RESUME |
Aedín Ní Loingsigh
Université de Maynooth
Que faut-il comprendre par "exil"? En apparence le terme semble clair et les répercussions psychologiques de l'exil sans équivoque. Dans la pensée occidentale, l'exil est souvent associé à toute une série de sentiments négatifs tels que la solitude, l'isolement, l'aliénation et le dépaysement. De plus, l'exil incarne une opposition implicite entre l'espace idéalisé que l'exilé a quitté et l'espace hostile de son exil qu'il a été conduit à occuper de gré ou de force. Cependant, un examen plus détaillé de l'exil révèle d'autres significations qui mettent en évidence la complexité du thème. Il n'est pas facile, par exemple, de savoir où l'exil commence et où il finit, notamment lorsqu'il est question d'expatriation dite volontaire.
À l'origine, le christianisme a contribué à créer une représentation cohérente de l'exil dans l'imaginaire occidental. Cependant, ce que l'on relève surtout dans les textes sacrés c'est l'ambiguïté de ce concept, à la fois symbole du châtiment divin et épreuve enrichissante. Si, comme le soutient Geneviève Menant-Artigas, les termes de "banni", de "proscrit" et d' "émigré" correspondent à des réalités juridiques, historiques et économiques, le mot "exil", quant à lui, est "aussi insaisissable que l'amour ou la haine, aussi authentique, aussi éloquent, et puissant sur le coeur de l'homme, l'exil est un sentiment."[1] On comprendra dès lors l'impossibilité de trouver une formule unique pour rendre compte de cette réalité hautement subjective. Admettons tout de même qu'un élément permet de rapprocher toutes les oeuvres de l'exil: l'écriture. On sait que l'exil est depuis toujours un terrain propice à la création littéraire. Ce rapport créateur entre exil et écriture s'inscrit en surimpression des sentiments négatifs, renforçant ainsi l'indéniable ambiguïté de cette condition.
L'écriture africaine de l'exil ne semble pas différer, à cet égard, de la littérature occidentale.[2] Tout comme dans cette dernière, l'exil représente dans la littérature africaine "un espace dont chaque élément est à la fois perçu comme un négatif chargé de laideur et d'inhumanité et, à des moments privilégiés de paix, comme un lieu révélé, un univers positif et accueillant."[3] Toutefois, dans l'étude des représentations littéraires des réalités africaines, il faut se méfier de l'application aveugle de concepts abstraits et "universels" qui ne prennent pas en compte le contexte de la production de ces oeuvres. Depuis l'époque coloniale, le mot "universel" est un euphémisme qui a été trop souvent employé pour masquer une tendance à faire de la culture européenne la référence suprême selon laquelle on juge toute culture étrangère. C'est pour cette raison que le fait de s'interroger sur la représentation de l'exil dans les littératures africaines revient à se poser d'emblée la question de l'approche critique, une question qui est d'ailleurs loin d'être secondaire et qui a longtemps conduit à des lectures réductrices, paternalistes ou franchement condescendantes. Au mieux, ces littératures ont été regroupées sous la rubrique géo-littéraire et linguistique d'"études francophones". Mais ce concept flou crée un fossé entre la littérature de l'hexagone et les littératures des pays excentrés, qui n'est pas sans rappeler la centralisation politique et culturelle de l'époque coloniale.[4] Il en résulte que les "études francophones" -- qu'il s'agisse de l'étude de l'histoire, de la culture ou de la littérature des pays francophones -- sont souvent mises en exil par l'université française, qui envisage mal le rapport de cette littérature "étrangère" avec l'histoire culturelle et littéraire de la Métropole. Dans le contexte des littératures africaines d'expression française, le défi posé au critique est donc de trouver une approche qui permette d'évaluer la place occupée par l'exil dans ces oeuvres sans perdre de vue le contexte socio-historique de leur production.
Le modèle colonial de l'exil offre un paradigme de l'exil qui ne va pas sans rappeler certains aspects de l'exil des textes classiques et sacrés de la littérature occidentale, c'est-à-dire la hantise du passé, la solitude et la remise en question de sa propre identité. Dans sa célèbre préface à l' Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache , Jean-Paul Sartre assimile l'existence du Noir à une forme d'exil très particulière, et soutient que la rencontre coloniale avec la culture blanche marque l'émergence d''une nouvelle expression poétique de l'exil:
Cette analyse représente l'histoire de la diaspora noire comme une série d'exils successifs, qui trouvent leur genèse dans la première rencontre entre les races blanche et noire. Marquée par l'esclavage et la colonisation, l'existence du Noir s'inscrit alors a priori sous le signe de l'exil. Bien que sensiblement différente, l'expression de l'exil dans la littérature maghrébine de langue française émerge aussi de la rencontre coloniale de l'Afrique du Nord avec l'Europe. Tout comme le colonisé noir, le colonisé maghrébin est éloigné de sa véritable identité et connaît la même rupture avec son passé. Comme le suggère l'intellectuel tunisien Albert Memmi, l'image du colonisé naît "d'une série de négations. Le colonisé n'est pas ceci, n'est pas cela. Jamais il n'est considéré positivement: ou s'il l'est, la qualité concédée relève d'un manque psychologique ou éthique."[6]
Le manichéisme inhérent aux sociétés coloniales et son influence sur la perception identitaire des uns par les autres, sont présentés par le psychiatre martiniquais Frantz Fanon. Ce dernier nous permet de poser la question de la réalité spatiale de l'exil du colonisé:
Cette vision de l'Histoire contribue à exacerber le sentiment d'un éloignement géographique du centre dans la mesure où la Métropole est présentée comme le véritable centre historique, politique et culturel. Dès lors, le colonisé se sent effectivement exilé à l'intérieur de son propre pays,[8] et l'on s'étonnera moins que la culture française ait exercé une fascination certaine sur beaucoup d'écrivains et d'intellectuels africains. Persuadés à tort qu'un attachement trop prononcé à leurs racines et à leurs origines était le gage d'une infériorité aux yeux des colons, ils cherchèrent à l'oblitérer par mimétisme ou par l'assimilation de modèles culturels européens. L'école occidentale, qui connote souvent le dédoublement culturel du colonisé dans le roman africain d'expression française, les y aida.[9] L'entrée dans le monde de l'éducation coloniale constitue une véritable initiation à la différence culturelle et raciale, et elle représente un facteur de rupture important dans la mise en exil progressive du colonisé. Comme c'était d'ailleurs aussi le cas en Métropole, le rôle de l'enseignement était moins de développer l'esprit critique et créateur des élèves que de les "civiliser" en les initiant à la supériorité de la culture française. Cependant, en contraste avec ce qui se passait en France, les élèves africains furent invités à admirer, voire à imiter cette culture mais non pas à y participer pleinement.[10] Même en ayant accès à un savoir européen, l'élite africaine continuait à occuper une position inférieure par rapport aux colonisateurs. Cet état de fait revêt une importance fondamentale dans le cadre d'une exploration de l'exil qui se situe en marge des repères eurocentriques que l'on rencontre souvent. Alors que le colon français ne se sent en exil qu'en Afrique, l'Africain qui n'est jamais tout à fait chez lui en France, quelle que soit son origine, souffre aussi de l'exil en Afrique en proportion directe de son éducation. En fait, le colonisé "évolué" vit à l'intersection de deux cultures sans appartenir à aucune. La couleur de sa peau, sa religion et sa langue distinguent le colonisé de l'Européen, mais son nouveau savoir et sa connaissance de la langue française l'éloignent de ses propres origines culturelles. Le déchirement qui résulte de cette position particulière est au coeur de l'exil des écrivains africains de l'époque coloniale pour qui Paris est un passage obligé. Tournons-nous donc brièvement vers cette ville et la place privilégiée qui lui revient dans la littérature africaine de langue française.
L'admiration de l'Africain colonisé pour la capitale métropolitaine commence bien avant son arrivée dans la Ville Lumière.[11] En Afrique déjà, le colonisé commence à associer à Paris toute une histoire politique et culturelle dont il se sent exclu. Il en résulte que le colonisé commence à vivre sa séparation d'avec la Métropole comme un exil bien qu'il vive chez lui et avec les siens, et c'est dans l'univers chimérique qu'on lui a fait miroiter dans les livres que le projet du séjour parisien prend naissance. La séduction exercée par la propagande coloniale est telle que le séjour à Paris se présente souvent comme un véritable rite de passage. Celui qui réussit à faire le voyage en France -- que ce soit pour des raisons professionnelles ou pour son éducation -- jouit alors d'un prestige que l'on peut comparer à celui d'un pèlerin qui rentre d'un lieu saint. Les rapports des écrivains maghrébins colonisés avec Paris sont d'ailleurs plus complexes. Outre la concurrence linguistique entre le français et l'arabe qui n'existait pas en Afrique sub-saharienne, la place de la Mecque dans le monde arabe, et la présence d'universités au Maroc, en Tunisie et en Égypte, ont fourni un contrepoint au prestige culturel et intellectuel de Paris pendant l'époque coloniale. De plus, la longue histoire de l'émigration maghrébine en France et le sort des Maghrébins en France pendant la Guerre d'Algérie ont beaucoup influencé la représentation de Paris dans le roman maghrébin. Bien avant les Africains noirs, "la production de l'espace parisien [chez les écrivains maghrébins fut] gouvernée par le vécu de leurs compatriotes du drame qui opposait leur pays à la puissance coloniale. Ainsi, durant cette période, la vie quotidienne dans la capitale a perdu son charme de paix et l'harmonie entre les êtres qui y habitaient."[12] Cela ne veut pas dire que les écrivains maghrébins ne tombent pas sous le charme de la Ville Lumière, ni que les Africains originaires de l'Afrique noire ignorent les aspects négatifs de la vie parisienne. Il s'agit plutôt de souligner que, si les exilés ont à faire face aux mêmes tourments, leur parcours, et surtout les origines de leur condition d'exilé, sont sensiblement différents car le contexte qui a donné lieu à leur départ est différent. Cette différence est d'autant plus vite oubliée qu'au niveau du vécu, les expériences des uns et des autres sont dominées par une relation ambiguë avec la capitale. En fait, le trait dominant qui se dégage des différents portraits de Paris dans la littérature au nord et au sud du Sahara est l'ambivalence. Dès son arrivée, l'Africain -- qu'il soit Noir ou Maghrébin -- connaît la désillusion de l'exilé. Peut-être plus encore que les autres "étrangers" il souffre du racisme et de l'exclusion, et il découvre que la réalité parisienne ne se limite pas à la ville mythique et monumentale de ses lectures scolaires. Le manichéisme, qui a mis le colonisé en situation d'exil dans son propre pays, se manifeste à Paris dans des formes tout aussi efficaces et insidieuses. L'Africain a beau quitter les structures de sa colonie d'origine, à Paris il découvre que sa place dans le tissu social est toujours la même. Il en résulte une prise de conscience de l'impasse où il s'est engagé et d'où il ne peut sortir ni en restant à Paris ni en rentrant chez lui. Aussi un phénomène de "double étrangeté" s'installe au coeur de l'écriture africaine comme l'un des enjeux majeur de l'exil.
Contraint à traîner son exil comme une croix, l'exilé en est réduit à faire contre mauvaise fortune bon coeur et à essayer de tirer le meilleur parti de la situation dans laquelle il se trouve enfermé. Espace de liberté dans sa prison, Paris représente aussi le lieu de rencontres enrichissantes et d'affirmation de soi. Attiré par le centre du pouvoir colonial comme un papillon vers une flamme, le colonisé se métamorphose rapidement, et prenant la juste dimension du leurre dont il a été victime, il met en péril ce même pouvoir. Dans les années 1920, par exemple, plusieurs nationalistes algériens exilés en France pour échapper à la politique répressive coloniale pouvaient voyager et s'organiser en toute liberté, ce qui a facilité la création du mouvement anti-colonialiste L'Étoile Nord-Africaine en mars 1926. Selon Aboul-Kassem Saadallah, les rapports que les leaders de ce mouvement anticolonialiste entretenaient avec l'Europe
Quant à la littérature de l'Afrique noire, n'oublions pas que c'est à Paris que la négritude a vu le jour pour la première fois, et que c'est isolés dans un univers hostile, ou pour le moins indifférent à leurs aspirations, que les étudiants noirs exilés dans la capitale ont pu comparer le discours "universel" sur les droits de l'homme et discours colonial qui maintenait leurs confrères dans la sujétion. Influencés par la pensée politique et littéraire des écrivains noirs américains qu'ils avaient rencontré à Paris, des poètes comme Léopold Sédar Senghor, Léon-Gontran Damas et Aimé Césaire posèrent la première pierre d'une nouvelle vision du monde échappant aux prémisses du discours colonial. Selon Lilyan Kesteloot, "la capitale française semble avoir été le creuset où se forgèrent les idées d'une élite de couleur qui allait, non seulement fournir les cadres directeurs des nouveaux États africains, mais encore jeter les bases de véritables mouvements culturels distincts de ceux de la métropole."[14]
Si Paris est le lieu géographique de l'exil le plus fréquemment cité, et que l'école coloniale est à l'origine de la double situation d'exil qui emprisonne l'auteur africain, l'écriture africaine de langue française est à la fois le miroir et le catalyseur de cette relation ambivalente entre terre d'origine et terre d'accueil car, dans le domaine littéraire, tout se dit et se joue là. Afin de saisir l'importance des enjeux liés à l'écriture, il faut comprendre d'abord le rapport historique de l'écrivain africain avec la langue de son ancien colonisateur.
Jacques Derrida nous rappelle que, même chez les élèves dont la langue maternelle était le français, l'initiation aux règles de l'écriture avait une signification tout autre dans le contexte colonial:
L'apprentissage du français sert de premier point d'ancrage au sentiment d'exil de l'écrivain africain. Comme le dit l'écrivain algérien Kateb Yacine, cet apprentissage a donné droit de cité à l'expression "entrer dans la gueule du loup". Il marque la rupture provoquée par la rencontre de l'enfant colonisé avec la langue et la culture de ses oppresseurs. Même lorsque l'écrivain africain de langue française semble se fondre totalement dans l'écriture, les limites que lui imposent la langue d'emprunt ne lui permettent pas d'accéder aux sphères les plus intimes de ses origines en faisant fi de sa double origine culturelle.[16] Mais la réalité linguistique de l'écrivain africain n'est pas entièrement négative.
Dans son étude de la figure de l'étranger/exilé, Julia Kristeva insiste par exemple sur la liberté qui accompagne la décision de s'exprimer dans une nouvelle langue: "Mais, pour commencer, quelle insolite libération du langage! Privé des brides de la langue maternelle, l'étranger qui apprend une nouvelle langue est capable en elle des audaces les plus imprévisibles."[17] Si le statut privilégié de la langue du colonisateur n'est pas toujours explicitement remis en question, cette langue est souvent employée par l'écrivain colonisé pour créer un discours entièrement adapté à son propre point de vue. Ainsi, malgré l'exil linguistique qu'on lui impose l'écrivain africain entretient avec la langue française des rapports subrepticement libérateurs, voire subversifs.
Alors que les éléments essentiels qui conditionnent la mise en scène de l'exil dans les textes de l'époque coloniale sont l'identité raciale et la structure manichéenne de l'espace de l'exil, l'avènement des décolonisations en Afrique, où se multiplient les déplacements géographiques, provoque une réévaluation des différentes réalités récouvertes par le terme d'exil:
C'est à l'époque des indépendances qu'on voit apparaître une nouvelle figure de l'exilé africain, appelée à représenter l'exil collectif et anonyme des migrations post-coloniales vers les villes européennes. En effet, la figure du travailleur immigré transforme durablement la représentation de l'exil dans la production littéraire de l'après-indépendance.[19] À l'inverse de ce qui poussait l'évolué colonisé vers Paris puis vers l'écriture, ce n'est ni la culture, ni la vie intellectuelle qui attirent désormais les immigrés à la Métropole.[20] Au contraire, le déplacement de l'immigré se situe de plus en plus fréquemment dans un contexte purement matériel.
La question de la classe sociale dans le contexte de l'exil devient primordiale et influe à son tour sur l'acte d'écriture. Plus conscient de l'écart évident qui existe entre l'exil de l'intellectuel et celui de la figure moins privilégiée de l'immigré, l'écrivain africain s'interroge de plus en plus souvent sur la capacité du langage écrit à rendre fidèlement la réalité de l'exil. Il en résulte que l'écriture post-coloniale commence à s'émanciper et participe de plus en plus explicitement à la construction et à la dissolution de l'identité de l'écrivain africain. Ceci s'exprime surtout par l'éclatement des formes et dans une tension croissante entre l'identité collective et l'identité individuelle de l'écrivain.[21] Le corollaire de ce développement est que l'exil africain ne se définit plus par la simple opposition entre la France et l'Afrique, mais qu'il s'explique par des réalités de plus en plus complexes où l'appartenance religieuse et l'identité sexuelle, par exemple, deviennent des facteurs individuels importants. Le réseau des relations du monde post-colonial supplante progressivement l'ancienne géographie binaire de l'exil africain, et le contexte social et culturel de l'exilé post-colonial se définit de plus en plus par une hybridation croissante.[22] Au niveau de la critique littéraire, l'hybridation de l'identité et de la pensée conduit à un véritable melting-pot qui caractérise les études post-coloniales, et qui mène à une remise en cause des notions d'identités nationales et d'"universalité" de la pensée occidentale.[23]
Le mélange des races et des cultures qui caractérise la majorité des oeuvres africaines contemporaines et les formes identitaires hybrides qui en résultent n'offrent pourtant pas une solution à l'exil. Tout au plus soulignent-elles un élargissement du problème. L'hybridité ne signifie pas la fin de l'étrangeté, et elle ne marque pas non plus la fin des inégalités de race, de classe et de sexe dont l'épreuve douloureuse de l'exil porte la marque. Gageons donc que l'écrivain africain ne fléchira pas face au défi universel qui est en jeu dans l'exil, et que l'écriture lui permettra aujourd'hui comme hier de faire face à la rupture dans le cadre d'une esthétique africaine sans cesse renouvelée.
Notes
[1] Geneviève Menant-Artigas, L'Exil (Paris: Hachette, "Thèmes et parcours littéraires" , 1974), p.5.
[2] Dans cet article, Afrique se réfère à l'Afrique sub-saharienne et au Maghreb.
[3] Jacques Madelain, L'Errance et l'itinéraire (Paris: Sindbad, 1983), p.73.
[4] Cf. par exemple Jean-Marc Moura qui affirme: "Le terme "francophonie" ressemble au mot "romantisme" selon Arthur Lovejoy: il a "signifié tellement de choses que, en soi, il ne signifie rien." Littératures francophones et théorie postcoloniale (Paris: PUF, 1999), p.1.
[5] Jean-Paul Sartre, "Orphée Noir" , préface à l' Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, édité par Léopold S. Senghor (1948, Paris: PUF, 1969), pp. ix-xLiv (pp.xv-xvi).
[6] Albert Memmi, Portrait du colonisé, précédé du portrait du colonisateur (1957, Paris: Payot, 1973), p.109.
[7] Frantz Fanon, Les Damnés de la Terre , (1961, Paris, Gallimard, Coll. "Folio actuel" , 1991), pp.68-69.
[8] De nombreux romans africains de l'époque coloniale sont fondés sur une série d'oppositions complexes qui opposent la société indigène traditionnelle à la société des colonisateurs européens. Ceci est évident dès la publication de Batouala, véritable roman nègre du romancier guyanais Réné Maran (Paris: Albin Michel, 1921). Ce roman, qui fut couronné du prix Goncourt en 1921, décrit l'effet délétère de la rencontre coloniale sur la société traditionnelle en Afrique. Pour des romans africains qui traitent de l'opposition entre la société africaine traditionnelle et la "modernité" européenne, voir par exemple L'Enfant noir de Camara Laye (Pari: Plon, 1953); Climbié de Bernard Dadié (Paris: Seghers, 1956); Karim, roman sénégalais d'Ousmane Socé (1935, Paris: Nouvelles Éditions Latines, 1948); Le Pauvre Christ de Bomba de Mongo Béti (1956, Paris: Présence africaine, 1976); Le Fils du pauvre de Mouloud Feraoun (1950, Paris: Seuil, 1995); La Colline oubliée de Mouloud Mammeri (1952, Paris: Gallimard, "Folio", 1992).
[9] Sans doute, l'une des expressions les plus célèbres et les plus achevées de l'aliénation provoquée par le système colonial de l'éducation est L'Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane (1961, Paris: 10/18, 1989).
[10] Ces conclusions sont corroborées par les paroles du gouverneur Roume, gouverneur général de l'Afrique occidentale au début du vingtième siècle: "Tout l'enseignement de l'histoire et de la géographie doit tendre à montrer que la France est une nation riche, puissante, capable de se faire respecter, mais en même temps grande pour la noblesse des sentiments." Cité par Bernard Mouralis dans Littérature et développement: essai sur le statut, la fonction et la représentation de la littérature africaine d'expression française (Paris: Silex, 1984).
[11] Le roman de Ferdinand Oyono, Chemin d'Europe (Paris: Julliard, 1960), dont l'action se déroule entièrement en Afrique, illustre de manière convaincante la façon dont l'Africain colonisé est effectivement placé sur le chemin de l'Europe dès qu'il est mis en contact avec le monde blanc. Parmi les romans qui traitent de l'envoûtement exercé par Paris sur l'Africain colonisé il y a: Ousmane Socé, Mirages de Paris (1937, 1955, Paris: Nouvelles Éditions Latines, 1964); Bernard Dadié, Un Nègre à Paris (Paris: Présence Africaine, 1959); Aké Loba, Kocoumbo, l'étudiant noir (Paris: Flammarion, 1960).
[12] Najib Redouane, "Regards maghrébins sur Paris", The French Review , 73, 6 (2000), 1076-86 (p.1076). Parmi les écrivains maghrébins de l'époque coloniale, Redouane se réfère à Malek Haddad, Albert Memmi, Driss Chraïbi, Mouloud Mammeri et Mouloud Feraoun. Il convient aussi de mentionner Jacinthe noire de la romancière tunisienne/berbère Taos Amrouche. Souvent ignoré par les critiques, ce roman remarquable s'inspire des expériences personnelles d'Amrouche qui s'est rendue à Paris en 1934 pour préparer un concours à l'École normale de Fontenay. Mais l'importance de Jacinthe noire tient en particulier à la place importante qu'il accorde à la perspective féminine de l'exil africain pendant l'époque coloniale.
[13] Aboul-Kassem Saadallah, La Montée du nationalisme en Algérie , traduit de l'arabe par Joachim de Gonzalez (Alger: ENL, 1983), p.289
[14] Lilyan Kesteloot, Les Écrivains noirs de langue française (1963, Bruxelles: Université de Bruxelles, 1977), p.21.
[15] Jacques Derrida, Le Monolinguisme de l'autre: ou la prothèse d'origine (Paris: Galilée, 1996), pp.71-73.
[16] Parmi les analyses les plus perspicaces du rapport de l'écrivain maghrébin avec la langue française est Maghreb pluriel du Marocain Abdelkebir Khatibi (Paris: Denoël, 1983). Jean-Claude Blachère, lui, nous offre une analyse convaincante du rapport de l'écrivain noir avec la langue française dans Négritures: les écrivains d'Afrique noire et la langue française (Paris: L'Harmattan, 1993).
[17] Julia Kristeva, Étrangers à nous-mêmes (1988, Paris: Paris: Gallimard, Coll. "Folio essais, 1991), p.48.
[18] Edward W. Said, Culture et impérialisme , traduit de l'anglais par Paul Chelma (Paris: Fayard/Le Monde diplomatique, 2000), p.459.
[19] Les écrivains maghrébins étaient les premiers à traiter de la question de l'exil des immigrés. Voir par exemple, Driss Chraïbi, Les Boucs (1955, Paris: Denoël, 1976); Rachid Boudjedra, Topographie idéale pour une agression caractérisée (1977, Paris: Gallimard, "Folio", 1986); Mengouchi et Ramdane, L'Homme qui enjamba la mer (Paris: Henri Veyier, 1978). Voir aussi l'étude de Tahar Ben Jelloun de la vie sexuelle des immigrés, La plus haute des solitudes (Paris: Seuil, "Points actuels", 1977). Bien évidemment, l'immigration de l'Afrique noire a commencé plus tard que l'immigration maghrébine, mais des romans comme Le petit Prince de Belleville (1992, Paris: J'ai lu, 1995) de Calixthe Beyala, et Agonies (Paris: Présence Africaine, 1998) de Daniel Biyaoula nous offrent la perspective de l'immigré noir.
[20] Le critique marxiste Ajaz Ahmad nous met en garde contre l'application sans discernement du mot exil à des contextes matériels du déracinement qui sont radicalement opposés: "Le fait que certains [...] intellectuels étaient de véritables exilés politiques les pousse à se servir d'une rhétorique exaltée dans laquelle le mot exil s'emploie tout d'abord comme une métaphore. Ensuite, le mot se voit approprié comme une étiquette déscriptive de la condition existentielle de l'immigré en tant que tel, sans aucun rapport aux faits matériels. Exil, immigration et préférence professionnelle deviennent des synonymes impossibles à distinguer les uns des autres." In Theory: Classes, Nations, Literatures (Londres/New York: Verso, 1992), pp.85-86.
[21] Ces développements sont surtout évidents dans des romans comme Le Devoir de violence de Yambo Ouloguem (Paris: Seuil, 1968), Les Soleils des indépendances d'Ahmadou Kourouma (1968, Paris: Seuil, 1970) et Nedjma de Kateb Yacine (1956, Paris: Seuil, 1996).
[22] À ce titre, il convient de noter que l'émergence d'une littérature africaine féminine en particulier laisse augurer favorablement de l'évolution du thème de l'exil dans les littératures africaines. Pour une étude de la littérature féminine en Afrique voir Nicki Hitchcott, Women Writers in Francophone Africa (Oxford: Berg, 2000). Parmi les théoriciens les plus important des nouvelles identités hybride se trouve Homi K. Bhabha. Voir surtout The Location of Culture (Londres/New York: Routledge, 1994.)
[23] À titre d'exemple, des théoriciens comme Edward Said, Homi K. Bhabha et Gayatri Chakrovorty Spivak se sont appuyés sur les écrits de Michel Foucault, Jacques Lacan, Jacques Derrida, Frantz Fanon, entre autres, pour proposer de nouvelles approches critiques des textes coloniaux et post-coloniaux. Spivak en particulier a joué un rôle important dans le développement de perspectives féministes sur le post-colonialisme, et dans ses écrits on voit clairement que l'intérêt pour les théories européennes contient également leur remise en question. Voir à ce sujet, Gayatri Chakravorty Spivak, In Other Worlds: Essays in Cultural Politics (Londres/New York: Methuen, 1987) et son article "Three Women's Texts and a Critique of Imperialism", Critical Inquiry , 12, 1 (1981), 43-61.
Aedín Ní Loingsigh est maître assistant à l'université de Maynooth, en Irlande. Ses recherches portent surtout sur les littératures africaines d'expression française et le postcolonialisme. Elle vient de soutenir une thèse à Trinity College Dublin sur le thème des Ecritures africaines de l'exil parisien. Elle a publié des articles sur ce sujet dans le ASCALF Bulletin et le ASCALF Yearbook, et elle a co-édité un recueil d'articles Thresholds of Otherness/Autrement Mêmes qui paraîtra en 2001 chez Grant & Cutler.