Femi Ojo-Ade
St. Mary's College of Maryland
Je ne crois pas que la négritude résolve tout.[1]
À mon avis, le mouvement [O Movimento
Negro Unificado]
va assumant sa négritude, et devient de plus en plus fort.[2]
L'état de Bahia sert d'exemple dramatique
de cette
situation de l'Afro-Brésilien dépossédé.[3]
Le Noir africain devant le mythe du Brésil |
Le Brésil, pays du rei (roi) Pelé, centre de samba, communauté du carnaval éternel, société déracialisée marquée par un humanisme qui ferait envie à tous ces autres pays déchirés par le racisme, tels sont les aspects du grand mythe. Pourtant, quand l'individu aborde le pays, quand il sort donc du rêve, il risque de s'éveiller dans un véritable cauchemar. Certes, il y a des mangeurs d'étoiles intransigeants qui, voyageurs aux yeux fermés, crieront au scandale face à toute tentative de démystification. Pour eux, le Brésil de Pelé existe et existera peut-être pour toujours. Ces rêveurs vous racontent la splendeur des grandes villes modernes brésiliennes, y compris Salvador, capitale de Bahia "de tous les saints" et première capitale du pays où la plupart sont d'origines africaines. Ils vous disent que l'on y adore l'Afrique et les divinités religieuses africaines, et que l'on y parle même la langue yoruba. Ce dernier propos étonnerait d'ailleurs certains Africains victimes de la mission civilisatrice euro-arabe et n'ayant pas encore fait le voyage carnavalesque.
En quoi consiste la négritude brésilienne? En quoi ce concept se démarque-t-il de son ancêtre senghorien qu'Aimé Césaire qualifiait d'"espèce de pan-négrisme idyllique à force de confusionnisme."? (In Kesteloot et Kotchy 236). Dans quelle mesure revalorise-t-il la race stigmatisée? Et dans quelle mesure les Afro-Brésiliens sont-ils séduits par les propos de Césaire: "Je reste attaché à une certaine négritude... qui est extrêmement simple, à un crédo vraiment minimum qui consiste à dire tout simplement que je suis Nègre et que je le sais, je suis Nègre et je me sens solidaire de tous les autres Nègres, je suis Nègre et je considère que je relève d'une tradition et que je dois me donner pour mission de faire fructifier un héritage."? (Ibid. 235)
Selon Abdias do Nascimento: "Un grand nombre de Noirs, comme de mulâtres, se déclareraient blancs [parce que la population brésilienne est conditionnée par la préoccupation d'être blanc]. On aurait pourtant raison d'estimer qu'au moins 50 pour cent de la population du Brésil est de race noire... et peut-être même plus puisque presque 80 pour cent de sa population actuelle de 110.000.000 d'habitants a du sang d'origine africaine coulant dans ses veines. De fait, le Brésil s'avère être le deuxième plus grand pays noir du monde. Dépassé en population d'ascendance africaine seulement par le Nigéria."[4]
J'avais bien rêvé du Brésil avant d'y aller il y a une vingtaine d'années. Depuis lors, je vais constamment là-bas.[5] En bref, le rêve s'est vite transformé en cauchemar, étant donné le racisme qui ne cesse de revêtir ce gabarit de serpent subtil mais mortel. Quand je marche dans les rues de Salvador-Bahia, l'image des vendeuses noires d'acara-jé (galette de haricots traditionnelle chez les Yoruba) installées au coin des rues, éveille chez moi la solidarité raciale et culturelle, sans parler du spectacle émouvant des adorateurs des Orixas (divinités). Cependant, cela n'arrive point à éliminer le sentiment que ces Afro-Brésiliens[6] sont marginalisés, qu'ils continuent à souffrir de leur passé d'esclaves efficacement lié à leur présent de colonisés.
La négritude brésilienne: culture, religion et politique |
Or, un phénomène apparaît depuis quelques années, à savoir, l'avènement d'une négritude foncièrement brésilienne. On remarque que cette négritude est beaucoup plus proche de ses racines qu'elle ne l'a été en Afrique. Tremplin de la révolution, la culture africaine joua, au cours du 16e siècle, un rôle principal dans la République nègre de Palmarès où le chef de file, Zumbi, et ses camarades quilombistas (quilombo, société des marrons, esclaves qui s'étaient échappés pour établir une communauté d'êtres humains libres) résistèrent aux envahisseurs portugais et hollandais pendant une centaine d'années (1595-1696).[7] La république de Palmarès symbolise donc la révolution afro-brésilienne, la liberté et le triomphe de la culture africaine. Si la négritude s'entend comme la valorisation et la défense de la culture, en voilà une des toutes premières manifestations authentiques. "En Bahia les Yoruba en vinrent à créer un état afro-brésilien à force de nombres. À Palmarès, ils créèrent un état africain à force de révolution." (John Henrik Clarke, "Some Neglected Aspects of Yoruba Culture in the Americas and in the Caribbean Islands," communication inédite faite à Ile-Ife en 1976)
La base du quilombo était le communalisme qui se rapporte à la communauté africaine. L'individu fait un avec la collectivité, non pas pour s'y perdre, mais pour contribuer au maximum et de tout coeur à la survie et au développement de son peuple. Qui dit communauté dit contribution, réciprocité et complémentarité. Celui qui pose sa petite pierre à la construction de la citadelle nationale revendique à son tour certains droits (pas des privilèges) au sein de la communauté. Et on peut affirmer que la religion sert de base humanisante à cette société.
A Palmarès, tout était organisé selon les critères humanistes de la culture africaine (yoruba). Agriculture, justice, administration politique, communication, rapports sociaux, arts, religion et tout autre aspect de la vie humaine peuvent nous servir d'exemple valable. A Palmarès, on se sacrifiait pour préserver la nation. On protégeait les faibles, les vieillards et les enfants. On partageait les richesses de la nation. Et les ressortissants d'ethnies diverses - Calabar, Congo, Yoruba, etc. - coopéraient volontiers.[8]
Les Afro-Brésiliens d'aujourd'hui en savent long sur Ganga Zumba et Zumbi, et le nom de Palmarès, donné aux Centres Culturels Nègres de Rio, Brasilia et d'ailleurs, retentit toujours aux oreilles de tous. Cela indique que la négritude brésilienne a beaucoup de possibilités. Les exploits de Zumbi font partie de l'histoire, mais les conditions et circonstances du Noir ne sont plus semblables à celles d'un passé glorieux. Le danger réside dans le fait que ceux qui se font les dents sur la légende risquent de passer à côté d'une véritable prise de conscience de la lutte à engager aujourd'hui. Occupés à faire des discours sensationnels, ils risquent de faire davantage avancer la légende zumbienne que le destin populaire. En outre, on se rappelle que Zumbi fut trahi par un Noir!
L'évolution du culte afro permet d'approfondir l'analyse de la problématique du mouvement brésilien. La religion a été marginalisée. Les Orixas (divinités) sont souvent réduits aux petits guides de sanctuaires et aux faux babalorixas et iyalorixas (prêtres et prêtresses) capitalistes qui reviennent entasser des reais (unité monétaire du Brésil) sur le dos d'adeptes crédules, au terme d'un rapide voyage d'approbation à la terre ancestrale. Ce qui est pire encore c'est que les partisans de la démocratie raciale (fondement de la politique dite branqueamento, qui encourage le métissage, façon subtile d'éliminer le Noir) ont plus ou moins réussi à nationaliser et à dé-africaniser, la religion afro. Écoutons Abdias: "Cet argument [la mystification de la survivance culturelle africaine] pose le mythe que la survie des traces de la culture africaine dans la société brésilienne. Elle aurait été le résultat des rapports détendus et agréables entre maîtres et esclaves. Chansons, danse, nourriture, religion, langue, d'origines africaines, tous présentés comme aspects intégrants de la culture brésilienne, serviraient encore de preuves de l'absence de préconception et de discrimination raciales chez les Brésiliens 'blancs'. (O Genocídio, p.55) Le Noir du Brésil est censé être sur un pied d'égalité avec les autres Brésiliens (lire:"blancs") mais la réalité des faits est tout autre. L'Afro-Brésilien est en fait encouragé à fuir sa race et, comme le souligne Abdias, cela signifie que le rêve de la plupart de ses compatriotes est de fuir la négraille pour assumer la blanchitude au nom d'un nationalisme non racial.
Il n'en reste pas moins qu'au Brésil, pays catholique, les candidats à la présidence font le pèlerinage aux maisons de culte afro pour se faire bénir par les mães de santo (prêtresses), ce qui nous dit que la religion est capable de dépasser le niveau folklorique et risible montré au carnaval et dans les émissions de télévision. Elle est à même d'établir un lien fondamental avec les femmes et les hommes politiques, telle Benedita da Silva,[9] et de se lier avec les organes culturels d'importance, tel Olodum, un groupe d'artistes jouissant actuellement d'une réputation internationale et siégeant en pleine favela de Pelourinho. Selon un bulletin paru en 1992, "Olodum [le nom est basé sur Olodumare, Dieu en Ifa, religion yoruba] est un organe démocratique de résistance et d'opposition à la ségrégation raciale."
Dans l'arène politique, plusieurs études constatent que la négritude s'est déclarée et s'est définie à partir du Movimento Negro Unificado [mouvement noir unifié], association à caractère hétérogène dominée par une bourgeoisie mulâtre et noire. Cependant, on doit aussi remarquer que ces études ne font pas toujours de distinction entre ce mouvement et un autre dit de conscience noire et plutôt basé sur la religion catholique (voir "The Black Americas 1492-1992," Report on the Americas, vol. XXV no.4, fév. 1992). Professionnels, intellectuels, étudiants avant-gardistes, tous ressemblent à leurs compatriotes progressistes blancs qui, dans leur grand nombre, s'attachent aux idées socialistes-marxistes. Étant donné que la situation socio-économique s'explique à travers la réalité raciale, cela n'étonne guère que beaucoup de mulâtres se retrouvent en tête du mouvement.[10]
Le même problème se retrouve au sein des organes religieux. Un Noir de dire: "Voyons, les mulâtres essaient depuis toujours de s'éloigner de nous. Comment peuvent-ils partager notre culture? Ils veulent se servir de ce qui nous appartient. Ils ne savent pas ce qu'ils sont." Un autre a affirmé: "Ils se disent Noirs mais ils ne le sont pas. Ils n'ont pas souffert. Les mulâtres se croient toujours supérieurs à nous autres. Ils pensent encore que le Noir a toujours besoin de les traiter en maîtres." (Report, p.26) Parole curieuse, dirait-on, mais on a fait des observations semblables sur la condition noire aux États-Unis. Il y avait une époque où les grandes universités noires, telles Howard à Washington et Spelman à Atlanta, hébergeaient une majorité d'étudiants à l'état racial de passing (passer pour blanc).[11] Et quand le cinéaste iconoclaste noir, Spike Lee, eut l'audace de traiter le thème dans son film notoire, School Daze (jeu sur le mot, days - jours, devenu daze - idée de hébéter/abrutir/ahurir/éblouir, en somme, état d'aliénation nigritique), la communauté bourgeoise noire en a fait la cible de critiques acerbes.
Si le mouvement afro-brésilien nous paraît avoir plus de possibilités que l'américain, c'est parce qu'il y existe une compatibilité culturelle fondamentale avec l'Afrique. On a déjà remarqué qu'avec Palmarès, la culture afro s'est avérée très puissante. Ce qui saute aux yeux lorsque l'Africain arrive au Brésil, précisément en Bahia, c'est l'intérêt, c'est le respect, c'est l'adoration bien visibles de ces enfants d'Afrique diasporiens. Cette attitude ne se retrouve guère chez les Africains-Américainsqui considèrent souvent l'Afrique comme une terre sauvage et louent leurs ancêtres esclaves pour avoir été sauvés de la barbarie par les civilisateurs.[12]
Pour faire fructifier la coopération africaine-brésilienne, il faudrait tout d'abord éveiller chez l'un et chez l'autre une prise de conscience politique. Il n'y a guère de Noirs au congrès brésilien. En Bahia, état à majorité noire (on estime le pourcentage à 75%), il est impossible d'élire un maire ou un gouverneur noir. Au cours des élections récentes à Salvador-Bahia, les Noirs ont carrément refusé d'appuyer le seul candidat noir au poste de maire parce que, à leur avis, il n'avait rien fait pour la communauté. Cependant, en dépit des accidents de parcours, les partisans du mouvement noir ne se lassent pas d'oeuvrer pour le meilleur avenir du peuple. En sont témoins l'effroi de certains blancs devant la solidarité noire et la rapidité avec laquelle certains accusent ces mouvements 'de provoquer le racisme!' Pourtant, "pourquoi accuser de racisme le Noir qui désire accéder au marché du travail? Qu'y a-t-il de raciste à désirer toucher le salaire qu'on mérite? Où serait le racisme dans le fait d'exiger plus de respect à l'égard de notre culture?" (100 anos, p.17)
La négritude littéraire |
La critique européenne condamnait de la même façon la négritude des années 30.[13] La négritude afro-brésilienne vit des moments aussi difficiles que celle de son ancêtre. Ce qui touche à la littérature engagée en fournit l'exemple. Comme la solidarité noire, elle fait naître des réponses apeurées. Abdias do Nascimento l'affirme (voir O Genocídio, pp.161-169) et accuse les autorités de son pays d'avoir oeuvré pour ne pas faire connaître son oeuvre (surtout au sein du Teatro Experimental do Negro) à l'extérieur. Dans le pays même, il y a d'ailleurs une ignorance patente des écrits afro-brésiliens.
Hormis Abdias, bon nombre d'écrivains noirs sont poètes. Leur poésie est parfois acerbe, parfois marquée par la désillusion, parfois remplie de nostalgie ancestrale, mais elle est toujours affirmative de fierté raciale et de volonté révolutionnaire à base d'héritage africain. La misère existentielle et la condition coloniale dont est victime la société afro-brésilienne rendent difficile l'édition de leurs textes. En Bahia, par exemple, les quelques maisons d'édition intéressées à l'écriture noire ne publient quasiment pas de poésie. Les écrivains afro-brésiliens valent pourtant la peine d'être mieux connus.
La poésie afro-brésilienne rappelle celle d'Afrique et d'autres communautés noires. Par exemple, le "Canto dos Palmarès" du grand Solano Trindade (in Boletim Olodum, no.4, janvier 1983) fait penser tant aux poèmes de l'Haïtien Jacques Roumain ("Nouveau Sermon Nègre" et "Sales nègres," in La Montagne ensorcelée, 1972, pp. 237-247), qu'à ceux du Guyanais, Léon Damas (Pigments, 1937), et aux vers de l'Africain David Diop (Coups de pilon, 1973). Trindade trace l'histoire éhontée de l'esclavage et cette autre, pleine d'héroïsme, des marrons. Il décrit avec emportement le massacre des esclaves et, et renoue avec l' espérance lorsqu'il souligne la continuité d'un race impossible à détruire. Il fait le contraste entre la soi-disant civilisation (en réalité, barbarie) et la notoire sauvagerie (au contraire, humanisme), tout pour rétablir Zumbi dos Palmarès à sa position de chef de file engagé dans la révolution, et pour raffirmer la solidarité de ceux que Jacques Roumain a nommés les damnés de la terre (La Montagne ensorcelée, p. 247): "Moi je chante aux Palmarès/haïssant oppresseurs/de tous les peuples/de toutes les races/faisant un poing de toutes les mains rejointes en/solidarité/contre toutes les tyrannies!"
A Brasilia, capitale, j'ai eu l'honneur d'interviewer Adão Ventura, alors directeur du Centre Palmarès et auteur du recueil de poèmes, A Cor da pele (édition de l'auteur, 1988). La couleur de la peau. Et on se rappelle qu'il y a plus de quarante catégories de teintes au lexique brésilien des couleurs . Le volume d'Adão constitue une espèce de tournant dans sa carrière, de la "poésie poétique" -fixation pour l'art pur- aux vers enracinés et engagés dans l'expérience humaine. Il y va donc d'une poésie contestataire, revendicatrice, voire, révolutionnaire. Adão contemple la vie les yeux ouverts. "pour le noir/la couleur de la peau/est une obscurité/beaucoup de fois plus forte/qu'un coup./pour le noir/la couleur de la peau/est un couteau/qui atteint/les profondeurs du corps/jusqu'au coeur." Adão n'est pas pour cela poète pessimiste; car, les réalités négatives existentielles servent de point de départ pour l'acte révolutionnaire. L'Afro-Brésilien rejoint la lutte de libération de ses frères et soeurs d'Afrique du Sud: "mon père est déjà vieux et fatigué/pourtant il atterrit à Johannesburg/mais/ses mains/ne sont pas si tremblantes/qu'il rate le corps/d'un certain M. Vorster." Cet engagement serait-il purement ruse de poète pris dans la dernière folie, ou bien une réponse sérieuse à l'état de siège de sa famille ancestrale? À mon avis, les poètes afro-brésiliens partagent le point de vue Aimé Césaire qui affirmait, pour exprimer son rapport avec l'Afrique : "Quand l'Afrique réussira, je crois qu'implicitement, en partie, le reste sera aussi résolu." (In Kesteloot et Kotchy 233).
Conclusion: Afrique, symbole du dilemme noir |
En fin de compte, qui peut dire quand l'Afrique va réussir à repartir? Va-t-il jamais se remettre debout, ce géant abattu et victime de lui-même autant que d'autrui? Alors que les enfants d'Afrique arrachés de la terre ancestrale s'acharnent à garder en vie une culture à base africaine, bien des Africains restés au continent s'attachent de moins en moins à la culture dont ils sont censés être les dépositaires. À ne pas oublier non plus l'exode actuel des milliers de victimes de régimes oppressifs et répressifs vers le "paradis terrestre" américain.Pour prendre le cas du Nigéria, quoique la ville d'Ife soit le siège de la culture exportée à la diaspora, quoiqu'elle se trouve dans le pays prétendument parmi les plus importants d'Afrique, la religion (Ifa) ne jouit plus d'aucun respect sur le plan national. Aux débuts des années 80, un petit groupe de croyants continentaux et diasporiens avait formé le Congrès international de la Tradition des Orixa regroupant des croyants de plus d'une douzaine de pays, y compris le Brésil, les États-Unis, Cuba, et l'Argentine, parmi d'autres. Mais les progrès sont lents à cause du manque de force spirituelle venant d'Afrique, de l'absence d'une politique commune à tous les organismes nationaux et à cause de l'hésitation de certaines personnes à relier la religion afro aux autres aspects de leur vie.
Trêve de carnaval, de shows farfelus montés au profit des maîtres. Trêve aussi de compromissions faites au nom de faux progrès économiques. La nouvelle négritude doit être une prise de conscience populaire ouverte aux exigences de la survie dans un monde de plus en plus matérialiste. Pour être fidèle à ses origines, elle doit refuser de s'empêtrer dans une prison culturelle, une espèce de musée-monolithe où "le nègre" est toujours un clown aux yeux de ceux qui cherchent quelque divertissement exotique.
La négritude brésilienne devrait être un point de solidarité en marge des États-Unis d'Amérique. Elle peut être le tremplin progressiste par lequel l'Afrique, l'Afro-Brésil et d'autres communautés afro, oeuvrent ensemble à rendre leur humanité aux communautés noires. D'aucuns diraient que voilà un nouveau panafricanisme destiné au sort tragique de ses aïeux. Au contraire, nous pensons que cette solidarité est à même d'offrir l'égalité, la coopération, et la complémentarité entre frères et soeurs, là où la "civilisation de l'universel" à la Senghor n'a fait que continuer "la domination du nègre".
Si la nouvelle négritude brésilienne a quelque chose à apprendre du mouvement qui l'a précédée, c'est que, primo, elle doit utiliser tous les instruments disponibles pour combattre l'oppresseur. Secundo, seuls les Noirs peuvent résoudre leurs problèmes, ce qui ne veut pas dire que l'on doive éviter les amitiés avec les éléments compatissants de l'autre camp;. L'essentiel, c'est le fait d'assumer son destin, et de ne pas le céder à Autrui. L'erreur de la première négritude, c'est d'avoir compromis le caractère de la lutte négro-africaine, c'est de s'être laissée acculturer tout en criant à tue-tête l'importance de la culture africaine.
P O E T R Y by Femi Ojo-Ade |
[1] Kesteloot et
Kotchy. Aimé Césaire l'homme et l'oeuvre. Paris: Présence
Africaine, 1973, p.235.
[2] Benedita da Silva. In 100 anos de
abolição. 1988, p.17. Élevée dans la
favela (ghetto) de Rio, cette femme noire est aujourd'hui membre du
congrès et chef de file du parti politique des ouvriers.
[3] Abdias do Nascimento. O Genocídio
do Negro brasileiro. 1978, p.83.
[4] Abdias. pp.86-87. A noter que toute
traduction en français a été faite par moi.
[5] En tant que chef du département des
langues étrangères à l'université d'Ife au
Nigéria, j'avais fait un premier voyage en 1979, pour établir un
programme académique (stage à l'étranger) au profit des
étudiants se spécialisant en portugais. Ife a signé des
accords avec trois universités brésiliennes, à savoir,
São Paulo, Brasília, et Salvador. A la suite de ces voyages
administratatifs, je me suis intéressé aux questions culturelles, ce
qui m'a permis d'entamer des recherches fructueuses. J'ai fait un stage comme
professeur invité à l'université de Salvador (Universidade
federal da Bahia), en 1996-1997.
[6] Pareil au mot de negro, Afro-Brasileiro
n'est guère commun chez les populations du Brésil. La
situation serait à comparer à l'américaine, étant
donné le débat au sujet du terme, African American.
Voir Ojo-Ade. "Afterword: What's in a Name?". In Of Dreams Deferred, Dead or
Alive: African Perspectives on African-American Writers. 1996, pp.181-186.
[7] Voir Abdias do Nascimento. Africans in
Brazil. 1992, pp.62-69, 83-117. En 1949-1950, Abdias et ses camarades du
Théâtre expérimental nègre (Teatro Experimental
do Negro) ont fait paraître le journal Quilombo: vida, problemas
e aspirações negros.
[8] Pour l'histoire de Palmarès, voir:
A. Carlos et E. Pimenta. Zumbi. 1992.
Arthur Ramos. The Negro in Brazil. 1951.
R. Kent. "Zumbi and the Republic of Os Palmarès" Phyllon 1st
quarter, 1953, pp.62-70.
A remarquer que de nos jours, les Afro-Brésiliens
célèbrent la naissance de Zumbi comme symbole de leur
liberté, au lieu de la date de l'indépendance officielle.
[9] Projet difficile à réaliser,
puisque Benedita da Silva, par exemple, est chrétienne
dévouée. Les chefs de file chrétiens, conscients des
grandes promesses du candomblé, font de leur mieux pour combattre
ce rival redoutable: Le pape vient de visiter le Brésil, et plusieurs
prédicateurs sermonnent leurs congrégations
à la télévision tous les jours.
[10] Voir Fernandes. The Negro in Brazilian
Society. 1969, p.208.
I.K. Sundiata. "Late Twentieth-Century Patterns of Race Relations in Brazil and
the United States" Phyllon no.47, 1987, pp.62-76.
[11] Pour une discussion de ce
phénomène révoltant, voir les ouvrages de la
romancière de "Harlem Renaissance", Nella Larsen. Quicksand
(1928) et Passing. 1929.
[12] C'est un secret de Polichinelle qu'il
existe entre Africains et Africains-Américains une tension difficile
à éliminer à cause de l'attitude de supériorité
américaine que l'on peut observer parmi ces derniers. D'après eux,
on aurait fait venir à la "Civilisation" les plus brillants et les meilleurs
des Africains.
Voir Ojo-Ade. Of Dreams Deferred. pp.1-27.
Voir aussi Keith Richburg. Out of America: A Black Man Confronts Africa.
1997.
On pourrait, en outre, réfléchir sur la mort du mouvement
panafricaniste d'antan.
[13] Même les propos de Jean-Paul
Sartre, ami fameux de Noirs, cachent difficilement cette idée de
"racisme anti-raciste" qui devrait finir par disparaître.
Voir Sartre. "Orphée noir." In Léopold-Sédar Senghor.
Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache. 1948,
pp.IX-XLIV.
Notes
Professor Femi Ojo-Ade is Professor of French and coordinator of African and
African Diaspora Studies at St. Mary's College of Maryland, U.S.A. An African
critic and creative writer, he has written many articles and several books on
the African experience worldwide. His recent books include, Being Black,
Being Human (Obafemi Awolowo Universty Press, 1996), Of Dreams Deferred,
Dead or Alive: African Perspectives on African American Writers (Greenwood
Press, 1996), and Leon Damas: The Spirit of Resistance (Karnak House,
1993). His Home, Sweet, Sweet Home is the first African novel translated
into Portuguese in Bahia-Brazil (Mama Africa, 1989). Ojo-Ade is
currently writing a critical text on Afro-Brazilian literature.
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