Mots pluriels
    No. 17 April/avril 2001
    https://www.arts.uwa.edu.au/MotsPluriels/MP1701edito.html
    © Tim Unwin


    EDITORIAL

    [English version] [Version française]

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    Ecrire l'exil : rupture et continuité

                  'Je savais déjà, moi, à sept ans, que j'étais exilé; les odeurs et les sons, le bruit de la pluie sur les toits, les tremblements de la lumière, je les laissais glisser le long de mon corps et tomber autour de moi; je savais qu'ils appartenaient aux autres, et que je ne pourrais jamais en faire mes souvenirs'. (Oreste dans Les Mouches de Jean-Paul Sartre)

    Le thème de l'exil occupe une place centrale dans l'histoire de l'écriture et l'on en trouve déjà la trace dans les textes les plus anciens et les plus fondamentaux - pensons à Adam et Eve chassés du Jardin d'Eden ou à Moïse errant dans le désert avec son peuple. L'exil exprime avant tout le drame de l'exclusion, la douleur de ne plus appartenir à un lieu donné. Que ce lieu soit géographique, culturel ou spirituel importe peu. Ce qui compte, c'est qu'il soit hors d'atteinte alors qu'il est encore perçu comme indispensable à la survie par un individu ou une collectivité. Cela conduit l'exilé à prendre conscience de la profondeur du fossé qui sépare le présent du passé et l'individu de ses origines, d'où une impression de dérive et d'aliénation, souvent exacerbée par un sentiment de culpabilité, de ressentiment ou de colère face à un emprisonnement dans un milieu, une culture ou une langue étrangère, et parfois même, dans les cas les plus extrêmes, une expulsion ou une incarcération réelle. Mais même dans les heures les plus sombres, l'exil n'est jamais loin du rêve de retour à la Terre Promise. La douleur du déracinement est indissociable de l'espoir d'une réintégration.

    Les littératures française et francophone ont déjà de riches traditions dans ce domaine. De Du Bellay à Hugo et au-delà, les échos de l'exil sont nombreux car maints auteurs des Lettres françaises - souvent célèbres - ont connu cet état : Troyat, Semprun, Sarraute, Wiesel, Bosquet, Gary et bien d'autres. Leurs oeuvres témoignent des liens profonds qui rattachent leur écriture aux perturbations associées à leur statut d'exilé, même si l'expérience de chacun contribue à former un faisceau d'expériences individuelles remarquables. La notion d'exil débouche sur un univers large et varié de relations vis-à-vis des autres et de soi-même qui va de ceux et celles qui ont été bannis ou expulsés manu militari de leur pays à ceux qui s'imposent l'épreuve d'un exil volontaire avec, entre ces deux extrémités, les victimes d'innombrables formes de dislocations culturelles ou spirituelles. Comment les écrivains expriment-ils leur réaction face à l'exil ? C'est l'une des questions centrales à laquelle les études présentées ici entendent apporter l'amorce d'une réponse. On mettra surtout l'accent sur les auteurs d'expression française mais y figureront aussi, entre autres, des textes espagnols, roumains, dominicains... car le concept d'exil est toujours associé à l'idée de multiplicité et il empiète toujours sur deux cultures ou plus. Les analyses proposées dans ce numéro témoignent de cette diversité et montrent toute l'étendue du sujet, tant au niveau de la géographie que des thèmes abordés ou encore de la relation de l'exil à l'écriture.

    Ecrire l'exil permet de franchir les profondeurs abyssales de la séparation afin d'assurer une certaine présence au coeur même des régions les plus inaccessibles; de plus, l'écriture délimite aussi le lieu où se déroule le combat que se livre l'exilé contre soi-même avant que de se battre contre les autres. La première oeuvre de deux jeunes écrivains francophones, Jean-Luc Raharimana de Madagascar et Abdourahman Waberi de Djibouti, reflète une des manières dont l'écriture permet d'exprimer les dislocations liées à l'exil. Guillaume Cingal en fait l'analyse et montre que les deux auteurs en question doivent affronter la douleur de la séparation lorsqu'ils se retrouvent en France. Leur réponse s'exprime sous la forme de textes dominés par l'idée de rupture. Ils recréent sous forme littéraire le fossé qui sépare l'auteur de sa perception du monde qui l'entoure. En s'appuyant délibérément sur la fragmentation des structures narratives et langagières, l'écriture recrée l'impression de perte associée au souvenir de la terre natale, impression empreinte de nostalgie chez Waberi et de désespoir apocalyptique chez Raharimana. Un cheminement littéraire similaire peut être relevé chez Monique Bosco dont le "roman" Babel-Opéra publié en 1989 est analysé par Catherine Khordoc. L'exil physique de Bosco (elle est juive d'origine autrichienne, arrive en France dans les années 1930 et elle finit par s'installer au Canada beaucoup plus tard) se retrouve dans les techniques littéraires et le style adoptés par l'auteur qui choisit de manière délibérée l'hétérogénéité, la fragmentation et un mélange des genres où se côtoient prose, poésie, versets bibliques et autres formes. Comme dans les textes analysés par Cingal, l'exil représente ici une expérience si douloureuse qu'elle ne peut être présentée d'une manière directe et il appartient aux formes utilisées d'en faire ressortir indirectement tout le pathos.

    Dans certains cas, cependant, l'exil représente un état que l'auteur accepte - ou même choisit personnellement en prenant par rapport à ses origines et à sa langue une certaine distance qui, pense-t-il, est favorable à la création ou encore qui lui offre la possibilité de s'ouvrir à un nouveau public. Un des cas les plus célèbres d'exil culturel et linguistique est celui de Samuel Beckett, examiné dans ce numéro par Helen Astbury. Le fait de quitter sa patrie et d'écrire en français peut laisser croire que Beckett avait tout simplement décidé de rejeter sa culture d'origine. Rien n'est moins sûr, suggère Astbury. Contrairement aux apparences, il semble plutôt que sa décision d'écrire en français lui ait fourni l'occasion de prendre du recul par rapport à l'Irlande et à se repositionner par rapport à ses origines. L'Algérienne Assia Djebar offre un autre exemple, exploré par Katarina Melic, d'exil linguistique assumé volontairement par l'auteur. L'étude de Melic prend comme point de départ L'Amour, la fantasia publié par Djebar en 1985. Ce roman explore les modalités et les limites de la représentation identitaire du colonisé dans la langue du colonisateur. Dans un premier temps, la décision d'écrire en français offre à Djebar un sentiment de libération, un moyen d'échapper à son milieu. Elle lui permet de laisser jaillir une voix intérieure étouffée depuis longtemps, mais, peu à peu, elle se rend compte que la langue de "l'Autre" a ses limites et qu'elle ne lui permet pas d'exprimer ses désirs et ses émotions les plus intimes, pas plus qu'elle ne lui permet de faire revivre son héritage culturel basé sur la tradition orale. Située à l'intersection de trois cultures et de trois langues - arabe, berbère et française - Djebar cherche donc sa propre voix, son propre style et de nouveaux moyens de moduler cette multiplicité qui lui permettront d'exprimer tout à la fois sa propre histoire et l'histoire collective de la femme algérienne.

    Dans son analyse de Julia Alvarez, Odile Ferly souligne quant à elle le rôle important joué par l'émigration pour les femmes d'origine antillaise et le pouvoir libérateur de l'exil pour certaines d'entre elles. Quitter leur pays, suggère-t-elle, offre à certaines écrivaines la possibilité d'échapper aux restrictions imposées aux femmes dans les petites sociétés traditionnelles dominées par les hommes. Les exilées se sentent du coup moins impuissantes car en trouvant un trait d'union entre deux cultures elles occupent désormais un espace privilégié entre les deux. Dans ce cadre, l'exilée volontaire qui embrasse une seconde culture a la possibilité de choisir les aspects de son héritage qu'elle désire préserver et de rejeter ceux qu'elle considère comme encombrants. Néanmoins, l'heureux exil de l'écrivain ou de l'artiste en quête de libération n'est jamais dénué d'ironie ou contradictions. Pour Odile Gannier, Tahiti a souvent été présenté comme une copie conforme du Jardin d'Eden, un mythe, un paradis exotique situé aux antipodes des sociétés industrielles occidentales. Mais tant les oeuvres littéraires dues à des auteurs polynésiens que celles d'écrivains d'origine européenne démentent cette représentation hédoniste de Tahiti. Le ressassement de son statut paradisiaque condamne l'écrivain aux répétitions stériles mais il n'est pas facile de remplacer une image ayant acquis la dimension d'un mythe. Si Tahiti est encore perçu comme le lieu de l'exotisme par excellence, cette étiquette n'en est pas moins extrêmement ambivalente et Gannier suggère que l'Ile est en mesure de trouver sa propre voix et de définir sa singularité.

    Le sentiment d'aliénation qui accompagne la condition d'étranger et d'exilé débouche souvent sur une forme bien documentée de "double exil" où le sujet se sent aliéné de sa culture d'origine et de sa culture d'adoption. Dans cet ordre d'idées, l'étude consacrée à l'écriture francophone africaine proposée par Aedin Ni Loingsigh met en évidence le cheminement qui a conduit l'Afrique des colonies à se sentir en exil non seulement en France, mais aussi sur son propre continent. Elle montre comment "vivre à Paris" - haut lieu de l'aliénation et de l'émancipation - a pris l'allure d'un mythe. De manière plus générale, l'article souligne la place centrale de l'exil dans l'écriture africaine. S'il est possible de relever un certain nombre de caractéristiques "universelles", il faut souligner que dans son ensemble, l'exil africain est lié à des conditions propres à l'Histoire de l'Afrique coloniale et post-coloniale; raison pour laquelle, dit Ni Loingsigh, un des thèmes saillants associés à l'exil touche à l'identité, sa relation à l'écriture, et le rôle de la langue d'emprunt.

    Le poids d'un "double exil" reste souvent très difficile à porter par la deuxième génération d'immigrants en quête d'identité. Le cas des Beurs - c'est-à-dire des Français d'origine maghrébine nés en France - en offre un exemple bien documenté. Coupés de la culture de leurs parents, les Beurs se sentent aussi exclus de la société dans laquelle ils vivent car ils sont encore considérés comme des immigrants et des étrangers. Les Beurs représentent donc une génération exilée dans le pays d'accueil où ils sont nés et maintenus en marge de leur héritage culturel. Deux études complémentaires proposées ici explorent cette question. La première de Dayna Oscherwitz analyse la représentation de l'identité beure dans le roman de Paul Smail, Vivre me tue (1997). Retraçant l'expérience typique d'un "double exil", ce roman documente le sentiment de désespoir et d'isolement vécu par les Français d'origine arabe vivant en France pour qui il est impossible de s'intégrer à l'un ou l'autre univers. Toutefois, comme le montre Kathryn Lay-Chenchabi, l'auteur de la deuxième étude, les réponses apportées à une situation d'exil peuvent diverger de manière sensible. Son article met en relief l'expérience de trois écrivains: Azouz Begag, Ahmed Kalouaz et Leila Houari (une 'beurette' d'origine belge). Si tous trois font face aux mêmes préoccupations, la voie empruntée par chacun d'entre eux afin de mieux comprendre d'où ils viennent et où ils vont est différente. Houari et Kalouaz cherchent à s'affirmer en se tournant vers leur culture d'origine, alors que Begag est surtout préoccupé par la place qu'il occupe dans la société française.

    Le cas des auteurs israéliens d'expression roumaine proposé par Hubert Padiou offre lui aussi un exemple de ce phénomène. Incapables de s'exprimer de manière tout à fait satisfaisante en hébreu, plusieurs écrivains juifs d'origine roumaine ont choisi de continuer à écrire en roumain après leur arrivée en Israël - créant même une Association israélienne des écrivains d'expression roumaine en 1973. L'intéressant survol de leurs oeuvres proposé par Padiou montre que - comme on l'a souligné pour la littérature beure - les questions identitaires sont essentielles, mais dans ce cas, elles débouchent sur une problématique nouvelle: où se trouve le pays d'accueil et le pays d'origine par rapport à la situation d'exil? S'agit-il d'un double exil ou d'un exil à rebours? Il est certain qu'il s'agit là d'une littérature de transition, mais qui n'en propose pas moins un aperçu fascinant de la manière dont l'exil peut être résolu par l'écriture. Il ne fait aucun doute que l'émergence d'une nouvelle génération, comme c'est le cas pour les Beurs, sera accompagnée d'un changement des données actuelles.

    Depuis le milieu du vingtième siècle où elles ont pris une ampleur considérable, les questions ayant trait à l'exil sont indubitablement liées aux idées de race, d'ethnicité et de diaspora. Reste que les problèmes de l'errance, des flux migratoires et de l'exil n'en sont pas pour autant absents de la littérature du dix-neuvième siècle, comme le montre John Whittaker dans son étude de Toussaint Louverture, une pièce de théâtre évoquant la grande personnalité noire haïtienne, disparue en 1803. Cette pièce de Lamartine, écrite au moment où la lutte contre la Traite gagnait en popularité, reflète les préoccupations de l'époque et souligne que l'idée de dépossession est au coeur des conflits raciaux. Arrachés à leur terre natale, les esclaves haïtiens vivaient dans des conditions inhumaines déplorables et l'injustice de leur sort reposait sur des préjugés raciaux qui leur refusaient humanité, épanouissement personnel et espoir de retour.

    Que reste-t-il de ce pays abandonné derrière soi? Comment l'auteur exilé ou exprimant sa condition d'exilé s'y prend-il pour permettre au rêve de la Terre Promise de survivre? Comment représente-t-il un retour imaginaire ou réel vers ces horizons lointains? La métaphore du jardin - et par association du jardin d'Eden - est un trope qui revient fréquemment dans la littérature de l'exil. Mais ce jardin n'est pas toujours un Paradis terrestre d'où l'individu a été arraché; il représente aussi parfois un espace bien plus modeste qui rappelle plutôt le jardin cultivé par Candide et ses compagnons à la fin du célèbre texte de Voltaire. Comme le suggère Agnès Hafez-Ergaut, de tels jardins peuvent être le lieu privilégié du souvenir d'où rejaillit parfois l'espoir. Tel est le cas, dit Hafez-Ergaut, de l'histoire de Gabrielle Roy, Un jardin au bout du monde, qui évoque la vie de Martha Yaramko, une femme d'origine ukrainienne ayant vécu depuis trente ans dans l'ouest du Canada. Son jardin devient l'espace symbolique de ses échecs, de ses vaines attentes et de ses espérances déçues, mais il lui offre aussi, paradoxalement, un refuge qui, même s'il n'a rien d'édénique, lui permet de se retrouver.

    Pour Martha, l'exil sera sans retour mais pour d'autres personnages ou écrivains, le retour "chez soi" s'accomplit, souvent accompagné d'une profonde désillusion qui renforce la condition d'exilé du voyageur. Michèle Bacholle analyse la démarche de deux auteurs ayant délibérément pris la décision de retourner aux pays de leur enfance : Marie Cardinal qui est d'origine algérienne et pied-noir, et Kim Lefèvre qui est d'origine vietnamienne. Bacholle analyse les raisons qui poussent ces deux écrivaines d'origine très différente à retourner au pays de leur enfance et à documenter ce retour de manière littéraire, Cardinal dans Au pays de mes racines (1980) et Lefèvre dans Retour à la saison des pluies (1995). Ce retour se solde dans les deux cas par une sorte de réconciliation, ou tout au moins de compromis. Dans d'autres cas, au contraire, le retour aux sources se solde par un échec et provoque un flot d'images et de souvenirs largement contradictoires. Marie-Paule Ha examine ce phénomène dans une étude de l'écrivain francophone vietnamien Nguyen-Manh-Toung. Dans son roman Sourires et larmes d'une jeunesse, Nguyen-Manh-Toung raconte l'histoire d'un certain nombre de personnages vietnamiens expatriés. Certains d'entre eux choisissent de rester en France alors que d'autres décident de retourner en Indochine au terme d'un très long séjour à Paris. Le roman exprime l'expérience traumatisante qui accompagne souvent la tentative de renouer avec sa culture d'origine.

    S'en retourner vers un passé mythique est toujours précaire et le voyage est encore plus incertain si au départ l'exil avait été imposé par la guerre ou le terrorisme politique. Ricard Ripoll Villanueva propose le cas d'Agustín Gómez-Arcos qui, comme bien d'autres auteurs espagnols, a été conduit à écrire en français pour des raisons politiques (son départ vers la France lui fut imposé par la guerre civile espagnole). Le roman Ana Non raconte l'histoire d'une femme andalouse qui, à l'automne de sa vie, traverse l'Espagne en direction du Nord afin de revoir son fils retenu en prison. L'histoire du personnage devient dans un sens l'histoire de l'écrivain lui-même, exilé pour des raisons politiques, et la narration souligne toute l'angoisse associée à une incursion dans le passé lorsque l'individu a été amené à assumer une nouvelle culture, une nouvelle langue et une nouvelle identité.

    Il est clair que pour bon nombre d'écrivains et d'artistes, il est possible de trouver un équilibre précaire et de puiser dans l'exil une puissante force créatrice. Le sentiment de perte et d'éloignement et le fait même d'écrire de manière compensatoire réunit paradoxalement certaines des conditions nécessaires à un acte d'écriture littéraire qui ne s'appuie sur la réalité que pour la transcender. Le fait d'écrire alimente ici les exigences fondamentales de l'expression littéraire et face à cette circularité, il n'est guère surprenant que les "retours d'exil" soient si souvent décevants. Certains affirmeront même qu'à un certain niveau, l'exil est indissociable du processus de création artistique. Pour Camus, par exemple, "exil" et "royaume" sont deux notions symbiotiques et le lien entre le concept d'exil et celui de créativité a été, on s'en souviendra, explorée de manière magistrale dans sa nouvelle "Jonas ou la vie d'artiste". Une étude considérant les liens qui rattachent le travail de l'artiste et l'objet d'art qu'il produit est proposée ici par Caroline Sheaffer-Jones. Analysant le chemin qui conduit le peintre de Camus à s'exiler progressivement de la vie et de la société qui l'entourent, Schaeffer-Jones montre toute l'ambivalence de ce retrait de l'artiste en lui-même. Comme la fin de l'histoire le montre, il est tout à la fois "solitaire" et "solidaire", c'est-à-dire seul mais intégré malgré tout au monde qui l'entoure. Pourtant, le paradoxe veut qu'en étant à fois l'un et l'autre, on n'est aussi ni l'un ni l'autre, comme tous les artistes, peut-être.

    La collection d'essais proposés dans ce numéro de Mots Pluriels montre que le thème de l'exil est à la fois riche et varié. Il touche à d'innombrables problèmes non seulement en termes de définition - quelle condition particulière appartient ou n'appartient pas à l'exil? - mais aussi en termes de relation et d'écriture. Est-il vraiment possible d'écrire l'exil? L'idée d'exil, exprimée de mille manières, est-elle vraiment une constante de l'écriture? Est-elle le moteur de l'inspiration créatrice? Qu'est-ce que l'exil nous apprend sur les littératures issues de l'immigration, sur l'éthnicité, les minorités, les expatriés, les réfugiés, l'idée de voyage et d'écriture? sur les notions d'exotisme et de diversités culturelles? Les études de ce numéro, tout en proposant de nombreuses pistes d'enquête et de débat, montrent aussi que l'exil reste un sujet problématique d'une portée considérable dans le domaine littéraire. Plutôt que d'apporter des réponses définitives à toutes ces questions, ces textes nous invitent à poursuivre nos recherches dans un univers riche et douloureux qui offre un champ illimité de possibilités.

    Tim Unwin
    Professeur de langue et littérature françaises
    Université de Bristol
    https://www.bris.ac.uk/Depts/French/unwin.html


    [Haut de la page] / [Table des matières de ce numéro de MOTS PLURIELS]

    Writing exile : separation and continuity

                  'Je savais déjà, moi, à sept ans, que j'étais exilé; les odeurs et les sons, le bruit de la pluie sur les toits, les tremblements de la lumière, je les laissais glisser le long de mon corps et tomber autour de moi; je savais qu'ils appartenaient aux autres, et que je ne pourrais jamais en faire mes souvenirs'. (Oreste in Jean-Paul Sartre's Les Mouches)

    The theme of exile has a central place in the history of writing, and is present in some of the earliest and most fundamental texts. Adam and Eve are banished from the Garden of Eden, and Moses wanders in the desert with his people. Exile is above all about the drama of no longer belonging, or of being excluded from some place - spiritual, cultural or geographical - which is essential to the identity of a group or an individual. The awareness of a gulf between self and homeland, present and past, and an accompanying sense of rift or alienation, are key components. These feelings may be added to by the guilt or anger of expulsion, by the ordeal of imprisonment within a foreign culture, or indeed by the nightmare of real incarceration that sometimes accompanies exile in its more extreme forms. Yet the myth of exile is never far from that of return to the Promised Land, and feelings of suffering or displacement go hand in hand with dreams of reintegration.

    French and Francophone literatures have rich traditions in this area. From Du Bellay through to Hugo and beyond, the resonances of the writer's exile have been repeatedly explored and expressed. Many leading modern French writers are, or were, exiles - Troyat, Semprun, Sarraute, Wiesel, Bosquet, Gary and others - and thus bear witness to the profound links that exist between the upheavals of displacement and the processes of creative writing. Yet the notion of exile extends across an entire spectrum. At one extreme there is the objective exile of the banished; at the other extreme is the more subjective exile of spiritual or cultural dislocation, or perhaps the self-imposed exile of the cultural refugee. How writers respond to or express the sense of exile is the subject of the present collection of essays which, while focusing predominantly on French and Francophone literatures worldwide, include studies of Iberian, Spanish Caribbean and Romanian-language writings. For, by definition, the theme of exile is 'interdisciplinary': it embraces two or more cultures. The range of contributions here will no doubt give a sense of the vastness - both thematic and geographical - of the subject.

    These studies will also show that the relationship between writing and exile is never less than complex, and nothing if not multi-faceted. If writing signals the power of words to cross the divide, or to achieve continuity despite separation, it can itself be the locus and the expression of exile. Two parallel cases where writing formally re-enacts the dislocations of exile are analysed by Guillaume Cingal, who discusses the first works of the young Francophone writers Jean-Luc Raharimana from Madagascar and Abdourahman Waberi from Djibouti. Each writer finds himself in France, traumatically separated from his homeland. The response is a form of writing which is deeply schismatic, reproducing the divide between the writer and the world he perceives. By its self-conscious fragmentation of both linguistic and narrative structures, writing recreates a sense of the lost homeland - predominantly nostalgic for Waberi, but apocalyptic and desperate for Raharimana. And similar processes might be seen in the case of Monique Bosco, whose 1989 novel Babel-Opéra is studied here by Catherine Khordoc. Bosco's physical exile (an Austrian Jew, she first goes to France in the 1930s, then subsequently to Canada) is mirrored in the text's formal techniques, for it is generically heterogeneous and self-consciously fragmentary, containing both narrative and poetic passages. Exile cannot be evoked directly, such is the suffering that accompanies it, and writing itself becomes, as it is for the writers studied by Cingal, the expression of disjunction and discontinuity.

    In some cases, however, exile is a condition that the writer either seeks out voluntarily or accepts - perhaps because it allows creative distance from the home culture or mother tongue, or because it offers the chance to reach a new audience. One of the most renowned examples of a self-imposed cultural and linguistic exile is that of Samuel Beckett, examined here by Helen Astbury. In one sense, it might appear that Beckett's decision to leave his native land and to write in French was a rejection of his 'home' culture, a classic case of separation. Yet contrary to initial appearances, it emerges that this is not the case, and that the decision to write in French allows a certain distance or repositioning which reconciles Beckett with his native Ireland. Another form of self-imposed linguistic and physical exile has been adopted by the Algerian writer Assia Djebar, discussed by Katarina Melic. Melic's study focuses on Djebar's 1985 novel L'Amour, la fantasia, in which the attempt to redefine personal identity is carried out in the language of the French coloniser. At first, Djebar's decision to write in French is liberating and allows her to find the voice which she had felt to be stifled for so long. But she soon realises that the language of the other is insufficient when she tries to express emotions and desires, or to revive the oral traditions of her heritage. At the crossroads of three cultures and three languages - Arabic, Berber and French - Djebar thus seeks out her own voice and style, discovering new combinations that enable her to express both her own story and the collective story of Algerian women.

    In an analysis of the liberating power of exile for Caribbean writers such as Julia Alvarez, Odile Ferly stresses the important role of emigration for women writers in Caribbean societies. Such writers, she argues, are able to escape the limitations of small, traditional, male-dominated communities. They can be empowered by 'hyphenated identity', or the idea that exiles inhabit a privileged space between two cultures. In such a state, the voluntary exile who embraces a second culture is able to select those aspects of a cultural inheritance that she wishes to preserve, rejecting what is burdensome. Yet the happy exile of the artist or writer who seeks liberation will always have its ironies and contradictions. For Odile Gannier, Tahiti has often been viewed as the modern world's answer to Eden, the very image of the exotic, a place of myth which is entirely at odds with the industrialised Western societies. But it emerges that writers of both Polynesian and European origin have struggled with the representation of Tahiti. To present it as a land of exotic myth condemns the writer to sterile repetition, yet to write about it in other terms is to destroy an image which both satisfies and delights. If Tahiti as a place of the exotic par exellence, this label is never less than ambivalent. Nonetheless, Gannier argues, the island is certainly capable of finding its own voice and of overcoming that 'otherness' with which it is so often associated.

    Beyond that sense of alienation of the foreigner which so often accompanies the condition of exile, there is the well-known condition of 'double exile' in which the subject feels in some way alienated from both the original and the adopted culture. In a study of Francophone African writing, Aedin Ni Loingsigh describes how colonised Africans came to feel exiled both in their own country and in France, and how life in Paris became a myth feeding on both alienation and emancipation. More generally, she points out, the literature of Francophone Africa gives a central place to the question of exile. But while certain 'universal' characteristics of exile tend to recur, exile is also linked to the specific historical conditions of colonial and postcolonial Africa, and becomes a crucial element in the debate about modern African identity through writing.

    This sense of a double exile is also strongly felt among minority ethnic groups of the second generation. One well-documented case is that of the Beurs, or French of Maghrebi descent born in France. The Beurs find themselves not only separated from the culture of their parents, but also excluded from full participation in the adopted society because they continue to be categorised as immigrants and foreigners. The Beur generations are thus exiled from their heritage, yet they are also exiles at home. Two complementary studies in the present collection explore this problem. Dayna Oscherwitz analyses the representation of Beur identity in Paul Smaïl's 1997 novel, Vivre me tue. Chronicling the experience of double exile, this novel documents the sense of desperation and isolation lived by French of Arabic descent in contemporary France, unable to integrate fully into either tradition. Yet, as Kathryn Lay-Chenchabi shows, the responses to cultural and ethnic exile in the adopted homeland can also be widely divergent. Her chapter focuses on three Beur writers: Azouz Begag, Ahmed Kalouaz and Leila Houari (a Belgian Beur). Each of them, while dealing with essentially the same preoccupations, follows a different path to self-discovery. Houari and Kalouaz seek their identity in an attempt to bond with the original culture, whereas Begag shows an increasing preoccupation with his place in French society.

    Another interesting case of a minority group is discussed by Hubert Padiou in a study of Romanian-language Israeli writing. Unable to write in Hebrew, many Romanian Jews continued to write in Romanian, and in 1973 formed an Israeli Association of Romanian Language Writers. Padiou here proposes an important survey of that body of literary works they have produced. Problems of identity are, of course, paramount, just as they are for the Beur writers. But is this a case of exile at home, or exile abroad? Is it double exile, or exile in reverse? The rise of the younger generation, as is the case with Beur literature, will no doubt change the parameters further. In both cases it is clear that the literature produced is a literature of transition, and as such, offers a crucial case-study of how exile is negotiated through writing. It also shows that the question of exile is indissolubly linked to that of races, diasporas and ethnicities, a subject which has had a high profile since the mid-twentieth century in particular. But the question of migrant communities was no stranger to the literature of the nineteenth century either, as John Whittaker reminds us in a study of Lamartine's Toussaint Louverture, a play about the black Haitian statesman who died in 1803. Lamartine's play, clearly catching the mood of the times as momentum gathered for the abolition of slavery, underlines that racial conflict is the very basis of dispossession. The Haitian slaves are far from their native land, diseased, sick, and disempowered through their condition of slavery. Racial injustice is the source of the exile or exclusion of human beings from peace and self-fulfilment.

    Yet what of the homeland that has been left behind? How do writers in exile, or writers of exile, recreate or deal with that dream of the Promised Land? How do they negotiate either their real or their imagined return to it? Among discourses of exile in literature, the image of the garden, recalling the myth of Eden, frequently returns. The garden may be a paradise from which the subject is exiled, but there are also those more modest gardens created in or out of exile - like the one cultivated by Candide and his fellow-labourers at the end of Voltaire's famous work. Agnès Hafez-Ergaut argues that such gardens can also be the place where a lost paradise is remembered, or where hope is rekindled. Such is the case, she points out, in a story by Gabrielle Roy entitled Un jardin au bout du monde, evoking the life of Martha Yaramko, a Ukrainian women who has lived for thirty years in the West of Canada. Her garden becomes the symbolic space of both the failures and the unrealised hopes of her existence, yet it is also a paradoxical refuge: not the Promised Land, but a land of promise at least.

    For Martha, there will be no return, yet for other literary characters or writers, the return to the homeland, often accompanied by crushing disappointments, itself becomes a component of the exile's condition. Two writers who have deliberately set out to record the return to a lost home are Marie Cardinal, of Algerian Pied-Noir origins, and the Vietnamese writer Kim Lefèvre. Michèle Bacholle looks at how these two writers of very different backgrounds decide to return to the place of their childhood. Cardinal records her return in Au pays de mes racines (1980), and Lefèvre documents her own homecoming in Retour à la saison des pluies (1995). The journey results in both cases in a return to the adopted homeland and a sense of reconciliation or at least of compromise. In other cases, the return 'home' has produced an experience vastly at odds with the memory of the past. Marie-Paule Ha assesses this phenomenon in a study of the Francophone Vietnamese writer, Nguyen-Manh-Toung. In a work entitled Sourires et larmes d'une jeunesse, Nguyen-Manh-Toung tells the stories of a number of expatriated Vietnamese characters who either elect to stay in France or return to Indochina after an extended period of residence in Paris. The work explores the often traumatic re-encounter with the culture of origin. Yet the myth of return to the past, always fragile, can be especially precarious when exile has been imposed through acts of war or political terrorism. Ricard Ripoll Villanueva looks at the case of Agustín Gómez-Arcos who, like other Spanish writers, has chosen to write in French for political reasons - in this case as a result of the political emigration caused by the Spanish Civil War. Gómez-Arcos's 1977 novel, Ana Non, tells the story of an Andalusian woman who travels north through Spain to see her imprisoned son before she dies. The story of the character becomes, in a sense, the story of the writer himself, exiled for political reasons, and examines the anguish of revisiting the past when a new culture and a new language have been assumed.

    It is clear that there are many writers and artists who achieve an ambiguous self-discovery through exile, or for whom exile becomes a mainspring of creativity. The sense of loss or a rift, as well as leading to writing by way of compensation, can indeed be deepened and made more real by the act of writing itself. Writing thus produces the very thing upon which it is dependent for its existence, and it is small wonder that the return from exile is sometimes so disappointing. Many would maintain that exile, at some level, is indissociable from the processes of artistic creativity. For Camus, 'exile' and the 'kingdom' were symbiotic notions. The link between exile and artistic creativity was, indeed, memorably explored by him in a short story entitled 'Jonas ou la vie d'artiste'. In a study which considers the links between the artist's work and the artefact that he produces, Caroline Sheaffer-Jones examines this story about a painter who progressively withdraws from the life and society around him. The nature of the exile into which Jonas retreats is deeply ambivalent. As the ending of the work shows, he is both 'solitaire' and 'solidaire': in a state of solitude and of solidarity with his community. He remains both and neither, divided from himself and others, perhaps like all artists and writers.

    The collection of essays presented in this special number of Mots Pluriels shows that the theme of exile is rich and multi-faceted. It engages with a wide spectrum of issues and problems, not only in terms of what exile is or can be, but also in terms of the relationship of exile to writing. Is it, indeed, possible to 'write' exile? Is exile, in its various forms, one of the constants or one of the mainsprings of creative writing? What does the theme of exile tell us about literatures of emigration, about ethnicities and minority groupings, about expatriates and refugees, about travel and writing, about notions of the exotic or about cultural identities? The essays here provide a range of explorations of such questions, and show both collectively and individually that exile is a far-reaching and deeply problematic topic in literature. They do not, of course, claim to provide all the answers or to close off this crucial area of study. On the contrary, they show that it contains a host of possibilities for further investigation.

    Tim Unwin
    Professor of French Language and Literature
    The University of Bristol
    https://www.bris.ac.uk/Depts/French/unwin.html


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