de leur enfance vécue en Afrique pour donner un sens à la vie qu'ils mènent ailleurs" et contribuent à recadrer continuellement l'interprétation - voire 'l'invention' (Mudimbe) - de l'Afrique dans l'imaginaire collectif européen, comme par exemple les livres de Doris Lessing. Ces enfants blancs se ressentent comme des orphelins séparés de leur mère Afrique par les indépendances, ce qui entraîne un violent ressentiment. Les récits autobiographiques postcoloniaux, écrits par les enfants blancs de l'Afrique, révèlent une déchirure. Qu'ils penchent vers le mythe ou vers le cauchemar, ils entraînent le lecteur dans l'aventure, qui n'est pas seulement individuelle mais aussi historique, de la reconstruction d'une identité.
La figure de l'orphelin se retrouve de façon presque obsessive dans la littérature romanesque contemporaine. en fait le sujet de son article : "Sans père mais non sans espoir. La continuité de la figure de l'orphelin dans la littérature sub saharienne". Il étudie les transformations de cette figure déjà fortement présente dans la littérature orale traditionnelle. Dans les romans contemporains, les orphelins sont devenus des marginaux relégués dans "les QG de la détresse" et ils ont dû assimiler pour survivre des savoirs pervertis. Mais déjà, dans la littérature orale, la figure de l'orphelin était souvent si transgressive et amorale qu'elle exigeait une interprétation : l'orphelin pouvait être compris comme messager de l'au-delà, intermédiaire avec les Mânes ancestrales et par là porteur d'un sens. L'orphelin des romans actuels aurait-il cessé d'être, au-delà des apparences, un signe d'espoir ? L. Obiang s'emploie à montrer qu'il n'en est rien. En élargissant, il est vrai, le sens du mot "orphelin ", il voit en lui une force d'adaptation et de mouvement. Au centre du roman de B.B. Diop, Le cavalier et son ombre, le personnage mythique de Tunde, l'enfant-sauveur, dont le nom signifie "celui qui garde l'espoir intact" en serait l'allégorie.
Cette vision positive de l'enfance, en contradiction avec le chaos du monde, est aussi celle que manifeste le dernier film de Djibril Diop Mambety analysé par , La petite vendeuse de soleil, 1998. Malgré la présence agressive de la ville, malgré la misère aggravée encore par l'infirmité, le personnage très positif de la petite Sili conserve courage et sourire. Elle continue à "vendre le Soleil", qui n'est pas seulement le nom d'un quotidien dakarois. Hymne au courage des enfants des rues, ce film-testament est un message de confiance. Il nous semble d'autant plus important que le cinéma joue en Afrique un rôle essentiel, dans la mesure où il est beaucoup plus "démocratique" que la littérature. Le livre reste un produit de luxe, tandis que le film est vu partout et par tout le monde (ou presque). Ce numéro ne fait qu'effleurer un domaine fort riche et qui mériterait d'être exploré plus à fond.
propose aussi une lecture plutôt optimiste de l'oeuvre de Henri Lopes. Une oeuvre qui serait centrée sur les rapports père/fils, qu'il s'agisse du père naturel ou du "père de la nation". Contre ce, ou ces, pères, le fils manifeste sa méfiance, voire sa révolte. Les pères, même quand leur identité est incertaine restent omniprésents : "il n'y a pas d'orphelin en Afrique". Cette assertion paradoxale va à l'encontre de toute représentation réaliste et contredit en apparence la plupart des autres articles. Mais peut-être traduit-elle pourtant l'une des composantes de la situation actuelle de l'enfance en Afrique, la surabondance des pères symboliques n'étant pas incompatible avec l'absence ou la défection du père naturel ?
Cependant, quand la littérature africaine des dernières décennies prend l'enfance pour objet et l'enfant pour héros, ou même pour narrateur, elle dresse plutôt un sombre tableau de l'enfance. Car c'est surtout aux victimes des grandes transformations modernes (urbanisation, sida etc...) et des tragédies collectives (guerres "tribales") qu'elle s'attache et c'est aussi ce qui suscite la plupart des articles.
Ainsi en va-t-il pour Tierno Monemembo dont étudie "le parcours romanesque". Chez lui, l'enfance ne devient un thème majeur que dans les plus récents romans. L'écrivain guinéen articule ce thème de l'enfance sur une antithèse qui renvoie "à l'ambivalence de la notion dans l'imaginaire collectif". Dans l'univers de Monemembo, le monde est très dur pour les enfants, même s'il subsiste quelques traces d'un éphémère bonheur d'enfance. L'enfant est "la victime privilégiée des soubresauts de l'histoire" et il existe une étroite correspondance entre l'histoire des enfants et celle du pays, bien plus évidente dans les deux derniers romans. Mais tandis que Cinéma présente une crise d'adolescence et se termine de façon heureuse par le passage de l'enfant du rôle de héros romanesque au statut de "Héros", L'aîné des orphelins, inscrit dans les séquelles du génocide rwandais, commence et s'achève dans le désespoir, relégant définitivement "les scénarios de l'enfance heureuse dans l'univers de l'impossible fiction". Enfin nous présente une très intéressante comparaison entre Sozaboy, de Ken Saro Wiwa et Allah n'est pas obligé, d'Ahmadou Kourouma, deux romans dont les héros - narrateurs, sont des enfants ou de très jeunes gens engagés comme soldats dans des conflits qui ne les concernent pas. Ces deux romans sont aux prises avec l'histoire, mais de façon très différente. Dans Sozaboy, la guerre (du Biafra) n'est jamais nommée ni localisée, alors que les "guerres tribales" qui déchirent le Liberia et la Sierra Leone sont clairement désignées et situées par Kourouma. Mais leur perspective commune, nullement historique, est d'abord une réflexion sur la condition humaine et les limites de l'humain. Sozaboy peut être lu comme un roman d'apprentissage, dans lequel le personnage cherche à tirer des leçons de son expérience, même si il débouche finalement sur le désespoir. Tandis que, dans Allah, le désespoir est à l'origine même du parcours. Birahima est "maudit" pour le mal qu'il a fait à sa mère : le pire a déjà eu lieu et, selon son système de croyances, son destin est déterminé, rendant inutiles les questions, puisque les réponses sont déjà données, et impossible l'apprentissage. Un autre point commun aux deux romans est l'importance accordée au langage. La consultation des quatre dictionnaires par Birahima et ses gloses apparaissent en fait surtout comme de véritables événements. Car elles ne parviennent pas à réduire les différences et jouent plutôt le rôle d'écran pour éloigner des réalités insupportables et d'effort pour se réapproprier le monde. Dans Sozaboy, le langage est fortement associé à la condition sociale et plus largement à la condition humaine. Les deux romans peuvent alors être compris comme des tentatives pour dire l'indicible. C'est d'ailleurs ce que suggère aussi la brève interview de pour qui le monde décrit par Camara Laye dans L'enfant noir est révolu et a fait place au monde des "guerres tribales" dans lesquelles sont entraînés beaucoup d'enfants.
La deuxième section, plutôt nostalgique, est consacrée à trois témoignages personnels sur ce que l'enfance a été, aux débuts des Indépendances, en Afrique de l'Ouest et plus particulièrement en Côte d'Ivoire. Les témoignages de Pierre N'Da et d'Amadou Kone ont bien des points communs. Leurs auteurs, qui ont à peu près de même âge et sont tous deux professeurs d'université, ont vécu leur enfance dans le même pays d'Afrique de l'Ouest francophone, la Côte d'ivoire dont on disait alors qu'elle était la vitrine de l'Afrique. Mais alors que , sans distinguer vraiment le passé du présent, met l'accent sur les difficultés de tous ordres qui faisaient et font encore de la vie d'un enfant africain une course d'obstacles, insiste plutôt sur le changement. À son enfance, "temps des rêves et de l'espoir", qu'il se défend d'idéaliser, il oppose la situation dés enfants actuels, privés d'avenir et d'espoir.
, dans "À l'ombre des jeunes filles en pleurs", déplace la question de l'enfance en la posant au féminin et en centrant son essai sur l'excision qu'elle ne pose pas en théorie mais comme expérience personnelle. Le "sujet de l'écriture", se trouve à la fois dedans et dehors, dans un entre-deux inconfortable. L'auteure, qui n'a pas elle-même subi l'excision et n'en a même pas été réellement menacée puisque son groupe ethnique ne la pratique pas, en a fait l'expérience de l'extérieur à travers plusieurs incidents qu'elle raconte. Des incidents inquiétants, frappés de tabous, liés au sang et à la peur et dont elle a retrouvé l'écho dans la littérature, à travers l'expérience douloureuse de Salimata, le personnage féminin de Kourouma dans Les Soleils des Indépendances, celle de Mariam "la petite non excisée", dans Monné (du même auteur) ou encore celle, transgressive et combative du personnage de Malimouna, dans Rebelle, de Fatou Keïta.
La nouvelle de "Le paradis est toujours ailleurs" condense dans un récit la plupart des thèmes abordés dans ce numéro. À commencer par celui de l'orphelin. "Je n'avais pas de père. Je n'en ai jamais eu" raconte le jeune narrateur, " un enfant devenu trop tôt adulte", à son ami le manguier qui lui sert de confident. Il dit l'analphabétisme, le travail à sept ans, la séparation, la route, la faim, le passage vers le leurre d'un paradis "toujours ailleurs", d'une frontière "monstre qui engloutit les enfants", la vie dans la forêt dangereuse, l'atrocité des "événements" et de nouveau la route à travers une terre brûlée et désertée. Mais il dit aussi la découverte d'une identité, celle peut-être d'un père aléatoire et disparu et surtout la rencontre d'une soeur. Ainsi, cette histoire tragique finit-elle quand même dans l'espoir. Une interview de l'écrivain proposée par Pierrette Herzberger-Fofana s'inscrit elle aussi dans la ligne du témoignage mais la troisième section vient équilibrer la dominante très littéraire de ce numéro sur l'enfance en introduisant d'autres perspectives.
, dans "Vers l'élimination du travail des enfants en Afrique" traite la question sous un angle juridique. Elle montre bien l'immense décalage qui existe entre les déclarations, les législations et les pratiques. Sur ce point, comme sur tous ceux qui concernent le sort des enfants en Afrique, les avancées du droit ne se traduisent que bien lentement et difficilement dans les faits. , dans "Le 'deuxième monde' et les enfants-sorciers en République démocratique du Congo" apporte une perspective ethno-politique que complète le compte-rendu d'un numéro de la revue Politique africaine : Enfants, jeunes et politique. Il décrit la situation terrible des enfants souvent très jeunes accusés de sorcellerie et la rattache aux effets néfastes de l'urbanisation sur les représentations collectives. Il ne s'agit pas seulement là d'une des formes spectaculaires de la misère des enfants dans les grandes villes africaines, mais bien d'une transformation de l'image de l'enfance et des modèles familiaux qui implique une crise et une radicale mutation sociale.
Le spectre du SIDA qui menace l'avenir même de l'Afrique induit aussi une crise profonde de la société. , évoque dans "L'enfant africain et le SIDA", une expérience très encourageante qu'elle a menée avec des enfants d'Afrique du Sud. Le SIDA fait partie du quotidien pour des milliers d'enfants africains, qu'ils en soient atteints eux-mêmes ou qu'ils voient mourir leurs parents et viennent grossir le peuple des orphelins. Cette malédiction contemporaine n'est guère encore entrée en littérature. Les tableaux d'enfants et les textes qui les accompagnent sont bouleversants : "Le Sida est un tueur". " Le Sida tue nos pères et nos mères" ; "Que vais-je devenir ? Qui s'occupera de moi ? Qui m'aidera ?". En même temps, Véronique Tadjo aborde dans le concret la très vieille question de l'utilité de l'art en rappelant son rôle dans la lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud. Elle exprime la conviction que les arts, surtout visuels, peuvent jouer un rôle important dans le combat contre le SIDA et plus largement, dans la reconstruction d'un avenir. Une expérience apparentée a été montrée en France, au Festival d'Avignon 2002, avec les productions picturales et poétiques des enfants des rues de Dakar "Enfants de nuit" (Le Monde, 12/07/02). Dans cette entreprise de salut par l'art, les livres pour enfants peuvent jouer un rôle.
, dans "Vers une littérature enfantine postcoloniale pour l'Afrique noire" souhaite que la première préoccupation des auteurs et des éditeurs de livres pour enfants leur offre de nouveaux modèles positifs. Ce voeu s'inscrit dans le sens de l'interview de , directrice de l'African Books Collective. Elle souligne la demande croissante de livres pour enfants publiés en Afrique qui émanent donc de la culture africaine, ce qui n'est pas le cas des livres publiés en Europe ou aux USA.
En présentant ce numéro, nous en avons évoqué les limites et mais nous en avons aussi souligné l'importance. Malgré le privilège accordé à la littérature et aux représentations - ou grâce à eux, peut-être ? - nous espérons avoir approché un peu la complexité, la diversité et les ambivalences de l'enfance en Afrique. Il resterait beaucoup de questions à aborder, de témoignages à découvrir, de romans à déchiffrer pour donner une idée de cette dure expérience où se joue le destin d'un continent. Nous n'avons pas apporté de réponses, mais nous voudrions surtout avoir ouvert des pistes et posé des questions.
Ancienne élève de l'École Normale Supérieure,
Agrégée de Lettres Classiques, Docteur d'État, Madeleine Borgomano a
enseigné à l'Université de Rabat (Maroc), d'Abidjan
(Côte d'Ivoire), et d'Aix-en-Provence (France). Son principal centre
d'intérêt est le roman français contemporain, et tout
particulièrement les écritures de femmes. Après sa
thèse sur Marguerite Duras, elle a publié plusieurs livres sur
cet(te) auteur(e) et elle est actuellement présidente de la
Société Duras, dont le siège est à Londres. Elle a
également publié deux études sur Le Clézio et de
très nombreux articles sur le roman contemporain. Depuis son
séjour en Côte d'Ivoire elle s'est passionnée pour
l'Afrique, sa littérature et son cinéma, sur lesquels elle a
publié de très nombreux articles. Ouvrages les plus récents : Le Ravissement de Lol V. Stein de Marguerite Duras, Paris, Gallimard, Foliothèque, 1997. (212 p.). Ahmadou Kourouma, le "guerrier" griot, Paris, L'Harmattan, 1998,(256 p.). Des Hommes ou des bêtes ? Lecture de 'En attendant le vote des bêtes sauvages', Paris, L'Harmattan, 2000, (210 p.), voir compte rendu. "Kourouma et les "gros mots", in Transposer, transcrire, traduire à paraître, PU de L'Université Paul Valéry, Montpellier (automne 2002). "Kourouma : écrire pour témoigner", in Ecrire l'Afrique d'aujourd'hui, revue Palabres, à paraître automne 2002. |
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