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A l'heure où les Gouvernements du monde entier demandent à leurs concitoyen(ne)s d'en faire toujours plus, toujours plus vite, et à meilleur compte, il nous a semblé salutaire de nous arrêter un instant pour faire le point sur la notion de temps qui reflète les préoccupations et les attitudes d'une époque plus qu'elle n'en régit le devenir.
Tous mes remerciements aux collègues qui ont contribué à ce premier numéro de MOTS PLURIELS.
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Ce premier numéro de MOTS PLURIELS donne la parole à des universitaires travaillant dans des disciplines différentes en Australie, en Afrique ou ailleurs et, chacun(e) à sa manière, fait ressortir la complexité de la notion de temps de même que la variété des réponses apportées aux questions existentielles qui lui sont liées. Lorsqu'on s'éloigne d'un universalisme (ou une mondialisation, pour utiliser un terme à la mode) réducteur, il devient clair que le temps n'est pas un concept bien net, emprisonné une fois pour toutes dans le boîtier des montres et les pages du calendrier.
Comme le montre Maureen Perkins dans sa contribution, chaque génération approche la notion de temps avec un bagage culturel qui reflète les 'exigences' du moment. Le rejet plus ou moins systématique des croyances et méthodes précédentes n'est donc pas lié à une meilleure maîtrise d'éléments qui nous dépassent, mais plutôt à l'émergence d'un nouveau discours socio-économique qui nécessite, et impose par la force si nécessaire, une approche appropriée à ses objectifs.
Les changements de perception qui caractérisent le passage d'une génération à l'autre se retrouvent lorsqu'on considère les cultures de notre planète dans leur diversité. Alors que, depuis la Révolution industrielle, l'Ouest a dépensé toute son énergie à réduire l'emprise d'un passé foisonnant et à souligner l'attrait d'un avenir chimérique, d'autres régions ont choisi une démarche inverse. Françoise Ugochukwu montre par exemple que la culture igbo non seulement souligne "l'absence de frontière tangible [...] entre passé, présent et avenir", mais que cette culture accentue aussi l'importance du passé dont elle se nourrit. (Une vision du temps que partagent les Aborigènes australiens et qui explique, du moins en partie, leurs difficultés avec le Gouvernement actuel). Dans une approche flexible de la notion de temps, dit Françoise Ugochukwu: "la semaine de sept jours importée par les colonisateurs n'a de sens que pour les activités "modernes" [alors que] la semaine traditionnelle igbo reste vécue parallèlement et règle encore aujourd'hui la vie des commerçants et des clans".
Pour Daniel Tchapda Piameu, "il n'y a pas de temps sans conscience du temps". S'il est vrai qu' hommes et femmes sont soumis de manière contingente au rythme des saisons et à un temps social conventionnel et uniformisé, l'essence même du temps ne peut être vécue que de manière individuelle. En marge du sens imprimé au temps par une culture donnée ou la classe politique dominante, chaque individu doit donner au temps un sens qui reflète son vécu et valorise sa propre existence. Une démarche qui n'est pas facile - même si elle est indispensable pour ne pas sombrer dans le nihilisme à une époque de profond désarroi.
Mark Pegrum le montre bien dans son analyse des limites d'une vision linéaire du temps pour ceux et celles qui se trouvent en marge de "la marche triomphante vers le progrès" (c'est-à-dire une bonne partie de l'humanité). Un perpétuel présent plein de désillusion fait corps avec un passé sans histoire et un futur sans avenir et il faut une bonne dose d'utopie (ou de courage) pour imaginer une nouvelle définition du temps et de l'Histoire qui permette à chacun(e) de trouver sa place dans un monde favorisant la tolérance et la diversité.
De par sa nature et grâce à sa flexibilité, la littérature (comme d'ailleurs les arts plastiques et le cinéma) a de toute éternité octroyé une grande liberté au sujet écrivant (ou lisant) par rapport au temps. Les écrivain(e)s postmodernes sont parmi les dernier(e)s à faire usage des prérogatives d'un(e) auteur de se moquer des heures, du calendrier et des chronologies mais ils/elles sont loin d'être les seul(e)s. De fait, la grande majorité des écrivain(e)s réinventent le temps dans chacun de leurs romans, presque toujours un temps non linéaire dominé par des temps forts qui échappent à la tyrannie des chronomètres. Notre brève analyse du texte de Myriam Warner Vieyra, qui est inclu dans ce numéro de MOTS PLURIELS, le montre en soulignant la circularité de la narration et l'importance des "faux vides" qui relient les différents épisodes d'une manière non linéaire. Dans ce sens, la nouvelle de Myriam Warner Vieyra contient aussi une leçon: la vie et la mort, le rêve et la réalité, le passé et le futur se chevauchent sans cesse et une fuite aveugle "vers l'avenir" trouve tôt ou tard son aboutissement dans une explosion d'images qui la rejettent immanquablement vers un passé qui la rattrape au grand galop.
La vocation de MOTS PLURIELS est de partager avec d'autres ces images diffuses et contradictoires qui informent le moment présent. Face à ce grand album que l'on peut feuilleter en avant ou en arrière en sautant des pages, il appartient à chacun(e) de décider s'il convient de faire revivre l'âge d'Or, d'imaginer un futur meilleur, de reprendre en choeur les propos de Christos Tsiolkas * ou de développer une nouvelle machine à inventer le temps.
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[Table des matières de ce numéro de MOTS PLURIELS] [Pour contribuer aux prochains numéros]
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At a time when Governments demand from their citizens that they stop wasting time and work more for a less pay, it seems appropriate to reflect for a moment on the notion of time which expresses community worries and attitudes of an epoch rather than its destiny.
This first issue of MOTS PLURIELS expresses the view of university scholars working in different fields and in different locations, in Australia, Africa and elsewhere. The diversity of the analyses shows the complexity of the concept of time and emphasises the many ways people deal with this issue at an existential level. Beyond the institutionalised standardisation of time (or its "globalisation" to use a buzz word), it seems clear that time is not a well defined concept encapsulated in the mechanism of clocks or in calendars. jmv
In her paper, Maureen Perkins shows that each generation deals with time according to idiosyncratic cultural circumstances dictated by socio-economic imperatives. The systematic rejection of previous wisdom and analytic methods is therefore not due to a better knowledge of the issues which go beyond human understanding, but rather to the emergence of a new socio-economic discourse demanding, and imposing by force if necessary, a new approach in tune with its objectives.
The changes in perception, characteristic of different epochs, is also noticeable with regard to the very many cultures of the world. Whereas, from the time of the Industrial Revolution, the West has spent all of its energy in trying to reduce the significance of the past in order to boost its vision of a bright and chimerical future, other regions have followed quite different directions. For example, Françoise Ugochukwu shows that Igbo culture not only lacks a clear distinction between past, present and future, but it puts a great deal of importance on the past which in turn feeds the present. (This is vision shared by Australian Aboriginals and explains, at least in part, the current difficulties with the present Government). Combining both approaches in a flexible manner, the seven day week introduced by the coloniser is used for the 'modern' activities while to this day the traditional Igbo four day week sustains the rhythm of business and clan activities.
According to Daniel Tchapda Piameu,"time does not exist without a consciousness of time". While it is true to say that people are affected by the merry-go-round of the seasons and standardised measures based on the clock, the essence of time rests with the individual. Thus, at the margin of cultural or political orthodoxies, it is incumbent on her/him to make sense of time and to give it a meaning suited to his/her personal growth.
To do so is no easy task, however it is essential not to fall into the trap of nihilism at a time of great uncertainty.
As shown by Mark Pegrum, linear time has brought little to those people (that is a large majority of world's population) brushed aside by a powerful minority marching triumphantly on the path of "progress". A never-ending present full of delusions becomes an integral part of both a past with no history and a hereafter with no future. Accordingly, Utopia (or courage) is needed in plenty in order to draw a rejuvenated definition of time and history, not only in promoting tolerance and diversity, but also allowing each person to find her/his rightful place in the world.
Since time immemorial, literary flexibility (a quality also noticeable in fine arts or the cinema) has provided writers and readers alike with a considerable degree of freedom in their handling of time. Boldly ignoring chronologies and linear time, postmodern writers have pushed that freedom to the limit. In fact the great majority of writers has had to reinvent time in each of their novels. With few exceptions this time is not linear and fragmented; it is made up of powerful moments which cannot be measured by the clock. My short analysis of Myriam Warner Vieyra's short story L'Accident (contained in this issue of MOTS PLURIELS), is a case in point. A circular rather than linear narrative technique brings together sequences which are not related in chronological order but are linked by the typographic blanks that separate the paragraphs. Above and beyond its narrative technique, Myriam Warner Vieyra's short story also relates a lesson: life and death, dreaming and reality, past and future, all of which overlap endlessly. A mad escape toward the future can only lead to a time of reckoning when once again past, present and future will make one.
MOTS PLURIELS' main aim is to provide a forum where the fuzzy and contradictory images that determine the way we live today can be discussed. Time belongs among those difficult concepts that cannot be oversimplified and begs for tolerance and understanding rather than universal consensus. There is no one way of perusing the large album of time. One can turn the pages in any direction and skip as many as she/he wants. It behoves each individual to decide if the thing to do is to return to the a 'golden' past, jump wholeheartedly towards the promise of the future, sing Christos Tsiolkas's song of despair *, or build a new machine to reinvent time.
My gratitude to all the colleagues who have contributed to this first issue of MOTS PLURIELS
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[Contents of this issue of MOTS PLURIELS] [Notes for the Contributors]