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Le Champion
UNE NOUVELLE
de
Khady SYLLA
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L e Champion possédait une instruction largement au-dessus de la moyenne. Etudiant, il avait travaillé dix fois plus que les autres mais son surnom de Champion était la seule chose qui lui fût restée de lUniversité. Ses échecs dans diverses branches de la Faculté, puis les années de total désoeuvrement et les amitiés nombreuses et bruyantes avaient vu les années passer à tire-daile ... |
Un soir quil sattardait sur la corniche, de la hauteur où il se trouvait, il pouvait contempler toute la baie de Soumbédioune, létroite route qui serpentait et la ville tassée au bord de celle-ci. La mer noircissait de lencre de la nuit. Il vit jaillir de leau un dauphin, puis deux, puis toute une colonne bleu azur qui s'ébrouait, livrée à ses jeux. Debout au sommet de la falaise, il comprit que cette danse liquide lui était dédiée. Dédaignant le bus, il rentra à pied, la longue marche épuisant à peine lénergie née de leuphorie. Il sentait au fond de lui-même une prédisposition à une mission exceptionnelle.
Quelques jours plus tard, il eut de nouveau une révélation. Il somnolait, sétant couché plus tôt que dhabitude. Alors quil sétait laissé glisser dans la molle torpeur où les idées se mêlent sans retenue aux images dans un enchevêtrement sans mémoire, il avait fait une expérience toute nouvelle. Un livre sétait ouvert derrière ses yeux fermés. Il avait lu détranges et longs passages, il avait tourné les pages et était même revenu sur un texte qui lenchantait. Puis, ayant pris conscience de sa lecture, il sétait arraché à la rêverie mais aucun souvenir, ni du sujet, ni du style n'avait subsisté dans son esprit. Il savait seulement que cette écriture était divinement belle. Et il lui suffisait de sallonger, de se détendre et de plonger dans la rêverie pour que les pages merveilleuses émergent alors et sétalent derrière son regard. Il essaya plusieurs fois de ramener ces passages hors de létat de somnolence. Rien ny fit. Les mots, les phrases lui glissaient alors entre les doigts comme de leau vive. Une fois refermé, le livre disparaissait, anéanti, irrécupérable. Il ne pouvait quen jouir durant de brefs instants, il demeurait là, démuni, comme un pêcheur dont les prises miraculeuses se seraient volatilisées dès quil les aurait touchées de la main.
Il devint très inquiet, perdu dans ses pensées : un livre était écrit à lintérieur de lui-même, un livre merveilleux, splendide, un livre comme on nen avait jamais écrit mais il ne savait comment le ramener en plein jour devant tout le monde!
Il prit alors le parti de lécrire. Comme il en ignorait le sujet, il décida arbitrairement de sinspirer de la ville quil aimait, de ses amis, de la mer. Il retranscrit dabord lépisode des dauphins qui lavait frappé. Puis il se lança dans la description des personnages qui lentouraient, de la maison. Il notait tout. Le moindre détail, le moindre événement lui paraissait important. Il écrivait partout, dans les transports publics, dans la rue. Armé dun petit carnet, il griffonnait en permanence quelques notes et il attirait plus que jamais lattention, mais il était dans la crainte constante de ne pas être à la hauteur du livre quil voulait ramener au jour. La splendeur de celui-ci ne faisait que souligner la cruelle médiocrité des pages quil noircissait à longueur de journée. Il redoubla d'énergie mais plus il noircissait de pages, plus il lui semblait s'éloigner de son but. Il était dune maigreur glaçante quand il commença à écrire sur les murs, mais cette ultime tentative fut étouffée dans loeuf par la vindicte de ses concitoyens.
Alors il s'en retrourna au bord de la mer. Il s'allongea sur le rivage, traça quelques lettres dans leau, lécume et le sable et, alors que les détails de son univers personnel seffaçaient sur cette fragile limite vers laquelle venaient respirer les vagues, le livre enfin se dévoila...
© Khady SYLLA