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Turbulences
UNE NOUVELLE
de
Marie-Thérèse ASSIGA ATANGANA
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L 'émotion me fit oublier mon anglais et du coup, réduite aux devinettes, je ne pus que suivre bêtement les recommandations de l'hôtesse. Je m'adressai à mon voisin afin d'obtenir de plus amples informations sans me douter que j'avais affaire à un plus grand froussard que moi. Une petite tape à l'épaule pour attirer son attention le fit bondir de son siège en criant par deux fois: "very bad, very bad"! Revenue à moi, je me résignai à vivre mon agonie seule. |
* * *
J'étais maintenant convaincue que même un galant homme du genre Bob Gordon ne me sortirait pas de cette impasse et, partant, ne pourrait empêcher le démon de la mort de me dévorer. Je m'abandonnai donc à Dieu avec une ferveur qui m'est restée jusqu'à aujourd'hui, chaque fois que je mets pied dans un avion. Et comme j'ai une dévotion particulière pour La Vierge, je commençai par le chapelet.
La première dizaine fut consacrée au Pilote et ses acolytes qui tenaient les rênes de l'appareil, afin que La Mère de Dieu les inspira, leur procurant le sang froid et le réflexe qui allait nous sortir de ce pétrin.
La deuxième dizaine fut destinée à tous les froussards qui m'indisposaient en exhibant ces faces de carême, afin qu'ils puissent afficher au moins un semblant de désinvolture. Je pensais surtout à mon célèbre voisin qui transpirait à grosses gouttes, une main plaquée sur le dossier du siège situé devant lui.
La troisième dizaine pour tous les bébés et petits enfants qui se trouvaient avec nous dans l'appareil, afin que La Vierge se montrât clémente et prît en pitié leur pureté et leur innocence qui ne méritaient en rien un tel sort. Bénéficiant de tant de grâces, nous sortirions alors tous de cette impasse.
La quatrième dizaine consistait à attirer l'attention de la Vierge Marie sur mes parents dont la progéniture ne devait pas être aussi brutalement et vulgairement arrachée à leur affection.
Enfin, considérant que j'avais encore tout à voir et à faire dans la vie, et surtout en jouir pleinement, la dernière dizaine avait pour but de m'éloigner de mon triste sort.
Je ne sais combien de temps je mis à réciter mon chapelet...toujours est-il que quand j'en terminai la récitation, le calme était déjà revenu. Progressivement où subitement? Cela aussi je ne le sais pas. Mais animée d'une joie timide et discrète, je jetai un coup d'oeil à travers le hublot : le ciel était clair au-dessus de nous, l'atmosphère limpide aux environs, c'est-à-dire sans nuage. Au dessous de nous, l'Océan était d'un bleu gris homogène, donnant l'impression que nous étions stationnaires tant l'appareil avançait régulièrement, son ronflement monotone à peine perceptible. Je commandai un verre de bière et l'avalai avec un étrange plaisir que je suppose propre aux rescapés de tous genres.
© Marie-Thérèse ASSIGA ATANGANA
(Extrait d'un ouvrage non publié)