Professeur Djibril Samb est le Directeur de l'Institut
Fondamental d'Afrique Noire de Dakar. Philosophe, platonicien et un
spécialiste de la Grèce antique, il est également un fin
observateur de la culture sénégalaise et a obtenu le Prix Noma
pour son ouvrage L'interprétation des rêves dans la
région sénégambienne (Nouvelles Editions Africaines du
Sénégal, 1998, 500p.) Allocution du Professeur Samb lors de la remise du Prix Noma Ouvrages de Djibril Samb - Remise du prix (photo) |
Professeur Samb, vous êtes le Directeur de l'Institut fondamental d'Afrique noire de Dakar et vous venez de gagner le Prix Noma pour votre ouvrage sur L'interprétation des rêves dans la région sénégambienne. Que signifie "le rêve" au Sénégal ?
Question bien difficile. Je ne vous donnerai sûrement pas une réponse complète ni vraiment satisfaisante, puisque mon travail a consisté moins à définir le rêve qu'à le décrire en partant de l'idée commune que l'on se fait des rêves, c'est-à-dire une vision qui intervient pendant le sommeil. Le Sénégambien considère que, pendant le sommeil, l'âme s'échappe du corps et mène un certain nombre d'activités. Ce sont ces activités que nous voyons dans nos rêves.
Dans quelle mesure cette conception du rêve est-elle très différente de la vision européenne qui a été fortement influencée par Freud par exemple.
Pendant très longtemps, la vision européenne a été semblable à la vision africaine du monde. Les conceptions des rêves que vous avez chez Homère, par exemple, sont assez proches, finalement, des conceptions sénégambiennes. Vous voyez que dans l'Iliade, dans l'Odyssée, il y a des rêves dans lesquels le rêveur se présente comme l'envoyé de Dieu, et le rêve est considéré comme ayant une signification ou un sens prémonitoire. C'est à partir d'Aristote, vraiment, qu'il y a une conception positiviste des rêves. La conception traditionnelle des rêves, en Grèce, se dissipe au contact du positivisme aristotélicien. Bien entendu, beaucoup plus tard, Freud donnera un autre système d'interprétation des rêves qui, dans son principe, rompra fondamentalement avec toutes les visions traditionnelles, qu'elles soient européennes ou africaines.
Où vous situez-vous par rapport à ces nouvelles visions freudiennes du rêve ?
Je ne me situe pas par rapport à la vision freudienne. Je suis dans la position du chercheur qui décrit une réalité et qui essaie d'amasser le maximum de connaissances sur celle-ci. Il s'agit du rêve dans la région sénégambienne. Je travaille sur une région limitée, parce qu'on a vite fait de mélanger les choses et d'oublier que je ne travaille pas sur l'Afrique noire dans son ensemble, mais uniquement sur une partie de l'Afrique noire, la région sénégambienne. J'essaie de décrire avec le maximum de précision et de détachement le rêve tel qu'il est vécu par les populations sénégambiennes, toutes ethnies confondues. J'essaie de mettre en évidence la pratique du rêve dans cette région parce que, figurez-vous, il y a une pratique du rêve, une véritable culture du rêve en Sénégambie. J'essaie de la décrire, de cerner le rêve dans ses relations avec les différentes activités sociales et politiques, avec la mort, la folie et la démonologie traditionnelle. C'est un travail strictement scientifique, au sens où il s'agit de décrire ce qu'on voit, d'accumuler un certain nombre de connaissances et d'affiner notre compréhension des choses.
Vous avez donc rencontré un très grand nombre de rêveurs et vous avez essayé de décrire ce qui se passait lorsqu'ils rêvaient. Comment vous y êtes-vous pris pour rassembler tous ces documents ?
J'ai fait des enquêtes de terrain. D'abord, il faut rappeler que, pour moi, la Sénégambie, au sens où elle est prise dans ce travail, regroupe uniquement le Sénégal et la Gambie dans leurs frontières officielles. J'ai sillonné huit des dix régions administratives du Sénégal actuel et j'ai ciblé toutes les ethnies vivant dans la région sénégambienne. Je suis parti avec un questionnaire qui est d'ailleurs joint à l'ouvrage qui vient de remporter le Prix Noma. J'ai interrogé des gens, j'ai recueilli des rêves, des contes et des légendes dans lesquels il y avait des rêves. J'ai interrogé les représentants qualifiés de ces différentes ethnies sur leur conception de la personne, de l'âme, du corps, de la démonologie, de la mort. Cela m'a permis de rassembler les informations de première main sur lesquelles repose mon travail.
Votre travail ne se limite donc pas au rêve qu'on oublie le matin dès qu'on se réveille. Il décrit aussi la manière dont les gens vivent jour après jour ?
Le point de départ de la description, c'est le rêve. Je prends les
choses à partir du rêve. C'est comme s'il s'agissait de percevoir
le monde à partir du rêve et, à partir de ce
moment-là, si j'ose dire, ça va dans toutes les directions. Au
départ, quand j'ai entrepris ces recherches, il ne m'a pas paru, par
exemple, que le rêve fût lié à la mort. Or, il se
trouve que le rêve est lié à la mort, puisqu'il y a
certains rêves qui constituent des signes, des indications sur la mort de
telle ou telle personne. Par exemple, on peut même déterminer avec
précision la ou les personnes qui vont mourir en fonction des
différentes parties du corps qu'on verra dans des rêves
particuliers. De la même manière, l'étude du rêve m'a
conduit à examiner les problèmes de la folie, puisqu'elle
intervient dans les rêves. L'étude du rêve m'a
également conduit à étudier des problèmes d'ordre
politique. Il y a dans la société traditionnelle des
événements politiques liés à des rêves. Je
vous citerai le cas de ce prince dont le grand-père était le roi
du Cayor. Il rêvait qu'il avait combattu son grand-père et qu'il
l'avait défait. Sa mère lui conseilla de ne pas en parler parce
que ce rêve portait sur des questions éminemment politiques. Son
oncle lui donna le même conseil, mais le prince prédit que s'il
faisait le rêve une troisième fois, il s'attaquerait à son
grand-père. Il fit le même rêve une troisième fois ;
il s'attaqua à son grand-père, le battit et prit sa succession.
Le rêve intervient également dans les processus religieux : la
plupart des chefs religieux ont eu des rêves prémonitoires avant
de s'engager dans une carrière sainte.
Le rêve constitue l'âme de la société. Au lieu de
partir de la veille pour expliquer le rêve, je pars du rêve pour
aborder la veille. Je vous donnerai un dernier exemple : les
déplacements de village, qui sont quelque chose d'extrêmement
important, sont parfois décidés à la suite d'un
rêve. Il arrive que des villageois rêvent que la place du village
est disputée au humains par des êtres non humains. Dès
lors, la seule solution c'est de quitter cette place et d'aller s'installer
ailleurs. Il y a des cas, connus dans la région
sénégambienne, de villages qui se sont déplacés
à la suite de rêves. Ils portent le nom de gént, ce
qui en, wolof, est presque le même mot que celui qui signifie
"rêve".
Le rêve joue donc un rôle extrêmement important dans la société sénégambienne. Mais est-ce qu'il est important pour tout le monde, est-ce que la majorité des Sénégambiens essaient d'interpréter ou de savoir ce qu'ils vont devoir faire en fonction de ce qu'ils rêvent ?
Oui, en règle générale, le rêve est une indication sur ce qui va se passer et, par conséquent, il influence les décisions, quelquefois capitales, que l'on peut être amené à prendre soi-même. Les gens tiennent compte de leurs rêves. Ils font interpréter leurs rêves par des personnes compétentes et, lorsqu'il y a lieu de prendre des mesures déclinatoires, ils décident de mesures d'accompagnement, afin que le rêve se réalise, si c'est un rêve faste, ou qu'il ne se réalise pas, si c'est un rêve néfaste. Il y a quelques années, un des plus hauts responsables religieux du Sénégal, feu El Hadj Abdoul Aziz Sy, avait demandé à tous les Sénégalais de sacrifier un poulet. Des rêveurs avaient fait le même rêve : ils avaient vu la Kabba, et sur celle-ci étaient mentionnés les noms de tous les pays, sauf celui du Sénégal. Il a donc demandé que chacun fasse le sacrifice d'un poulet, le rêve étant interprété comme une sorte de malédiction pour le Sénégal. C'est vous dire combien les rêves sont importants. On peut également citer l'exemple de Saint-Louis, ma ville natale. En 1989, l'Imam principal avait fait diffuser à la radio un communiqué demandant aux ressortissants de Saint-Louis de donner chacun dix francs CFA pour qu'on puisse organiser des cérémonies de sacrifices, parce que certaines personnes avaient rêvé que cette année-là, beaucoup d'enfants risquaient de périr noyés dans le fleuve Sénégal. Le rêve occupe une position centrale dans la vie quotidienne du Sénégambien.
Qui est en mesure d'interpréter les rêves ?
L'interprétation des rêves est une activité hautement technique ; donc, ce sont des personnes qualifiées qui peuvent les interpréter. Dans la Sénégambie traditionnelle, il y avait, en effet, des interprètes spécialisés des rêves : ils avaient aussi d'autres activités, mais ils étaient les interprètes reconnus. On s'adressait à eux lorsqu'on avait fait un rêve. Avec la pénétration de l'islam, les choses ont changé, puisque la figure du marabout a remplacé progressivement la figure du charlatan traditionnel. C'est le marabout, aujourd'hui, qui fait office d'interprète des rêves. Or le marabout combine deux interprétations : une interprétation d'extraction islamique et une interprétation autochtone. L'objet de mon travail, ce n'est d'étudier ni l'interprétation purement autochtone ni l'interprétation islamique, mais plutôt la conception et l'interprétation du rêve, telles qu'elles résultent de cette combinaison entre la culture et la civilisation autochtones, d'une part, et, d'autre part, la culture et la civilisation judéo-chrétiennes au sens large, l'islam étant évidemment une religion d'extraction judéo-chrétienne.
Dans quelle mesure les chefs traditionnels, les marabouts et toutes les personnes qui ont en charge l'âme des Sénégalais s'entendent-ils sur l'interprétation des rêves ? Est-ce qu'il peut y avoir différentes interprétations ?
Tous ceux qui interprètent le rêve ont un point commun, c'est la clé des songes. C'est cette clé qui est utilisée par tous les marabouts. Elle circule dans la Sénégambie depuis le Xe ou le XIe siècle. Pour l'essentiel, il n'y a pas tellement de divergences sur l'interprétation des rêves. Ce sont les mêmes symboles et les mêmes interprétations qui sont donnés. Les divergences peuvent apparaître surtout lorsqu'il s'agit de l'assimilation d'objet artificiel d'origine étrangère, puisque l'analogie de fonction peut jouer, mais elle n'est pas perçue de la même manière par tout le monde. Toutefois, en dehors de ces cas finalement relativement peu importants, il y a un consensus, en Sénégambie, sur l'interprétation des rêves, et c'est ce consensus que vous trouvez dans mon ouvrage, lequel repose sur l'étude d'une longue tradition.
Est-ce que vous pensez que l'interprétation des rêves joue aussi un rôle en dehors du Sénégal, en Afrique ou en Europe ?
En Afrique très certainement, puisque je me suis livré à certaines comparaisons et je suis frappé par la similitude et par l'importance constante de l'interprétation des rêves dans la vie aussi bien sociale et collective que dans la vie individuelle. En Occident aussi, quoi qu'on dise, l'interprétation des rêves continue de jouer un rôle important, puisque, de temps en temps, vous trouvez dans la presse des clés des songes populaires. L'homme a toujours été soucieux de connaître la signification de ses rêves. À tort ou à raison, il considère que le rêve est significatif et, par conséquent, qu'il annonce quelque chose. Le rêve est prémonitoire. Et puis le rêve est très important pour tout le monde, quelle que soit la conception du rêve propre à une région donnée : un homme de 60 ans, quelles que soient ses origines, c'est quelqu'un qui a dormi en principe 20 ans et qui a rêvé 5 ans.
Personnellement, est-ce que vous vous souvenez de vos rêves ? Est-ce que vous vous y intéressez ?
Je vais vous dire le dernier que j'ai fait. J'ai rêvé que, quand on est arrivé à Dakar, ma femme et moi, il fallait déballer le Prix Noma. D'habitude, c'est ma femme qui s'occupe de cela mais, dans mon rêve, c'était moi qui le déballais et tout était en morceaux. J'ai dit à ma femme : "Regarde, le Prix est en morceaux !".
Un rêve que nous n'allons pas essayer d'interpréter... Les rêves, disent certains, appartiennent au monde des sorciers. Est-ce qu'il y a un rapport entre la sorcellerie et l'étude du rêve ?
Oui, il y a un rapport étroit. La carrière de sorcier est vue littéralement dans des rêves. L'école de Dakar du professeur Colomb a montré, dans une série d'études de cas cliniques, que des personnes qui avaient été hospitalisées au CHU de Dakar développaient une carrière de sorcier dès leur enfance et faisaient des rêves dans lesquels elles se voyaient avec des ailes. Mais le sorcier agit aussi durant le rêve. Si quelqu'un dort, si son âme s'échappe et s'il ne fait pas preuve de prudence, le sorcier s'emparera de son âme et cela se passera dans un rêve. Certains chasseurs de sorciers voient précisément ce que font les sorciers dans leurs rêves, le rapport est établi.
On pourrait aussi penser à certaines danses traditionnelles conduisant à un état de "transe". Est-ce qu'il y a un rapport entre ces manifestations et le rêve ?
Dans le ndëpp, qui est la manifestation de cette nature la plus célèbre, le rêve occupe une place essentielle puisqu'il sert d'opérateur au processus thérapeutique. Il faut que le rêve du thérapeute et celui du malade coïncident pour que le processus ait des chances d'aboutir. Ensuite, le sacrifice est déterminé d'après les données du rêve fait par le thérapeute. Est-ce qu'il faut sacrifier un mouton noir ou un mouton blanc, un poulet, un boeuf ? Le rêve est au coeur même du processus thérapeutique.
Comment envisagez-vous la suite de vos travaux dans ce domaine
?
Dans deux directions : cette étude touchant à l'interprétation des rêves est la première partie d'une vaste étude de l'imaginaire sénégambien. La deuxième partie examinera la mort dans la région sénégambienne, la troisième partie la folie. Mais dans l'immédiat, je pense m'engager dans la conception d'un dictionnaire universel des songes.
Voilà l'occasion de parler de l'Institut fondamental d'Afrique noire (IFAN), dont vous êtes le Directeur. Est-ce que c'est l'endroit d'où vont partir ces nouveaux projets ?
J'espère bien, mais l'avenir est incertain. Je dirige l'IFAN et j'assume de nombreuses tâches administratives et pédagogiques. Comme vous le savez, les tâches adminis-tratives ont souvent pour effet de retarder les projets scientifiques. En tout cas, je n'ai encore que des ambitions d'ordre scientifique et, plus largement, académique.
Combien de chercheurs avez-vous à l'IFAN ?
En ce moment, nous avons 44 chercheurs.
Quelles sont les disciplines majeures ?
Presque toutes les disciplines sont représentées. Nous avons un département de sciences humaines, avec notamment des laboratoires de géographie, d'archéologie, d'histoire et de sociologie, un département d'information scientifique, de botanique et géologie avec des laboratoires de botanique et de géologie, un laboratoire de physique, un département de biologie avec un laboratoire de biologie animale et des laboratoires de zoologie, un département des langues et civilisations (linguistique, islamologie, littérature). Il faut, enfin, citer un important département des musées, qui gère les trois principaux musées du Sénégal. Nous avons presque toutes les disciplines à l'exception notamment des mathématiques et de la médecine. Mais nous souhaitons en ouvrir bien davantage et, pour ce faire, nous réformer.
Etes-vous indépendant de l'université ?
Nous sommes un établissement public autonome au sein de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Nous sommes dotés de la personnalité morale. Ce qui veut dire que l'IFAN a son propre budget. Le directeur de l'IFAN est l'ordonnateur de son budget, l'administrateur des crédits. L'IFAN peut faire tout ce que les établissements publics autonomes peuvent faire en vertu des lois et règlements en vigueur.
Il y a beaucoup de professeurs européens et américains qui s'intéressent à l'Afrique, qui l'observent sous toutes ses coutures. Vous qui êtes à la tête d'un grand centre de recherche africain, pourriez-vous nous dire comment on voit le futur de la recherche depuis l'Afrique ? Que voyez-vous se profiler à l'horizon en ce début de millénaire ?
Ce que je vois, c'est un grand effort d'intégration de la recherche à l'échelle mondiale. Il sera impossible de cloisonner la recherche dans des pays ou dans des régions, en raison du développement des prouesses technologiques de l'information. Chacun sait ce qui se fait dans le monde au même moment et, par conséquent, les échanges d'informations scientifiques iront plus vite, les publications elles-mêmes vont devoir s'adapter et, sans abandonner leurs formes traditionnelles, adopter de nouvelles formes, notamment par le Net. Cela permettra de mettre à disposition très rapidement les publications, d'organiser sur le Net des débats scientifiques, d'envisager donc de façon plus systématique les échanges entre les chercheurs du monde entier et, dans ce cadre-là, les chercheurs africains et les centres de recherche africains se comporteront comme tous les chercheurs et tous les centres de recherche du monde.
Vous parlez de globalisation mais est-ce qu'il n'y a pas le risque de perdre ce qui est propre à chaque culture ? Est-il possible d'envisager un Européen faisant le même genre de recherche sur le rêve que vous ?
Je crois qu'un Européen aurait été capable de faire le même travail. Parce qu'après tout, moi qui ai fait ce travail-là, je le dis dans l'avant-propos, c'est un regard occidental que j'ai jeté sur ma société. Je suis platonisant de formation, donc sur le plan académique, je suis au coeur de la culture, de la civilisation occidentale, puisque je m'occupe de ce qui est à la source même de la culture et de la civilisation occidentales. En faisant un effort important sur moi-même, j'ai pu surmonter certains écueils qui sont liés à l'organisation même du savoir en Afrique. En Occident, si vous savez quelque chose, vous l'enseignez dans les universités, vous faites preuve d'une certaine générosité. L'enseignement a un caractère laïque au sens le plus large du mot, tandis que le savoir africain est un savoir qui est protégé, qu'on ne délivre pas volontiers, qui fait l'objet d'une initiation. Il faut s'y prendre et s'y reprendre, faire la cour aux détenteurs du savoir, manoeuvrer, ruser, pour obtenir quelques miettes. C'est un autre univers. Je n'étais pas, par ma formation académique, préparé à cela, mais j'ai quand même pu surmonter cet écueil. Je pense qu'un Occidental aurait pu le faire.
Ce problème est différent de celui des rapports entre les cultures particulières et la culture universelle qui est en train de se mettre en place. Chaque fois qu'il y a de grands changements qui s'annoncent dans le monde, il est naturel que chaque nation soit tentée par une sorte de repli identitaire, quelle soit plus ou moins angoissée. C'est vrai aussi bien au Sud qu'au Nord. Mais cette réaction doit être surmontée et chaque nation, chaque culture doit être capable à la fois d'un enracinement dans son propre territoire de civilisation et de culture et d'une ouverture vers le monde, car il y a un mouvement d'universalisation de l'homme qui est en cours. Ce mouvement est irréversible, mais il ne conduit pas nécessairement à la disparition des cultures locales. D'ailleurs, en dépit de la globalisation, jamais autant qu'aujourd'hui le droit à la différence n'a été revendiqué. Le droit à la différence et le droit à l'exception culturelle sont revendiqués même par de grandes puissances. La France est tout de même un très grand pays, un grand pays par sa culture, par sa civilisation, par ce qu'elle représente dans le monde. Et pourtant, la France, notamment dans le cadre de l'OMC (Organisation mondiale du Commerce), demande que soit préservé le droit à l'exception culturelle. En résumé, selon moi, il n'y a pas lieu de partager de façon absolue l'inquiétude toute naturelle des populations parce qu'il y a des changements qui se mettent en place. Comme toujours, la plupart des sociétés seront capables, tout en protégeant ce qui fait leur personnalité propre, de s'ouvrir aux autres sociétés.
L'idée de globalisation est souvent associée à l'idée de modernité et qui dit modernité dit aussi parfois abandon des anciens maîtres. Pour un professeur comme vous, qui a étudié Platon et les Anciens, est-ce que vous voyez une menace pour la culture ancienne, pour tout ce qui a fait le monde ancien ?
Il y a, par certains côtés, une menace, mais, par d'autres côtés, la culture se défend finalement très bien. Pour me limiter au cas des études anciennes et, en particulier, des études platoniciennes, aujourd'hui il suffit de pianoter sur le Net pour avoir à l'écran les meilleurs manuscrits des dialogues de Platon, pour avoir devant soi l'essentiel de la bibliographie platonicienne. Donc, on s'adapte très bien. Je crois que la culture sera malgré tout préservée, puisque cette culture qui s'enracine dans les traditions grecques, c'est ce qui fait vraiment à la fois la force de l'Occident et, en un sens, la préfiguration constante de son destin, à savoir la puissance de la volonté de rechercher, la puissance de la raison, l'innovation, le changement continu, sans mise en cause de la personnalité et de l'identité propres.
Merci Professeur Samb.
Dr.
Jean-Marie Volet
The University of Western Australia