Un entretien avec Isaïe Biton Koulibaly, Ecrivain
(Cet entretien avec Assamala AMOI a eu lieu à Abidjan en décembre 1998)
A L'ECOUTE D'ISAIE BITON KOULIBALY, NOUVELLISTE
proposé par Assamala AMOI
Les quelque 90 nouvelles publiées par Isaïe Biton Koulibaly à ce jour en font l'un des auteurs africains les plus féconds et les plus lus. Il est actuellement Responsable du Service littéraire des Nouvelles Editions Ivoiriennes. |
Effectivement, depuis plus de 25 ans la place occupée par la nouvelle dans la littérature ivoirienne a beaucoup changé. Elle n'est plus considérée comme un genre mineur. Cela à cause des contraintes qu'exige l'écriture de la nouvelle et du succès qu'elle remporte au niveau du public. Au niveau des auteurs, ce sont les hommes qui écrivent beaucoup de nouvelles, mais ce sont les femmes qui les lisent le plus. C'est un phénomène général, la lecture, dans tous les pays du monde est une affaire de femmes. Les hommes lisent très peu. Sauf des ouvrages politiques ou de vulgarisation.
Comment expliquez-vous ce phénomène. Est-il lié à la condition de la femme ivoirienne aujourd'hui?
Oui, ce sont les femmes qui lisent le plus. Sur dix personnes qui achètent des livres, sept sont des femmes. Les raisons sont multiples. On pourrait en reparler dans un autre cadre, mais en ce qui concerne la condition de la femme ivoirienne, je pense qu'il existe deux femmes ivoiriennes. La moderne et la traditionnelle. Elles n'ont pas les mêmes conditions. Elles vivent dans des mondes différents. Néanmoins, elles ont un point commun. Elles souffrent du comportement volage de leur homme.
Vous êtes sans doute l'auteur africain qui a écrit le plus grand nombre de nouvelles. Savez-vous combien vous en avez écrites?
J'ai publié 6 recueils de nouvelles. En faisant une moyenne j'ai donc publié (je dis publié et non écrit) près de 90 nouvelles. Depuis un an je prépare mon prochain recueil.
Comment et quand êtes-vous venu à l'écriture?
Je suis venu à l'écriture parce que j'aimais beaucoup lire. Dès la classe de CP2 j'écrivais déjà des lettres. Au CE2 en regardant la couverture d'un livre écrit par un Africain (Nkrumah) j'ai pris la résolution , à 9 ans, d'écrire plus tard des livres.
Est-ce que les thèmes des nouvelles que vous écrivez de nos jours sont très différents de ceux que vous écriviez il y a vingt ans?
Mes thèmes restent les mêmes depuis 20 ans. Je travaille sur trois thèmes: DIEU (le problème du bien et du mal), la POLITIQUE (les faits sociaux) et LA FEMME. C'est ce dernier thème que le public retient. Très peu ont compris que même "Ah! les femmes" est une critique de la politique en Afrique et que les nouvelles de ce recueil posent le problème du bien et du mal.
Est-ce qu'il y a une de vos nouvelles qui vous a particulièrement marqué ou que vous aimez particulièrement?
J'ai été marqué par une nouvelle intitulée : "J'ai trente quatre ans et je suis encore célibataire", publiée dans "Amina". J'ai reçu des centaines de lettres à son sujet. Mes correspondants souhaitaient entrer en contact avec mon personnage. Ils croyaient que cette histoire était vraie. J'ai été étonné de voir des européens réagir. Je peux aussi citer ma première nouvelle publiée en 1975 dans le journal "Fraternité Matin". Elle s'intitulait : "Le traître". Que de lettres! On confondait l'auteur et le personnage. Une autre nouvelle que j'aime tout particulièrement, c' est: "Le divorce selon le Coran". Elle a même été portée à l'écran (court métrage).
Comment faites-vous pour trouver de nouvelles idées et comment faites-vous pour vous renouveler. Vos nouvelles sont-elles en partie autobiographiques ou inspirées par votre entourage?
Je suis inspiré par l'amour. Aimer une femme stimule le cerveau et l'imagination. Comme j'écoute beaucoup de musique, cette dernière contribue aussi à faire naître des idées, tout comme une lecture abondante de toutes sortes de choses. Mes nouvelles sont inspirées par mon environnement mais elles sont très imaginaires. J'avoue que j'ai étudié l'art d'écrire avec l'École Française de Rédaction dont l'un des cours était intitulé: "L'imagination". A partir de l'imagination on peut créer le réel, ce qui conduit certains à penser que je suis dans mes nouvelles. Je tire également cette technique de Alberto Moravia et un peu de Pouchkine.
Lorsqu'on parle de littérature africaine à l'étranger, le mot "engagement" revient souvent. Vous considérez-vous comme un auteur engagé... ou plutôt que signifie le mot engagement pour vous?
C'est vrai qu'en matière de littérature africaine, on parle beaucoup d'engagement. Au départ, on pensait que l'engagement c'était écrire dans l'optique marxiste-léniniste. Personnellement, j'avais lu tous les ouvrages de Lénine et de Mao et même de Bakounine sur ce que l'écrivain devrait écrire. Mes premiers ouvrages (inédits) portent la marque de ce type d'engagement mais j'ai compris assez tôt que je devais travailler sur des thèmes plus éternels plutôt que sur des thèmes "engagés" qui ne résistent pas à l'usure du temps.
Est-ce que vous offrez à vos lecteurs et lectrices un miroir de la société ivoirienne ou un moyen de lui échapper?
Les nouvelles justement ont pour but de permettre à nos lectrices de s'informer et d'éviter certaines erreurs. Et dans ce sens, c'est un miroir de la société ivoirienne et africaine (je suis beaucoup lu en dehors de la Côte d'Ivoire) que j'offre à mes lecteurs. Et comme je sais que leur véritable épanouissement ne peut se réaliser que dans Dieu, l'ÉTERNEL fait partie de mes thèmes favoris.
La nouvelle est-elle un genre que vous conseilleriez à des jeunes qui voudraient se lancer dans l'écriture?
En Afrique, on aime beaucoup la nouvelle parce que le recueil de nouvelles donne l'illusion de lire plusieurs livres pour l'achat d'un seul. Pour avoir accès à un grand public, le jeune auteur a intérêt à écrire des nouvelles, mais cela signifie aussi qu'il doit beaucoup se cultiver, connaître sa société, écouter, agir, sentir, voyager, etc. La nouvelle n'est pas le roman. Le roman donne la possibilité de faire éclater son imaginaire, d'exprimer sa liberté. La nouvelle demande plus de concentration, de limites.