Bernard Salvaing
Université de Paris 1
Ces dernières années ont été marquées par la parution de plusieurs autobiographies venues d'Afrique. Ainsi les Mémoires de Amadou Hampâté-Bah[1], après celles de Wole Soyinka[2], éclairent-elles d'une façon saisissante la première moitié du vingtième siècle en Afrique de l'ouest. A côté de ces deux ouvrages d'écrivains reconnus ont été produits également plusieurs récits de vie d'ampleur variable[3], fruits de la rencontre entre un "traditionniste" africain et un chercheur occidental. L'histoire de la période, mais aussi tout simplement la vie des gens, s'animent à travers ces souvenirs d'expériences vécues et ressenties de l'intérieur. Sans doute aujourd'hui les temps évoqués sont-ils suffisamment éloignés pour que les langues se délient plus facilement. Peut-être aussi, avec le sentiment qu'une époque s'achève, ressentons nous davantage le désir de conserver une mémoire orale dont nous apprécions mieux l'importance. C'est à ce type d'entreprises que se rattache l'autobiographie du Malien Almamy Maliki Yattara dont il sera question ici. Résumer en quelques pages une expérience d'écriture menée à deux pendant plus de dix ans comporte sans doute quelque risque. Et ceci d'autant plus que, comme l'écrit dans la préface de l'ouvrage Adame Ba-Konaré : « Parler d'Almamy Maliki Yattara n'est pas chose aisée. Homme de convergence, on ne sait de quelle formation il est, si ce n'est celle du vrai traditionniste africain, buvant à toutes les sources de connaissance. Tour à tour conteur, historien, guide, maître coranique, marabout versé dans les savoirs occultistes, Almamy Maliki Yattara est un véritable homme orchestre »[4]. De nos rencontres est né un livre auquel nous avons travaillé ensemble, son autobiographie publiée sous le titre : Almamy, une jeunesse sur les rives du fleuve Niger [5]. |
Les motivations de l'entreprise |
Pourquoi avoir écrit une autobiographie plutôt qu'une biographie ? Sans doute parce que ce dernier type de travail aurait entraîné par rapport à la personne qui en était l'objet un recul que je ne souhaitais pas prendre. Un des intérêts principaux du travail avec Almamy, outre l'occasion qu'il me donnait de cotoyer de près une forte personnalité, de plus d'une très grande gentillesse, était justement qu'il me permettait d'entrer de plain-pied dans un monde qui n'était pas le mien : il offrait un saisissant raccourci faisant vivre de l'intérieur son univers personnel. Ce désir de complicité "participative" qui est probablement au coeur de toute étude d'une culture étrangère, était avec lui satisfait au delà de toute espérance. Peut-être en effet ce que je cherchais en Afrique était-il la capacité à sortir de moi-même et à m'imbiber d'une culture extérieure assez profondément pour la vivre de l'intérieur. Or cela, qui n'aurait été réalisable complètement qu'après de nombreuses années de vie sur le terrain et qui ne m'était guère possible dans les circonstances présentes de mon existence et dans l'exercice actuel de la recherche, devenait tout d'un coup par le truchement d'Almamy une entreprise accessible. Il m'offrait ainsi un raccourci inespéré. C'est pour cela que sa rencontre me fit renoncer provisoirement à l'entreprise pour laquelle j'étais venu le trouver initialement : écrire une étude sur l'histoire de la boucle du Niger.
Ainsi l'autobiographie me permettait-elle de m'effacer derrière mon partenaire, et de réaliser une sorte de miracle que seul un concours de circonstances particulier avait permis : mettre à la portée de notre lecteur tout un univers d'images et de représentations, en même temps que la trame des épisodes qui constituent la vie quotidienne d'un enfant puis d'un adolescent d'autrefois vivant dans une région reculée de la boucle du Niger.
J'échappais ainsi partiellement à mon labeur d'historien habituel, pour écrire à la fois une reconstitution du passé et une aventure humaine, le roman d'une vie. De plus, la prodigieuse imagination de mon collaborateur, son réel talent littéraire, son style dont la force survivait même à l'effort qu'il faisait pour traduire dans son français imparfait la puissance des images et des mots qui se pressaient en son esprit, étaient pour moi un moyen de vivre à travers autrui, en quelques sorte par délégation, une aventure humaine et littéraire que j'aurais été tout seul bien incapable de connaître. Etant moi-même totalement dépourvu d'imagination créatrice, j'étais comblé de pouvoir réaliser à travers autrui une oeuvre qui ne fût plus seulement une compilation érudite, mais aussi un roman d'aventures vécues. Je n'avais qu'à me laisser porter par la puissance de ces récits et leur force d'évocation. Et même la réécriture du texte, nécessaire et oh combien laborieuse, comme le savent tous ceux qui ont été confrontés au délicat passage de l'oralité à l'écrit, était facilitée par la force d'évocation du récit, par la puissance des images et le pittoresque de la narration qui s'imposaient à moi.
J'allais donc signer avec mon collaborateur un texte qui en réalité se devait d'être le moins possible mon texte, et dont pourtant j'étais également fier qu'il fût aussi mon livre : car je savais que sans moi il n'aurait jamais été écrit et que seul j'en avais rendu possible l'émergence. Ainsi avais-je sauvé de l'oubli et d'une disparition inéluctables des trésors qu'il serait désormais loisible de partager et de diffuser. C'est en fait beaucoup plus dans cette mesure que par la peine et le temps pourtant considérables passés à transcrire, composer et réécrire le livre que je m'en sens aujourd'hui également l'auteur et que je peux l'appeler "mon livre".
Quant à Almamy Maliki Yattara il était effectivement important que cet homme qui avait "fourni matière à la rédaction de beaucoup de livres" par sa présence aux côtés de nombreux chercheurs, fût enfin reconnu lui aussi comme "auteur d'un livre"[6]. Et la règle du jeu et du genre me paraissait être de m'effacer le plus possible devant lui.
Je sais les critiques possibles, et qui ont été déjà formulées à propos d'entreprises semblables, où le scribe et interlocuteur de l'auteur a choisi de ne pas apparaître directement dans le livre.[7] Il est vrai certes que la parole brute du conteur n'apparaît pas dans le texte qui est proposé, ni le questionnement de son collaborateur qui a pu l'influencer sans compter qu'échappent au lecteur les modalités du montage, de la sélection faite entre les passages enregistrés ou entre les différentes versions existantes de la même histoire. A ces objections dont je ne néglige pas la portée, il me paraît possible de répondre à la fois par des arguments techniques et par des raisons de fond que l'on trouvera dans les pages qui suivent.
Almamy Maliki Yatara : une vie exceptionnelle, une oeuvre aux résonances multiples |
Almamy Yattara était né dans les années 20 à Tambéni, village du Guimballa situé dans la boucle du Niger, à environ cent cinquante kilomètres au sud-ouest de Tombouctou. Son nom révèle une lointaine origine touarègue, mais sa famille était de culture et de langue peules, de religion musulmane depuis plusieurs générations.
Son enfance et sa jeunesse furent celles des élèves, puis des enseignants coraniques d'autrefois ; une vie également marquée par le rythme de la crue du fleuve, autour de laquelle s'ordonnaient toutes les activités qu'il menait de front avec l'étude et l'enseignement : la culture, la chasse (qui resta une de ses passions), la pêche, le commerce ; une existence souvent itinérante également, mais qui ne le vit pas sortir de sa région d'origine avant les années 60. A la mort de son père il avait une dizaine d'années la famille déménagea pour Gonda, village situé à une cinquantaine de kilomètres à l'ouest de Tambéni. Il étudia auprès de plusieurs maîtres successifs : Alfa Amadou "le Petit" de Gonda, puis Alfa Amadou Guidado de Tambéni, enfin Kôla Amadou Fodia de Kona, pour ne nommer que les principaux d'entre eux.
La fin du premier tome de son autobiographie le trouve à Kona, près de Mopti, où il est devenu à son tour un maître réputé, en même temps qu'il continue ses études supérieures islamiques. Nous sommes alors dans les années cinquante.
Puis, au début des années 60 sa vie va basculer : il quitte Mopti, où il s'était finalement établi comme maître coranique, pour accompagner à Abidjan Amadou Hampâté-Bâ, auprès de qui il travaille plus d'un an. Cependant il s'adapte difficilement à cette existence nouvelle loin d'un milieu qu'il n'avait jamais quitté. A son retour au Mali, il s'installe à Bamako et entre à l'Institut National des Sciences Humaines comme "technicien de recherches".
Ce statut subalterne provenait de ce qu'il n'avait jamais étudié à l'école "française". Mais il n'en joua pas moins un rôle de premier plan dans les recherches menées sur la boucle du Niger durant les trente années suivantes. En effet, grâce à l'ampleur de son savoir touchant tous les domaines, grâce à ses nombreuses relations dans sa région d'origine, il était entre-temps devenu un intermédiaire privilégié pour quiconque voulait travailler sur la culture de sa région d'origine. Il participa ainsi à de nombreuses missions de recherches en sciences humaines, avec ses collègues de l'Institut ou avec des chercheurs étrangers de disciplines diverses, collectant des traditions orales ou photographiant des manuscrits, élargissant encore son domaine de connaissances grâce à sa curiosité toujours en éveil. Il eut aussi l'occasion de voyager à l'extérieur du Mali, dans les pays africains voisins et en France où il vint à plusieurs reprises en mission pour le C.N.R.S.
Le récit de vie d'Almamy Yattara représente une sorte de testament où nous sont exposées les expériences comme les connaissances acquises par l'auteur lors de sa formation sur les rives du Niger. Ainsi y voit-on évoquée au fil du texte la vie quotidienne au Guimballa entre 1920 et 1940, qu'il s'agisse de l'éducation des enfants, de l'agriculture, de l'élevage, de la pêche, de la chasse, de l'artisanat, des fêtes. Ces notations sont entremêlées avec la description de l'enseignement suivi par l'auteur, à la recherche du savoir auprès des maîtres successifs qui l'initient aux sciences islamiques, particulièrement au droit dont il était un spécialiste reconnu, et à l'ésotérisme musulman. Il insiste particulièrement sur la personnalité de son principal maître, Alfa Amadou de Tambéni. L'évocation de sa formation, de ses miracles, de son enseignement, occupent deux des parties du premier volume.
A cela s'ajoutent des témoignages sur la période coloniale, dont le moindre intérêt n'est pas de faire comprendre comment les sociétés africaines et européennes ont pu se juxtaposer voire s'influencer sans vraiment se rencontrer. Ainsi l'épisode initial concernant Tambéni, le village invisible aux yeux des Blancs, et en particulier l'histoire du commandant de cercle qui ne peut pas trouver le village de Tambéni, malgré de nombreuses tentatives infructeuses, à cause du sortilège permettant à Alfa Amadou, le maître d'Almamy, que "jamais aucun Blanc ne le verrait, jamais il ne verrait aucun Blanc".
Notre rencontre, prélude à un long travail dans l'amitié |
J'ai donc rencontré Almamy Yattara pour la première fois en décembre 1982. Je séjournais alors à Abidjan et je souhaitais mener une recherche sur l'histoire de la boucle du Niger au XIXe siècle. Il accepta de m'accompagner dans la région de Mopti, Djenné, Ténenkou et de me guider dans mes recherches.
Lors des soirées que nous passions ensemble, devant les nombreux visiteurs qui affluaient dès l'annonce de son arrivée, il adorait raconter des histoires, qui pouvaient tout aussi bien être des contes, des récits historiques, des anecdotes morales ou des épisodes de sa vie. Son art de la parole était tel qu'il tenait constamment en haleine l'assistance, sans négliger parfois de verser dans la cocasserie la plus irrésistible : ainsi voyait-on parfois certaines de ses auditrices prises de fou-rire se rouler par terre, emportées par une hilarité irrésistible.
J'ai ainsi travaillé au début des années 80 à plusieurs reprises au Macina, où Almamy m'aidait dans les contacts indispensables à la poursuite de mes recherches d'histoire. Et peu à peu s'est formée en moi l'idée de rédiger avec lui son autobiographie. Sans doute ai-je été influencé par l'exemple de Amadou Hampâté-Bâ, qui travaillait alors à ses mémoires, et avait lu un jour devant son auditoire, en ma présence, les dernières pages d'Amkoullel l'enfant peul.
Je pensais que les personnalités de cette génération avaient connu des existences tellement contrastées au cours de leur destin qui les avait conduites de la "vieille Afrique" au monde moderne qu'ils en avaient été fortement stimulés, éveillés, que leur intelligence et leur regard en avaient été considérablement aiguisés. Qu'on me pardonne le rapprochement qui me vient à l'esprit avec un auteur comme Chateaubriand, qui serait peut-être resté un petit noble provincial plein d'oeillères s'il n'avait été ébranlé par l'expérience formidable de la Révolution et de l'Empire, du contact avec les Etats Unis et avec le monde moderne naissant. Ainsi assista t-il à la bataille de Waterloo, où il fut selon ses propres termes "auditeur silencieux et impassible du formidable arrêt des destinées", et fut-il durant sa longe vie spectateur, selon le mot de Julien Gracq, "de la plus grande mise au tombeau de l'histoire". De même je crois, les Africains de la génération et du milieu d'Almamy Yattara ont-ils eu une expérience exceptionnelle, qui prend un relief saisissant et exemplaire dans leurs souvenirs.
J'abordai donc prudemment devant mon compagnon la question de l'écriture d'une éventuelle autobiographie. Il pensa d'abord à rédiger seul ce travail, peut-être avec l'aide de ses amis ou de ses enfants. Mais lors d'un de mes séjours ultérieurs, il m'avoua que l'entreprise n'avait guère avancé et nous nous mîmes d'accord sur le principe de mener le travail à deux.
Pourquoi accepta-t-il de se lancer dans une telle entreprise ? Plus que la perspective aléatoire de gagner de l'argent avec ce livre il fut convenu dès l'abord que les droits d'auteur seraient partagés également entre nous deux je pense que sa motivation fut son désir d'être reconnu à sa juste valeur. Car tout en ayant à l'échelle du Mali et de la communauté africaniste une certaine notoriété, il n'était jamais arrivé à retirer de son savoir encyclopédique une reconnaissance et une aisance matérielle à sa mesure. A l'inverse d'une personnalité comme Amadou Hampâté Bâ, il subissait le handicap de ne pouvoir écrire en français et donc de n'être connu que de quelques spécialistes et de ses élèves et familiers au nombre desquels des personnalités maliennes ou étrangères de haut rang qui venaient lui rendre visite dans sa "cour". Et pourtant, il se savait lui aussi un grand connaisseur en matière de traditions historiques, écrites et orales. Aussi je pense que la perspective de composer un livre était pour lui un moyen de s'affirmer comme quelqu'un qui compte dans le monde de la culture.
En plus, il avait pris conscience au contact des chercheurs de l'intérêt de ce qu'il racontait et de l'importance qu'il y avait à transmettre son savoir, d'autant plus qu'il regrettait de n'avoir pas, malgré les élèves qui étudiaient chez lui, "de continuateur dans le savoir". Et sans doute ressentait-il également l'envie, le besoin même de parler, de se laisser aller au plaisir de raconter des histoires. C'est tout ce que je lui demandais : le reste était à ma charge.
Nous commençâmes donc une entreprise qui devait s'étendre sur plus de dix ans. Une si longue durée n'était pas forcément inéluctable. Il me faut avouer que pour des raisons d'ordre personnel je dus en fait interrompre pendant plusieurs années la rédaction du livre. Mais je ne pense pas, cependant, qu'un tel ouvrage puisse venir au jour en quelques mois seulement. Car l'amitié et la confiance réciproques en sont la conditon indispensable, et ce type de relations se noue dans la durée.
En fait, nous en vînmes à alterner les séances de travail en France et au Mali. Je pus recevoir mon ami en France à deux reprises, en 1986 et 1990, la première fois en Sologne et en Charente-Maritime, la deuxième fois dans le Midi.
Lors de son premier séjour il était venu en France pour préparer le dictionnaire peul-français en chantier depuis longtemps avec Christiane Seydou et pour lequel il venait presque chaque année passer un mois à Paris, en mission pour le compte du CNRS[8]. Il prolongea donc son séjour pour moi, et vint nous rejoindre en Sologne où j'étais en vacances avec ma famille.
Cette atmosphère fut très favorable à notre entreprise. C'est alors que je compris la chance que j'avais de vivre, en même temps que je réalisais mon rêve de chercheur, une aventure humaine qui sera une des grandes expériences de ma vie. C'est au cours des soirées passées en famille, auprès de mes beaux-parents approximativement du même âge que lui, que se constituait l'atmosphère favorable à notre travail. Mon invité se promenait avec nous dans les bois qu'il s'étonnait de trouver exempts de fauves et de bêtes nuisibles. Il hésita longtemps à nous accompagner, en particulier le soir après dîner, s'excusant d'être retenu par ses prières, ce qui, comme nous le comprîmes plus tard, n'était en fait qu'un prétexte. A notre retour, à la veillée, il se mettait à parler. Et pendant ces causeries où toute la famille écoutait, il suffisait de brancher le magnétophone au moment opportun. La présence de nombreux petits-enfants contribuait à le mettre à l'aise, après un séjour à Paris où, aussi bien entouré qu'il fût, l'atmosphère de la grande ville lui avait pesé.
Cette ambiance détendue se retrouva lors de nos séjours ultérieurs au bord de la mer ou à la campagne : il était désormais intégré à ma famille, il nous accompagnait dans nos visites auprès des amis, oncles ou cousins, il apprenait à mes enfants à tailler des arcs et des flèches tout en s'étonnant que nous les laissions, malgré leur jeune âge, jouer seuls dans les prés et dans les bois, qu'il ne pouvait se convaincre de croire à l'abri complètement des serpents et des bêtes fauves. Nos voisins lui offraient en signe de bienvenue des produits de leur jardin lorsque nous les rencontrions, dans le petit hameau du Tarn où nous étions allés passer une quinzaine de jours. Il les trouvait décidément bien plus accueillants et attachants que les gens de Paris où il se sentait, selon ses propres dires "comme un homme mort" au milieu d'une foule indifférente.
Une seule fois, il fut manifestement mal à l'aise : c'était à notre retour vers Paris. Avant de reprendre le train, nous allâmes passer la soirée et la nuit dans une ville voisine, auprès d'une de mes tantes. Elle était un peu plus âgée que lui, et ils sympathisèrent immédiatement beaucoup. Mais en même temps, il était très étonné de la voir vivre seule, loin de ses enfants, avec lesquels il lui apparut pourtant qu'elle vivait en bonne entente. Il fut très impressionné par cela. Le lendemain, il nous raconta son rêve : "il l'avait vue dans son sommeil appelant au secours, implorant à genoux qu'on vienne s'occuper d'elle et qu'on ne la laisse pas seule.".
Ce jour-là nous comprîmes combien le voyage en Europe et le spectacle des moeurs étranges de ses habitants pouvaient être intrigants pour un vieux Soudanais comme mon ami. Faut-il penser que ce côté déstabilisateur du voyage, le choc émotionnel qui l'accompagne, sont souvent favorables au déclenchement de la parole et de réflexions qui n'auraient peut-être pas été faites dans le milieu d'origine de ceux que nous interrogeons ? Je ne suis pas loin de le croire, à la lumière d'autres expériences faites en France avec des Africains dans des conditions analogues. Il m'est arrivé en effet par la suite à plusieurs reprises, fort du succès de ce voyage, d'inviter des collaborateurs africains. Chaque fois, cela fut, par delà le travail, une aventure passionnante pour les deux protagonistes. Le dépaysement crée une rupture, et quand il est bien vécu, il paraît favorable à l'affleurement de souvenirs et de réflexions.
Je travaillai aussi à deux ou trois reprises avec lui à Bamako, et là c'est moi qui étais dans ma seconde famille, un peu comme chez un vieux parent qui m'aurait fait participer à son expérience de la vie et des hommes. Lors de notre dernière rencontre à Bamako, en 1996, où j'étais venu pour mettre au point les derniers détails de la rédaction du livre qui était enfin presque terminé, je retrouvai chez lui la même ambiance que lors de mon précédent passage, au milieu de sa famille qui m'était désormais très proche, entouré de ses enfants et de ses nouveaux petits-enfants. Désormais les soucis et l'appréhension sur le déroulement des entretiens que j'avais pu avoir auparavant étaient disparus. Nous n'étions même plus là pour chercher à trouver de nouveaux épisodes à une saga qui en contenait bien assez pour occuper toute ma capacité et mon temps de travail tout de même limités. J'étais uniquement venu pour contrôler avec lui l'exactitude de certaines transcriptions, essayer d`évaluer certaines dates avec plus d'exactitude, choisir entre les passages d'ordre plus personnel qu'il était bon de faire figurer dans le livre et ceux qu'il était préférable d'exclure...
Les ambiguïtés nécessaires d'un livre issu d'une rencontre inter-culturelle |
Ce livre est donc le fruit d'un très long travail en commun. Le nombre d'heures d'enregistrement dépasse quatre-vingts. Il s'est d'abord agi pour moi, lors des premières années (entre 1984 et 1986), de recueillir de la bouche de mon ami tous les récits qui lui venaient à l'esprit, sans réel souci de suivre l'ordre chronologique des épisodes de sa vie, et sans chercher à l'influencer dans le choix de ses thèmes, sauf en lui rappelant de temps à autre telle ou telle anecdote déjà racontée hors micro et qu'il me paraissait intéressant de retenir pour le livre.
Plus tard, lorsque je repris avec lui le travail dans les années 90 après quelques années d'interruption, je commençai par lui lire des passages de ses interventions précédentes désormais transcrites, en lui demandant des précisions ou des compléments. Lui-même enrichissait au gré de son inspiration son récit de nouveaux épisodes. Il a développé ainsi lors de presque chacune de nos rencontres le "cycle" relatif à son maître Alfa Amadou. S'il m'a de bonne heure évoqué celui-ci et son enseignement, je remarque que le passage relatif aux relations entre Alfa Amadou et le premier maître de ce dernier, l'épisode du talisman donné par ce maître à Alfa Amadou pour lui permettre de ne jamais être vu par les Blancs et celui de la quête impossible par le commandant de cercle du village de Tambéni invisible aux Européens n'ont été racontés que tardivement, lors d'une séance de travail en France. De même, le récit des études et des voyages de Alfa Amadou, très intéressants du point de vue historique parce qu'ils permettent de comprendre ses liens avec Sokoto[9], ne sont venus que très tard. Certains épisodes, comme ceux relatifs à la mort du maître, qu'Almamy a relatés à Jean-Marie Gibbal qui les a publiés[10], ne m'ont jamais été racontés.
Comme je savais désormais quelle était la trame de son existence, il m'arrivait bien sûr de demander à Almamy de compléter certains épisodes, de demander des précisions ou des développements supplémentaires. C'est à ce stade de notre travail que mon questionnement, mes centres d'intérêt personnels ont pu l'influencer. On peut évidemment se demander quel aurait pu être ce livre s'il avait été composé avec un autre collaborateur que moi-même. Je pense cependant que pour l'essentiel, une fois sa décision prise d'écrire ses Mémoires, Almamy savait ce qu'il voulait dire, et que son univers personnel était trop prégnant pour qu'il se laissât facilement influencer par des circonstances extérieures. Je peux dire à ce propos que lors de ses voyages en France, je l'ai toujours vu rester lui-même à un point étonnant. Il était d'une grande curiosité, d'une grande tolérance aussi, face à tout ce qu'il voyait et apprenait, mais continuait de vivre et de raisonner comme dans son Guimballa natal, et cela d'une manière qui apparaissait même souvent étrange à ceux qui le rencontraient pour la première fois.
Lors de nos derniers entretiens, en 1996, nous avons surtout travaillé à préciser et compléter certaines données et j'essayai avec un succès limité de lui faire raconter des histoires qu'il avait racontées à d'autres, mais pas encore dans le cadre de sa biographie. Peut-être pensait-il qu'il en avait désormais assez dit, ou sa mémoire commençait-elle à être émoussée par l'âge. Nous réfléchîmes également à l'opportunité de retenir ou d'éliminer certains épisodes relatifs à sa vie privée, ou aux travaux de maraboutage réalisés en faveur de grandes personnalités bien connues. Ici ses enfants, à qui je demandai également conseil, furent nettement plus circonspects que leur père. Ces précautions n'étaient évidemment guère de mise pour le premier tome des Mémoires, qui s'achève au cours des années cinquante. Mais aujourd'hui où je mets la dernière main au deuxième tome, et où l'auteur n'est plus là pour prendre lui-même ses responsabilités, se pose à moi avec plus d'acuité le problème de la sélection ou du maquillage de certains épisodes, lorsqu'il apparaît peu souhaitable que soit reconnue par le lecteur telle ou telle personnalité évoquée.
Il me semble qu'au total Almamy a été très ouvert : pas seulement pour "me faire plaisir" mais aussi parce qu'au cours de l'entreprise, il s'en était approprié les objectifs : il voulait vraiment faire oeuvre d'enseignant, et laisser à la postérité un legs exploitable par les chercheurs comme par toutes les personnes soucieuses de retrouver ces mondes que nous avons perdus. Je rencontrai cependant des restrictions, qu'à tort ou à raison je n'ai jamais voulu franchement combattre. Ici peut-être intervient le facteur humain de l'entreprise. Il y avait en moi d'un côté le souci de poursuivre mon interlocuteur toujours plus dans ses retranchements, d'essayer de "le faire parler" comme je l'aurais tenté peut-être avec un autre informateur si j'avais été placé dans une situation classique de recherche et d'enquête de terrain. De l'autre, j'étais mu par le respect que j'avais pour mon interlocuteur et le souci que ce livre fût avant tout "le sien" : c'est-à-dire qu'il ne se limitât pas seulement à être une banque de données sur la boucle du Niger, mais qu'il fût aussi l'oeuvre d'un homme, avec sa sensibilité et ses choix personnels.
Ainsi pourra t-on être déçu de voir que l'auteur n'aborde pas le récit de son apprentissage du savoir dans le domaine des sciences ésotériques de l'islam. Bien sûr, il laisse entendre le rôle important de son maître Alfa Amadou dans ce domaine, mais rien de concret n'est avancé. Et il avoue qu'il y a des points qu'il ne se sent pas autorisé à dire. Par contre, il est prolixe à propos des prodiges accomplis par Alfa Amadou ou des travaux[11] qu'il a lui-même réalisés : Almamy Yattara était en effet renommé pour ses connaissances ésotériques, le bruit même courait qu'il conversait avec les djinns.
Il est bon maintenant de préciser quelle fut la part de notre travail commun dans l'élaboration du livre lui-même. Bien sûr, le rôle primordial d'Almamy Yattara fut de dire le récit et de l'enregistrer au magnétophone. Mais à chaque nouvelle rencontre, nous réfléchissions aussi ensemble à certains problèmes relatifs à la composition du livre. Ainsi avons nous cherché ensemble à placer les différents épisodes dans leur ordre chronologique, en tentant une datation approximative. On pourra être étonné des difficultés rencontrées à ce propos. Malgré toute sa bonne volonté, l'auteur était parfois incapable de donner l'ordre exact d'une séquence d'événements et de dater des épisodes les uns par rapport aux autres. Après avoir passé de longues heures à rechercher dans sa mémoire, il lui est même arrivé, en l'absence de points de repères écrits, de renoncer à une entreprise impossible, en me disant : "choisissez la solution qui vous conviendra, je vous laisse libre de faire au mieux !" Ce problème s'est posé en particulier pour ce qui concerne l'ordre de certains épisodes de sa formation islamique. Et le début de sa vie est d'autant plus difficile à situer dans le temps qu'une incertitude de plusieurs années règne sur sa date de naissance, qui se situe entre 1922 et 1927 : sa date officielle est en effet celle de la naissance d'un de ses grands frères, qu'il reprit lorsqu'il fit enregistrer son état-civil dans un jugement supplétif énoncé tardivement, au moment où il avait besoin d'obtenir une carte d'identité.
Mais après tout, était-ce si important ? L'ambition de ce type de livre n'est pas seulement de donner des renseignements d'ordre biographique aussi exacts que possible au chercheur, mais aussi et au moins autant dans mon cas de donner à toute personne curieuse d'en approcher une ouverture sur un monde différent. Cela impliquait de rédiger un livre autant que possible agréable et facile à lire, divertissant en même temps qu'instructif, comme le veut la tradition africaine de la parole ainsi caractérisée dans le Kaydara d'Amadou Hampâté-Bâ[12]. Et dans l'impossibilité financière de réaliser à la fois une édition pour les chercheurs et une édition pour un public plus vaste, il fallait bien faire un choix.
Donc, ici nous rejoignons les raisons de fond de mon effacement du livre lui-même : il s'agissait pour moi, en ce qui concerne la genèse de "notre livre", de me limiter à faire affleurer des richesses qui seraient sinon restées inconnues. Je ne souhaitais pas rappeler à tout moment du récit le questionnement, le protocole d'enquête, etc... A faire cela, le risque était d'aboutir à rédiger une thèse au détriment de l'intention initiale de présenter une belle histoire. De plus je souhaitais écrire un ouvrage agréable à lire. La seule solution pour cela était de l'écrire comme une oeuvre littéraire ou du moins de le tenter et non comme une étude.
C'est ce qui a présidé à mes choix en matière d'écriture : certes Almamy pas plus d'ailleurs qu'aucun d'entre nous, ne parlait pas dans un langage immédiatement transcriptible sur le papier. Mais le choix par exemple d'utiliser les jeux d'opposition entre le passé simple et l'imparfait (ou le présent de narration) qui lui étaient à l'évidence inconnus, la décision de rédiger dans un français autant que possible soutenu, mais sans recherche excessive venaient de ce qu'il était un profond connaisseur de la langue peule, un maître en sciences islamiques, bref un personnage de grande culture dont il m'aurait paru dérisoire de transcrire la parole dans un français basique. A ce titre, je crois que la rédaction par écrit d'un récit de vie dit oralement s'apparente toujours d'une certaine manière à l'exercice de traduction, et cela même si l'auteur maîtrise parfaitement la langue utilisée[13]. Et comme dans une traduction, je devais dans le français écrit me faire porter par le style, les images, l'univers verbal de l'auteur et les restituer autant que possible. Ainsi fallait-il tenir la gageure d'écrire dans un français soigné gardant en même temps la saveur de l'oralité. Là aussi la notion de "double auteur" prenait sa véritable dimension.
On en arrive alors à une oeuvre qui, tout en étant, je crois, prioritairement le livre de celui qui en a apporté la matière, est en fait le fruit d'une rencontre interculturelle que l'on espère réussie, mais que l'on n'aura pas la naïveté de croire exempte des ambiguïtés inéluctables à ce genre d'entreprise. Plutôt donc que d'indiquer pas à pas les démarches de la genèse du livre, j'ai préféré en donner quelques clés, dans une postface détaillée traitant des conditions d'élaboration du travail, et en montrer les enseignements essentiels à mes yeux. Cela doit permettre au lecteur de situer la nature de l'entreprise et le rôle de chacun de ses auteurs respectifs. Ce faisant, je n'ignore pas les objections qui ont déjà été faites à ce type de démarche. Il est vrai qu'aujourd'hui, nous sommes particulièrement vigilants, dans les enquêtes orales, sur la nécessité de bien indiquer les noms et les positions sociales de nos informateurs, car nous savons désormais que la tradition orale est largement tributaire de ces données. Ainsi, parmi les pionniers de l'historiographie coloniale des sources orales, préférons-nous Charles Monteil à Maurice Delafosse, parce que le premier indique systématiquement les noms et l'origine de ses informateurs, ce que ne fait pas, malgré ses immenses mérites, le second. Dans une étude donc aux visées purement "scientifiques", il aurait été préférable d'indiquer avec plus de précision le protocole de l'enquête menée auprès de mon collaborateur, pour donner au lecteur la possibilité de mieux situer les parts respectives de nos contributions. Cependant, il m'a semblé que cela aurait contribué à établir une fausse symétrie entre l'enquêteur et l'enquêté. Alors qu'avec une personnalité aussi considérable qu'Almamy, l'enquêteur, quelque fondamental que soit son rôle dans la genèse et la conservation du témoignage, n'est qu'un intermédiaire, un catalyseur d'une rédaction qui le dépasse largement. Et dans un monde où l'action n'est pas la soeur du rêve, le souci de réaliser une oeuvre de création commune dont la démarche et les étapes soient entièrement transparentes, en en rappelant toutes les étapes et toutes les scories, auraient me semble t-il abouti à un objet peut-être plus véridique, mais proposant une symétrie trompeuse entre les rôles des deux partenaires. De plus on aurait eu un travail illisible par les non spécialistes et donc de portée limitée, qui, pour reprendre une boutade connue, aurait eu les mains pures, mais sans avoir de mains.
Préface par Adame Ba Konaré |
[1] Amadou HAMPATE-BA, Amkoullel l'enfant peul, Mémoires 1, Paris, Actes Sud 1991 et Oui mon commandant , Mémoires 2, Actes Sud 1994.
[2] Wole SOYINKA, Ake, les années d'enfance, trad fr Paris 1984 suivi par Les années pagaille, trad fr Paris Actes Sud 1997.
[3] Pour se limiter à quelques textes concernant l'Afrique de l'ouest, on peut citer : SMITH Mary, Baba de Karo, L'autobiographie d'une musulmane haoussa du Nigéria, textes de Baba Giwa rassemblés et présentés par Mary F. Smith, Paris Terre Humaine, 1ère édition 1969 (édition anglaise Faber and Faber, 1954) ; BOCQUENE Henri, Moi un Mbororo : autobiographie de Oumarou Ndoudi, peul nomade du Cameroun, Paris, Karthala 1986 ; FIELOUX Michèle, Biwante, Récit autobiographique d'un Lobi du Burkina Faso, Paris Karthala 1993 et Amadou MARIKO, Mémoires d'un crocodile, Du sujet français au citoyen malien, Propos recueillis et mis en forme par Pierre Boilley, Bamako Donniya 2001.
On trouvera un compte-rendu de textes écrits selon cette perspective dans Autobiographies et récits de vie en Afrique, vol 13 sept 1991 A.P.E.L.A, Université de Paris Nord l'Harmattan 1991. Je prépare également, outre l'édition du deuxième tome des Mémoires d'Almamy Maliki Yattara, celle des Mémoires d'el hadj Muhammadu Baldé (personnalité religieuse, et ancien chef de village du Fuuta Djalon) et, en collaboration avec Ousmane Albakaye Kounta, celle des Mémoires de Bocar Cissé, doyen des instituteurs maliens. Citons également, comme un des premiers exemples du genre, WESTERMANN D, Autobiographies d'Africains : onze autobiograhies d'indigènes originaires de diverses régions de l'Afrique et représentant des métiers et des degrés de culture différents, trad fr Paris 1943.
[4] Adame BA KONARE, préface à Almamy, une jeunesse sur les rives du fleuve Niger, Editions Grandvaux, 2000, p. 5. On trouvera le texte intégral de cette préface dans le site web consacré à l'ouvrage, à l'adresse https://salvaing.free.fr
[5] SALVAING Bernard et YATTARA Almamy Maliki, Almamy, une jeunesse sur les rives du fleuve Niger, (Editions Grandvaux, 2000).
[6] comme l'écrit dans la préface de l'ouvrage Adame Ba-Konaré, ib. p. 9.
[7] cf la note critique rédigée à propos de Baba de Karo de Mary Smith par Suzanne Lallemand, citée pp. 411-12 de l'édition française de 1983 de l'ouvrage.
Sur le plan formel, on peut à notre époque, émettre quelques critiques concernant le genre dit biographique : ce "gommage" systématique des questions posées par l'ethnologue apparaît comme une discrétion excessive et peu appropriée à son objet ; car le soliloque de Baba est en réalité un dialogue avec Mary, qui a au moins partiellement orienté ce récit, gonflé certains thèmes que son interlocuteur jugeait peut-être mineurs, découpé le discours, disloqué des associations pertinentes et regroupé les informations éparses selon un canevas diachronique typiquement occidental. Certes l'énorme travail de réélaboration du matériau en permet une lecture aisée au public français, mais il implique l'occultation de réticences ou d'insistances indicatrices de l'importance du sujet abordé, il rompt l'ordonnancement spontané du verbe de Baba et disperse les éléments ressentis par elle comme nécessairement adjacents. Produit parfait, mais produit ambigu, non seulement parce qu'il est à l'intersection de la llittérature et de l'ethnologie, mais surtout parce qu'il se donne comme parole solitaire et intégrale, il est le fruit exemplaire et daté d'une communication interculturelle réussie, dont, malheureusement, l'une des partenaires a choisi de paraître s'effacer.
[8] Christiane SEYDOU, Dictionnaire pluridialectal des racines verbales du peul. Peul français-anglais, Paris Karthala, Agence de la Francophonie 1999.
[9] Alors que l'empire peul du Macina, de la tradition duquel Almamy Maliki Yattara est l'héritier, s'était formé en 1818, l'empire islamique de Sokoto, étendu sur des territoires aujourd'hui situés pour la plupart au Nord du Nigéria actuel, existait depuis le début du XIXe siècle. Il est tout à fait vraisemblable qu'à la fin du dix-neuvième siècle des érudits musulmans comme Alfa Amadou aient circulé entre les deux régions.
[10] cf GIBBAL Jean-Marie, Guérisseurs et magiciens du Sahel, Paris A.M Métailié 1984, pp. 11-18.
[11] Ainsi appelle-t-on les travaux faits à la demande de consultants par les "marabouts" experts en connaissances ésotériques (le 'ilm al asrâr, littéralement la "science des secrets"). Par exemple, on demandait à Almamy Yattara de favoriser par ses prières la réalisation de toutes sortes de voeux tels qu'une promotion, la naissance d'un enfant, le dénouement d'une situation politique difficile etc...
[12] Amadou HAMPATE-BA, Kaydara, Récit initiatique peul, rapporté par Amadou-Hampâté Bâ, édité par Amadou-Hampâté Bâ et Lilyan Kesteloot, Paris Classiques africains 1969, pp. 20-21.
[13] Nous ne nous rendons pas toujours compte de la différence qui existe entre le langage parlé et le langage écrit, même chez des personnes qui ont l'habitude de l'écriture. Il se trouve que je prépare actuellement, avec Ousmane Albakaye Kounta, l'édition de l'autobiographie de Bocar Cissé, doyen des instituteurs maliens, ancien élève de l'Ecole Nomale William Ponty, qui maîtrise donc parfaitement la langue française. Lorsque je lui montrai la transcription littérale des enregistrements de ses propos, il réagit très vivement et me dit à peu près ceci : "faites-moi le plaisir de ne pas écrire ainsi, transposez en bon français, je ne veux pas qu'on pense que j'écris si mal." Et il ajouta : "on disait autrefois des anciens élèves de l'Ecole William Ponty qu'ils parlaient comme ils écrivaient" (entretien avec Bocar Cissé, avril 2002).
Bernard Salvaing est actuellement maître de conférences à l'Université de Paris 1 (Centre de
Recherches Africaines) et rattaché au Laboratoire CNRS MALD
(Mutations Africaines dans la Longue Durée).
Après s'être intéressé à l'histoire des
Missions chrétiennes en Afrique de
l'ouest, il travaille maintenant sur l'histoire culturelle de l'islam au
Mali et en Guinée. Il termine un doctorat d'Etat sur l'histoire des
lettrés
et des foyers culturels islamiques au Fouta Djalôn (XVIIIe-début
XXe
siècle), à partir de sources écrites (manuscrits en arabe
et en peul) et
orales. Il s'intéresse également aux récits de vie au Mali
et en Guinée, et
prépare la publication de trois ouvrages de ce type. Quelques publications : "O temps O moeurs ! A propos d'un manuscrit de Bambeto au Fouta Djalon rédigé en Peul : transcription, traduction, présentation et commentaire" Revue Islam et Sociétés au sud du Sahara décembre 1994, (en collaboration avec Ibrahima Kaba Bah), Les Missionnaires à la rencontre de l'Afrique Paris : l'Harmattan, 1995. " A propos d'un texte politique de Cerno Saadu Dalen, sur la discorde entre les deux clans du Fuuta" in Al-Maghrib al-Ifrîqî, revue de l'Institut d'Etudes Africaines de Rabat, 2002, no 3, pp. 33-59. Almamy, une jeunesse sur les rives du fleuve Niger. Brinon sur Sauldre : Editions Grandvaux, 2000. Voir sur cet ouvrage le site salvaing.free.fr.
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