COMPTE RENDU DE LECTURE DE MICHEL GUISSARD |
Alfred DOGBÉ
Bon voyage, Don Quichotte et autres textes
(TOGO)
Carnières-Morlanwelz : Lansman
(Contes-nouvelles-récits-témoignages, 2), 1997. 71 pages. ISBN 2-87282-201-1
|
La nouvelle éponyme, qui ouvre le recueil, raconte le sabordage d'une initiative électoraliste d'un maire par un représentant d'une organisation non gouvernementale, lassé des manipulations et des compromissions avec le pouvoir. Le jeune volontaire, satisfait de la pagaille qu'il a semé, doit rentrer dans son pays, sans avoir pu assister à l'enterrement du jeune noir qui mourut lors des incidents déclenchés. La stigmatisation de la corruption, des problèmes de société, des inégalités est visible dans la plupart des nouvelles. Dans "La classe de sciences", le cours sur la nutrition suscite un tel intérêt que le professeur peut continuer après le retentissement de la cloche ; mais il est finalement interrompu par un élève qui doit rentrer chez lui sous peine de n'avoir plus rien à manger. Dans "Le petit mendiant à la culotte bleue", un enfant riche et un enfant pauvre lient amitié, sous le regard magnanime des parents du premier, du moins jusqu'au jour où les enfants sont surpris en train de manger dans le même bol.
Dans "Une très longue prière" et "C'était lui en effet", il est question de l'impuissance économique de l'homme, réduit à être entretenu par une femme : dans le premier cas il s'agit d'une matrone qui prend sous son aile un jeune de trente ans, mis à la porte par sa nourrice ; dans le second, d'un amant qui revient après quelques années d'errance. Dans les deux cas, les hommes chercheront du travail pour subvenir aux besoins de la maison, en vain ; ils partiront alors, le premier sous la contrainte, harcelé par les récriminations de la matrone ; le second de son propre gré.
Certains indices rappellent les liens entre la nouvelle et l'art oral traditionnel : par exemple, la rengaine du narrateur dans "Une très longue prière", à propos de l'arrivée des salaires - "J'espérais percevoir mes salaires [...]", "Faites, bon Dieu, que mes salaires me soient versés !", "le paiement des salaires est imminent", "Faites, bon Dieu, que les salaires tombent ! "... - ou la morale implicite ou explicite de nombreux textes. Et, à l'occasion, l'auteur formule expressément que l'on peut jouer avec les frontières génériques. Ainsi, dans "Sani Sal'té", il commence la nouvelle par "Il était une fois un mauvais garçon [...]", pour avertir aussitôt que ce qui va suivre n'est pas un conte. C'est l'histoire d'un fonctionnaire honnête, trop zélé, détesté de tous, qui disparaît un jour mystérieusement. Les hypothèses les plus contradictoires courent alors. Et l'auteur de conclure : "Mais on raconte tant de choses que certains ont fini par se convaincre que Sani Sal'té n'a jamais existé... et que toute cette histoire n'est qu'un conte ! ".
Les stratégies d'écriture, qui distinguent la nouvelle du simple récit ou du fait divers, sont également de mise dans "La romance inachevée", relation d'une escapade amoureuse en auto qui se termine mal, racontée du point de vue de différents protagonistes : le jeune homme, sa maîtresse, sa femme, l'ami du jeune homme ...
Le recueil se termine par une nouvelle qui, malheureusement, finit bien. Est-ce parce que l'auteur voulait laisser le lecteur sur une note optimiste ? En tout cas, elle dénote par rapport aux autres textes, non seulement à cause de son issue favorable, mais également parce qu'elle est fermée, sans ellipses ni lacunes à combler.
On peut s'étonner de ce que Bon voyage, Don Quichotte soit
publié chez Lansman, qui se consacre exclusivement à
l'édition d'oeuvres théâtrales ; mais une nouvelle
collection y a fait son apparition, Contes-nouvelles-récits-témoignages, qui réunit, selon la
deuxième de couverture, "des textes qui ont déjà servi de
support à un spectacle, ou qui pourraient tôt ou tard se retrouver
sur scène par la volonté de conteurs, comédiens ou
metteurs en scène. Car au-delà du plaisir que chacun
éprouvera à les lire hors tout contexte, ils portent en eux un
souffle dramaturgique qui les destine à la transmission orale et/ou
à la mise en contexte et à l'interprétation
scénique". Néanmoins, à part "La romance
inachevée", on voit mal comment les nouvelles de Dogbé pourraient
constituer la matière d'un spectacle. Prises individuellement, elles
sont trop brèves pour faire l'objet d'une mise en scène ; prises
ensemble, elles semblent trop hétérogènes pour constituer
une oeuvre cohérente.