A L'ECOUTE D'ALI BOUMAIZA, INTERNAUTE ALGERIEN |
Le cybercafé, lieu de rencontre privilégié
Un entretien avec Ali Boumaiza
proposé par Jean-Marie Volet
The University of Western Australia
juin 2001
Ali Boumaiza enseigne le français dans la petite ville algérienne de Mascara, une ville dont le nom est lié à celui de l'émir Abd-el-Kader (1807-1883). Ali Boumaiza est titulaire d'une licence de psychologie et d'une maîtrise de l'université de Lille. Il a commencé à enseigner en octobre 1983 à l'Institut de Technologie de l'Education (ITE) de Mascara où il a collaboré à la formation et au recyclage des enseignants du primaire et du moyen jusqu'à la fermeture de l'Institut en 1998. Depuis cette date, il enseigne au "Lycée Boumediene Baghdad". Un ardent promoteur de l'audiovisuel auprès de ses stagiaires et de ses élèves dans les années 80, il suit maintenant de près le développement d'Internet et cherche à déterminer le meilleur moyen d'intégrer la technologie d'aujourd'hui à ses activités pédagogiques. |
Que pensez-vous de l'Internet et de l'idée de communiquer à l'échelle planétaire?
Les réactions face à l'outil Internet ne peuvent être uniformes sur tous les points du globe, même si ici et là on relève des similitudes. Autrement dit, compte tenu de l'hétérogénéité des niveaux de développement des différents pays de la planète, la vie des utilisateurs du Net présente nécessairement de larges contrastes; quand le ressortissant américain est encouragé par les centres d'accès au taux forfaitaire d'un dollar par jour, dans une école de brousse, en Afrique, disposer d'un tableau noir et de la craie est tout simplement un défi, un exploit. De même, quand un citoyen canadien est attiré par un forfait mensuel et qu'il a tout le loisir de choisir ce qui l'arrange le mieux parmi les réseaux d'accès et les serveurs, à l'opposé, l'habitant de certaines contrées du sud de la planète sera contraint à développer une série de stratagèmes tous plus ingénieux les uns que les autres pour simplement avoir une ligne téléphonique, et ceci, bien sûr, à condition d'avoir dépassé le stade de la survie. Aucun pays, aucune région, aucune ville ne saurait prétendre échapper à l'arrosage et au balayage auxquels les satellites en tous genres soumettent la planète entière, mais l'accès à ce matériel et son utilité n'est pas la même partout et pour tout le monde.
Dans ce contexte, que représente l'Internet pour les habitants de Mascara?
Pour comprendre ce que l'Internet représente ici, il faut savoir que c'est un phénomène extrêmement récent: la première connexion Internet de Mascara ne remonte qu'à juin 1998. Une simple annonce sur une feuille de papier de taille A4 affichée dans le sens de la largeur et décorée d'un clipart en noir et blanc annonçait l'ouverture de ce service et en précisait le tarif, 10 dinars algériens la minute [10 DA = 0.15 euros]. Pour les premiers clients, la connexion était très aléatoire et sujette à des arrêts répétés. Néanmoins la recherche de l'exotisme ou de la nouveauté tempérait la déception des utilisateurs qui étaient surtout des enseignants (de langues étrangères) ou des enseignants ayant suivi en partie leur cursus universitaire en langues étrangères.
"Le téléphone arabe", c'est-à-dire le bouche à oreille, s'est chargé de transmettre l'information sous forme de rumeur; toutefois, c'est bien une simple affiche dans une ruelle peu fréquentée, en 1998, qui a annoncé l'ère de la connexion. Il s'agissait d'une initiative privée, mais c'est parce que les responsables politiques, du moins à l'échelle de Mascara, ont compris que l'Internet répondait à une logique économique que le premier cybercafé a été inauguré en décembre 1999.
Les soirées de ramadan[1] de l'année 1999, à Mascara, ont eu ceci d'exceptionnel que les enseignants purent se rencontrer après le f'tour[2] devant un ordinateur et se connecter à leurs premiers sites favoris. Un nombre restreint d'internautes arrivaient en début de soirée, suivis d'une seconde vague beaucoup plus nombreuse comprenant les internautes qui s'étaient acquittés d'abord de leurs prières dans les mosquées de la ville.
Janvier 2000 s'est caractérisé par une augmentation massive des utilisateurs du Net; on pourrait carrément parler d'un rush car le cybercafé enregistra 380 abonnés à ce moment-là et ce chiffre est loin de refléter le nombre réel des internautes, à l'échelle de la ville, car il ne tient pas compte des utilisateurs occasionnels.
Qui furent les premiers habitants à s'intéresser au Net?
La première classe d'âge à avoir investi le cyberespace, les 30-40 ans, appartient à deux catégories socio-professionnelles voisines qui travaillent dans le secteur de l'éducation. La première catégorie, celle des enseignants du cycle secondaire qui se caractérisent à Mascara par le port de cartables de petite taille; et la seconde, celle des enseignants à l'université qui se caractérisent par le port de cartables volumineux ou d'attachés-cases.
Une vague d'internautes de 19-25 ans, les étudiants universitaires, ont rapidement suivi, parfois venus des villes et wilayas limitrophes ou de l'intérieur et du sud du pays. Ce groupe a aussi adopté le port du cartable, mais y a ajouté de manière ostentatoire un boîtier de disquettes. Ce groupe a été privilégié parce qu'il a bénéficié de l'expérience du groupe précédent et qu'il a été rapidement initié par les enseignants. Dans l'ensemble ces deux classes d'âge véhiculent une image positive d'elles-mêmes et de l'Internet. Enseignants et étudiants affirment leur soif de connaissances, de savoir mieux, d'apprendre autrement et différemment, bref, ils affirment leur soif de vivre décemment et un besoin très légitime d'être mieux informés.
Au cours des vacances, la population "des scolaires" et des lycéens arrive en masse et prend le chemin du cyberespace. Trois ou quatre caractéristiques distinguent ce public jeune de moins de dix-huit ans. Le port de la casquette à visière basse a remplacé le port de cartable attendu des jeunes en âge de scolarité; ensuite, ils s'agglutinent à deux ou trois devant chaque écran d'ordinateur et quelque soit celui qui prend place devant le clavier, ses erreurs de manoeuvre sont souvent ponctuées d'invectives et de cris. Qu'ils se trouvent à la buvette ou devant l'écran, les jeunes sont assez bruyants par rapport aux autres usagers et les odeurs de tabac parviennent à la "salle de connexion" car ils fument beaucoup et rentabilisent l'endroit avec leurs commandes successives de café et de boissons fraîches, surtout quatre ou cinq marques de limonades mondialement connues.
Les élèves plus jeunes, c'est-à-dire les 11 à 15 ans, ne viennent qu'en petit nombre et ils constituent un public occasionnel répondant souvent aux exigences d'un exposé collectif demandé par un professeur. Quant aux tous jeunes et aux personnes du troisième âge, ils sont pour l'heure les grands absents des cybercafés.
Et les femmes?
A ce stade, il est aisé de constater que les femmes ne sont pas très nombreuses, cependant, elles ne sont pas tout à fait absentes et elles sont de loin les mieux formées. Une dame avec un Ph.D en biologie arrive régulièrement au cybercafé: le temps de connexion qui lui est alloué à l'université ne lui suffit pas pour ses recherches et elle compense par le recours aux services du cybercafé.
Il est donc possible de se connecter à plusieurs endroits...
C'est vrai. Depuis juin 1998, l'Internet a pris un essor considérable. Depuis
l'ouverture du Cybercafé en 1999, une demi-douzaine de lieux
d'accès se partagent les faveurs des internautes, certains publics
et d'autres privés. Si le marché n'était pas à ce point porteur, lucratif
et rentable, quelle entreprise privée aurait investi dans des espaces Internet?
Dès lors les entreprises privées et les entreprises publiques se livrent une
espèce de guerre de positions: en dehors du secteur privé, le C.I.A.J. (Centre
d'Information et d'Animation de la Jeunesse) offre un accès; la bibliothèque
est dotée d'un ordinateur et d'une connexion en principe à l'usage gratuit
des étudiants; l'université pour sa part dispose de 40 postes.
En ce qui concerne les cybercafés de Mascara, la situation se présentait comme
suit à la date du 14 mai 2001:
Cybercafés |
Date |
Gérant
|
Abonnés
|
Nombre de postes |
Fournisseurs
d'accès |
Horaire
d'ouverture |
Remarques
|
Word Micro System |
avril 2001 |
ingénieur |
10 |
algerie. com |
9-12h et 14-22h |
-Le premier à se connecter en 1998
-A fermé pour non rentabilité -Gageons qu'il rouvre |
|
Cybercafé |
décembre 1999 |
licence sciences éco. |
253 |
15 |
cerist |
8h30-12h et 15-21h |
-Le plus grand nombre d'abonnés |
MD Compter |
décembre 2000 |
ingénieur en mécanique |
7 |
algerie. com |
9-12h et 14-22h |
-Prévoyant et à l'écoute de la clientèle |
|
Cyber Connexion |
avril 2001 |
ingénieur en génie logiciel |
10 |
algerie. com |
9-12h et 14-22h |
-Possède un cadre privatif
-Miroir au-dessus des postes |
|
C I A J |
avril 2001 |
ingénieur système informatique |
40 |
10 |
cerist |
8-12h et 16-21h |
-Tarif le plus bas |
Galaxy Network |
avril 2001 |
diplôme (magister) en
automatique |
5 |
algerie. com |
9h-ouvert |
-Ouvert et flexible
|
|
Bibliothèque Municipale |
janvier 2001 |
1 |
cerist |
-Un poste à l'usage des étudiants
|
|||
Université de Mascara |
décembre 2000 |
40 |
cerist |
-40 postes libres à certains créneaux horaires |
Vous avez mentionné que la première connexion, en 1998, coûtait 10 dinars la minute. Est-ce que les prix ont changé?
Oui, le prix des connexions a chuté. Le tarif d'une minute de 1998 est égal à cinq minutes de connexion en 2001. Mais ça reste relativement cher. A 100 kilomètres d'ici, à Oran, la connexion n'est plus que de 20 DA de l'heure depuis avril 2001. Pour vous permettre de faire une comparaison, ici la carte mensuelle était de 1600 DA [environ 25 euros] en 1999 (étudiant: 1200 DA); elle était encore de 120 DA en février 2001 (étudiant: 100 DA). En juillet 1998 la connexion était à 10 DA la minute; en avril 2001, elle était à 100 DA de l'heure, avec les prix intermédiaires suivants:
Temps de connexion |
Tarif en dinars [DA] |
5 Minutes
|
10
|
10 Minutes |
20
|
15 Minutes
|
25
|
20 Minutes |
30
|
25 Minutes |
40
|
30 Minutes |
50
|
35 Minutes
|
60
|
40 Minutes
|
70
|
45 Minutes
|
75
|
50 Minutes
|
80
|
55 Minutes
|
90
|
60 Minutes
|
100
|
Les choses vont donc en s'améliorant...
Ce qui n'empêche pas certains d'essayer de ne pas payer... en aparté les abonnés du cybercafé parlent des utilisateurs pirates - l'épithète n'est pas employée ici pour désigner les "hackers" qui défrayent la chronique des média internationaux mais pour désigner ceux à qui on a fourni les codes d'accès au serveur des entreprises industrielles. L'intention de ces pirates n'est pas tant d'espionner l'entreprise en question que d'utiliser gratuitement la connexion et d'éviter de devoir payer la redevance d'accès au provider. Nous n'avons pas pu vérifier l'existence réelle de ces utilisateurs pirates car qui se dénoncerait pour piratage? Le soupçon peut être étayé par le paragraphe suivant que nous avons copié à partir de l'offre d'abonnement d'Algerie.com, le deuxième fournisseur d'accès en Algérie après le Cerist: "Les formules d'abonnement sont strictement personnelles et individuelles. Les abonnés ne doivent donc en aucun cas communiquer leur nom d'utilisateur et leur mot de passe à une tierce personne, à titre onéreux ou gracieux. Nos serveurs sont paramètrés pour détecter et déconnecter automatiquement toutes sessions multiples et ce afin de préserver les performances de l'accès à l'Internet ainsi que les données personnelles de nos abonnés".
Y a-t-il à Mascara des gens qui ont leur propre connexion Internet à la maison?
Le nombre des abonnés des cybercafés est plus important que les abonnés d'Internet disposant d'une connexion individuelle et les données ci-dessus n'incluent pas la piste très intéressante de l'usage de l'Internet dans les entreprises publiques ou privées. Ceci dit, les abonnés aux cybercafés de la ville interrogés par mes soins sur leur abonnement individuel et à domicile répondent tous que le choix de l'abonnement au cybercafé est motivé par les tarifs de la communication téléphonique. Un ingénieur en hydraulique m'a d'ailleurs retourné la question: "Combien te reviendrait la facture si tu communiquais au téléphone pendant deux heures avec un ami qui habite à Oran?"
Jusqu'à une date récente, la ville de Mascara ne disposait pas d'un serveur et toutes les connexions passaient par la ville d'Oran. Vers la mi-avril 2001 a été inauguré la boucle locale mais elle n'est pas encore employée; les abonnés doivent composer avec l'expression "incessamment sous peu", qui n'a pas la même signification et n'indique pas la même célérité sous tous les horizons. Toutefois, à mon sens, ce qui freine l'usage de l'Internet à domicile, du moins pour la frange aisée, c'est moins le tarif de la communication téléphonique que le fait qu'on ne peut pas montrer sa fortune et son avoir dans la rue avec un ordinateur. L'ordinateur est un outil qui impose l'immobilité alors que le téléphone portable - contrairement au web - peut être utilisé même quand on conduit une voiture; il n'est d'ailleurs pas rare de voir tel ou tel commerçant utiliser son portable tout en conduisant d'une main. Au-delà de sa première utilité qui est la communication entre deux ou plusieurs personnes, le portable est investi d'une autre fonction, celle de s'afficher et de souligner son avoir de manière ostentatoire.
Nous ne disposons pas de chiffres précis sur les internautes mascaréens ayant une connexion à domicile; les seuls que nous connaissons sont ceux qui l'utilisent à titre professionnel.
Vous vous qualifiez vous même d'"internaute incorrigible"....
Internaute incorrigible et optimiste incorrigible. Les contrariétés, les petites tracasseries que l'on rencontre ne doivent pas diminuer notre enthousiasme, notre ardeur au travail et la réalisation de soi. Bien employées, elles doivent être le moteur de toute action socialement acceptable et individuellement enrichissante. Cette attitude n'est pas à confondre avec une fuite du réel.
On ne peut pas être un inconditionnel du téléphone, de la télévision ou de tout autre médium sans ressentir soi-même une saturation et souvent aussi une gêne, formulée ou non par l'entourage. Etre un inconditionnel du web, à mon avis, est différent; ce n'est pas gênant, au contraire; et le regard que l'on porte sur l'Internaute renforce son attitude: "Il passe plusieurs heures au cybercafé" ou "Elle a utilisé les 25 heures d'abonnement mensuel, elle est à sa deuxième carte d'abonnement mensuel" ne sont pas des remarques désobligeantes; au contraire, ces commentaires sont perçus comme une gratification sociale et sont donc symboliques de la valeur d'un investissement personnel dans l'utilisation du Net.
Quel est le côté du web qui est le plus important pour vous?
Mon intérêt pour le Net est de deux ordres: professionnel et familial. Dans le domaine professionnel, un premier axe que je privilégie est celui de mon auto formation. Je butine autant que je peux; je télécharge tout ce que je peux lire à l'instant ou en différé, hors connexion; de l'anthropologie à la zoologie, tout y passe: revues électroniques, presse en ligne, bibliothèques virtuelles, etc. Un deuxième axe directeur est celui de la communication et des échanges de points de vue avec des chercheurs.
En ce qui concerne l'utilisation d'Internet à des fins pédagogiques, il ne s'agit pas simplement de télécharger des programmes scolaires et de les administrer tels quels aux apprenants avec le risque pour ces derniers de ne rien retenir d'utile au bout de leur parcours scolaire. Le "Lycée Boumediene Baghdad" est situé dans la partie déshéritée de la ville de Mascara - l'équivalent de la "ZEP" (Zone d'Education Prioritaire); chaque ville, chaque pays du monde a sa ZEP et avec mes collègues, on gère les mêmes tracasseries et autres contrariétés que gèrent les professionnels de l'éducation de n'importe quelle région déshéritée du nord de la planète, moins les avantages salariaux et autres possibilités de ressourcement accordés aux enseignants du Nord.
Ce qui m'intéresserait, c'est d'essayer de créer "un pôle d'excellence pédagogique" qui aurait pour but d'enseigner autrement tout en respectant le règlement intérieur de l'institution qui m'emploie. Répertorier un grand nombre de sites pédagogiques et de manuels scolaires nationaux et déterminer selon une grille de critères locaux ce qui favorise la réussite du site ou de l'apprenant. Cela pourrait conduire à réaliser un site interactif, d'appoint d'assistance para-scolaire ou à réaliser des C.D. pédagogiques de bonne facture au compte de l'institution employeur et en fin de compte de rayonner vers d'autres régions voisines.
Dans l'ordre familial, je pense que l'individu qui s'investit exclusivement dans sa profession doit souffrir énormément s'il n'a pas d'autres facteurs de satisfaction; la sphère affective et la sphère professionnelle ne peuvent pas s'ignorer ou s'exclure l'une l'autre. Elles ne doivent pas être concurrentielles mais complémentaires et le moteur de ma motivation, c'est aussi mes deux enfants que j'initie par des jeux-vidéo, des exercices de traitements, l'impression de cliparts ou les requêtes, quoique limitées, pour un complément d'information à un cours précis. Il faut savoir être un internaute incorrigible sans sombrer dans la cyberdépendance.
... et savoir s'adapter et trouver le meilleur moyen de répondre aux exigences du moment. Dans cet ordre d'idées, avez-vous constaté un changement d'attitude marquant chez les élèves auxquels vous avez eu affaire au cours de votre carrière d'enseignant?
Le public auquel j'avais affaire à l'ITE était d'abord motivé parce que sûr d'avoir un emploi immédiatement après formation. Le public auquel je m'adresse aujourd'hui n'est pas facile à motiver au travail en raison de son horizon d'attente à différentes tonalités de gris. L'âge de mes élèves varie de 15 à 20 ans pour les deux classes de première année secondaire (la seconde en France) et de 19 à 21 ans pour les trois classes de troisième année secondaire (la terminale). On a affaire à une large palette de comportements qui va de la docilité à reproduire le modèle - un bon facteur de réussite - à l'extrême inconscience du potache qui veut se faire remarquer par ses camarades car rien n'a été entrepris pour le repêcher et le remettre dans le droit chemin. La seule figure de pouvoir avec laquelle il entre en interaction est son professeur qui a tôt fait de devenir la cible de son opposition, même si c'est la société qui a mal, et que le problème appartient à un autre registre de sa vie.
Et l'Internet dans tout ça?
Deux ou trois fois par an et en fin de trimestre, au cours de séances récréatives-tampons, je transporte mon "vieux tacot" - un pentium II, 16 MO de Ram, qui m'impose d'énormes contraintes - pour permettre à mes élèves de découvrir un monde auquel la plupart d'entre eux n'ont pas accès. Toutefois, ces tentatives ne sont pas très concluantes; les lycéens boudent le Net, surtout quand ils sont en terminale; le nombre d'élèves voulant entrer en contact avec d'autres jeunes d'autres lycées via le Net est insignifiant et rares sont ceux qui ont demandé à ouvrir un compte ou une boîte e-mail. C'est pourquoi il me semblerait utile de changer d'approche face au phénomène.
Pourquoi les lycéens de Mascara boudent-ils le Net?
Les candidats au bac préfèrent réviser en groupe plutôt que d'aller chercher de l'information sur des pages web susceptibles de les intéresser. De plus, le mythe des cours supplémentaires assurant la réussite au bac n'est pas étranger à leur attitude. Les lycéens qui sont en classe de première ou de deuxième année secondaire prendront peut-être le temps de surfer le web et de consulter leur courrier, pas les candidats au bac. Le fait que la consultation du web ne soit pas favorisée par l'école et le lycée a son importance car il semble peu valorisant de s'investir en énergie et argent dans une opération qui n'est pas intégrée à l'apprentissage ou à la préparation à un métier.
La représentation que les jeunes se font du Net et de l'Informatique est aussi importante à cet égard. Ils imaginent souvent quelque chose de bien plus compliqué que ça ne l'est en réalité. Certains pensent que ce sera bien assez tôt de commencer à apprendre à naviguer sur le web quand ils auront appris l'Informatique...
Mais les choses évoluent?
Certaines écoles bénéficient de dotation de matériel et de quelques ordinateurs, mais la plupart des structures anciennes n'en bénéficient pas, à moins d'obtenir des résultats exceptionnels comme un nombre important de réussites au baccalauréat. En ce qui concerne mon lycée, l'organisme employeur et la tutelle prévoient, en septembre prochain, de nous doter de 7 micro-ordinateurs, sans autre précision.
A votre avis, qui va avoir accès à ces ordinateurs: la direction du lycée? les professeurs? les élèves?
La solution la moins conflictuelle et la moins coûteuse en heures pourrait être la suivante: Un poste à la direction, qu'elle s'en serve ou pas dans l'immédiat, le titulaire suivant du poste l'utilisera, on l'espère. Un poste pour les services de gestion et de la paye, pour éviter le recours à la sous traitance et qui consisterait dans la pratique, comme d'autres établissements, à faire établir les traitements et salaires par des établissements voisins: l'autonomie vaut bien un ordinateur! Les cinq postes restants devraient être affectés au travail en classe, cependant il faudrait avoir à l'esprit que l'effectif des classes varie de 25 à 35 élèves et qu'il est difficile de faire travailler cinq élèves en même temps sur le même poste. Le recours à la partition des disques durs des cinq postes semble aussi nécessaire. L'ancien poste serait mis dans la même salle et à la disposition des élèves pour la préparation des exposés.
Est-ce que le fait que la plupart des sites sont en anglais ou en français ne limite pas l'usage de l'Internet en Algérie?
Les gérants des cybercafés de la ville ont prévu les difficultés que les internautes pouvaient rencontrer et ils ont placé des interfaces en arabe pour Internet explorer.
Et il y a des sites en arabe...
Des sites en arabe, oui, bien sûr qu'il y en a. Par exemple le moteur de recherche Internet en langue arabe Ayna (https://www.ayna.com/) ou encore (https://www.arabvista.com/) ou la version anglaise (https://www.emirates.Net.ae/). De plus, le CIAJ (Centre d'Information et d'Animation de la Jeunesse) (https://ciaj29.ifrance.com/ciaj29/) de Mascara avec qui je collabore (et qui peut être joint à l'adresse électronique [email protected]) est en train de monter les rubriques d'un site à interfaces en arabe.
L'avenir du web est donc assuré...
Oui, à Mascara, aujourd'hui, les cybercafés deviennent des points de rencontres de plus en plus importants après le stade et la bibliothèque municipale.
Merci Monsieur Boumaiza.
Notes
[1] Ramadan: mois de jeune et d'abstinence chez les Musulmans.
[2] F'tour: la rupture du jeune.
[ndr] Pour ceux et celles qui voudraient en savoir plus sur l'Algérie nous recommandons la lecture des archives du quotidien algérien El Watan ou de celles du mensuel français Le Monde diplomatique.
Jean-Marie Volet
The University of Western Australia