RESUME |
Michèle Bacholle
Eastern Connecticut State University
Si l'exil constitue une épreuve en soi, comme invite à le croire Marie Cardinal "ce sont les retours qui comptent". Après respectivement 30 et 24 années d'exil, c'est ce retour que Kim Lefèvre et Marie Cardinal ont relaté dans Retour à la saison des pluies et Au pays de mes racines. Bien qu'elles soient issues d'environnements très différents, l'une Eurasienne, la fille naturelle d'une Tonkinoise et d'un officier français, l'autre pied-noir, née dans une famille implantée de longue date en Algérie,[1] le métissage unit Lefèvre et Cardinal. De sa personnalité, Lefèvre dit qu'elle "est constituée de deux couches successives: vietnamienne pendant mon enfance, française par la suite. Parfois elles s'entremêlent mais la plupart du temps elles sont strictement cloisonnées" (122). Cardinal exprime une division similaire: "A dix-huit ans, ma conversion était 'presque' parfaite [...] opérée dans le but de devenir une bonne chrétienne, une bonne Française et une dame [...] Quand la puberté est venue il n'a plus été question pour moi d'organiser des enterrements de petits chats avec les jeunes Arabes de la ferme, et encore moins d'aller au cinéma ou même à l'école avec eux. Les uns d'un côté, les autres de l'autre" (32-3). Plus que de métissage (qui implique un croisement), il s'agirait ici d'acculturation: sur une culture première (vietnamienne ou algérienne) serait venue se poser une autre, française; c'est du moins ce que suggèrent les deux écrivains -- et ce que leur narration même contredit.[2] C'est justement ce "métissage" (ou cette acculturation) qui rend le retour si complexe, car plus qu'un simple voyage au pays de l'enfance, il s'agit pour ces auteurs de réévaluer leur personnalité bi-culturée, de tenter de renouer et composer avec un passé douloureux et de s'efforcer de dépasser leurs deux identités et se créer un tiers-espace et une "tierce-identité", signes de l'accomplissement de la transculturation.[3] L'imagerie de l'eau et des arbres et jardins qu'elles développent (comme en attestent les titres de leurs textes) trahit chez ces deux auteurs une approche différente du retour et contribue à accorder une conclusion différente à leur tentative de transculturation, à leurs efforts pour mettre un terme au manque affectif lié à l'exil.
Le vécu de Lefèvre et Cardinal, ainsi que ces deux textes, présentent de nombreux points communs. Aucune n'a quitté son pays natal pour des raisons politiques, comme les boat-people vietnamiens après 1975 ou les pieds-noirs en 1962. Lefèvre s'est vue octroyer une bourse pour poursuivre ses études en France -- elle dit aussi avoir "fui" (121) sa situation familiale, sa condition de métisse -- Cardinal, trois semaines après la naissance de son deuxième enfant, est allée rejoindre son mari en France avant de prendre un poste d'enseignante à l'étranger. Leurs deux "cahiers" sont écrits au départ de la France et s'ouvrent sur l'annonce du retour: "Les dés sont jetés, j'ai enfin pris la décision de retourner au Viêt-nam. Après trente ans d'absence" (Lefèvre 13), "Nécessité de partir là-bas. D'y retourner. Là-bas, y: l'Algérie, Alger" (Cardinal 5). Cette décision de retourner au pays est en partie due à l'écriture. La parution, et le succès, de Métisse blanche en 1989 a fait resurgir un passé qui ne laisse plus de répit à Lefèvre, a ouvert la porte à des fantômes ou personnes d'autrefois qui apparaissent çà et là dans le présent de l'auteur. Après deux ans d'efforts et à peine une centaine de pages, Cardinal ne parvient pas à progresser dans son livre qui a pour figure centrale un homme-père: "Sans arrêt des blocages, des murailles qui s'élèvent devant moi, infranchissables [...] Impression que j'ai perdu des maillons de ma vie, certaines clefs. Impression que je me suis trop francisée, que j'ai oublié quelque chose" (84) -- à peine arrivée à Alger, Cardinal visitera la tombe de son père et dénouera le noeud de ses angoisses. Parmi d'autres raisons figurent: pour Lefèvre la réunion avec sa mère qu'elle n'a plus revue depuis son départ, elle ne se rend pas au Viêt-nam pour retrouver ses racines dit-elle, "je sais aujourd'hui que je n'en ai pas" (122), pour Cardinal au contraire l'enjeu du retour est de "[r]etrouver mes racines. Me confronter avec moi-même" (82), enjeu qu'elle réitère à deux autres reprises (90, 165). Toutes deux partent d'autre part, consciemment ou non, pour confronter et en fin de compte accepter un passé terrible qui empoisonne leur exil. Lefèvre revit l'abandon de son père naturel, l'officier français (un certain Tiffon), puis du deuxième père, Jean-Marcel Guillaume[4] et se remémore les mauvais traitements du parâtre (un Chinois, 87) qui la haïssait car elle "lui rappelait qu'un autre l'avait précédé dans le coeur et dans le corps de sa femme" (91). Elle revit également son abandon par la mère à l'orphelinat à l'âge de six ans. Au coeur du récit de Cardinal, éprouvée dès son arrivée à Alger mais relatée seulement à la fin du séjour, se dresse la révélation traumatisante de sa mère qui, enceinte d'elle en plein divorce, s'était acharnée pendant six mois à la "faire passer".[5] Plus qu'avec les personnes, maintenant disparues, les deux auteurs essaient de se réconcilier avec l'enfant qu'elles ont été, de calmer sa peur: "A la vérité, ce n'est pas moi qui ai peur mais l'enfant de ces temps reculés, la petite fille reniée, qui craint d'ouvrir la boîte de Pandore car le Viêt-nam [...] c'est encore cette boîte contenant tous les maux de la vie" (Lefèvre 121), une petite fille qui oppose une farouche résistance à toute évocation de retour. Parallèlement, Cardinal sent encore l'enfant en elle, l'enfant qui était réapparue à la suite d'un accident de la route pour parler en arabe à la seule personne présente et susceptible de l'aider, un Algérien, l'enfant dont elle lâchera la main après avoir visité la tombe de son père.
Dans l'attente du voyage, Lefèvre et Cardinal éprouvent la même peur, la même angoisse grandissante qui atteint chez Cardinal de telles proportions qu'elle souffre de "maux de dents, de tête, d'intestins, insomnies. Extrême fatigue" (102). Toutes deux ont la même impression d'aller au combat -- impression qui s'exprime chez Cardinal en terme de "croisade" (104). Le retour au pays s'effectue en fait dès Paris, dès le lieu de l'exil, soit par le biais des souvenirs (Cardinal se rappelle Barded), soit par la visite d'anciennes connaissances (Bach Tha et Lê An), la fréquentation du 13ème arrondissement et d'un supermarché asiatique, l'expérience proustienne du souvenir olfactif (le fruit du durian), ou enfin par l'imagination: le retour, version pessimiste et optimiste. Pour les deux auteurs se pose également le problème linguistique: le vietnamien revient par degrés à la mémoire de Lefèvre, Cardinal essuie un échec total quand elle s'essaie à l'arabe. Toutes deux font une demande de visa, demande soulevant la question de l'identité. Lefèvre décide de s'adresser au guichet en français, mais est "tout de suite identifiée. 'Viêt kiêu à? Pour Vietnamien résidant en France? -- Non, je suis française, je voudrais un visa de touriste'" (121). Après avoir décliné à la standardiste sa nationalité française, Cardinal sent "un creux en moi, un manque, un trou, une plaie, au moment où je dis ça [...] Ordinairement ça ne me gêne pas de dire que je suis française" (27).
Les deux femmes choisissent un premier contact solitaire avec leur pays d'origine: Lefèvre n'a pas souhaité que sa famille vienne l'attendre à l'aéroport, Cardinal, qui a convaincu sa fille de l'accompagner, devance celle-ci de deux jours. Centrale à ces deux voyages où s'effectue un pélerinage dans des lieux-clé (Dalat et Nha Trang pour Lefèvre, Chréa, Tipasa et Chenoua pour Cardinal) se trouve la mère: Lefèvre renoue avec celle qui a été sa "sève et [s]es racines" (69), une femme dont elle considère le destin comme mêlé au sien; Cardinal revit la révélation-abandon de sa mère naturelle et retrouve sa "génitrice", l'Algérie: "Je me suis accrochée à ce que j'ai pu, à la ville, au ciel, à la mer, au Djurdjura [...] ils sont devenus ma mère et je les ai aimés comme j'aurais voulu l'aimer, elle" (181). Mère et pays finissent par se confondre, l'amour reporté de la mère naturelle sur l'Algérie fait de celle-ci la terre-mère, Lefèvre, elle, a "le sentiment de retourner dans le ventre qui m'a enfantée" (143) et voit "l'âme cachée de ce pays [...] sur le doux visage de ma mère" (221). Au terme du voyage, nous ne savons plus à qui elle s'adresse, au pays ou à sa mère: "Ne te tourmente pas, ma mère. Maintenant que nous nous sommes retrouvées, tu ne me perdras jamais plus" (222).
Malgré les similarités relevées entre ces deux "cahiers" et ces deux retours, une divergence profonde s'établit par le biais de l'imagerie privilégiée qui annonce finalement l'aboutissement du voyage-redécouverte, l'issue de la tentative de transculturation. Si Lefèvre revient dans son pays, elle ne s'y réfère jamais en termes de possession. Eurasienne, métisse blanche (et non jaune), elle s'est efforcée d'oublier son pays d'origine et la souffrance qui y est attachée, mais la publication de Métisse blanche l'a consacrée comme auteur vietnamien et le voyage réveille la Vietnamienne en elle. Elle ne revient pas sur le passé historique entre la France et le Viêt-nam dont elle est pourtant le produit -- un produit frappé d'interdit puisque l'armée s'opposait aux mariages mixtes entre officiers français et femmes annamites. Comme César passant le Rubicon, elle "jette les dés", renoue le fil avec le Viêt-nam et remonte le fleuve vers "l'endroit où j'ai pris ma source" (13), vers l'amont "enveloppé de brume" (13). L'eau, omniprésente dans ce récit,[6] va de l'eau plombée des rizières, à un lac d'Hanoï, à la Rivière des Parfums de Huê, au Mékong, à la mer bordant Nha Trang, à la saison des moussons où la touffeur de l'air est telle qu'elle donne la "sensation de s'enfoncer dans une eau tiède" (139). Amorçant la descente sur Ho Chi Minh Ville Lefèvre voit "d'abord des étendues d'eau grises, sans aucune verdure, puis le miroitement des rizières, le vert des plants de riz et enfin des jardins, des toits de tuiles dissimulés sous les feuillages. Le Viêt-nam est là, juste au-dessous de moi" (138). Elle note qu'en vietnamien "pays s'écrit 'Dât-Nuóc', mot qui signifie 'Terre et Eau'" (149). Dans ce récit, l'eau devient également symbole: la vie de Lefèvre (en exil) "dérivait en haute mer, loin, très loin de sa source" (18), sa mère lui ouvre "les fontaines de sa mémoire" (71), la vie de la mère auprès du parâtre est comparée à des "eaux croupies" (74), dans l'avion "le temps est immobile comme une mer étale" (135), avec sa mère et ses soeurs enfin elles "remont[ent] le cours du temps. Les événements marquants sont des îles où l'on s'attarde" (154). Comme le remarque Jack Yeager, "if the presence of these liquid barriers forces the narrator to build bridges between the islands, water links them as well [...] in Southeast Asia water connects land masses and facilitates communication" (53). Ainsi, l'eau est un principe unifiant aussi bien au Viêt-nam que dans ce texte, comme l'est également la famille, "le cordon qui m'attache à ce pays où je suis née" (221).
La famille est tout aussi importante chez Cardinal, mais elle serait plutôt un agent diviseur. D'autre part, l'auteur approche l'Algérie de façon ambiguë, plus possessive. Souvent, elle se réfère à l'Algérie comme "mon pays" (143), "chez moi" (72, 98, 114) ou "chez nous" (70). Son "chez nous, dans les familles d'origine française" (37) invite à voir le "chez moi" comme l'Algérie française. En tant que pied-noir, Cardinal traîne le boulet d'une Histoire qu'elle essaie de tenir à distance et qu'elle dit renier: "Mauvaise conscience d'avoir vu exploiter le peuple algérien sans rien dire et mauvaise conscience d'avoir laissé faire la guerre que nous lui avons faite (73, c'est moi qui souligne)". D'une part contre l'OAS, elle s'est aussi heurtée à sa famille: "Bien que pied-noir, je n'ai jamais été pour l'Algérie française [...] J'étais contre ce que représentait ma famille: la France et ses conquêtes, son empire colonial, sa morgue, son mépris, son racisme, son humanitarisme hypocrite" (153-4). Cette attitude ambivalente -- contre l'"algériefrançaise" mais considérant l'Algérie comme française -- a ouvert un débat. Pour Patrice Proulx, "Cardinal attempts to distance herself from the neo-colonialist implications of any mythifying structures" (532). Proulx remarque que Cardinal, contrairement à beaucoup d'auteurs pieds-noirs, ne donne pas dans la "nostalgérie" -- "the exile's veneration of a mythified past" (532). Pourtant, il est clair dans ce récit que Cardinal traite le passé comme un paradis perdu: "Depuis que je ne vis plus en Algérie, il n'y a [...] plus d'instants où, sans restriction, je suis en parfaite harmonie avec le monde" (6).[7] Marie-Paule Ha, elle, accuse Cardinal d'amnésie historique et de dépolitiser la lutte pour l'indépendance et la réaction sanguinaire de l'OAS en en faisant une histoire d'amour et de passion, comme l'indique cette explication de Cardinal sur les pieds-noirs: "je sais d'où est venue [leur] perdition, d'un amour passionné. Peuple en rut, chien en chaleur auquel on veut prendre sa femelle" (Cardinal 67). Reste que, si la passion de Cardinal pour l'Algérie n'a pas la bestialité attribuée à celle des pieds-noirs, elle est tangible dans ce récit du retour et s'y exprime en termes de possession.
Ce récit est beaucoup moins fluide que celui de Lefèvre, sans doute parce que Cardinal se débat entre deux mondes qu'elle place souvent en vis-à-vis -- leur climat, paysage, religion, langue, nourriture, ce que Lefèvre ne fait pas. Cardinal ne parvient pas à vivre son biculturalisme: "je voudrais pouvoir être tranquillement bi-culturée [...] sans que le reniement guillotine l'une de mes deux têtes, sans avoir à faire un choix impossible" (17). Mais ce choix, qui le lui impose sinon elle-même ou des vestiges d'interdits familiaux? Avant même qu'elle n'entreprenne le voyage, les dés sont donc pipés et le retour ne peut se vivre que sur un mode erroné. La résolution du manque lié à l'exil et la transculturation sont ainsi d'entrée de jeu vouées à l'échec. Dans ce texte, Cardinal s'attache aux marques de la colonisation et privilégie les vignes, les arbres et arbustes (lentisques, pins, oliviers, palmiers, néfliers, orangers, platanes, cyprès, cèdres et surtout, les eucalyptus), les jardins, les fleurs (glycines, bougainvillées, ficus, lauriers-roses, volubilis, mauves, marguerites, liserons, lys). D'Alger, elle voit d'abord les falaises d'El-Biar puis "une ferme avec une allée de palmiers et des cultures bordées d'eucalyptus" (110), image d'une époque révolue. Comme l'eau chez Lefèvre, l'arbre est ici utilisé comme symbole: "Chaque famille était en quelque sorte un arbre avec des racines, un tronc, des branches [...] L'arbre faisait partie d'une forêt [...] La forêt bruissait alors des histoires chuchotées des familles [...] Les unions étaient graves. Il ne devait pas y avoir de mélanges! Pas de greffes possibles" (39-40), symbole qui nous ramène au peuple pied-noir et à l'Algérie française. Ainsi, l'arbre, la racine est le principe unifiant dans ce texte. En demandant à Bénédicte, la seule de ses enfants à ne pas être née en terre algérienne, de l'accompagner dans son périple et de tenir un carnet de voyage, Cardinal ressoude une branche à l'arbre familial et sert de relais à celle qui intitulera son journal "Au pays de Moussia".[8] Le "C'est chez moi à nouveau" (219) de Cardinal qui y figure a des résonances de réappropriation. Autant elle rejette sa famille, son éducation, Cardinal a du mal à se tenir à distance de ces "chez moi", de ces adjectifs possessifs qui dénotent une certaine rancoeur contre l'Histoire, contre ceux qui l'ont déracinée et expulsée du jardin d'Eden. Trois ans avant Au pays de mes racines, n'écrivait-elle pas dans Autrement dit "Et si je n'étais pas capable d'éprouver pour [l'Algérie] l'amour pur, sans avidité, sans rancune que je crois lui porter?" (19) Si la rancune persiste, du moins semble-t-elle n'être pas dirigée contre la seule Algérie.
Pour Lefèvre comme pour Cardinal, le retour au pays d'origine s'avérait nécessaire pour mettre un terme au cloisonnement de leurs deux personnalités, pour mieux vivre l'exil et mener à bien la transculturation, pour se créer un espace qui concilie et harmonise les deux cultures, les deux composantes de leur être. Lefèvre semble être parvenue à cette fin, elle s'est créé son tiers-espace de métisse à part entière (non plus blanche ou jaune). La réussite de Cardinal se discute, car elle demeure conditionnée par son éducation, prisonnière du poids de l'Histoire et de ses non-dits. Si au terme du voyage au pays de l'eau, Lefèvre s'apprête à retrouver son exil géographique, elle semble le faire d'un coeur plus léger, délestée du poids du passé et de ses secrets, quelque peu libérée de l'exil affectif dans lequel elle se débattait jusqu'à son salutaire retour. Les fils qu'elle a renoués avec le Viêt-nam et sa famille indiquent qu'elle a assumé et réconcilié ses deux identités, Kim Thu et Eliane, et s'est forgé une identité transculturée, et le texte s'achève sur une promesse de retour. Au pays de mes racines ne contient pas une telle promesse, mais s'achève sur une déclaration d'amour: "Un poids, une masse, une rondeur, un équilibre en moi, un rire quand je pense à ce coin-là du monde: je l'aime" (196). Au terme de son récit, Cardinal formule deux observations: l'une sur les Algériens et le socialisme, l'autre sur la place qu'occupe pour elle l'Algérie: avant, elle appartenait à l'Afrique du Nord et était reliée à la France par la Méditerranée, aujourd'hui elle est séparée de la France par la mer et attachée à l'Afrique par le Sahara (194). La profession d'amour qui clôt le récit s'adresse à un pays perdu par une femme de "souche" française (14), arrachée à sa terre natale et dont les racines algériennes demeurent à vif.
Notes
[1] Par les femmes, car le père était originaire de France.
[2] Enfant, Lefèvre était
traitée comme une "sang-mêlé" (164) et Cardinal conciliait
paisiblement valeurs et coutumes algériennes et françaises.
La question du métissage chez ces deux auteurs dépasse le cadre
de ce travail; nous reportons le lecteur aux études de Patrice Proulx,
Marie-Paule Ha et surtout Françoise Lionnet, figurant dans la
bibliographie.
[3] Comme l'explique Lionnet, selon le poète cubain Nancy Morejón, la transculturation décrit "a process of cultural intercourse and exchange, a circulation of practices which creates a constant interweaving of symbolic forms and empirical activities among the different interacting cultures" (11). La transculturation ne se limite cependant pas aux cultures, mais s'adresse aussi aux individus, aux métisses. Pour une plus ample exposition du métissage et de la transculturation, voir la préface de Lionnet.
[4] Officier français lui aussi, rappelé en France, il a proposé à la mère de l'accompagner avec leur fils. Elle a refusé, n'ayant pas le coeur de laisser la petite Kim au Viêt-nam.
[5] L'expérience de l'abandon maternel diffère radicalement chez Lefèvre. Avant que sa mère, sous la pression familiale et sociale, ne renonce à ses droits sur elle au profit de l'orphelinat, Lefèvre n'avait que très peu vécu avec elle, tant elle était ballottée de grand-mère en tantes. En outre, après un an ou deux, sa mère avait pu, grâce à la situation politique, jouir de nouveau de ses droits et récupérer sa fille. Un amour profond les liait l'une à l'autre. Alors que l'aveu de la mère de Cardinal est asséné comme une vengeance, Lefèvre rend tout à fait clair que sa mère ne l'a pas abandonnée de gaieté de coeur: "Qu'as-tu pensé pendant ces jours terribles qui précédèrent mon abandon à l'orphelinat, un abandon que tu croyais définitif? [...] quelles tortures, quelles douleurs, quels remords durent déchirer ton âme!" (73).
[6] Pour une étude de l'eau, voir l'article de Jack Yeager, pp. 52-53.
[7] Colette Hall remarque que "[l]e pays d'origine [...] fonctionne dans l'imaginaire [des auteurs exilés comme Albert Camus et Marie Cardinal] comme un paradis perdu" (13).
[8] Ce carnet soi-disant de voyage porte surtout sur sa mère et relate son rêve d'une plante qui se plaint que ses racines (l')étouffent et qui demande à Bénédicte de l'accompagner visiter "la terre qui m'a nourrie" (215), comme l'a fait sa mère. L'image végétale subsiste et relie la mère, sa fille et la terre-mère.
Bibliographie
Cardinal, Marie. Autrement dit. Paris: Grasset, 1977.
---. Au pays de mes racines. Paris: Grasset (Le Livre de Poche), 1980.
Ha, Marie-Paule. "The (M)Otherland in Marie Cardinal". Romance Quarterly 43.4 (fall 1996), pp.206-16.
Hall, Colette. Marie Cardinal. Amsterdam: Rodopi, 1994.
Lefèvre, Kim. Retour à la saison des pluies. Paris: Editions de l'Aube, 1995.
Lionnet, Françoise. Postcolonial Representations. Women, Literature, Identity. Ithaca: Cornell UP, 1995.
Proulx, Patrice. "Representations of Cultural and Geographical Displacement in Marie Cardinal". The Centennial Review 42.3 (fall 1998), pp.527-38.
Yeager, Jack. "Kim Lefèvre's 'Retour à la saison des pluies' : Rediscovering the Landscapes of Childhood". L'Esprit Créateur 33.2 (summer 1993), pp.47-57.
Michèle Bacholle, l'auteur de l'article "Cahiers d'un retour au pays natal: Kim Lefèvre et Marie Cardinal", est "Assistant Professor" à Eastern Connecticut State University (Etats-Unis). Elle enseigne des cours de langue, de culture francophone et de littérature française et francophone du XXième siècle. Ses intérêts en matière de recherche se partagent principalement entre les écrits de femmes contemporaines (parmi lesquelles, Annie Ernaux, Linda Lê, Ly Thu Ho, Kim Lefèvre, Malika Mokeddem, Assia Djebar, Leïla Sebbar, Sylvie Germain et Agota Kristof) et le Viêt-nam dans les films (Tran Anh Hung et Tony Bui).
Au nombre de ses publications les plus récentes figurent son livre Un Passé contraignant. Double bind et transculturation (Rodopi, 2000) sur Annie Ernaux, Agota Kristof et Farida Belghoul et les articles suivants: "Camille et Mùi ou Du Vietnam dans 'Indochine' et 'L'Odeur de la papaye verte'" (The French Review, avril 2001); "Tran Anh Hung's Orphan Tales" (dans Of Vietnam: Identities in Dialogue Leakthina Ollier and Jane Winston (eds.) New York: Saint Martin's Press, à paraître 2001) et "Ecrits sur le sable: le désert chez Malika Mokeddem" (dans Malika Mokeddem envers et contre tout Yolande Helm (ed.) Paris: L'Harmattan, 2001).