Filip de Boeck
Université de Leuven
Une version légérement abrégée de cet article a été publiée dans "Politique Africaine" no. 80 (2000) [voir compte rendu] |
Le cadre ethnographique de cette contribution est celui de Kinshasa et d'autres villes du Congo[1]. Aujourd'hui dans ces mondes urbains, la construction frénétique de modernités locales va de pair avec les attentes et les promesses d'un capitalisme millénariste qui trouve son expression, de façon fanatique parfois, dans les milliers d'églises indépendantes qui prolifèrent et opèrent dans le contexte urbain du Congo et d'ailleurs en Afrique subsaharienne (cf. Van Dijck, 2000). C'est dans ces milieux en effet que l'imaginaire social et culturel, en tant qu'interaction entre temps et espaces (entre héritage et innovation, entre passé, présent et futur, entre réalités urbaines et rurales ou encore entre Congo et contexte planétaire), est le plus fortement actif. De plus en plus, les enfants et les adolescents émergent pour occuper les postes cruciaux d'une identité dans laquelle toutes ces interactions prennent place. Autrement dit, ce sont les jeunes qui apparaissent comme les plus récents points focaux de l'imaginaire social contemporain d'Afrique centrale. L'enfance, comme « opus operatum » et « modus operandi » de crise et de renouveau, devient le lieu identitaire où se manifestent clairement les ruptures d'une Afrique en transition. En tant que partie intégrante d'une transformation plus large, celle de l'architecture socioculturelle, politique et économique du paysage urbain, les enfants et adolescents se situent donc à la frontière de la reconfiguration de géographies d'intégration et d'exclusion, qu'elles soient privées ou publiques.
La réinvention constante du vécu urbain d'Afrique centrale n'est pas du tout marquée par la notion weberienne d' « Entzauberung » (cf. Schneider, 1993). Au contraire, cette réinvention est mise en oeuvre très vigoureusement, non seulement dans les espaces « enchanteurs » du fondamentalisme chrétien mais aussi dans un contexte délirant, voire obsessionnel, de production de discours et de pratiques relatives à la sorcellerie (et les deux cadres, bien sûr, sont intimement mêlés). Partout au Congo, au cours des dernières décennies, des observateurs ont relevé l'accroissement des accusations de sorcellerie (voir, par exemple, Douglas, 1999). Un des plus déconcertants phénomènes illustrant cette évolution est le rôle central récemment donné aux enfants dans ces discours et ces pratiques concernant la sorcellerie. Dans le Kinshasa actuel, des milliers d'enfants sont ainsi impliqués dans des accusations qui les désignent comme sorciers[2]. C'est à ce titre qu'ils se trouvent au coeur de ce que je considère comme une des plus troublantes mutations de la « multi-crise » sociale congolaise (Le Potentiel, 4/9/2000), c'est-à-dire la relation mouvante entre les mondes du visible et de l'invisible, entre le réel et son double. Au Congo, tout comme ailleurs en Afrique, s'est toujours dissimulée, sans que généralement cela fasse problème, sous la surface de la réalité visible, une autre réalité. Aujourd'hui cependant cet autre univers, appelé « deuxième monde », « deuxième cité », « monde pandémonium » ou « quatrième dimension » (un des multiples mondes « invisibles » relatifs au « kindokinisme»[3]) semble, de façon croissante, écarter et supplanter le « premier monde », celui du réel quotidien.
Après une brève description de l'expansion du phénomène des enfants-sorciers dans les rues, les maisons et les églises de Kinshasa, je commencerai mon analyse en remarquant, tout d'abord, que jamais auparavant les enfants et adolescents n'ont occupé une place aussi centrale dans les espaces publics de la vie urbaine, qu'il s'agisse de la culture musicale populaire, des médias, des églises, de l'armée, de la rue ou encore du lit. Occupant ainsi une position sociale aussi prépondérante, ces enfants ne sont pas que de simples victimes mais ils sont devenus aussi des acteurs sociaux importants dont l'impact est apparent dans et sur la société congolaise. Pour des raisons que j'analyserai plus loin, il semble que ce statut social central des enfants, tout récent mais ambivalent, se soit clairement cristallisé surtout autour de la figure du sorcier, qui est elle-même l'incarnation d'un imaginaire culturel de crise, à l'intersection, par exemple, des notions de pouvoir et de sexualité.
Deuxièmement, « de nouvelles situations réclament une nouvelle magie » (Comaroff et Comaroff, 1999). Etant donné l'impact croissant des médias mondiaux et de la mondialisation tout court, les nouvelles tensions qui surgissent entre traditions et modernités s'affirment avec une force extrême et parfois trouvent leurs solutions dans le champ de la sorcellerie. Et il est essentiel de rappeler que l'héritage de la modernité coloniale, tel qu'il a été incarné par l'Etat post-colonial, est parfois perçu en lui-même comme une source de sorcellerie et de mal, ainsi que l'explique un prédicateur d'une église de guérison :
Selon cette interprétation, c'est bien l'Etat d'après l'indépendance, héritier et diffuseur d'un certain modèle colonial de modernité mais aussi les forces de la mondialisation (« de la France à l'Inde ») qui sont à l'origine de l'emprise de la sorcellerie. D'autre part, on ne peut se contenter de la thèse du caractère intrinsèquement sorcier de la modernité (cf. De Boeck, 1998). Ainsi que cela a été remarqué par Geschiere (1997) et un nombre grandissant d'observateurs depuis lors, les pratiques de la sorcellerie en Afrique se sont aussi progressivement reformulées pour finir par représenter une des plus grandes voies d'accès à cette même « modernité », dans un espace très vite élargi, d'attentes (Ferguson, 1999) et de désirs où une « économie de l'occulte » (Comaroff et Comaroff, 1999) a fourni les moyens de gagner « la guerre des rêves » (Augé, 1997). Cette « économie » nocturne du désir, qui forme le trait d'union entre une économie locale de la violence en voie d'accélération et l'éruption de la violence de l'économie mondiale (cf. Lutz et Nonini, 1999) affecte aussi de plus en plus les jeunes. Ainsi les enfants ont-ils commencé à occuper une position plus centrale dans la sphère publique. Contrairement à ceux d'Occident, ils n'apparaissent pas uniquement comme de simples consommateurs passifs mais ils sont devenus aussi des acteurs sociaux majeurs ayant accès à ces nouveaux champs économiques globaux, et cela souvent en opposition directe avec les générations qui les précèdent.
En troisième lieu, la dureté des conditions de vie dans les villes du Congo a entraîné une transformation profonde des expressions actuelles du phénomène de la sorcellerie. La paupérisation galopante de la population de Kinshasa et d'autres localités de cet immense pays est aggravée par la guerre qui se vit à l'Est et ajoute encore aux pressions que les structures familiales, basées sur la solidarité, subissent habituellement dans le contexte urbain. Sous forme d'hypothèse, j'aimerais démontrer ici que le lien établi entre enfance et sorcellerie est à mettre en relation avec une profonde déstructuration/restructuration de concepts tels que maternité, gérontocratie, autorité et, plus généralement, du champ familial lui-même. Pour conclure, je soulèverai une question plus large qui, dans les limites de cette étude, ne pourra que rester ouverte : celle de savoir si toutes ces transformations sont elles-mêmes enracinées dans une crise encore plus profonde, ponctuant la vie urbaine, une crise de la logique de la réciprocité et du don qui sous-tend le champ familial au sens large.
Enfants-sorciers dans les rues de Kinshasa |
En 1999, de telles histoires étaient devenues part intégrante de la vie quotidienne d'une ville telle que Kinshasa. En fait, il y a aujourd'hui tant d'enfants impliqués dans des rumeurs et des accusations de ce genre que même les agences de presse internationales ont commencé à en faire état[4]. Une conséquence immédiate de ces accusations a été que les rues de la ville se sont peu à peu peuplées de groupes toujours plus nombreux d'enfants de la rue, appelés « moines », « phaseurs » ou « shege ». Jusqu'il y a peu, le phénomène des enfants de la rue se restreignait de lui-même aux plus importantes artères de circulation ou à des zones comme celle de la Gombe qui font partie de la « ville », c'est-à-dire le coeur « blanc », d'essence coloniale, de la ville, où le personnel des ambassades et d'autres expatriés continuent, pour la plupart, à résider aujourd'hui. Mais au cours des dernières années, les enfants de la rue sont devenus un des aspects familiers de la vie urbaine de tous les quartiers de cette ville énorme. Beaucoup de ces enfants ont été forcés de vivre dans la rue après avoir été chassés par des membres de leur famille qui les accusaient de sorcellerie. De telles accusations portées contre des enfants au sein de leur propre famille sont devenues un fait courant, transcendant toutes les divisions et différences de rang, de classe ou d'ethnie qui caractérisent le contexte urbain de Kinshasa. De plus en plus fréquemment, des enfants dont l'âge varie entre quatre et dix-huit ans sont ainsi accusés d'être à l'origine de malheurs et d'accidents, ainsi que de maladies ou de morts frappant d'autres enfants ou adultes, de la famille ou du voisinage. Le récit qui suit est celui d'une femme de 30 ans, mère de trois enfants et atteinte du Sida. A l'époque de l'interview, elle recevait les soins d'une église de guérison, en même temps que sa fille de quatre ans, Nuclette, accusée d'être une sorcière.
Un jour j'ai remarqué que mon argent du marché avait disparu. Des gens m'ont dit que c'était Nuclette qui l'avait volé mais je ne voulais pas les croire. Mais c'est à ce moment-là que nos voisins ont commencé à soupçonner Nuclette d'être une sorcière. Il semblait qu'elle avait essayé d'ensorceler une femme qui vit dans notre quartier. Quand elle est allée nuire à cette voisine, Nuclette s'était transformée et ressemblait à une femme adulte. Un jour que j'étais sortie, la voisine en question est venue chez nous et a commencé à se plaindre à ma mère : « Comment pouvez-vous accepter de partager le même toit que cette enfant-sorcière qui a essayé de nous jeter des sorts et de nous tuer dans notre maison ? Nous ne sommes pas de votre famille, nous ne savions pas que cette enfant était une sorcière. Pourquoi essaie-t-elle de nous nuire ? »
Ma mère et moi avons décidé d'amener l'enfant à une séance de prière chez le pasteur Norbert. Ce soir-là j'ai donné le bain à mes deux autres enfants et nous sommes allés tous ensemble au « contrôle de prière ». Le prédicateur a commencé à prophétiser et il a été déclaré que Nuclette était une sorcière mais que les deux autres enfants n'étaient pas atteints par ce mal. Alors le pasteur m'a demandé où était mon mari. Je lui ai dit qu'il avait quitté notre quartier et qu'il vivait maintenant dans un autre coin de la ville. Je ne lui ai pas dit le nom de mon mari mais il l'a donné lui-même et a dit : « C'est Nuclette qui est responsable de l'échec de votre mariage. Elle a fait fuir votre mari. Et quand vous dormiez la nuit dans votre lit, elle est venue avec d'autres enfants-sorciers et vous a injecté du sang contaminé au moyen d'une aiguille diabolique. » C'est comme ça que j'ai commencé à avoir le Sida. Je suis devenue très, très maigre. Les gens ont commencé à dire que j'avais le Sida. C'est grâce au prédicateur de cette église que nous savons maintenant que le Sida est d'origine diabolique. J'ai séjourné à l'église pendant à peu près un mois et le pasteur m'a purifié. J'étais mourante quand je suis arrivée ici mais maintenant je suis guérie du Sida.
Dans d'autres récits, des petites filles sont suspectées de se métamorphoser en femmes prodigieusement belles pour attirer dans leurs lits leurs propres pères ou leurs oncles, faire disparaître leurs pénis ou leurs testicules et les frapper d'impuissance, voire de mort. Illustrant ainsi le fait que l'actuelle crise de société du Congo est aussi, à un degré important, une crise étiologique, des enfants sont également présumés être à l'origine de cas de folie, de cancers ou d'attaques cardiaques chez leurs parents ou leurs proches. D'autres gosses semblent n'avoir que trois ou quatre ans dans le « premier monde » mais dans le « deuxième monde » nocturne, ils ont déjà eux-mêmes donné naissance à beaucoup d'enfants. Ceux-ci à leur tour, deviennent des enfants-sorciers qui rôdent dans les rues de Kinshasa. D'autres encore se transforment eux-mêmes en serpents « mystiques », en crocodiles ou en sirènes « mami-wata ».
Le plus souvent tous ces soupçons cachés et ces accusations ouvertes débouchent sur un violent conflit au sein de la famille de l'enfant suspecté. Souvent l'enfant dont il s'agit est battu sévèrement et même, dans certains cas extrêmes, tué par des membres de la famille ou des voisins. La plupart de ces enfants, toutefois, sont simplement rejetés et reniés. Abandonnés mais en même temps redoutés par la majorité des gens, les prétendus enfants-sorciers finissent dans la rue où ils font souvent équipe avec d'autres enfants pour constituer leur « écurie ». Ces gosses de la rue en effet s'organisent souvent en groupes assez mouvants qui sont régis suivant un modèle de type militaire. Et dans leur armée nocturne, les enfants-sorciers se décernent eux-mêmes des grades, de sergent à général, et chacun monte dans la hiérarchie chaque fois qu'il tue ou « mange » une victime.
Les enfants qui finissent dans la rue à la suite d'une accusation de sorcellerie ont, dans beaucoup de cas, occupé au préalable une position déjà structurellement marginale dans leur propre environnement familial. Etant donné l'épidémie de Sida et d'autres causes relatives à l'extrême pauvreté des conditions de vie au Congo actuel, beaucoup d'entre eux sont devenus orphelins à un très jeune âge. D'autres ont été abandonnés par leurs mères, qui n'étaient souvent elles-mêmes que des adolescentes, et ont grandi chez divers membres de famille, parfois éloignée, le terme de famille étant à prendre ici au sens classificatoire : grands-parents, oncles, tantes, cousins ou encore une des co-épouses du père. Et si l'un des deux parents ou même les deux sont toujours en vie (l'espérance de vie moyenne est de moins de 50 ans pour l'ensemble de la population du Congo, et ne dépasse pas 47 ans pour les hommes), ils sont souvent absents. Et cette absence ne fait que s'aggraver pour des raisons de déplacement de populations, émigration, diaspora, sous la pression des facteurs économiques, de l'instabilité politique et de la guerre.
Eglises et enfants-sorciers |
La spirale de la violence qui fait actuellement irruption dans le groupe familial par suite du phénomène des accusations de sorcellerie lancées contre des enfants, est partiellement tempérée par l'église et les groupes de prière qui fleurissent un peu partout. Ainsi que cela a été démontré pour divers contextes africains, les églises fondamentalistes - et particulièrement, parmi elles, les églises pentecôtistes et les mouvements apocalyptiques qu'on rencontre aujourd'hui en Afrique subsaharienne - consacrent une grande attention à la figure de Satan, aux démons et au combat entre le Bien et le Mal (voir, par exemple, pour le Ghana, Meyer, 1999). Il ne fait aucun doute que la contribution des églises joue un rôle crucial dans l'incessante production et la mise en évidence croissante de la figure du sorcier dans l'imaginaire collectif de la société congolaise, qui est en train de se restructurer lui-même sous la forme d'un « Armageddon », un « deuxième monde » dans lequel les démons se sont alliés dans une guerre totale contre Dieu (voir le Livre des Révélations, 16 : 16).
Paradoxalement donc, la diabolisation de la figure du sorcier dans le discours de ces églises rend le sorcier lui-même encore plus omniprésent dans le champ social. Par conséquent, la position des églises vis-à-vis du Mal, aussi sincère qu'elle puisse paraître à première vue, produit pourtant des tensions contradictoires au sein même du champ social. En ce qui concerne le phénomène des enfants-sorciers, le rôle de l'église est ambivalent, partagé de manière égale : elles sont à la base du problème de la sorcellerie et elles en fournissent la solution locale. D'une part, l'espace des églises est un des lieux les plus importants où se fait la rencontre entre enfance et sorcellerie. Au cours des prières collectives et des messes, des enfants sont incités à faire une confession publique afin de révéler leur vraie nature de sorciers et d'avouer le nombre de leurs victimes. D'autre part, la désignation du sorcier plutôt que d'être une perversion, représente une ouverture pour résoudre la crise, ainsi que cela s'est toujours fait dans des cadres plus traditionnels. Mais avant cet aveu public, les enfants ont habituellement été détectés ou identifiés comme sorciers par les dirigeants de l'église et les pasteurs, lors de consultations plus privées. A l'occasion de ces entretiens, des méthodes de divination de type plus « traditionnel » se mélangent souvent avec le discours spécifique de l'église, créant ainsi un climat rituel propre au dépistage des sorciers.
Quoi qu'il en soit, en conséquence de telles dénonciations, l'aide internationale et des ONG comme « Save the Children », dans leur combat contre la marginalisation des enfants, accusent les dirigeants des églises et les pasteurs de maltraitance. En règle générale, ces organisations abordent le problème des enfants-sorciers à Kinshasa comme un élément du problème humanitaire des enfants de la rue et choisissent de négliger totalement les implications culturelles de la question de la sorcellerie. Or on pourrait faire remarquer que les églises, en fournissant, et en autorisant ces formes de diagnostic, offrent une alternative aux conflits violents qui surviennent dans la famille en conséquence des accusations de sorcellerie. Ce ne sont pas les dirigeants des églises qui produisent eux-mêmes ces accusations : ils se bornent à les confirmer et, par là, les légitimer. De cette façon, l'espace de l'église de guérison permet de resituer et de reformuler la violence physique et psychologique, quelquefois extrême, qu'ont à subir les enfants accusés à l'intérieur de leur groupe familial. En fait l'enfant est enlevé au contexte familial menaçant, dans lequel sa place est devenue très problématique, pour être confié à un pasteur. Là le traitement, souvent également rigoureux, commence par une première période de réclusion ou de quarantaine, qui peut être individuelle ou collective avec d'autres enfants-sorciers. Ainsi que j'ai pu l'observer personnellement, certaines églises prennent en charge jusqu'à une centaine d'enfants par semaine. La période de réclusion, pendant laquelle ces enfants vivent le plus souvent dans des conditions plutôt lamentables en termes de nourriture et d'hygiène, peut s'étaler de quelques jours à plusieurs semaines, voire des mois, en fonction de la gravité des cas en question. Au cours de leur réclusion les enfants sont soumis à une période de jeûne et de purification rituelle. L'administration généreuse de laxatifs et de vomitifs vise à nettoyer les corps des enfants-sorciers de la viande des victimes qu'ils sont censés avoir mangées. Des morceaux de viande ou d'os non-digérés ainsi que des objets de toute sorte, trouvés dans les vomissures et les selles, seront utilisés pour corroborer leur confession publique devant l'assemblée des membres de l'église. Pendant la période de réclusion les enfants sont régulièrement soumis à des interrogatoires, parfois seuls, parfois en présence de leurs parents ou d'autres adultes de leur entourage, si ces derniers veulent bien coopérer. Beaucoup d'adultes, toutefois, ont trop peur de leurs enfants pour maintenir un contact proche. Au cours de ces séances plus privées qui se tiennent entre l'enfant et le prédicateur ou l'un de ses assistants, émerge lentement un récit de rupture et de descente vers le mal qui aidera aussi à structurer le « rituel d'aveu » ou de confession qui se fera plus tard dans l'espace public de l'église. Cette période constitue donc un moment crucial dans tout un processus de scénarisation qui aide à modeler une expérience de crise et à dessiner, de manière plutôt standardisée, une configuration narrative à partir d'une simple succession de maladies et de morts. En tant qu'élément d'un processus narratif thérapeutique, qui conduit les enfants à une expérience plutôt stéréotypée, cette mise en forme du récit donne une direction à l'expérience de crise, elle médiatise la rupture et favorise l'auto-guérison (cf. Becker, 1997), même si les enfants eux-mêmes ne sont pas, ou seulement d'une certaine manière, « libres » de choisir le scénario de leurs récits.
Quelques jours après ce moment crucial de la confession publique, le pasteur procède à l'organisation d'un certain nombre de séances d'exorcisme, appelées « délivrance » ou « cure d'âme ». Cet exorcisme ritualisé se pratique souvent collectivement, dans des groupes de prière dirigés par des membres féminins de l'église, connues sous le nom d' « intercesseuses ». L'enfant est placé au milieu d'un cercle de femmes en prière, souvent même en transe, qui tombent régulièrement dans des états de glossolalie, signe de la présence du Saint-Esprit. Devenu le point focal de ce puissant rituel de prière, l'enfant est alors soumis à plusieurs reprises à des formules d'exorcisme et à l'imposition des mains. Habituellement une femme prend le commandement de la prière tandis que les autres la soutiennent en ponctuant sa prédication, à intervalles réguliers, par des chants et hymnes religieux. Suivant la règle de certaines églises, ces sessions de prière se déroulent en collaboration avec la mère de l'enfant ou d'autres membres de son entourage, dans l'espoir de faciliter la réintégration au sein de la famille de l'enfant-sorcier à présent purifié. Dans beaucoup de cas cependant, les parents ne sont pas très coopératifs et ce genre de réintégration demeure problématique : les parents et les proches restent souvent trop effrayés pour accepter de nouveau un tel enfant dans leur milieu. C'est d'habitude dans de tels cas, beaucoup trop fréquents, que par la suite les enfants sont forcés de vivre dans la rue.
La « cure-dâme » d'Esther |
Quand en 1999 j'ai rencontré Esther, elle vivait chez ses grands-parents maternels. Esther, auparavant appelée Falone, était âgée de six ans mais elle n'en paraissait que trois, fait qui était perçu comme un signe évident de son caractère « mystique ». Ainsi que sa grand-mère me l'expliqua alors, la mère d'Esther avait voyagé jusqu'en Angola pour y tenter sa chance dans le trafic du diamant (cf. De Boeck, 1999 a/b). Son père avait été soldat dans l'armée de Mobutu. A la prise de pouvoir de Kabila en 1997, il avait été arrêté puis envoyé à Kitona, un camp de rééducation situé dans le Bas-Congo. Il n'est jamais revenu à Kinshasa. Un jour la grand-mère a trouvé Esther dans la rue, où des voisins l'avaient battue parce qu'on racontait qu'elle était une sorcière. Toutefois la grand-mère continua de s'occuper d'Esther et l'emmena même à divers hôpitaux après qu'elle fut tombée malade. Aucun docteur ne put fournir de diagnostic précis sur sa maladie mais Esther avait commencé à ressembler à « une vieille femme de 70 ans » et complètement cessé de parler. Grâce à l'aide financière de quelques religieuses européennes, elle avait séjourné neuf mois, accompagnée de sa grand-mère, dans un des hôpitaux de la ville et y avait reçu un traitement prolongé mais cela n'avait rien donné : Esther n'allait pas mieux. Pour finir, la grand-mère s'était tournée vers la prière. Au cours d'une séance intensive de prière qui s'était tenue à la maison, Jésus lui a révélé l'existence de la « chose », à l'intérieur du corps d'Esther. Et à la même période, la grand-mère avait commencé à rêver qu'Esther et ses amis sorciers essayaient de la tuer. C'est à ce moment qu'elle a décidé de confier l'enfant à un pasteur pour un secours de prière plus professionnel. Avec l'assistance de ce pasteur, toute la terrible vérité sur Esther commença à faire surface. Et beaucoup des malheurs qui avaient récemment frappé la famille trouvèrent soudain leur explication. Il s'avéra que dans le « deuxième monde » où Esther vivait la nuit, elle était une femme adulte, marié à un certain Papa Bukafu, dont elle avait 11 enfants, 6 « à droite » (des garçons) et 5 « à gauche » (des filles). Esther et sa famille de sorciers vivaient dans les profondeurs d'un fleuve. La nuit, Esther se métamorphosait en mami-wata. La fillette était devenue sorcière après avoir reçu au marché un morceau de poisson séché des mains d'une voisine, Mama Losiya. Par la suite, celle-ci avait commencé à lui rendre des visites nocturnes. Elles s'étaient mises à « chasser » ensemble, à Kinshasa puis plus loin, en Europe. Pendant ces voyages, Esther marchait avec un bâton qu'elle employait aussi pour tuer des gens.
On découvrit également qu'Esther avait, de toute évidence, « fermé la route » (- kangisa nzela) de sa mère et de ses deux oncles maternels qui « chassaient » le diamant en Angola, jusque là sans aucun succès. Quand la nouvelle survint à Kinshasa qu'un des oncles avait été tué par un soldat de l'UNITA, cette mort fut immédiatement attribuée à Esther. De la même manière, on croyait qu'elle avait « bloqué » un autre oncle maternel qui avait un diplôme universitaire en économie mais chômait depuis deux ans. C'est à cette même période que le grand-père d'Esther, qui avait travaillé toute sa vie comme magasinier à l'aéroport national, reçut son licenciement. Finalement, quand la mère de l'enfant revint d'Angola les mains vides et apprit que sa fille était à l'origine de son infortune, elle la battit presque à mort.
En septembre 1999, quand je fis la connaissance d'Esther et de sa grand-mère, elles participaient toujours, très activement, à des séances de délivrance. Grâce à cette « cure d'âme » pendant laquelle elle avait aussi reçu son nouveau prénom, Esther avait retrouvé certains de ses anciens traits, bien que sa croissance se soit arrêtée. Aussi restait-elle étroitement surveillée par la communauté religieuse qui craignait une éventuelle rechute dans le « monde des ombres ». Chaque semaine sa grand-mère l'emmenait à l'église pour participer à une séance de délivrance.
Enfants et géographies d'inclusion et d'exclusion |
Les visions classiques, européennes et nord-américaines, du statut des enfants et des adolescents considèrent ceux-ci comme dépendants, incomplètement formés et donc pas encore prêts à agir de façon responsable (cf. De Boeck et Honwana, sous presse). L'espace social où l'on confine les enfants est celui de la famille et de l'école. Cette conviction est si répandue que les enfants qui ne s'intègrent pas dans ces cadres sont immédiatement perçus comme des victimes éventuelles, ayant besoin de secours. Dans le contexte social de l'Afrique subsaharienne, par contre, rares sont les enfants qui jouissent du luxe de la protection offerte en Occident par les parents, l'école et l'Etat. Dans le contexte urbain africain, la perception socioculturelle locale de l'enfance diffère radicalement, de toute évidence, des « politiques culturelles de l'enfance » (Scheper-Hughes & Sargent, 1998) mises en pratique en Occident. En partant d'un point de vue nettement occidental, il n'est guère difficile de montrer comment des enfants sont fréquemment réduits à la condition de victimes ayant besoin d'aide, étant donné les violences de toute nature (politique, économique, socioculturelle, psychologique, sexuelle) qui règnent aujourd'hui sur le continent africain (cf. Cohn et Goodwill-Gill, 1994, El-Kenz 1996, Henderson, 1999, Said et Last, 1991). Certains parlent même d'une crise généralisée de la jeunesse africaine (Van Zyl Slabbert, e.a., 1994 ; voir aussi Cohen, 1999, et Richards, 1995). Nier les réalités qui sont à la base de ce discours général de victimisation de l'enfance serait faire preuve d'une grave myopie. Toutefois les enfants, en particulier dans les conditions de vie extrêmes dans lesquelles ils grandissent fréquemment aujourd'hui en Afrique, ne sont pas simplement des victimes vulnérables et passives, assujetties aux réalités politiques et socio-économiques africaines, ou, autrement dit, « construites et brisées » par elles. Ils sont aussi des sujets actifs, « constructeurs et briseurs » de ces réalités. Les enfants de ces sociétés ont souvent, en tant que tels, la capacité d'influencer fortement le monde dans lequel ils vivent, de façon positive aussi bien que négative. En fonction de conceptions plus locales de ce qui est opératoire, les enfants et les adolescents, dans ces contextes africains, ne sont pas souvent considérés ni se considèrent eux-mêmes comme des proto-adultes, mais bien comme des acteurs sociaux à part entière, avec un rôle et une présence marqués au coeur même du contexte social actuel. C'est bien en tant que tels que les enfants et adolescents offrent des figures de Janus et incarnent par là la « frontière » des dynamiques de la mutation qui est devenue une des caractéristiques les plus essentielles de l'espace post-colonial d'Afrique centrale (cf. De Boeck, sous presse).
D'une part, on se doit de constater que des enfants de Kinshasa sont, de façon croissante, relégués dans des lieux d'exclusion (jetés à la rue, expulsés du groupe familial, reclus au sein des églises). Mais, d'autre part, jamais encore les enfants n'ont eu une présence aussi importante dans l'espace public urbain. Premièrement, il y a le pouvoir, bien réel et violent, obtenu « au bout du fusil » et que des enfants-soldats, les kadogo, sont venus représenter. En 1997, quand Kabila a pris le pouvoir et que ces enfants-soldats (certains d'entre eux n'avaient pas plus de dix ans) ont fait leur entrée dans Kinshasa, ce fut un événement totalement nouveau et plutôt choquant pour la plupart des habitants de la capitale.
Deuxièmement, sur le plan économique aussi, de jeunes adolescents occupent une position plus centrale que jamais. Au long des années 90, beaucoup de jeunes de Kinshasa sont devenus bana Lunda, c'est à dire enfants de Lunda : ils ont émigré massivement dans la province angolaise de Lunda Norte pour y avoir accès aux dollars et aux diamants. A leur retour, ces jeunes, fréquemment, détiennent un pouvoir financier dépassant de loin celui de leurs parents et cela leur a permis d'accéder à des versions d'un style de vie « moderne », dont leurs propres aînés avaient été exclus. A Kinshasa, aujourd'hui, on dit que celui qui possède « lard[5] » , l'argent, est un « patron » ou un mwana ya kilo, un « enfant de poids », sans tenir compte de son âge. A cette indépendance financière et cette responsabilité des jeunes s'ajoute le pouvoir social. Ce pouvoir tout neuf s'est surtout manifesté de manière tangible dans le contexte de la famille, restreinte ou élargie, et a aussi, inévitablement, provoqué l'émergence d'accusations de sorcellerie entre les générations et en rapport avec le diamant, accusations déclenchées par des disputes à propos de la redistribution de la prospérité nouvelle. Liées à cette sorcellerie « diamantaire », les rumeurs abondent au sujet d' « enfants-sorciers de Lunda » (mukishi mwana Lunda) qui copulent avec leurs mères ou tuent et « mangent » leurs pères et leurs oncles en échange de diamant et de dollars (voir De Boeck, 1999 a/b). Dans ces contextes, l'acte caractéristique de la sorcellerie, « manger », qui était auparavant la prérogative des aînés, comme on le verra plus loin, illustre pleinement les possibilités nocturnes d'accès immédiat aux fruits de la modernité, ainsi que me l'expliquait un garçon de douze ans auquel j'avais demandé pourquoi il déclarait aimer manger de la chair humaine :
Troisièmement, dans la culture populaire urbaine, tant les enfants que les adolescents ont commencé, souvent littéralement aussi, à se produire sous les feux de la rampe. Dans les paroles de chansons récentes de Papa Wemba, la superstar congolaise, ces mêmes enfants des rues qui ailleurs sont stigmatisés comme sorciers reçoivent une place imminente et ils sont fréquemment invités sur scène, dans ce qui est un peu une provocation publique, pour chanter avec Papa Wemba et son orchestre Viva La Musica[6]. Et tout récemment, le même Papa Wemba, dans un disque de 1999 intitulé Fula Ngenge, lançait la mode des bafioti-fioti (terme kikongo) ou bakamoke (terme lingala), ce qui signifie les « petites petites », pour célébrer les petites filles « qui aiment danser » (bafioti-fioti balingi babina). Et sur scène, en effet, des filles de douze ans ont remplacé les danseuses plus âgés pour « enchanter » les publics des grands orchestres de Kinshasa par leurs danses et leur sex-appeal. Dans la foulée de ce phénomène, l'attrait sexuel et les dangers que représentent les petites filles, pendants féminins des enfants-soldats, se sont largement diffusés dans une mythologie urbaine où la figure de la kamoke sukali, la « petite sucrée », s'impose comme la dernière version de la femme fatale et de la mangeuse d'hommes. Dans les feuilletons hebdomadaires de bande dessinée produits localement, et qui sont à beaucoup d'égards l'équivalent imprimé de Radio-trottoir, le personnage de la kamoke sukali est devenu une figure centrale[7]. Ainsi que l'atteste le cas d'Esther et d'autres cas similaires, la kamoke sukali est fréquemment rattachée à la sirène mami wata. Cette relation incarne parfaitement et exprime bien les liens qui existent entre la sexualité, le genre, l'âge, la mort, l'accès à la modernité matérielle et le « deuxième monde ».
De manière semblable, les enfants sont devenus des acteurs centraux des médias : des chaînes de télévision privées, souvent religieuses, produisent régulièrement des shows au cours desquels des enfants-sorciers sont exhibés et dénoncés publiquement. Mais la nouvelle constellation de sens qui s'est forgée autour des enfants et de la sorcellerie est aussi entretenue par des médias à caractère plus global. Il faut à cet égard noter l'influence des feuilletons télévisés produits au Nigéria et au Ghana, dont il circule à Kinshasa des copies vidéo et audio. Ces feuilletons télévisés, qui construisent souvent leurs intrigues autour des aventures d' « enfants-esprits[8] », sont fréquemment diffusés par des stations de télévision et de radio religieuses, telles que, par exemple, RTMV (Radio et Télévision Message de Vie) qui appartient à un des plus célèbres prédicateurs de Kinshasa, Fernando Kutino, fondateur d'une église appelée Armée de Victoire[9].
Mais nulle part les enfants n'occupent une place plus centrale sur la scène publique que dans l'espace des églises elles-mêmes, et plus précisément pendant le moment-clé de la confession publique et du « témoignage ». Comme on a pu se rendre compte dans les extraits de récits rapportés plus haut, c'est dans de tels moments que les enfants sont mis en position de démontrer le pouvoir réel qu'ils possèdent, puisque, grâce à leur témoignage, ils peuvent impliquer les adultes qui les ont prétendument initiés au monde de la sorcellerie : une commerçante du marché, comme Losiya, qui a offert de la nourriture à l'enfant, dans le but de le rattacher aux forces nocturnes du mal ; un père, une mère ou un proche, qui a offert un verre d'eau aux petits camarades de son fils ou de sa fille mais qui attendait en échange un contre-don nocturne de chair humaine ... Dans de nombreux cas ces accusations publiques ont de graves conséquences pour les adultes mentionnés ainsi dans les témoignages des enfants. Il n'est pas rare qu'elles déclenchent une violente réaction de la part des voisins ou des proches et que les adultes[10] accusés soient battus, voire lynchés ou brûlés vifs. Et de cette manière aussi les enfants peuvent se servir de leurs récits et de leur statut de « sorcier » pour régler certains comptes avec des membres de leur entourage ou, d'une façon plus générale, pour échapper au contrôle familial et fabriquer ainsi leur propre « liberté ». Comme le fait remarquer Barry (1998-99 :143) dans un intéressant article sur les enfants de la rue à Ouagadougou, un des motifs importants, mais rarement mentionné, qu'ont les enfants de vivre dans les rues est aussi l'aspiration à la liberté. Ce n'est pas que ces enfants n'aient pas de maison, de famille ou de proches vers qui se tourner ou que personne ne s'occupe plus d'eux : ils ont plutôt pris la décision de volontairement « se désinsérer » eux-mêmes du contexte familial. A Kinshasa, devenir un sorcier est certainement un moyen d'atteindre une telle indépendance[11].
Une crise des modèles familiaux et de l'économie du don ? |
Tout ce qui précède n'est évidemment possible que dans un contexte de trouble communautaire et de changements sociaux complexes. Ceux-ci s'opèrent en partie dans et à travers la crise fondamentale et la restructuration des modèles de famille. Comme Geschiere (1997) l'a montré, la sorcellerie est la part d'ombre du système de la parenté. Les conflits de génération traduits en termes de sorcellerie et la déconnexion partielle de la sorcellerie et de la parenté, surtout en contexte urbain (ici, la place du marché, par exemple, devient le lieu d'une contagion dangereuse où des étrangers tels que Losiya viennent se glisser habilement dans la vie d'autrui), indiquent bien les profondes transformations dans le champ de la parenté et des relations de don. Ceci explique ce que Lambek appelle « le rejet parfois violent des figures ancestrales et parentales en réponse à ce qui est perçu comme leur absence, leur impuissance ou leur retrait de protection » (Lambek, 2000 :12).
Au micro-niveau de la maisonnée, de la famille ou du lignage, les pressions causées par les exigences changeantes de l'environnement social en contexte urbain sont surtout présentes de façon tangible dans l'émergence de nouvelles relations d'autorités et de respect entre les sexes comme entre les générations. Ces nouvelles formes et attitudes trouvent clairement leur illustration dans la transformation actuelle de la division du travail. Alors que certains jeunes ont conquis du pouvoir financier et un statut social grâce aux revenus procurés par le commerce du diamant, la plupart des chefs de famille sont réduits, socialement et économiquement, dans le Kinshasa d'aujourd'hui, au statut de chômeurs et de personnes inactives[12]. En outre, comme cela se passe aussi ailleurs sur le continent, les hommes kinois sont souvent pris dans des processus de travail migratoire et de voyage, que ce soit pour les besoins du trafic de diamant ou à cause de la guerre, ou bien ils ont fondé d'autres unités familiales dans différents quartiers de la grande ville. C'est un phénomène bien connu, les « tontines », petites sociétés d'entraide entre voisins, les groupements d'assistance religieux, la production à petite échelle de biens à vendre au marché, tous ces réseaux sociaux et ces stratégies quotidiennes de survie sont fondamentalement la tâche des femmes et des mères. Dire que cela s'accompagne d'une érosion de l'autorité masculine relève de l'évidence mais il s'agit là d'un facteur qui peut aider à expliquer pourquoi des enfants-sorciers semblent dénoncer plus souvent des femmes et des figures maternelles que des hommes et des vieillards. Quand les bouleversements socio-économiques sont reliés à des questions de genre, le discours de la sorcellerie semble s'attacher à de nouvelles figures d'autorité, des figures féminines qui concentrent sur elles-mêmes, en les actualisant, les anciennes notions de pouvoir, plutôt que sur l'image du vieillard, qui avait toujours incarné, classiquement, la personnification du sorcier. Et quand ils se produisent dans un paysage socioculturel de relations familiales sous tension, de tels changements constituent un terrain idéal pour toutes sortes de tensions ultérieures et d'accusations de sorcellerie entre les adultes ou entre ceux-ci et les enfants qui sont à leur charge. Les réalités de la polygamie urbaine, par exemple, ont engendré une catégorie de co-épouses connues sous le nom de « rivales » (mbanda). Contrairement à ce qui se passe dans les foyers ruraux, ces co-épouses, habituellement, ne vivent pas dans la même maison, ni même dans le même quartier, et souvent elles ignorent leur existence mutuelle. Et dans beaucoup de cas les relations entre ces femmes sont extrêmement tendues. Lorsqu'une « rivale » décède ou lorsqu'elle s'absente pour une longue période, en quête d'une vie meilleure dans la diaspora ou le commerce du diamant, comme la mère d'Esther, ses enfants finissent ordinairement par être confier aux soins peu enthousiastes d'une des co-épouses du mari[13]. Et s'il arrive que le père de ces enfants décède à son tour, ils se retrouvent dans une position vulnérable et précaire[14]. De tels enfants subissent une forte marginalisation dans un contexte familial où ils sont alors perçus comme des fardeaux, des bouches de plus à nourrir, alors que la nourriture est déjà trop rare. Aujourd'hui, dans de nombreux foyers kinois, on ne mange qu'une fois tous les deux jours : un jour le repas est fait pour les enfants et le lendemain pour les adultes. Dans un contexte de ce genre, des enfants occupant une place structurellement faible dans leur groupe familial ou parfois n'ayant plus du tout d'attaches familiales sont plus prédisposés à être pointés comme sorciers.
Les mêmes changements socio-économiques on aussi contribué à élargir le fossé entre les générations. Il est devenu évident que, dans le contexte rural, les enfants et les jeunes gens refusent désormais de mener la même vie que leurs parents, de se construire une petite maison au toit de feuillage et de cultiver la terre. Malgré ses conditions de vie misérables, la ville continue souvent a être vue par la jeunesse rurale comme un lieu de liberté et d'indépendance, permettant d'échapper au contrôle social exercé par les anciens du village, contrôle qui s'exprime aussi en termes de sorcellerie. A Kinshasa et dans d'autres centres urbains du Congo, il est fréquent que les jeunes se constituent leurs propres espaces d'indépendance. Ils rejoignent, par exemple, un groupe de prière ou une « écurie », c'est-à-dire une petite structure de solidarité économique composée de jeunes du même âge (ce sont souvent des garçons) et qui partagent, le plus souvent mais pas toujours, la même origine régionale ou ethnique et vivent en général dans le même voisinage. Alors que l'organisation d'une « écurie » est souvent caractérisée, à la manière des gangs de jeunes, par une stricte hiérarchie des membres, les « grands » et les « petits » ou les « pères » et les « fils », les groupes de prière, qui intègrent en même temps, de façon caractéristique, les garçons et les filles, sont plus structurés par des liens familiaux imaginaires réinventés horizontalement au sein d'une même génération plutôt que sur la base de relations verticales entre deux générations. Dans ces groupes de prière urbains qui prolifèrent très rapidement et sont souvent eux-mêmes des dissidences ou des sous-groupes d'églises plus « adultes » et mieux établies, tous les membres s'appellent mutuellement « frères et soeurs en Christ ». Souvent aussi ces groupes se composent exclusivement d'enfants et de très jeunes gens. Ils se rencontrent en général plusieurs fois par semaine pour des sessions de prière nocturnes qui débutent au coucher du soleil et se terminent à l'aube du matin qui suit. Ils fournissent donc un cadre idéal pour que les jeunes puissent se libérer du contrôle parental et d'autres relations basées sur la notion d'aînesse au sens large.
En dépit des transformations que subissent actuellement les structures construites sur le principe de la « séniorité », celui-ci continue toutefois a être un marqueur important de la place des individus dans la société. Ce ne sont pas tant les principes de priorité d'âge et de gérontocratie qui sont en eux-mêmes démantelés mais ils semblent être devenus le lieu d'un conflit de générations lié à la question du genre, conflit dans lequel les jeunes urbains réclament le droit de se singulariser et de s'accomplir en tant qu' « aîné investi d'autorité » et, pour employer le vocabulaire de la gérontocratie, « avant que leur temps ne soit venu ». Les procédés actuels de l'auto-réalisation des adolescents dans le contexte urbain contemporain (le droit de monopoliser l'espace public, le pouvoir de devenir « constructeur » d'un réseau social, le désir d'être un pivot des mécanismes de redistribution à l'intérieur d'un groupe familial ou d'une association de pairs, c'est-à-dire le pouvoir de se positionner soi-même comme un aîné, en tant que « bon donneur », avec tous les droits et devoirs que cela comporte) ne diffèrent donc pas beaucoup des anciennes modalités du modèle gérontocratique classique. Des filles et des jeunes femmes aussi chercheront à s'affranchir des vieilles contraintes hiérarchiques qui prévalent dans le contexte lignage ou dans celui de la famille restreinte mais, comme leurs jeunes partenaires masculins, elles reproduiront aussi, dans une certaine mesure, ces structures tout en inversant les relations de pouvoir marquées par le genre entre les générations. Des jeunes femmes comme la mère d'Esther, par exemple, qui quittent leur mari, leur famille, leurs enfants pour chercher fortune dans le commerce du diamant angolais, ont été surnommés « les chiens qui cassent leur laisse » (bambwa bakata singa). Si leur quête est fructueuse, elles conquièrent leur indépendance grâce à leur puissance financière toute fraîche mais aussi parce qu'elles se sont arrangées pour devenir des « chasseurs » habiles et ont su agir comme des hommes plus âgés. Cela se constate, par exemple, dans la façon dont beaucoup de ces femmes, dans le contexte angolais, monopolisent et manipulent à leur propre avantage les stratégies de mariage et d'alliance qui sont normalement la prérogative des hommes (De Boeck, 1999b).
Autrement dit, les modèles classiques d'autorité restent, en un sens, indélébiles dans ce conflit de genre et de génération, mais ce sont de nouvelles catégories d'acteurs sociaux, autrefois exclues de ces sources et rôles de pouvoir social, qui se sont à présent approprié ces modèles ou y ont trouvé un accès par des moyens originaux et flexibles. Le fait que ce conflit de générations ne se déroule pas sans problèmes est illustré par les nouveaux discours et pratiques du champ de la sorcellerie, fortement focalisés sur les enfants, les jeunes et les femmes.
En ce qui concerne l'émergence de nouveaux liens entre les femmes et la sorcellerie, il serait intéressant d'enquêter pour savoir si cela se rattache, d'une façon quelconque, à des changements des domaines structurants de don, de réciprocité et d'échange. Ceux-ci ont toujours sous-tendu les transactions sociales, spécialement pour ce qui a trait au mariage et aux alliances. Mais dans le Congo actuel, beaucoup de jeunes hommes et leurs familles sont dans l'impossibilité matérielle d'observer et de respecter les obligations de don et les autres transactions qui rendent le mariage possible. Un jeune vendeur du marché central de Kinshasa l'exprime bien, en termes concis : « Tosalaka te, tobalaka te ! » (Qui n'a pas de travail ne se marie pas). C'est pourquoi la jeunesse kinoise a inventé un nouveau système de mariage, le « mariage raccourci », une version résumée dans laquelle les jeunes commencent de fait à vivre ensemble, font un enfant et placent leurs deux familles devant un fait accompli, en court-circuitant par là le cycle des dons liés aux transactions du mariage et de la dot. Il est inutile de dire que ceci, en réaction, ne fait que renforcer les causes potentielles de conflits et d'accusations de sorcellerie qui se produisent dans le contexte familial urbain.
La transformation de la circulation des femmes ne fait pas que modifier tout le modèle sociologique de don et de réciprocité qui sous-tend la globalité du champ social mais elle porte aussi atteinte au statut culturel de la figure maternelle. Ceci peut expliquer pourquoi des femmes et des mères sont impliquées, plus souvent que des hommes, dans les accusations que portent les enfants-sorciers contre les adultes. Beaucoup de ces récits sont exemplaires d'un schéma récurrent : les enfants deviennent sorciers à la suite d'un cadeau « empoisonné », offert par un homme, ou un garçon, comme dans l'histoire de Mamuya, mais le plus souvent encore par une femme, une mère, une grand-mère, une tante, une voisine ou une commerçante du marché, comme dans le cas d'Esther. Dans tous les récits, quelque chose est dit à propos du statut du don. Cela n'a rien de surprenant quand on tient compte du lien existant entre sorcellerie et don, qui sont tous deux d'ambivalents et dangereux « faits sociaux totaux » (cf. Latouche, 1998 : 154ff). L'ensorcellement a toujours été défini dans un contexte de relations sociales inversées et perverties, et la sorcellerie s'est toujours transmise sous forme de don (qu'il s'agisse de nourriture, de relations sexuelles ou d'autres interactions). Le sorcier lui-même est donc une figure fondamentale de la notion d'échange. Parce qu'il met en marche un mécanisme interne, destructeur, de redistribution et de consommation (« manger »), le sorcier, emblème de la crise, a toujours représenté négativement ce que la réciprocité sociale étendue et le partage concrétisé par le fait de « manger ensemble » signifient positivement. Par conséquent, le sorcier, en tant qu'ombre nocturne ou double, a une relation non problématique avec le sujet diurne : il n'est pas un simple reflet mais la part intégrante d'une relation de dualité, où le don a opéré comme charnière permettant au double nocturne de contribuer à institutionnaliser son autre moitié. Cependant, le fait que des femmes commencent à apparaître comme les acteurs sociaux qui manipulent le don, spécialement dans la relation avec des enfants (et parfois les leurs), peut être l'expression d'une perte croissante du lien avec le double, si ce n'est de sa disparition. Et cette émergence féminine peut également être indicative d'un changement de nature de la jonction et de la disjonction entre le premier et le deuxième monde, le diurne et le nocturne, la vie et la mort. L'image de la mère-sorcière contredit radicalement un modèle culturel profondément ancré : les femmes, dans leurs rôles de génitrices, mères, cultivatrices, cuisinières, vues comme des figures classiques de la reproduction physique et sociale et, partant, comme les forces régénérantes de la texture socio-culturelle[15].
Pour conclure, j'aimerais suggérer que les fissures et les fêlures qui se produisent dans la logique urbaine du don peuvent aussi avoir suscité l'apparition et l'expérience collective du phénomène de la sorcellerie enfantine. Dans les transactions d'alliance, les enfants représentent, peut-être encore plus que les « épouses », le don suprême, les facteurs fondamentaux du lien entre les cycles toujours répétés de réciprocité et de redistribution qui sous-tendent le champ social. C'est précisément la circulation ininterrompue d'enfants entre plusieurs unités familiales qui permettent la formation de l'architecture sociale de la famille, de l'alliance et de la résidence (cf. Lallemand, 1993). Les enfants apparaissent ainsi à la fois comme médiums et comme acteurs dans la création et le développement de relations familiales et d'alliance : sans enfants, pas de dons ; et sans dons, pas de parenté, pas d'alliés ni de corps social. La diabolisation d'enfants par des adultes peut donc être comprise comme une sombre allégorie qui nous apprend quelque chose sur les racines profondes de l'angoisse qui accompagne une transformation sociale plus large. L'Afrique, à cet égard, ne diffère pas d'autres parties du globe où le lien, explicite ou implicite, entre enfance et sorcellerie (qu'il s'agisse de maltraitance, prostitution, sacrifices sataniques, pédophilie, trafic d'organes ou escadrons de la mort traquant les gosses de la rue) expriment de manière analogue, un sentiment de crise et de mutation sociale (cf. Comaroff, 1997 ; La Fontaine, 1997 ; Schepes-Hughes et Hoffman, 1998).
Notes
[1] La matière présentée ici est basée sur plusieurs recherches de terrain effectuées à Kikwit (entre 1994 et 1998) et spécialement à Kinshasa (1999-2000) où j'ai enquêté sur le phénomène de la sorcellerie enfantine dans le contexte des groupes de prière et des églises de guérison, qui, pour la plupart, ont des liens avec le Pentecôtisme et d'autres cultes « fondamentalistes » comme la Watchtower, les Témoins de Jéhovah ou les Adventistes du Septième Jour. J'ai fréquenté des églises dans les communes de Masina, Bandalungwa, Lemba, Selembao, Ndjili et Kitambo et mené des interviews avec des enfants, des dirigeants religieux, des parents et autres proches des enfants impliqués.
[2] L'ONG « Save the Children » estime à 2000 le nombre d'enfants de Kinshasa soumis à de telles accusations. Cette estimation, basée sur une extrapolation du nombre d'enfants amenés dans les églises pour y être exorcisés, paraît, selon moi, trop prudente. De toute manière, elle ne prend pas en compte la forte rotation d'enfants confiés à ces églises ni la production constante de nouveaux enfants-sorciers. Le phénomène de la sorcellerie enfantine n'est pas nouveau en Afrique. Pour une comparaison de données récentes, voir, par exemple, l'analyse de Geschiere du mbati, présenté comme un « nouveau » type de sorcellerie enfantine qui a commencé à apparaître chez les Mwaka du sud-est du Cameroun, au début des années 70 (Geschiere, 1980). Ce qui, par contre, semble exceptionnel dans la situation congolaise que je décris ici, c'est surtout l'ampleur de son expansion.
[3] Kindokinisme, néologisme dérivé du mot lingala kindoki, sorcellerie.
[4] Voir Barthélémy Bosongo, « Les 'enfants-sorciers', boucs émissaires de la misère à Kinshasa » (Agence France Presse, 13 octobre 1999). Au cours de la même période, BBC2 Newsnight a consacré tout un programme au sujet. Plus récemment, l'APA (Agence Presse Associée) a rapporté le 28 mars 2000 : « 108 enfants abandonnés par leurs familles pour cause de sorcellerie ont été présentés dimanche à la presse au Centre d'exorcisme et de récupération des enfants, à Masina Pascal, au cours d'un culte organisé par l'Eglise évangélique de Jésus-Christ au Congo. Ces enfants dont l'âge varie de 5 à 15 ans (filles et garçons) sont exorcisés et encadrés par le révérend Kikutu Kambona en vue de leur insertion utile dans la société ».Voir aussi le NRC Handelsblad du 24 mars 2000 : « Au Congo des mères enfantent des sorciers ».
[5] Lard provient de dollar,couramment orthographié dollard au Congo ; il fait aussi référence à lard (connotation d'engraissement).
[6] Voir Viva La Musica et Papa Wemba, avec leur succès de 1995, intitulé Pole Position, et sur lequel l'animateur du groupe secoue le public en criant le slogan « Shege, chance eloko pamba », c'est-à-dire « Enfant de la rue, la chance, ce n'est pas grand'chose, ce n'est pas compliqué, elle est à ta portée. »
[7] Les plus célèbres publications du genre sont les bandes dessinées de « l'énigmatique philosophe de l'informel » ainsi qu'il s'appelle lui-même, Papa Mfumu 'Eto 1er. Les éditions hebdomadaires, extrêmement populaires bien que de pauvre qualité technique, sont vendues aux carrefours et aux arrêts de bus. Sur la rumeur urbaine, les racontars de Radio-trottoir, à propos des frasques sexuelles de jeunes filles (celles qu'on appelle « séries 8 », nées dans les années 80), voir aussi Nlandu-Tsasa (1997 : 97ff).
[8] A comparer avec le roman fameux de l'auteur nigérian Ben Okri, The Famished Road, dans lequel Azaro, le protagoniste, est un de ces « enfants-esprits ».
[9] Parmi les pasteurs, prédicateurs et leaders religieux célèbres à Kinshasa aujourd'hui, on compte également Soni Kafuta (de l'Armée de l'Eternel), Soni Mukwenze (La Restauration), Mutombo (Ministère Amen), Mama Olangi (de l'église CFMCI), Tata Onda (le Dieu des Africains), Pasteur Kiziamina, Dieu Mukuna et l'église Manne Cachée. Sur l'appropriation des technologies des médias par les églises pentecôtistes et charismatiques au Ghana et au Nigéria, voir aussi Hackett, 1998.
[10] Bien que cela sorte du cadre de cette étude, une telle situation touche aussi à toutes sortes de problèmes légaux et judiciaires. Souvent l'adulte ainsi accusé s'adresse à la justice de paix qui peut seulement déclarer son incompétence sur des matières qui touchent à la sorcellerie. Contrairement à d'autres pays d'Afrique, comme le Cameroun (voir Fisiy et Geschiere, 1990), le code pénal congolais n'inclut pas la sorcellerie. Les juges sont, par conséquent, forcés de s'écarter de leur rôle légal pour pouvoir adopter une position plus informelle dans l'intercession du conflit.
[11] Sur la notion de liberté dans l'enfance et la vie adulte dans un cadre ouest-africain, voir aussi la pénétrante étude ethnographique de Riesman (1977) sur les Fulani.
[12] A Kinshasa, seule une toute petite fraction de la population masculine active est employée dans le secteur formel et a un travail salarié. On ne trouve pas non plus facilement une place dans l'économie « informelle » : cet espace semble avantager les jeunes gens, qui semblent plus experts des conditions de la rue et sont donc mieux équipés, en termes d'aptitudes sociales, pour s'adapter à la flexibilité qu'exige un tel environnement économique.
[13] Le terme mbanda s'applique aussi à la relation qui existe entre les épouses de deux frères. Lorsque l'un des deux meurt, l'autre sera souvent dans l'obligation d'offrir asile et soutien aux orphelins et à la veuve, celle-ci devenant alors « la rivale » de la propre épouse.
[14] Ceci s'applique encore plus fortement à des enfants qui se sont déjà fait remarquer d'une façon ou d'une autre, à cause de leur handicap mental ou physique, par exemple, ou de leur comportement bizarre ou excentrique.
[15] A ce propos, des récits et des rumeurs ont commencé à circuler à Kinshasa, avec une large diffusion, en rapportant que des mères donnaient naissance à des enfants monstrueux et mêmes des anguilles électriques.
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Filip de Boeck est professeur en anthropologie à l'Université Catholique de Leuven (Belgique). Depuis 1987, il a conduit des recherches extensives sur le terrain en R.D.Congo (ex-Zaïre). Parmi ses publications récentes figurent deux chapitres dans l'ouvrage de L. Monnier, B. Jewsiewicki et G. de Villers (réd.) Chasse au diamant au Congo/Zaïre (2001), et un chapitre dans Okwui Enwezor (réd.) Under siege: Four African Cities, Freetown, Johannesburg, Kinshasa, Lagos. (sous presse). Il prépare un livre sur la ville de Kinshasa en collaboration avec la photographe Marie-Françoise Plissart. |