Travail réalisé dans le cadre d'un module du DESS Ingénierie Documentaire, réalisé en 2000/2001 à l'ENSIB/Lyon I. Republié avec l'aimable autorisation de l'auteur et de l'ENSIB, Université Claude Bernard Lyon I. |
Quels sont les questionnements en vigueur sur le thème culture et intégration, dans la littérature française du début de la décennie 1990 à nos jour ? Est-il possible de dégager des communautés d'intérêts, tant en ce qui concerne les chercheurs, qu'au niveau des entrepreneurs des champs socioculturels ? Quels enseignements pour l'action peuvent être tirés ?
1. CULTURE, CONSTRUCTIONS IDENTITAIRES ET INTEGRATION |
Dans son rapport au Premier Ministre daté de 1995, le Haut Conseil à l'intégration rappelle que tout individu a non seulement le droit, mais la nécessité de chercher et nouer des liens avec sa culture d'origine ; condition favorable à l'affirmation d'une identité, et ainsi à l'intégration. Il note en effet, que : "l'intégration suppose une connaissance de soi, de ses origines, et c'est cette connaissance qui permet une intégration réfléchie, assumée et donc réussie" (Haut Conseil à l'Intégration, 1995, p. 22). Toutefois, plusieurs écueils sont à éviter : non seulement le maintien de pratiques culturelles contraires aux règles fondamentales de la société française, mais aussi le repli identitaire et la marginalisation communautaire.
Ainsi, la culture d'origine serait le terreau de références mobilisables à souhait et à la carte, selon les besoins identitaires ; et il y aurait un "bon usage de la communauté" (Boumaza, 1994, p. 17) qui permettrait une connaissance de soi, opératoire en fonction des nécessités de l'intégration. Mais de quoi parle-t-on, lorsqu'il est question d'identité ? Ne se construit-elle que par référence à la culture d'origine ? Et le repli identitaire dont il faudrait se méfier, est-il toujours solidaire d'un refuge au sein de la culture d'origine ? Finalement, quelles sont les stratégies identitaires propices à l'intégration ?
1.1. Identité et culture |
Il règne une certaine homogénéité de vue sur ce que recouvre le concept d'identité . Jamais essentielle, l'identité fait référence à un "processus" (Barou, 1998, p.32), "une configuration dynamique" (Camilleri, 1993, p.23), susceptible de connaître changements, évolutions et inversions. Elle est le fruit d'une série de "négociations" (Camilleri, Ibid.) entre ce que l'on est, ce que l'on voudrait être, et ce que l'environnement social renvoie comme représentations et valeurs différentes des siennes. C'est ce que d'autres appellent, "identité positive, négative ou stigmatisée" (Barou, Ibid.). La culture, dans ce processus, intervient avec un rôle facilitateur, dans la mesure où elle offre au sujet un sens, et par là même, des valeurs à projeter sur l'existence. Elle renvoie à "des pratiques linguistiques, alimentaires, vestimentaires, et à des comportements, et des modes de relations interpersonnelles" (Gaspard, 1998, p.59), qui caractérisent un groupe, une communauté, un nous collectif. En situation migratoire, le rôle facilitateur de cette culture d'origine s'amenuise, et l'individu se trouve alors confronté à des contradictions, qui peuvent l'amener jusqu'à la crise identitaire.
Certes, ces tensions ne sont pas propres aux immigrés, puisque dans le monde moderne, l'individu ne reçoit plus son identité d'une communauté structurée, mais se voit au contraire assigné à la "bricoler" lui-même "à partir des cultures proposées par ses différents milieux d'appartenance" (Verbunt, 1994, p.8). Ainsi, aucune identité collective, ni celle de la société d'accueil, ni celle des sociétés de provenance, ne suffit à elle seule à réunir toutes les sphères de l'existence de l'individu. Et, l'intégration n'est pas le fait d'un seul milieu. Dès lors, le déchirement entre deux cultures des jeunes d'origine étrangère n'est finalement que la forme exacerbée d'une situation commune à tous. Pourtant, tant en ce qui constitue son entrée dans la modernité, qu'en ce qui relève de son passé colonial, la France comme société d'accueil fait vivre des contractions identitaires à ses immigrés, qui leur sont propres. En effet, alors que le système juridico-administratif ne voit dans la population française que des individus sans autre appartenance que celle de leur nationalité de naissance ou d'acquisition, les représentations communes continuent de voir en certains citoyens français, l'immigré dont ils sont issus parfois depuis plusieurs générations. Le langage courant désigne souvent des individus de "fils d'immigré, français issu de l'immigration, français d'origine étrangère (...), modes d'identification se référant tous à une situation migratoire, qui n'a souvent plus aucun rapport avec le vécu des individus concernés" (Barou, Op. Cit., p.33).
C'est pourquoi il est nécessaire d'identifier les stratégies identitaires des immigrés, par rapport en particulier à leur processus d'intégration dans la société française.
1.2. Stratégies identitaires et intégration |
Sur ces questions, une multiplicité de cas de figures sont à distinguer, qui renvoient à la diversité des sociétés de provenance et des parcours migratoires, à la diversité des représentations que la société d'accueil peut avoir sur elles, (représentations solidaires des relations que la France a pu entretenir avec l'histoire de ces pays), et enfin, à la distinction de la situation des immigrés dits de la première génération, de celle de leurs enfants.
Trois stratégies distinctes peuvent être à cet égard mises en lumière : concernant la population turque, immigration de main-d'oeuvre très hétérogène et relativement récente, elle se caractérise par un minimum de sociabilité entretenue avec la société d'installation, le maintien de relations étroites avec le pays d'origine, malgré un retour plus mythique que réel, et l'importance attribuée au groupe familial. "Traditionalisme de défense", selon Riva Kastoryano qui permet aux migrants de Turquie de renforcer leur sentiment d'appartenance religieuse et nationale ; sentiment d'importance, afin notamment d'éviter tout amalgame avec les Maghrébins aux yeux de la société d'accueil, du fait d'une religion commune (Kastoryano, 1998, p.115). Ceci se traduit par une forte régulation sociale au sein du groupe et des familles, et une volonté forte de transmettre une identité collective aux générations nées en immigration ; bien que ces jeunes ne disposent pas de référents culturels suffisants, concernant la culture d'origine, et soient peu autorisés à fréquenter les lieux où s'exprime la culture française (Yalaz, 1998, p.87).
La difficulté de prévoir un retour, et la totale disparition de liens avec le pays d'origine, entraîne des stratégies identitaires différentes. Jacques Barou a pu observer chez certaines populations du sud-est asiatique par exemple, venues en France à partir de 1975, une conscience d'appartenance, élargie à toutes les communautés alliées installées en dehors du pays d'origine (Barou, Op. Cit., p.36). Identité de la diaspora donc, qui permet le développement de pratiques, fondatrices de liens de solidarité plutôt avec les autres groupes de même origine immigrée, qu'avec la société d'origine. Ceci entraîne pour les jeunes, une conscience d'appartenance à la communauté immigrée, sans qu'ils aient pour autant à subir le poids des traditions par les anciens.
En ce qui concerne les populations algériennes, et en particulier celles qui sont venues en France à la suite des déplacements brutaux liés à la guerre d'indépendance ou à ses conséquences, on remarque l'existence à la fois d'une identité négative et d'une identité stigmatisée. Chez certains d'entre eux, cela se manifeste par une vie et des références sans cesse orientées vers une mémoire antérieure à l'arrivée en France, et dès lors, un certain "conservatisme culturel" (Boubeker, 2000, p.128), qui permet de limiter la portée même de l'événement migratoire. Avec le temps, ces immigrés de la première heure tendent ainsi à "s'exiler dans l'origine" (Ibid.), à se couper du monde, et se murer dans ce qu'il est désormais convenu d'appeler le "silence des pères" (Ibid.) ; silence qui ne laisse aucun espoir d'héritage.
Ainsi, ces immigrés de la première génération ne seront perçus par leurs enfants qu'à travers la condition sociale marginalisée qui est la leur (et qui constituera le principal constituant de leur identité), et à travers les représentations stigmatisantes que la société d'accueil entretient à leur propos.
Dès lors, plusieurs stratégies identitaires possibles pour ces jeunes[1] : soit le refus de toute forme d'intégration, en cherchant à donner un contenu positif à cette identité sociale d'arabe (on parlera aisément de la violence des lascars, ou de l'islamisation des quartiers); soit l'expérimentation d'un nouveau mode d'intégration dans la société française (le phénomène beur), avec la volonté de présenter à la société une identité plus acceptable ; enfin, il est fait référence à une stratégie qui consiste à construire un milieu culturel favorable à la réactualisation de références identitaires originaires, tout en revendiquant une part d'identité français (les "acteurs ethniques", Boubeker, Op. Cit., p.135).
Mais, quelles que soient les stratégies identitaires, notons qu'au-delà des différences d'origine, et des parcours migratoires, d'autres éléments peuvent être constitutifs d'identité pour les immigrés et leurs enfants.
1.3. Identité sociale, territoire, langage et médias |
En effet, nous avons aussi affaire à des identités individuelles et collectives, redevables d'une histoire locale commune, et d'une unité dans la difficulté sociale[2] . La banlieue, et les lieux de relégation sociale en général, objets de stigmatisations stéréotypantes, notamment au travers des médias, et beaucoup étudiés durant la décennie 1990, apparaissent ainsi comme autant de territoires et d'espaces intermédiaires où se négocient de nouvelles identités. D'ailleurs, parler de culture urbaine est quasiment entré dans le langage courant aujourd'hui. Mais, si celle-ci a pu servir de pôle identitaire à beaucoup de jeunes, et tendre à se substituer à leur culture de l'immigration et ses pratiques communautaires, contribue-t-elle néanmoins à constituer une culture du métissage, permettant le renouvellement du modèle français d'intégration ? Ou alors, ne faut-il considérer que c'est paradoxalement l'absence de traditions, et de références à leur culture d'origine, qui les condamnent au localisme et à l'incapacité de se poser en sujet face à la société française ? La langue des cités[3], au-delà de ses variantes régionales, en se différenciant à la fois de la forme véhiculaire du français circulant, et des différents parlers familiaux, est une illustration de ce localisme. En effet, en s'appropriant une langue française transformée, malaxée, façonnée à leur image, et qui devient alors leur langue, les jeunes et moins jeunes, non seulement se donnent une identité de groupe, mais s'enferment par là-même dans des ghettos linguistiques.
Par contre, loin du cliché du repli ethnique et en rupture avec l'enclavement territorial, ce qu'il est convenu d'appeler les paraboles de l'immigration[4], participent, elles, à la construction d'une identité dynamique, entre société d'origine et société d'accueil, participant de logiques nomades. Elles permettent, notamment au sein des familles algériennes étudiées dans la région lyonnaise, d'ouvrir des espaces de mémoire, de parole, et une recomposition de l'espace public. De surcroît, grâce à l'écoute et l'apprentissage de la langue arabe, une prise de distance d'avec la langue de la société d'accueil est dès lors possible, pour une meilleure réappropriation.
2. ENJEUX DES EXPRESSIONS CULTURELLES DES IMMIGRES ET DE LEURS ENFANTS |
Si elles sont vecteur d'une prise de conscience culturelle, les expressions culturelles et artistiques des populations immigrées permettent également de donner forme à une mémoire, un parcours identitaire, et ainsi souvent, de légitimer une expérience migratoire, aux yeux de la société. Permettent-elles également le développement de contacts interculturels et de liens sociaux ? Sont-elles capables de véhiculer un message, ou une expérience de médiation entre les cultures ? Quels liens établir entre l'expression culturelle des jeunes générations et le passé migratoire de leurs parents ?
2.1. Les immigrés de la première génération |
Il convient de distinguer ici la position de l'art immigré, figure de l'artiste exilé, porteur de valeurs pour l'ensemble de la population concernée, et celle d'activités culturelles développées dans un cadre associatif, par des groupes constitués.
L'expression artistique permet à l'exilé[5], non seulement de renvoyer à la société d'accueil l'image qu'il se fait d'elle, mais aussi de conquérir une place dans la société ; moyen d'assurer la continuité de l'individu, entre la société qui l'a façonné et celle qui est en train de le transformer. En ce sens, l'art a une vocation de médiation entre l'artiste et la société d'accueil. Ainsi, on a pu remarquer chez certains chanteurs algériens immigrés en France, une constitution de récits musicaux nourrie à l'héritage maghrébin, tout en évitant le folklore, et le retour à un passé figé. Or, cette constitution d'un pays d'origine imaginaire permet de traduire, pour l'ensemble de la communauté immigrée, les conflits de mémoire, entre fidélités aux origines, adaptations, et nostalgie.
Les stratégies d'expression culturelle[6] en oeuvre dans un cadre associatif, permettent aussi un va-et-vient entre soi et les autres : manière à la fois d'être reconnu comme membre à part entière de la société française, tout en mettant en valeur une culture et une identité spécifiques. Ainsi, même si la motivation première à la création de telles structures est souvent le maintien ou le développement de liens affectifs et culturels avec les sociétés d'origine, ces associations n'en jouent pas moins pour la plupart, un rôle actif dans l'intégration. Telle association par exemple, à travers le maintien de fêtes et manifestations à caractère folklorique, aura une perception de l'identité dynamique, avec en ligne de mire l'horizon de la biculturalité. Telle autre, pourra développer des activités culturelles permettant de diffuser une image de soi positive. Par exemple, une section femme d'une association béninoise dans la région lyonnaise, met en scène le rôle des femmes dans la société d'origine, à certains moments de l'histoire africaine, leur position dans la famille et dans l'organisation villageoise.
2.2. Les jeunes de la seconde génération |
En ce qui concerne les expressions culturelles et artistiques des jeunes de la seconde génération, l'on retrouve les logiques identitaires décrites en première partie[7].
Ainsi par exemple, pour les jeunes d'origine maghrébine, en rupture avec les expressions culturelles de leurs parents, figées selon leur propres termes dans une culture de l'immigration, il s'est agit dans les années quatre-vingt de revendiquer, à travers de nombreux produits culturels, une culture dite de l'interculturalité (ou culture beur). Celle-ci se voulait en rupture avec une certaine image sociale dévalorisante de l'immigration, et consistait pour beaucoup d'observateurs, à négocier des sorties du monde des banlieues. Si ces expressions ont été largement médiatisées, et ont accédé à une certaine reconnaissance par les institutions culturelles, elles n'ont été l'apanage que d'une minorité de jeunes, et, effet de mode oblige, sont vite apparues particularistes et marginales. Ahmed Boubeker note en effet, "qu'elles ne sont pas parvenues à cacher les légions de laissés-pour-compte dans les cités d'exil" (Boubeker, 1997, p.52). Aux yeux des lascars de banlieue, il s'est agit au contraire, et à rebours de la culture beur, d'inscrire leurs expressions culturelles (les cultures dites urbaines), dans une dimension locale, tout en se réclamant d'un réseau global ou mondial d'influences diverses. Et en effet, le(s) mouvement(s) Hip-Hop apparaît tantôt comme culture du métissage, entre des inspirations américaines, d'Afrique noire ou du Maghreb culture qui permettrait à ces adolescents de se construire des repères identitaires en fonction de positionnements qui dépassent les noeuds de conflits entre des valeurs traditionnelles musulmanes, et des valeurs laïques françaises tantôt, comme une culture de quartier, noyau dur d'une ghettoïsation subie ou provoquée, les enfermant dans une revendication identitaire territoriale ou communautaire.
Il existe une troisième voie d'expression pour ces jeunes, beaucoup moins problématique et ambiguë. Ahmed Boubeker relate en effet le cas du réseau franco-berbère rhône-alpin Awal, qui, à travers une multiplicité d'initiatives culturelles (publication d'un livret sur les musiques berbères, "conférences-démonstrations chantées" à l'auditorium de Lyon, concerts et expositions dans différents centres culturels), cherche, autour d'une réflexion sur l'ethnicité, et leur histoire réassumée, à réinventer une intégration réfléchie. Quoiqu'il en soit, tout art émanant d'un groupe social ou d'une minorité, constitue l'un des supports identitaires dont la connaissance et la reconnaissance par l'autre, contribuent au rapprochement des groupes sociaux. Dès lors, connaître et reconnaître les cultures minoritaires, signifie contribuer à la définition d'une société démocratique. Or, si la question culturelle posée implicitement par les populations issues de l'immigration est demeurée longtemps absente des préoccupations des politiques publiques, force est de constater, que depuis une dizaine d'années, elle ouvre une possibilité d'acception élargie de la notion de culture. Illustration peut en être donné par une circulaire du 19 juin 2000 du Ministère de la Culture et de la Communication, relative au volet culturel de la politique de la ville, dans laquelle il est fait mention que :
"la culture, dans son ambition et dans sa capacité à interroger et à mettre en perspective l'ensemble des enjeux de société, est une dimension à part entière de la politique de la ville. La construction, qui s'inscrit nécessairement dans la durée, d'une véritable démocratie culturelle qui prenne en compte les besoins et aspirations des habitants, aussi bien dans leur relation avec l'espace urbain et le bâti (...), qu'en ce qui concerne les pratiques artistiques et culturelles, doit y occuper une place centrale (...)". (Ministère de la Culture et de la Communication, 2000, p. 1).
3. RECONNAISSANCE DES CULTURES, DEMOCRATIE CULTURELLE ET POLITIQUES PUBLIQUES D'INTEGRATION |
Dès lors, quelles sont les conditions et enjeux de cette reconnaissance de l'interculturalité et des parcours migratoires dans l'espace local, et en particulier dans les quartiers de relégation sociale ? D'autre part, quels peuvent être les moyens nécessaires au développement d'une offre culturelle soucieuse de la diversité de la population ? Quels effets peuvent être mesurables sur la mémoire collective d'une ville, sur le renforcement des identités territoriales, sur l'intégration ?
3.1. Des conditions de la démocratie culturelle dans les quartiers...[8] |
Pour développer au mieux une offre culturelle nouvelle dans les quartiers d'habitat social, une démarche de valorisation d'une pluralité d'expressions, l'association des préoccupations des habitants est essentielle. Pourtant, celle-ci ne va pas de soi, et certains entrepreneurs culturels, en craignant de donner de leur ville une image dévalorisée, où le développement de "cultures urbaines ou immigrées" contribuerait à une ghettoïsation, peuvent se crisper sur une conception formelle de la démocratie culturelle. Celle-ci, dans un souci égalitaire de droit à la culture, ne consisterait qu'à importer une "culture cultivée" institutionnalisée, sur les scènes culturelles locales, et à considérer la population comme des récepteurs passifs.
Or, mettre en place un projet d'action culturelle, ou permettre aux personnes non initiées d'approcher l'oeuvre artistique, ne peut se faire qu'avec une ouverture sur un espace de participation ; non seulement la prise en compte de traditions, de valeurs, et des racines des communautés en présence, mais également l'attention aux initiatives développées dans le cadre d'associations locales, ou de collectifs émergents plus informels. Ainsi, l'enjeu majeur, est une reconnaissance d'un "droit à l'initiative" (Colin, 1998, p.64), afin de renforcer les capacités de développement local basées sur le débat démocratique.
Par ailleurs, le montage de telles opérations nécessite la mobilisation d'une pluralité d'acteurs (responsables politiques, agents administratifs, opérateurs culturels, artistes, travailleurs sociaux, enseignants, militants associatifs...etc.) dont la synergie n'est pas toujours évidente. L'élaboration d'un langage commun, autour d'une définition mutuelle de la place et du rôle de chacun, dans le cadre de structures de concertation, semble un préalable à toute initiative. A cet égard, les dispositifs spécifiques élaborés dans le cadre de la politique de la ville, et plus particulièrement ceux qui ont trait aux volets culturels des contrats de ville, permettent, grâce à certains outils (comités de pilotage, procédés d'évaluation, modes de coordination), une mise en action d'objectifs concertés.
Toutefois, ces dispositifs n'ont de sens que si les rencontres entre artistes (qui, souvent, par leur notoriété et leur savoir-faire, apportent une certaine crédibilité aux actions culturelles), travailleurs sociaux et habitants sont assumées et réussies.
C'est l'ensemble de ces préoccupations qui a prévalu, dans les manifestations Parcours avant l'Escale, et l'Espace d'une Odyssée, présentées en septembre 1999 et 2000, dans le cadre des journées européennes du patrimoine, avec le concours de l'association Peuplement et Migration, la ville de Vaulx-en-Velin, l'agglomération du Grand Lyon, le Fonds d'Action Sociale, la Direction des Affaires Culturelles Rhône-Alpes, et un ensemble de partenaires locaux. Ce projet visait à mettre en valeur des sites liés à la mémoire des populations immigrées en région Rhône-Alpes, en traitant de l'apport des phénomènes migratoires sous tous ses aspects, aussi bien artistiques, qu'historiques ou ethnologiques.
3.2. ...à ses conséquences multiples. |
De nombreux auteurs[9] observent que les espaces d'expression culturelle que les acteurs mettent en place sur le terrain artistique, constituent autant de valorisations identitaires, de renforcement de "mondes de significations" (Milliot, 2000, p.150), permettant aux différences de se rencontrer et de se confronter sur un mode positif. Ces expériences permettent la naissance de lieux de l'interculturalité et du métissage, formes culturelles hybrides, urbaines et populaires, qui n'émergent qu'à partir du moment où l'accès à l'espace public est favorisé. Toutefois, que signifie le sens d'un travail de requalification de populations dites en difficulté, par leur identité culturelle ? Si la médiation par l'art est désignée comme un moyen de lutter pour la restauration du lien social, et en premier lieu pour le dialogue entre les populations immigrées et la population française, qu'en est-il ? Le danger est en effet une réification de l'identité culturelle, et une prise en compte de la culture, comme entité immanente et instinctive. Dès lors, reconnaître la culture de l'autre, ne renverrait qu'à une représentation de la culture de l'autre, avec tout ce que cela implique de sous-entendus essentialistes. Ou, s'il ne s'agit, dans des quartiers stigmatisés, que de travailler à la revalorisation d'une identité positive, comment ne pas admettre alors, qu'elle n'est qu'un outil à mettre en avant, "pour la bonne cause" ? Le deuxième risque lié à cette conception de la culture comme outil de reconnaissance des défavorisés, est un glissement rapide vers des jugements de valeurs sur ces cultures, ou tout au moins des préjugés favorables. Dès lors, ce n'est pas sur une décision politique égalitariste que se fonde l'action vers ces populations, mais parce que, d'une certaine manière, leur civilisation est admirable.
Ainsi, tout en ayant le mérite de poser le caractère inévitable d'une révision d'un républicanisme étroit, et de porter le débat sur une représentation plurielle de la culture et de l'histoire de notre société, l'enjeu de la coexistence de diverses formes culturelles, serait de respecter plusieurs formes d'expression par l'affirmation politique d'un principe d'égalité de départ.
4. VIE CULTURELLE DANS LES VILLES[10] |
Quoiqu'il en soit, nous assistons aujourd'hui à une entrée dans les villes d'expressions culturelles inédites, qui viennent brouiller les distinctions habituelles, telles que, activité amateure et professionnelle, intervention artistique et intervention sociale, création et animation. Elles contribuent également à interroger les politiques culturelles locales, dont l'objectif principal est l'égalisation des chances d'accès à la culture. Par ailleurs, si les institutions culturelles classiques (théâtre, opéra, cinéma), sont fortement inscrites dans l'espace urbain et l'organisation spatiale des villes, l'enjeu essentiel aujourd'hui est de donner une place à ces cultures dites urbaines. Mais, comment les penser ? Leur subite actualité ne fait-elle écho qu'à un désir bourgeois d'exotisme culturel ?
En fait, dans ce champ, se joue une reconnaissance de pratiques, d'espaces, de formes de sociabilité qui n'ont pas encore véritablement droit de cité. Et la question de leur institutionnalisation doit aussi passer par une réflexion sur la manière dont ces cultures s'inscrivent dans la ville, et sur la redéfinition de l'ancrage identitaire et territorial qu'elles permettent. Ainsi, en contribuant au brouillage des critères esthétiques, elles sont l'occasion de repenser le culturel, par rapport au lien social.
CONCLUSION |
Les quartiers en difficulté sont d'immenses viviers de cultures métisses. C'est dans cette culture plurielle que la République puisera les ressources de l'intégration, à laquelle tous, ou presque aspirent. Il n'y a pas de raison a priori pour que la revendication identitaire soit contradictoire avec l'intégration républicaine. Ni l'une ni l'autre ne peuvent s'ignorer, chacune a besoin de l'autre : l'identité pour trouver sa place dans une communauté historique métissée depuis longtemps, la République pour donner plus de chance encore à la démocratie culturelle.
Cet article est extrait d'un rapport de recherche bibliographique de Marie-Hélène Buffet que l'on peut consulter dans son entier à l'adresse: https://www.enssib.fr/bibliotheque/documents/dessid/rrbbuffet.pdf |
Notes
[1] Voir sur ce thème : Boubeker, 2000, p.130 et p. 135 ; Barou, 1998, p.42 et suiv. ; Kaval, 1995, p.90 et suiv.
[2] Voir sur ces thèmes : Boubeker, 2000, p.132 ; Chobeaux, 1994, p.24 ; Lipiansky, 1995, p.40 et suiv.
[3] Voir : Calvet, 1994, p.269 ; Lepoutre, 1997, 362 p.
[4] voir : Tapia (de), 1998, p.102 ; Boubeker, 2000, p.176 et suiv.
[5] Voir sur ce thème : Lorenzo, 1998, p.79 et suiv. ; Hargreaves, 1994, p.369 et suiv. ; Laronde, 1993, 239 p.
[6] Voir ici : Matas, 2000, p. 67 et suiv. ; Nantois, 1997, p.63 et suiv ; Qipo, 1994, p 25 et suiv.
[7] Voir sur ce thème : ; Milliot, 1994, 152 p. ; Boubeker, 1997, p.46 et suiv. ; Midol, 2000, p.53 et suiv.
[8]23 Voir, pour ce chapitre : Colin, 1998, 219 p. ; Mayol, 1999, p.127 et suiv. ; Rizzardo, 1995, p.119 et suiv. ;
Saez, 2000, p. 4 et suiv. ; Direction régionale des affaires culturelles (Drac) Rhône-Alpes, 2000, p.67 et suiv.
[9] Sur ce point, voir : Gouy-Gilbert, 1996, 71 p. ; Milliot, 2000, p.143 et suiv. ; Montfort, 1998, 191 p. ; Zoia, 1997, p.147 et suiv.
[10] Voir, sur ce point : Assises ville-culture, 1997, p.11 et suiv. ; IFMO, 1996, 130 p.
Bibliographie
Assises ville-culture. Paris : Parc de la Villette, 1997. 139 p.
Barou, J. "Identité, immigration, intégration". Recherche sociale, 1998, no.147, p.32-43.
Boubeker, A. "Cultures urbaines et ethnicité. L'expression spécifique des héritiers de l'immigration maghrébine". Migrants formation, décembre 1997, no.111, p.46-60.
Boubeker, A. "Les paraboles du lien social". In Cultures en ville ou de l'art et du citadin. La Tour d'Aigues : L'Aube, 2000. p.169-187.
Boumaza, N. et Neves G. "Jeunes d'origine portugaise : du bon usage de la communauté". Hommes & migrations, octobre 1994, no.1180, p.17-23.
Calvet, L.S. Les voix de la ville. Introduction à la sociolinguistique urbaine. Paris : Payot, 1994. 308 p.
Camilleri, C. "Rencontres des cultures et avatars identitaires". Projet, automne 1993, no.235, p.23-31.
Chobeaux, F. "L'identité collective de jeunes en difficulté d'insertion sociale". Hommes & migrations, octobre 1994, no.1180, p.23-29.
Colin, B (dir.). Action culturelle dans les quartiers. Enjeux, méthodes. Paris : Opale, 1998. 219 p.
Direction Régionale des Affaires Culturelles Rhône-Alpes, Ministère de la Culture et de la Communication, Fonds d'Action Sociale Rhône-Alpes. Villes, patrimoines, mémoires. Action culturelle et patrimoine urbain en Rhône-Alpes. Lyon : la Passe du vent, 2000. 119 p.
Gaspard, F. "Multiculturalisme et identités". Recherche sociale, 1998, no.147, p.59-64.
Gouy-Gilbert, C, Rautenberg, M. et Ramon, P. (collab.). Projets culturels et réinterprétation de la mémoire collective dans les périphéries urbaines : Rapport final. Paris : Ministère de la culture, 1996. 71 p.
Hargreaves, A.G. "Intégration ou exclusion ? les écrivains issus de l'immigration maghrébine en France". In Au miroir de l'autre. De l'immigration à l'intégration en France et en Allemagne. Paris : Edition du Cerf, 1994. p. 369-381.
Haut Conseil à l'Intégration. Liens culturels et intégration. Rapport au premier ministre. Paris : la Documentation Française, 1995. 163 p.
IFMO. La ville et la culture. Paris : IFMO, 1996. 130 p.
Kastoryano, R. "Les migrants de Turquie face à la France, confrontations d'identités". Hommes & Migrations, mars-avril 1998, no.1212, p.111-119.
Kaval, M. "Intégration et culture d'origine : les jeunes Maghrébins et Turcs". Agora débats-jeunesse, 2ème trimestre 1995, no.1, p.85-106
Laronde, M. Autour du roman beur. Immigration et identité. Paris : l'Harmattan, 1993. 239 p.
Lepoutre, D. Coeur de banlieue. Codes, rites et langages. Paris : Odile Jacob, 1997. 362 p.
Lipiansky, E-M, Worms, J-P. et Roulleau-Berger, L. et al. "Dynamiques des identités dans la cité : la démocratie à l'épreuve de la société multiculturelle". In Identités, cultures et territoires. Paris : éditions Desclée de Brouwer, 1995. p.35-119.
Lorenzo, P (dir.). "Art, culture et médiation. Séminaire du Ciemi, mars-mai 1998 (dossier)". Migrations-Société, juillet-octobre 1998, vol.10, no.58-59, p.50-120.
Matas, J. et Pffefferkorn, R. "Le rôle des associations "issues de l'immigration". Le développement des liens affectifs et culturels avec les sociétés d'origine : un facteur d'intégration". Migrations-Société, nov.-déc. 2000, vol.12, p.67-77.
Mayol, P. "Politique de la ville et action culturelle". Projet, décembre 1999, no.260, p.127-132.
Midol, N. "Le rap : métissage culturel et construction identitaire". Cultures en mouvement, avril 2000, no.26, p.53-55.
Millot, V. La construction par le vide. Une analyse du lien social et des stratégies identitaires, autour du mouvement hip-hop lyonnais. Paris : mission du Patrimoine Ethnologique, 1994. 152 p.
Milliot, V. "Culture, cultures et redéfinition de l'espace commun : approche anthropologique des déclinaisons contemporaines de l'action culturelle".In Cultures en ville ou de l'art et du citadin. La Tour d'Aigues : L'Aube, 2000. p. 143-168.
Ministère de la Culture et de la Communication. Circulaire du Ministère de la culture no.2000-024 du 19 juin 2000 sur la préparation et le suivi des volets culture des contrats de ville : conventions "culture pour la ville, cultures de la ville" Paris : Ministère de la Culture et de la Communication, 19 juin 2000. 5 p.
Montfort, J-M. "Un autre regard sur l'action culturelle et artistique..." Réflexions issues d'une commande publique d'évaluations de "projets culturels de quartiers". Paris : Faut voir, 1998. 191 p.
Nantois, B. "Mobilisation associative féminine et stratégies d'intégration des familles africaines de la région lyonnaise". Migrations-société, juillet-août 1997, vol. 9, no.52, p.63-78.
QIPO. Action culturelle et intégration. Paris : ADRI, mai 1994. 92 p.
Rizzardo, R. et Morel, A. et al. "Identités en projets". In Identités, cultures et territoires. Paris : Desclée de Brouwer, 1995. p. 119-145.
Saez, J-P. "Multiculturalisme, interculturalité et politiques culturelles". L'Observatoire des politiques culturelles, été 2000, no.19, p. 4-6.
Tapia, (de) S. "La communication et l'intrusion satellitaire dans le champ migratoire turc". Hommes & Migrations, mars-avril 1998, no. 1212, p.102-110.
Verbunt, G. "Culture, identité, intégration, communauté : des concepts à revoir". Hommes & Migrations, octobre 1994, no.1180, p.6-10.
Yalaz, H. "Les jeunes originaires de Turquie en quête d'identité". Hommes & Migrations, mars-avril 1998, no.1212, p.80-87.
Zoia, G. "La mobilisation de références multiculturelles pour l'action dans les quartiers en difficulté". In Les aléas du lien social. Constructions identitaires et culturelles dans la ville. Paris : Ministère de la Culture et de la Communication, 1997. p.147-160.