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Le racisme a le vent en poupe et l'on peut se demander si le fait d'ajouter une voix à toutes celles qui s'insurgent contre ses méfaits ne contribue pas, en fin de compte, à populariser un thème qui ne saurait être éliminé sans la résolution des problèmes socio-économiques qui en sont la cause. Comme le dit Peta Stephenson dans son article, le racisme représente une idéologie à la fois flexible et performante qui cherche à justifier les inégalités. Un changement radical exige une modification profonde du monde économique et des structures institutionnelles dans lesquelles le racisme est enraciné.
Il n'en reste pas moins vrai que seuls un débat informé, un rejet vigoureux des thèses racistes et une meilleure perception des données du problème semblent être à même de conduire à sa résolution. Faute de mieux comprendre les intérêts privés et collectifs qui sont en jeu, il est difficile d'imaginer quelle action pourrait conduire le racisme à diminuer dans les années à venir, comment un brave nouveau monde pourrait être bâti sur les ruines des anciens empires et comment le monde pourrait s'extirper des griffes du libéralisme économique qui étrangle les sociétés d'aujourd'hui.
Les articles présentés dans ce numéro de Mots Pluriels proviennent des quatre coins du monde et approchent le racisme sous des angles différents. Quoique tous résolument antiracistes, ils reflètent la diversité et la complexité du phénomène. Cependant, au-delà des différences, ils montrent aussi quelques similitudes frappantes: quelque soit l'endroit où il sévit, le racisme s'appuie sur une représentation simpliste de l'autre, sur la ségrégation arbitraire des individus et sur le refus de laisser certaines personnes participer pleinement au développement culturel, économique et social de la région.
Dans son analyse de l'univers australien, Dorothy Parker montre les méandres de l'idéologie raciste qui s'est adaptée sans peine à toutes les étapes du développement du pays. Partant d'une ségrégation grossière des Aborigènes et des immigrants non anglophones sur la base de traits phénotypiques, le racisme a évolué vers de nouvelles formes plus subtiles, mais non moins insidieuses, popularisant par exemple l'idée que les cultures non anglophones menacent dangereusement "la manière de vivre des Australiens" (Blainey) ou plus récemment que d'imaginaires hordes venues du Nord menacent d'arracher le pain de la bouche des autochtones (Pauline Hanson). Face à ces propos d'autant plus néfastes qu'ils sont médiatiquement porteurs, Dorothy Parker souligne combien il est important de rétablir la vérité des faits dans leur contexte historique et de souligner l'apport des immigrés au bien-être du pays, tant au niveau économique qu'à celui de son développement culturel et social.
L'article d'Hélène Jaccomard traite des problèmes qui se posent aux Beurs, c'est-à-dire aux enfants des émigrés maghrébins en France et ses conclusions ne vont pas sans rappeler celles de Dorothy Parker. Face aux problèmes innombrables qui se posent dans les banlieues des métropoles françaises, souvent mal planifiées, mal desservies, mal équipées et ravagées par le chômage, les représentants des forces publiques s'en prennent souvent sans discernement à tout ce qui semble différent, laissant s'étriper à leur guise des gangs de jeunes gens d'horizons différents mais pareillement démunis. Et les attaques virulentes du Front National accusant les immigrés d'être la source de tous les maux dont souffre la France font recette dans l'électorat mais contribuent à la désagrégation sociale du pays.
Cheryl Lange se penche sur le sort des Vietnamiens qui ont émigré en Australie et elle souligne la difficulté éprouvée par les nouveaux arrivants d'origine asiatique - tout comme celle manifestée par le reste de la population - face au concept d'appartenance et de citoyenneté. L'aspiration de chacun à être tout à la fois accepté comme Australien(ne) mais respecté dans sa singularité ne va pas sans rappeler la place réclamée par les Beurs dans la société française. Toutefois, privés des avantages "automatiques" dont bénéficient les Européens (voir Peta Stephenson), les immigrants d'origine asiatique sont souvent marginalisés . Tout comme bon nombre d'Australien(ne)s d'origines diverses, ils déplorent la timidité du Gouvernement à condamner les exactions et propos racistes et sa tendance à se réfugier derrière le principe sacro-saint de la liberté d'expression dont Stanley Fish a montré les limites dans son ouvrage La liberté d'expression n'existe pas ... et c'est aussi une bonne chose (1994).
Alors que le mythe de la supériorité des Blancs analysée par Peta Stephenson dans la dernière partie de son article a joué un rôle crucial dans le développement asymétrique et boiteux des relations sociales issues du colonialisme, force est de reconnaître que le racisme dépasse de loin une simple dichotomie "Noir-Blanc". Comme le montre Ambroise Kom dans son article consacré aux problèmes des Bamiléké au Cameroun, l'ethnisme se révèle souvent être un proche cousin du racisme. Les discriminations quasi officielles dont souffrent les Bamiléké montrent à l'évidence le caractère universel de la désinformation, des sentiments xénophobes et de l'exploitation de certains groupes ethniques par d'autres. L'aboutissement tragique des difficultés de certains à vaincre les préjudices attachés aux différences individuelles - imaginaires ou réelles - est malheureusement monnaie courante. Point n'est besoin de mentionner les récents événements qui se sont déroulés au Libéria, au Zaïre, au Rwanda, au Burundi et en maints autres endroits.
Face à un problème universel et apparemment insurmontable, douter de la route à suivre et de l'action à entreprendre semble compréhensible. Que peut-on faire pour rester soi-même et sauvegarder son identité tout en s'ouvrant aux autres? Le titre de l'article d'André Ntonfo s'offre comme un programme d'action d'apparence fort simple mais de portée universelle: "Ouvrir les frontières pour combattre le racisme". Pour André Ntonfo, il est grand temps d'abandonner les images d'Epinal qui dominent la vision du Sud par le Nord, de partir à la découverte réciproque des uns et des autres et de briser les barrières imposées par les hégémonies actuelles, qu'elles soient d'ordre économique, politique, médiatique ou éducatif. Il est temps de faire reculer l'ignorance, de mieux comprendre les facteurs psychologiques et les craintes face à l'inconnu qui conduisent l'individu à se recroqueviller, faute de mieux, dans une attitude défensive irrationnelle.
Comme tout ce qui est humain, le racisme ne peut être expliqué dans toute son étendue sur la seule base de facteurs socio-économiques. L'individu joue un rôle important et il relève de sa responsabilité d'agir d'une manière adaptée et constructive. La lutte contre le racisme passe entre autres - et certains diront surtout - par l'action individuelle. Dans ce sens, la modeste contribution de l'écrivaine Micheline Coulibaly à l'édification d'un monde tolérant et ouvert à la diversité est exemplaire: "Aujourd'hui, dit-elle, je me sens fille d'Afrique, fille d'Asie, fille du monde. Je me sens partout chez moi et je jouis d'un optimisme à toute épreuve. C'est cet optimisme, cette joie de vivre, malgré les aléas de la vie que je veux faire partager aux enfants du monde entier".
CL & JMV
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[Table des matières de ce numéro de MOTS PLURIELS]
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Racism is looming large, the world over, and the mere fact of addressing this unsavory topic runs the risk of giving too much mileage to the issue. Some would argue that it would be more effectively resolved by addressing its well recognized socio-economic causes. As mentioned by Peta Stephenson in her paper, racism is both a highly flexible and a powerful ideology which attempts to rationalise inequality. Correcting its institutional basis would require a fundamental change in social institutions and the economy. Yet, a better understanding and acknowledgment of the complexity of the issue and a vocal - but informed opposition to racist views - is the prerequisite of any lasting solution. Short of that, it is hard to see how racism could decrease, how "a brave new world" could rise from the debris of the past and how the world could free itself from the tight grip of economic rationalism.
The papers presented in this issue of Mots Pluriels reflect a variety of approaches, although all are uncompromisingly anti-racist. They come from university scholars located in various places in the world and span many fields of research including literature, history and sociology. They analyse and reflect on one of the more vexatious ailments of our time and propose possible directions to follow.
Diverse in their analyses of the many expressions of racism around the world, these contributions also highlight striking similarities in racist discourse: a crude approach to "otherness", arbitrary marginalisation of individuals and the denial of full participation in the economic, social and cultural life of the country.
In her analysis of the Australian scene, Dorothy Parker shows the shifts and turns of racist ideology in Australia. From the marginalisation of both Aboriginals and non-English immigrants on the basis of crude phenotypical characteristics, recent scapegoating and processes of exclusion have continued in a "new" and more insidious way by means of misinformation, such as the dangers threatening the "Australian way of life" (Blainey) or the "wrong" done to the "Aussie battler" (Pauline Hanson). Therefore, it is important, Dorothy Parker says, to counter the misinformation propagated by racists, whether "old" or "new" by presenting factual historical information and to acknowledge the incontrovertible evidence that immigrants bring their expertise, their ideas, energy and labour as well as their capital to their new country and contribute to its physical, social and economic development as well as making it culturally interesting, diverse and creative.
Hélène Jaccomard, reporting on the children of Maghrebian immigrants to France, the Beurs, reaches similar conclusions and shows the damage done by right-wing political parties such as the National Front which surf the wave of easy political successes by blaming these migrants for many of the ills of contemporary France. Faced with the daunting task of rejuvenating ill-designed "banlieues" which lack basic amenities and provide very little in the way of job opportunities, officialdom prefers to pitch disgruntled minorities against each other and to harass indiscriminately those who look/are different.
The predicament of French Beurs is similar to that of Vietnamese immigrants in Australia, who are mentioned in Cheryl Lange's paper. Deprived of the "invisible package of unearned assets and privilege" (see Peta Stephenson's article) bestowed on the dominant group, they, like other migrants from Asian countries, are often marginalised and treated like second class citizens. Like many other Australians they deplore the Government and the Opposition's failure to strongly rebut those racists who argue for a meaningless "democratic right to free speech"(see Stanley Fish in There's no such thing as Free Speech...and it's a good thing too [1994]).
While issues of "whiteness", analysed by Peta Stephenson in the last section of her paper, have been central to the uneasy development of social relations in many a country affected by the old colonialist order, racism is by no means restricted to a dichotomy of "blackness" vs "whiteness". Ambroise Kom's paper on the Cameroon's bureaucratic and quasi-official discrimination against the Bamiléké reminds us that misinformation, xenophobic fear, the exploitation of minority groups and the difficulty of individuals in coming to terms with real or imaginary differences is rife. Recent events in Liberia, Zaire, Rwanda, Burundi and elswhere demonstrate this point.
Left with little room to manoeuvre, we may well ask what can be done to remain ourselves, understand others better and combat racism. The title of André Ntonfo's article summarises a programme of action that is simple but far reaching: "Open the borders" and discover the world. For André Ntonfo, it is time to dispense with anachronistic, over-used and simplistic images of the South and to embark on a meaningful investigation of education programmes, media's hegemony and past and present economic "wisdom", both in the North and the South. It is also time to untangle the psychology of racism, our fear of the unknown and our ignorance of others' fears and expectations.
Important as they may be, socio economic factors do not alone contribute to racism. Individuals must also take responsibilty for its elimination. In this sense, Micheline Coulibaly's example is inspirational and her praise of cultural diversity should become a common stanza: "Nowadays I feel like a daughter of Africa, a daughter of Asia, a daughter of the world. I feel everywhere at home and I enjoy a staunch optimism."
CL & JMV
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