A L'ECOUTE DE CELINE KULA-KIM |
"Le mot a force de loi, de dogme, de charme"
Un entretien avec Céline Kula-Kim
proposé par Jean-Marie Volet
University of Western Australia
Cet échange a eu lieu en 2003.
Céline Kula Kim est Chargée de recherche au Cabinet La SEFA (Société d'Études
Féminines Africaines). En ce moment, elle mène un diagnostic
sur la
parentalité pour deux organismes publics et une association. Par
ailleurs, elle est Présidente de Cap International Press, une
association
de communication et de documentation africaine. Elle anime l'émission
« Femmes et Sociétés » sur Radio Trait d'Union 89.8
à Lyon. Sans oublier, dit-elle, qu'elle est mère de famille !
Céline Kula Kim est doctorante en Études Féminines
à Paris VIII et titulaire de différents titres universitaires
dont un DEA en Migrations et Relations Inter-ethniques à Paris VII. Cela
lui vaut d'être souvent
sollicitée pour des conférences et/ou séminaires sur la
femme
africaine ou sur l'immigration africaine. La publication de son ouvrage Les
Africaines et la création d'entreprise à l'Harmattan est
imminente.
Email: [[email protected]] |
Lorsqu'on parle d'autobiographie, on pense tout de suite à quelqu'un racontant sa vie dans un livre. Bien que plusieurs Africaines émigrées en France aient choisi l'écriture pour parler d'elles, il me semble qu'un grand nombre préfère la parole et le conte pour se définir. Pourquoi cet attachement à l'oralité ?
En effet, un grand nombre d'Africaines immigrées préfèrent la parole à l'écriture. C'est logique dans la mesure où l'attachement à l'oralité a défini la tradition africaine à travers des siècles, de génération en génération. C'est un fait culturel qui se perpétue dans le cadre de l'immigration où l'oral continue à occuper une place de choix. « La parole en Afrique », comme le dit si bien Lilyan Kesteloot, « garde toute son efficacité de verbe, où le mot a force de loi, de dogme, de charme ». Peu d'Africaines mettent par écrit l'histoire même de leur famille restée en Afrique ou celle de leur immigration. Le risque, c'est que parmi les nouvelles générations d'immigrés de nombreux enfants africains n'aient pas de repères culturels et ne soient pas en mesure de reconstituer des arbres généalogiques pour leurs propres progénitures.
Toutefois, quand j'interviewais des Africaines pour le besoin de mon ouvrage, j'étais émerveillée de réaliser combien elles étaient restées attachées à l'oral. Elles me disaient souvent : « les mots manquent en Français pour exprimer ce que je veux dire, ou ce que je vais dire va perdre son charme si je le disais en Français ». Pour cette raison, j'ai essayé de garder ce charme de l'oral sur lequel elles insistaient.
Les biographies et les autobiographies sont en vogue, en partie, parce qu'elles s'appuient sur l'idée que la vérité se trouve dans les livres. Dans quelle mesure les Français sont-ils prêts à abandonner un instant ce savoir livresque pour se mettre à l'écoute des émigrés de cultures différentes, des sans-papiers, des réfugiées ?
Personnellement, j'ai une grande passion pour les biographies pour la simple raison que j'aime découvrir la complexité et le nihilisme de la vie dans les différentes destinées humaines. Et puis, on ne peut pas mettre tous les Français dans le même panier. Il existe une catégorie de Français qui, bien sûr, comme vous le dites, restent attachés à une culture livresque et aux idées reçues sur la supériorité de certaines races; ceux-ci ne veulent pas des étrangers non européens sur le sol français et n'écoutent pas ce que les immigrés ou les sans-papiers ont à dire. Mais il y a d'autres catégories de Français et parmi ces catégories-là, il existe aussi des Français qui, malgré leur culture livresque, sont à l'écoute des immigrés de cultures différentes. Si certains le font par profession, d'autres le font de façon bénévole ou généreuse.
Quand je préparais mon DEA en Migrations et Relations inter-ethniques à l'Université Paris VII, j'ai été surprise par le nombre de jeunes universitaires qui faisaient cette formation pour pouvoir comprendre les cultures étrangères.
Par ailleurs, lors des manifestations de sans-papiers, il y a plus de Français qui défilent dans les rues que d'Africains, mis à part les sans-papiers eux-mêmes ; peu d'associations africaines se mobilisent pour ce type de manifestation.
Finalement, ce qui fait qu'on aime vivre en France c'est peut-être le fait qu'on trouve parmi les Français des gens tolérants, charitables, ouverts et humanistes.
Vous animez l'émission "Femmes et Sociétés" sur Radio Trait d'Union 89.9 à Lyon. Qui participe à cette émission ?
RTU est une radio associative franco-maghrébine qui existe depuis une vingtaine d'années. A mon émission, je reçois des responsables d'associations ou d'organismes qui proposent des actions en faveur de populations issues de l'immigration ; je reçois aussi des personnes qui débattent sur des thèmes liés à la culture africaine, à l'interculturalité ou aux problèmes que rencontrent les Africains dans leur parcours d'intégration.
Et, à votre avis, qui vous écoute ?
Les Africains et les Français. La première année, peu d'Africains (sub-sahariens) m'écoutaient ; ils me lançaient souvent la réflexion que RTU était maghrébine. Depuis l'année dernière, je suis étonnée par le nombre de personnes même des jeunes Africains qui me disent : « j'ai suivi ton émission ». Il faut avouer que pour accrocher les Africains, je diffuse de la musique africaine, surtout de la musique du Congo (des chanteurs comme Koffi, Papa Wemba,Weng, etc.) très en vogue en Afrique.
Vous dites dans votre livre "Les Africaines en situation interculturelle", qu'un nombre important de femmes africaines vivant en France essaient de s'adapter sans pour autant perdre leur identité culturelle. Lorsqu'on est Africaine et qu'on émigre en France, quels sont les éléments culturels qui sont faciles à maintenir dans le pays d'accueil, quels sont ceux qu'on abandonne facilement, et quels sont ceux qui survivent tant bien que mal entre ces deux extrêmes ?
Les mots "essayer de s'adapter" sont très significatifs et j'ai utilisé ces deux verbes ensemble pour sous-entendre combien l'adaptation est difficile et presque jamais acquise : ces femmes ont beau être naturalisées et intégrées professionnellement, elles ont toujours le coeur qui bat pour l'Afrique. C'est vraiment à la manière d'une femme qui a épousé un homme qu'elle finit quand-même par aimer au fil des années, mais son coeur bat toujours pour le premier amour de sa vie. C'est assez complexe comme situation. Oui, elles essaient de s'adapter, et le verbe s'adapter est utilisé ici par opposition au verbe s'intégrer car les femmes africaines interrogées trouvent le mot intégration "péjoratif". Les éléments culturels qui sont faciles à maintenir sont ceux qui sont tolérés ou acceptés par le pays d'accueil et ceux qui favorisent l'épanouissement, mais beaucoup de facteurs entrent en compte : l'organisation ou la gestion du temps, l'espace domestique, l'environnement, etc.
Les éléments qu'on abandonne ont trait aux pratiques et coutumes marginales, archaïques ou incompatibles avec l'espace dans lequel on vit : certains rituels, certaines cérémonies de deuil, l'éducation communautaire, l'excision, le lévirat, etc.
La langue française est perçue par certains comme la huitième merveille du monde. Comment vit-on le passage d'une société africaine basée sur la pluralité et la tolérance linguistiques à une société dominée par un monolinguisme institutionnel intransigeant. Quel rôle la maîtrise d'une ou plusieurs langues joue-t-il en Afrique ou en France dans la relation des Africaines avec leur milieu ?
Tout d'abord ce passage réduit tout à fait l'espace des échanges culturels dans la mesure où l'on est obligé de penser et de raisonner dans le cadre d'un monolinguisme institutionnalisé. Pour l'immigré venant d'un autre milieu linguistique et pour ses enfants, il y a un risque réel de perdre ses repères si l'on n'a pas de réelles attaches culturelles : on peut facilement tomber dans l'imitation, l'assimilation et parfois même le chaos. De plus, on imagine la peine, le complexe d'infériorité et le blocage de communication éprouvé par une Africaine analphabète qui a toujours besoin des autres pour communiquer ou pour se repérer dans l'espace.
Une chose est sûre, pour réussir son immigration, il faut savoir lire et écrire le français sinon l'adaptation restera toujours très difficile, pour soi et pour ses enfants, rendant aléatoire la nécessité de communiquer avec le personnel éducatif, l'administration et différents organismes . Les Africaines qui ont été à l'école vivent ce passage mieux que les analphabètes, car la langue française occupe une place de choix en Afrique francophone où elle reste la langue vernaculaire, la langue de la scolarité et celle de l'administration.
Par ailleurs, la maîtrise de plusieurs langues permettent le contact et favorisent largement les échanges du fait de la complicité culturelle que cela engendre, on se sent proche de la culture véhiculée par la langue et des gens appartenant à cette culture.
Le fait de devoir composer avec les autres permet souvent de mieux discerner qui l'on est soi-même. Il y a quelques années, Meenakshi Mukherjee suggérait que les intellectuels indiens étaient le produit d'un conflit et d'une réconciliation entre deux cultures. Dans quelle mesure pourrait-on dire la même chose des intellectuelles africaines, qu'elles habitent en Afrique ou en France ?
Je crois qu'on peut dire la même chose des intellectuelles africaines, qui habitent en Afrique ou en France dans la mesure où, d'une part, elles sont imprégnées de culture occidentale, ce qui marque d'une certaine façon une rupture avec la culture africaine traditionnelle, mais ce qui ne les empêche pas, d'autre part, de rester très attachées à leur culture d'origine. Une réconciliation, oui, car elles appartiennent à deux cultures et elles les rapprochent.
Pour les Africaines qui habitent en France, que signifie de manière pratique le fait de "donner un sens à sa vie tout en s'adaptant aux mutations culturelles et à l'évolution du monde sans pour autant perdre son identité culturelle" et, question subsidiaire, dans quelle mesure les Africaines vivent-elles bien cette situation interculturelle en France en 2003 ?
De manière pratique, cela signifie se battre par tous les moyens pour réussir : on émigre pour une raison bien précise. Cela nécessite de se fixer des objectifs pour réussir son projet migratoire : en France et en Occident où l'emploi est la clé de la réussite humaine, il convient pour les Africaines d'avoir du travail, de participer à la vie du pays et d'évoluer avec leur temps. Mais le fait 'd'aller vers' la culture française et vers les autres cultures qui composent l'univers dans lesquelles elles vivent ne doit pas les empêcher de rester en contact avec la sphère positive de la culture africaine.
Dans quelle mesure l'interculturalité conduit-elle à l'homogénéité et dans quelle mesure l'Africaine d'aujourd'hui est-elle la Française de demain ?
L'interculturalité conduit à l'homogénéité dans la mesure où elle peut faire tomber les barrières culturelles, les mauvaises représentations, le racisme, la xénophobie en favorisant les échanges et/ou la tolérance.
L'Africaine d'aujourd'hui est la Française de demain dans la mesure où elle abandonne 'l'illusion d'un retour en Afrique' et fait face avec réalisme à son avenir en France. L'Africaine installée en France est amenée à aller vers la culture de l'endroit où elle habite, à choisir parmi les valeurs africaines et françaises celles qui lui permettent au mieux de réussir son immigration, c'est-à-dire d'arriver à maintenir une double culture et de devenir citoyenne française à part entière dans une France multiculturelle.
Paris : L'Harmattan, 2000, 96p.
Ce petit dossier consacré à la femme africaine en situation
interculturelle a été assemblé par Céline Kula-Kim
sur la base d'interviews et de rencontres avec des immigrantes d'origine
africaine. On y trouvera plusieurs documents intéressants : D'abord
quelques notes sur le conte africain dont l'importance est soulignée non
seulement dans le cadre de l'Afrique, mais aussi en France où il
permet de créer des liens interculturels et devient un moyen de
communication entre les Africaines et la population locale. "L'histoire de
l'os" proposée par Afina Langa offre un bon exemple du conte
traditionnel dont paraphrasant une romancière malienne le message et
la sagesse "enjambent allègrement les frontières culturelles".
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Jean-Marie Volet est Chargé de Recherche (ARC QEII Fellow) à l'Université de Western Australia, Perth. Il partage son temps entre sa recherche sur la lecture, Mots Pluriels et la mise à jour du site Lire les femmes écrivains et la littérature africaine francophone. Quelques articles récents ou en cours de publication: "La Lecture ou l'art de réinventer le monde tel qu'en nous-même", Essays in French Literature 37 (2000), pp.187-204; "Peut-on échapper à son sexe et à ses origines? Le lecteur africain, australien et européen face au texte littéraire", Nottingham French Studies 40-1 (2001), pp.3-12; "Du Palais de Foumbam au Village Ki-Yi: l'idée de spectacle total chez Rabiatou Njoya et Werewere Liking", Oeuvres & Critiques XXVI-1 (2001), pp.29-37; "Francophone Women Writing in 1998-1999 and Beyond: A Literary Feast in a Violent World", Research in African Literatures 32-4 (2001), 187-200; (avec H. Jaccomard et P. Winn), "La littérature du Sida: genèse d'un corpus", The French Review 75-3 (2002), pp.528-539; Imaginer la réalité : Huit études sur la lecture des écrivaines africaines (sous presse). |