Mots pluriels
    no 9. Janvier 1999.
    https://www.arts.uwa.edu.au/MotsPluriels/MP999mn.html
    © Mariama NDOYE


    N comme Nouvelle - N comme Nouvelle - N comme Nouvelle

    Ruse de femme

    UNE NOUVELLE
    de

    Mariama NDOYE

    Prière de lire la notice sur la protection des droits d'auteur


    L a salle du tribunal bruit de mille rumeurs. Aujourd'hui une affaire de divorce à traiter. Etrange. On vient rompre devant la justice des liens qui n’ont pas été noués devant elle. Le mariage en question est coutumier. Il a été célébré à la mosquée. Cependant, si pour le rompre on a recours aux juges et aux avocats, c’est qu’il y a eu, en sus du préjudice moral, tentative d’escroquerie. Nul n’ignore que quand les biens matériels entrent en jeu, les arrangements à l’amiable font long feu.
    Un homme Demba a été dépouillé puis largué par sa seconde épouse, Coumba. A l’origine de cette rupture, pas de scandale, pas de disputes ni de récriminations. D’exigences non satisfaites: aucunes. Coumba a tout simplement retiré la main accordée par son père. Une femme a répudié son homme sans raison apparente, parce qu’elle en a ainsi décidé. C’est le monde à l’envers et le plaignant en menant l’affaire en justice veut surtout rétablir la normalité, mais venons-en aux circonstances qui ont conduit à ces assises très fréquentées.

    * * *

    Coumba et sa co-épouse, première venue dans le foyer, sont assises face à face. Elles font la cuisine pour leur mari. L’aînée, à un moment donné se laisse aller et ouvre négligemment les jambes. Coumba y jette un regard indiscret espérant surprendre un pagne à la propreté douteuse, une tache, des cuisses flasques, que sais-je encore? La rivale fait mine de ne s’apercevoir de rien et continue à touiller sa marmite. Soudain Coumba voit apparaître quelque chose de bizarroïde. On dirait un intestin de mouton. Elle ferme les yeux très fort puis les rouvre. Elle a dû mal observer. Elle insiste avec effronterie pourtant, et scrute fixement les dessous de sa rivale; ce ne sont pas des gris-gris, ni un bout de pagne ou de tissu, c’est bien une chose infâme et sanguinolente qui pendouille. N’y tenant plus:

    - Eh, grande soeur, quelque chose dépasse de ton pagne, regarde donc!

    La première épouse regarde sous elle et referme brusquement les jambes l’air honteux.

    - Je regrette d’avoir manqué de tenue devant toi cadette. Je suis vraiment désolée.

    Elle se gratte la tête gênée et coince fermement les extrémités de son pagne dans le creux de ses genoux repliés d’où ils ne pourront plus s’échapper.

    Coumba intriguée insiste :

    - Qu’est-ce que c’était grande soeur qui dépassait comme ça?

    - Un gris-gris spécial.

    - Hum! Pourtant on aurait dit un bout d’intestin...

    - Tu me promets de garder le secret si je te le confie, après tout, nous sommes embarquées sur le même bateau.

    - Dis vite!

    - Tu sais que j’étais de tour hier nuit.

    - Oui et alors?

    - Eh bien, notre mari est tellement vaillant au lit, comme tu as dû le remarquer, qu’au bout d’un mois de cohabitation avec lui, une petite portion de ton intestin s’échappera de toi aussi.

    - D’où?

    - De ton sexe bien sûr. Mais c’est un secret. C’est le lot de nombre de femmes qui s’en accommodent. Ce sont les aléas du mariage et du plaisir .

    - Quel plaisir? Dieu de miséricorde! Garde ton mari, moi je suis partie. Il ne me démolira pas. Je ne connais encore rien de la vie.

    - Tu plaisantes, partir pour si peu!?’

    -- Surtout qu’il n’aille pas à ma poursuite, un mari ne vaut pas une vie.

    C’est ainsi que se vérifia une fois de plus l’adage. "La personne qui est plus âgée que toi détient davantage d’habits usagés que toi", c’est-à-dire plus d’expérience. Quelques centimètres d’intestin de mouton collés à la cuisse d’une rivale futée sont facilement venus à bout d’une jeune et belle co-épouse.

    A Demba de se débrouiller pour récupérer les biens si généreusement octroyés à la naïve Coumba en vue d’ améliorer l’ordinaire de ses nuits. Quant à nous, à l’heure où, dans un pays béni, le code de la famille est baptisé "code de la femme" par des hommes aigris de perdre le privilège de la répudiation unilatérale et inconditionnelle, nous souhaitons à Demba bien du plaisir.

    © Mariama NDOYE


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