Mark Pegrum
Queen Margaret University College, Edinburgh
De bits en octets, de courriels en emails, d'écrans en répertoires, nos vies évoluent et se transforment au gré de l'évolution des puces et des bugs. Tour à tour, influencés et influençant le cours des choses, il est difficile de deviner qui nous entraîne dans cette aventure et où nous allons aboutir. L' est une invention récente, la n'a envahi nos écrans que depuis une décennie tout au plus, et c'est seulement au cours de ces dernières années qu'elle a gagné le grand public. Bien que les avis soient partagés quant à sa valeur, au coeur de cette explosion d', d', et de cherchant à réglementer cet engouement pour la communication par ordinateur (), une idée semble faire l'unanimité: les transformations hyper-/virtuelles sont bien réelles et notre avenir, tout autant que notre présent d'ailleurs, appartiennent peu ou prou au . Dès lors, de quoi sommes nous au juste les témoins? De la réalisation de nos rêves (partant du principe que nous faisons tous le même rêve)? ou d'une descente collective aux enfers (étant donné que les démons qui nous assaillent seraient les mêmes pour tous)? Bien entendu, les supporters des deux bords sont légions. Assistons nous à l'apogée du postmodernisme et de la postmodernité? À un feu d'artifice dont l'apothéose illustre de manière spectaculaire le concept d', souvent cité et proposé de manière hyperbolique par Baudrillard? Tout le monde ne peut-il être n'importe qui? S'il ne s'agit que d'un jeu, quelle importance cela a-t-il? Mais s'il ne s'agit pas seulement d'un jeu, alors peut-être vaut-il la peine de prendre la chose très au sérieux. Qui dit quoi sur la toile - et qui ne dit rien - devient un sujet d'importance. Quelles sont les voix dominantes et quelles sont celles qui se perdent dans le brouhaha cybernétique ? À qui revient la responsabilité d'arbitrer et de légiférer afin que chacun ait une chance d'être entendu? La est-elle la proie de forces obscures, économiques ou politiques et dans quelle mesure est-elle au service de la démocratie (pour autant que notre vision de la démocratie en soient les prémisses)? Par ailleurs, à qui cet adjectif possessif <notre> fait-il allusion? Est-ce que la toile a les mêmes caractéristiques partout et pour tout le monde? Dépend-elle de notre de navigation? De la couleur de notre peau? De notre ? Ou de la fortune de nos parents?
Toutes ces questions et bien d'autres commencent à
être prises très au sérieux, débattues, parfois
écartées provisoirement et, en ce qui concerne une infime
proportion d'entre elles, résolues, semble-t-il. On les retrouvera
dans les textes proposés dans ce numéro de Mots Pluriels.
Toutes, et bien d'autres, sans pour autant impliquer que la lecture de
ces pages va permettre à nos lecteurs de trouver une réponse
définitive à tous ces problèmes. Elles marquent plutôt
un jalon, un temps de réflexion dans la vie de notre journal Mots
Pluriels, revue électronique qui en est à sa cinquième
année d'activité et qui doit son existence aux nouvelles
technologies. Ces cinq années d'activité témoignent
que Mots Pluriels a quitté l'ère des balbutiements
pour atteindre une certaine maturité, tout comme le Net lui-même,
et les études qui lui sont consacrées. Le titre de ce numéro,
Nouveaux horizons, vieilles hégémonies,
reflète lui aussi ce passage de l'ancien au nouveau, de l'enfance
à la majorité, et aussi les liens multiples qui relient
ce qui est et ce qui a été, ce qui est et ce qui va être.
Comment le regard fixé vers l'avenir, mais influencé par
le passé, perçoit-il cet espace hyper-virtuel où
se joue le présent. Comment s'y manifeste le pouvoir des maîtres
de jadis et celui de ceux qui entendent les remplacer? Comment s'y joue
le jeu de l'entraide et des conflits? Comment cette toile est-elle tissée
et pourquoi le battement d'ailes du papillon pris au piège signifie-t-il
le beau temps aux États-Unis, la sécheresse en Afrique ou
une tornade en Chine?
Quelles que soient les explications proposées et leur pertinence, une chose semble certaine: l'Internet a eu un impact considérable sur une multitude de domaines et la vie universitaire ne fait pas exception. Le Net a changé de manière radicale les activités journalières des universitaires, facilitant la recherche et les moyens de communication entre collègues et entre établissements. Par exemple, l'appel d'articles à l'origine de ce numéro a été posté sur des listes de discussions et dans des journaux électroniques comme celui-ci, mais n'a paru nulle part sous forme imprimée. De même, le volume impressionnant des activités, des conversations et des échanges qui ont suivi cet appel au dialogue et sillonné le cyberespace sans jamais s'échapper de cet univers virtuel a permis de relier les quatre coins du monde. S'il fallait prouver l'efficacité des communications par ordinateur et leur attrait, il suffirait de mentionner ce déluge de courriels, de projets d'articles, d'évaluations et en fin de compte de textes retenus pour publication qui ont abouti ou transité sur l'écran du soussigné. Et puis, c'est aussi dans le cyberespace que Mots Pluriels va lancer les deux numéros consacrés aux résultats de cette réflexion - un seul numéro ne suffisant pas au vu de l'intérêt soulevé par le thème et le nombre des articles reçus.
La première rubrique du premier numéro propose une dizaine d'articles regroupés sous le titre Approches théoriques. Ces articles se concentrent sur les aspects socio-politiques, légaux ou théoriques du web. La seconde partie met l'accent sur Le Net en pratique et explore les effets du web en divers lieux. Bien évidemment, ce classement thématique sommaire n'a rien d'impératif. Tout au plus souligne-t-il quelques similitudes qui nous ont semblé dignes d'être relevées sans pour autant limiter la liberté de chacun de découvrir les textes proposés comme il lui plaira. Cela vaut aussi, bien sûr, pour le second volume qui paraîtra en Octobre. Les deux numéros doivent être considérés comme un tout, car, au-delà de ce qui les distingue, de nombreuses convergences lient tous ces essais. La manière dont ils se chevauchent ou, au contraire, s'écartent d'une ligne consensuelle insaisissable ajoute à leur intérêt propre et à celui de cette publication.
La théorisation d'Internet semble être dominée par les Etats-Unis, à un moindre degré par le reste du monde anglophone et, de manière encore assez timide, par le reste du monde industriel occidental. Cette domination étasunienne n'est sans doute pas étrangère au fait que le Net lui-même est fortement enraciné en Amérique du Nord, où non seulement il est né, mais où il a trouvé un terrain propice à son épanouissement. La dominance de l'anglais, qui s'est imposé comme lingua franca sur le réseau, a son importance. De plus, construire un modèle théorique ayant trait au Net - ou à n'importe quel fait social - exige une certaine marge de manoeuvre, de liberté, de moyens et surtout de temps, et ces biens font souvent défaut là où des problèmes jugés autrement plus importants semblent devoir s'imposer. Et pourtant, sans vouloir prétendre que le fait de mieux comprendre le web a la même urgence que de résoudre les problèmes de la faim, de la soif ou de la survie au jour le jour de populations entières, il est aussi possible d'imaginer que l'évolution de l'Internet figure parmi les questions les plus importantes de notre époque, non seulement en Amérique mais dans le monde entier. À vrai dire, il n'est pas du tout impensable que dans les années à venir, le Net ait un impact considérable sur des problèmes de société tels que la faim, la soif ou la survie des plus démunis; et peut-être même que ses effets se font déjà sentir aujourd'hui.
Le changement de direction - on pourrait même dire
le virage serré pris par les théoriciens d'aujourd'hui -
est aussi frappant que la domination étasunienne du web. Après
le discours utopique de ces dernières années, on assiste
maintenant à une approche beaucoup plus pondérée.
Certes, plusieurs voix critiques ou inquiètes s'étaient
faites entendre dès le début des discussions sur le Net;
pensons à Dawn Dietrich et Susan Herring dans le domaine des femmes,
à Allucquère Rosanne Stone dans celui du corps, à
Lisa Nakamura évoquant le domaine des influences raciales, à
Susan Zickmund relevant celui de la haine cybernétique; pensons
aussi aux attaques cinglantes du penseur islamique Ziauddin Sardar. Toutefois,
à l'exception de quelques exemples notoires, au nombre desquels
mentionnons Jan Fernback, Brad Thomson et quelques autres, ces voix étaient
comme l'écho de sensibilités situées en marge de
la norme. Maintenant, il en va tout autrement, comme si l'inquiétude
s'était paradoxalement répandue de l'extérieur vers
le centre. Ce n'est plus l'Autre, l'exclu ou l'individu situé en
marge qui est envahi par le doute: c'est tout le monde. Cela ne signifie
pas pour autant que les milieux socio-politiques dominants se soient transformés
en oiseaux de mauvais augure et qu'ils aient remplacé les prophéties
utopiques par de funestes présages - bien que le nombre de ces
derniers soit en augmentation - non, cela se traduit plutôt par
une analyse plus modérée et nuancée de la question.
Comme si la fête était finie et que les choses apparaissaient
différentes au petit jour. Une certaine sobriété
post-millénaire a remplacé l'euphorie pre-millénaire.
L'ambiguïté et l'hésitation ont remplacé les
certitudes finalistes quasi mythiques qui exprimaient une marche conquérante
vers le futur. Et si les angoisses exprimées aujourd'hui peuvent
conduire à un certain découragement, elles témoignent
aussi de manière encourageante du fait que les problèmes
sont maintenant attaqués de front et à grande échelle.
Dans le premier article de ce numéro, nous met en garde contre l'emprise de logiciels toujours plus puissants permettant de filtrer l'information, de personnaliser notre utilisation du web et de rendre caduque les liens sociaux en faisant éclater la société en une multitude de petits fragments disjoints. Il est urgent, affirme-t-il, de créer des forums ouverts à tous et facilitant les échanges et le partage des expériences. Dans le même ordre d'idées, souligne que le fait de pouvoir aisément écarter tous ceux qui ont un avis différent du nôtre revient à rejeter le droit d'autrui à être entendu et à tuer le dialogue sans lequel la démocratie perd son sens. pense qu'il serait souhaitable que l'État intervienne davantage pour défendre les droits et les intérêts des citoyens sur le Net. Toutefois, dans le contexte de la globalisation de l'économie et du Net, met en question le concept de citoyen autonome hérité du Siècle des Lumières, un concept associé aux systèmes socio-politiques occidentaux. A son avis, il serait sans doute préférable d'évoluer vers le concept de netizen, c'est-à-dire d'une identité fragmentée, dispersée et mieux appropriée à l'ère post-nationale et post-territoriale. aborde lui aussi l'impact de la globalisation, montrant que si, d'une part, le Net permet à l'impérialisme économique international et au néolibéralisme de s'étendre, il est aussi un instrument efficace des mouvements anti-globalisation. En dernière analyse, suggère-t-il, il est bien possible que les seconds en profitent davantage que les premiers.
L'article de , lui, met l'accent sur le concept de communauté, dans le contexte du cyberespace, et sur sa relation avec la notion de nationalité. S'inspirant des travaux de Benedict Anderson, l'auteur montre que les communautés virtuelles ne sont pas foncièrement différentes des communautés <réelles> qui nous sont familières et qu'elles doivent faire face à un certain nombre de problèmes identiques. L'analyse de la réification de l'Autre et des relations à autrui proposée par est par contre étroitement associée à une nouvelle perception du phénomène d'altérité propre au Net. Tout comme Sunstein, l'auteur relève les dangers associés à la fragmentation et en particulier celle propre aux communautés du cyberespace. Que ce soit au niveau de l'individu ou à celui de sa relation aux autres, aucun geste, aucune activité, aucune sphère des oeuvres humaines ne semblent épargnés par le Net et tous nécessitent une réévaluation des acquis. , par exemple, propose une analyse fascinante du procès fait à Napster par quelques géants de l'industrie du disque et il montre que même le très traditionnel domaine du droit est appelé à évoluer car, souvent, les lois actuelles ne permettent plus de résoudre de manière satisfaisante les problèmes associés au Net. , quant à lui, dénonce sans ambiguïté la manière dont les gouvernements et les multinationales envahissent le web en y installant, à l'insu du public, des mécanismes de surveillance sophistiqués érodant par là même la possibilité de s'y mouvoir librement et sans danger comme on croyait pouvoir le faire. Si l'idée de changement semble être au coeur de l'époque actuelle, nous rappelle cependant qu'il convient de situer toute évolution dans le contexte de l'histoire. Elle montre que les conditions propices au développement d'Internet plongent leurs racines dans des (r)évolutions socio-historiques lointaines touchant à l'évolution des moyens de communication, des échanges et de la monnaie. Bien sûr, comme le souligne dans un entretien avec le soussigné, toutes les recherches théoriques font la part belle aux spéculations car il est encore impossible de prédire, avec quelque certitude que ce soit, la direction que va prendre le Net de demain. Mais si là réside le danger, là réside aussi toutes les promesses du futur.
Il est certes déjà possible de s'en faire une certaine idée en consultant les enquêtes qui dressent le profil des internautes, l'évolution des connections dans le monde ou les effets du Net. Il est clair que le cyberespace n'est plus - s'il l'a jamais été - l'apanage des jeunes gens américains en âge d'entrer à l'université, ni du monde anglophone, ni même de l'Occident en général. Il n'en reste pas moins que le fossé qui s'est creusé entre le Nord et le Sud n'a rien de virtuel et l'Afrique, par exemple, fait, hélas, encore figure de Continent <déconnecté> en dépit des efforts d'un nombre sans cesse croissant d'artistes, d'universitaires, de businesspeople et autres internautes. Géographiquement et économiquement éloignée des grandes métropoles américaines et européennes, l'Afrique n'en reste pas moins une espèce de baromètre de l'évolution du Net et de ses ramifications à l'échelle planétaire. Nombre de contributions incluses dans ce numéro y font allusion et reflètent, comme cet enseignant du Maghreb dont nous proposons l'interview, non seulement l'intérêt généré par les nouvelles technologies dans les Pays du Sud, mais aussi les freins qui en entravent l'expansion. D'autres témoignent de la situation ailleurs dans le monde: le Mexique, les Antilles, la Chine, la France, autant de régions encore situées, du moins en partie, comme l'Afrique, à la périphérie du centre étasunien, quand bien même il est justifié de se demander en dernière analyse si l'idée de <centre> est adaptée à un réseau fort dispersé; dans quelle mesure cette métaphore souvent utilisée reflète-t-elle vraiment la nature du Net? Ne se contente-t-elle pas souvent de contribuer à la propagation d'un certain nombre de clichés, de mythes et d'idées toutes faites sur ce réseau de réseaux dont personne ne saurait revendiquer l'exclusivité? Plusieurs auteurs abordent cette problématique d'une manière ou d'une autre et l'on remarquera que souvent la théorie et la pratique se chevauchent, se complètent ou se font écho, non seulement entre les articles des différentes sections, mais aussi, souvent, dans le cadre des articles eux-mêmes. A l'heure où l'utopisme disparaît de l'univers du Net anglophone, un phénomène semblable semble gagner le reste de la toile et se fait sentir dans le monde entier. Les années quatre-vingt-dix, où l'on partageait l'enthousiasme contagieux anglo-américain en célébrant les possibilités infinies du Net, semblent déjà fort éloignées. Cela ne signifie pas pour autant que le tableau brossé aujourd'hui soit exagérément noir et déprimant; il signale plutôt l'arrivée, avec le nouveau millénaire, d'une approche plus modérée et tempérée dans ses enthousiasmes comme dans ses critiques.
Il y a cinq ans à peine, il était encore possible d'envisager l'Internet comme une sorte de baguette magique qui allait donner l'occasion à l'Afrique de faire un grand bond en avant et de lui permettre de rattraper le reste du monde dans le domaine économique. Mais comme le suggère , en dépit d'un développement positif de la présence de l'Afrique sur le Net, il semble bien qu'aujourd'hui, l'arrivée de l'Internet a renforcé les désavantages dont souffrait et souffre encore le continent plutôt qu'elle ne les a réduits. Toutefois, la course ne fait que commencer et, comme le relève qui évoque surtout les publications universitaires, les possibilités de collaboration Nord-Sud méritent d'être développées quand bien même l'Afrique souffre de n'être que très faiblement connectée et que l'accès au Net soit encore difficile et souvent coûteux. De leur côté, et évoquent en termes de pouvoir et de relations sociales les changements économiques et politiques ambigus - positifs et négatifs - associés à l'arrivée du Net sur le continent africain. Quant à , son analyse de la situation en Côte d'Ivoire signale les problèmes d'accès et l'attitude des spécialistes du Net en tous genres qui doit évoluer si l'on veut que le Net quitte le domaine de la chasse gardée pour devenir un outil populaire utile à tous. De son côté, compare différents discours concernant le Net en les contrastant, et il en arrive à la conclusion que l'Afrique n'a pas à rejeter le Net sous prétexte que c'est un nouveau stratagème ourdi par le Nord pour imposer ses vues. Le Net redessine les bases de la notion d'altérité, suggère-t-il, et il nous met sur un pied d'égalité en attribuant d'office le rôle d'<Autre> à chacun d'entre nous, au nord comme au sud; le Net nous apporte tous de nombreux avantages, mais mène aussi à de nombreux dangers. L'expérience personnelle du Net proposée par le professeur de lycée algérien est intéressante à cet égard. Elle évoque de manière pratique les espoirs, les attentes et aussi les frustrations des premiers internautes de la petite ville de Mascara.
L'article de et nous propose de reculer d'un pas pour envelopper du regard un autre continent; toutefois, en nous éloignant de l'Afrique et alors que les détails du décor s'estompent, d'autres lignes de forces apparaissent, montrant, elles aussi, combien le Net est varié, complexe et imprévisible. Coronado et Hodge examinent l'usage du Net au Mexique, soulignant entre autre l'application qu'en a fait le mouvement zapatiste, et leur étude illustre bien l'idée - proposée entre autres par Redden - que les armes fourbies par le néolibéralisme pour imposer l'idée de globalisation peuvent se retourner contre elle et devenir un instrument efficace des mouvements anti-globalisation. Il est certes trop tôt pour décider qui bénéfice le plus du Net, mais il est certain que le pouvoir qui lui est associé n'est jamais unidirectionnel. Comme le montre , l'auteur et théoricien antillais Édouard Glissant semble avoir adopté une position un peu similaire, quoique peut-être moins optimiste. Si le Net offre la possibilité aux minorités marginalisées de s'exprimer et qu'il encourage la rencontre des cultures et la mixité, il provoque aussi une homogénéité indésirable des langues et des cultures dans le cadre du processus de globalisation auquel il est associé. Comme le relève , qui a assisté depuis Singapour à la dispute entre la Chine et les États-Unis à la suite de l'atterrissage forcé d'un avion espion américain en territoire chinois et au flot de courriels qui ont circulé entre - et à l'intérieur même de - ces deux pays, l'idée que le Net va conduire à une meilleure compréhension entre les nations et les peuples est infondée et chimérique. , elle, nous ramène en France, un pays qui s'est longtemps considéré comme le rempart capable d'arrêter l'avance des valeurs anglo-américaines en Europe. Son analyse de l'attitude d'une nouvelle génération d'e-managers qui a vu le jour à Paris conduit l'auteur à conclure qu'en dépit de l'attrait du concept de globalisation et d'homogénéisation, ces nouveaux managers résistent remarquablement bien aux attitudes venues d'ailleurs.
Ainsi s'achève le premier volet de notre analyse du Net, de ses lignes de fuite et de ses hégémonies, anciennes et nouvelles. À ce point, une chose semble certaine: les certitudes sont plutôt rares, mis à part, peut-être, le fait que le potentiel du Net peut être perçu de manière positive ou négative, que chaque avantage est suivi comme son ombre par un désavantage, que chaque bénéfice évoque la possibilité d'un inconvénient et qu'à chaque occasion de faire quelque chose d'une nouvelle manière est associée la tentation de s'accrocher aux valeurs sûres de la tradition. L'hégémonie du monde, comme celle du Net, se joue au niveau de milliers de pouvoirs individuels et nul ne sait si les vainqueurs d'hier et d'aujourd'hui seront ceux de demain. Tout le monde joue son va-tout, mais l'issue demeure incertaine et il est fort possible que pour la plupart des joueurs la meilleure stratégie ne consiste pas à penser en termes d'oppositions binaires. Le réseau ne semble jamais tout à fait satisfaisant ou tout à fait négatif quel que soit l'endroit où l'on se trouve.
Alors, quelle direction faut-il prendre? Question difficile, certes, mais que l'on pourra approfondir à la lecture du second numéro de Mots Pluriels qui prolongera la réflexion amorcée ici. Bien des choses restent à dire, bien sûr, et notre attention portera en priorité sur un certain nombre de thèmes et de discours ayant influencé profondément le monde contemporain et la pensée, discours qui, bien avant l'apparition du Net, exploraient déjà la relation complexe qui régit l'attrait du neuf, les forces réactionnaires dominées par l'habitude, les hiérarchies rigides et le pouvoir inégal entre les acteurs sociaux. Qu'ils s'intéressent aux problèmes ethniques ou raciaux, aux problèmes de genre ou de sexualité, à la religion ou au monde de la spiritualité, à la pédagogie ou à la connaissance pure, les théoriciens de toutes ces disciplines partagent, du moins en partie, les préoccupations évoquées dans les articles mentionnés ci-dessus. Toutefois, le fait d'analyser le Net dans le contexte de discours spécifiques devrait nous permettre d'élargir l'éventail de notre investigation et d'appréhender le passé, le présent et le futur du Net sous un jour nouveau.
Mark Pegrum a travaillé dans plusieurs collèges et universités en Australie, en Angleterre et en Finlande. Il travaille actuellement à Queen Margaret University College, à Edimbourg en Écosse. Il a enseigné la langue, la culture et l'histoire de l'Allemagne et de la France, et plus récemment les Études culturelles et l'Anglais comme langue étrangère. Ses publications les plus récentes comprennent: Challenging Modernity: Dada Between Modern and Postmodern (New York: Berghahn, 2000); The Postmodern Buddha dans Culture Clash, issue 4, January 2001; et Pop Goes (the) Spiritual dans M/C, vol.4, issue 2, 2001. Il a aussi écrit de nombreux articles au sujet de l'Internet et des technologies multimédias dans le domaine de la pédagogie. |
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