A L'ECOUTE DE MARIE-LEONTINE BILOMBO TSIBINDA |
Exil, violence et mort ambiante ou la nécessité de quitter l'Afrique?
Un entretien avec Marie-Léontine Tsibinda,
femme de Lettres congolaise
et exilée.
Cette interview a été réalisée en mars-avril 2002
Marie-Léontine Tsibinda est née au Congo-Brazzaville, dans le
Kouilou. Poète, auteur de nouvelles et femme de théâtre, elle
occupe une place importante dans l'univers des lettres congolaises. Membre de la troupe de théâtre de Sony Labou Tansi, le Rocado Zulu
Théâtre, pendant plusieurs années, elle fut aussi
la bibliothécaire du Centre Culturel Américain. La
guerre civile, qui a éclaté au Congo à la fin des
années 1990, l'a contrainte à prendre le chemin de l'exil en 1999.
Elle s'est d'abord réfugiée à Niamey puis à
Cotonou, et enfin au Canada où elle est arrivée à la fin
de 2001. Son mari et une partie de sa famille sont restés au Congo
où la situation reste très précaire. Dans le domaine de la
poésie où elle est reconnue comme une pionnière,
Marie-Léontine Tsibinda a publié Poèmes de la
terre. Brazzaville: Editions littéraires congolaises, 1980,
Mayombe. Paris: Editions Saint-Germain-des-Prés, 1980, Une
Lèvre naissant d'une autre. Heidelberg: Editions Bantoues, 1984,
Demain, un autre jour. Paris: Silex, 1987, et L'Oiseau sans arme
(illustré par Michel Hengo). Jouy-Le-Moutier (France) : Bajag-Meri,
1999. Elle a aussi publié un recueil de textes de divers intellectuels et artistes congolais intitulé Moi, Congo ou les rêveurs de la souveraineté Jouy-Le-Moutier (France) : Bajag-Meri,
2000. Email: ["marie leontine bilombo tsibinda" [email protected]] |
En Europe ou en Australie, on a souvent peine à comprendre pourquoi tant d'Africains se lancent sur la route de l'exil? Qu'est-ce qui vous a poussé, vous Marie-Léontine Tsibinda, à quitter votre pays le Congo?
Rester à Brazza était devenu un cauchemar pour moi dans la mesure où ma maison a été brûlée après l'offensive du 15 octobre 1997. Je pense que cette opération rentrait dans le cadre d'une mission bien précise: détruire les maisons de certaines personnalités du sud, détruire ce qu'ils représentaient. Pourquoi détruire la maison d'un mort comme celle de l'écrivain Sylvain Bemba, à Bacongo, alors que tout le monde sait que Sylvain Bemba était bel et bien décédé en juillet 1995 à Paris! J'ai eu peur. J'ai essayé de tenir bon. Mais si les incendiaires m'avaient trouvée chez moi, au Plateau-des-15-ans, dans ma maison, je serais morte sans aucun doute en ce jour fatal de novembre 1997. Partir était devenu inévitable. J'ai pris les enfants qui étaient avec moi à Brazza : ma famille, comme beaucoup d'autres, a éclaté.
Un moment difficile...
Oui. Après l'offensive, les garçons étaient les personnes les plus visées. Pour le pouvoir en place, ils représentaient un danger, les futurs cocoyes ou ninjas[1]. Plusieurs ont trouvé la mort dans des conditions terribles. L'épouvante se lisait dans les yeux de la population. A n'importe quelle heure du jour et de la nuit des miliciens à la solde du pouvoir pouvaient débarquer chez vous, sans crier gare pour vous dévaliser, vous assassiner ou, selon leur humeur, vous escroquer une somme d'argent à payer sur-le-champ pour sauver votre vie. Comment tenir? Quand la guerre de décembre 1998 a éclaté, que Brazzaville Sud a été mise à feu et à sang, et que le petit commerce que j'avais réussi à monter à Bacongo a été brûlé, une fois de plus, j'ai pris la clé des champs. Partir et chercher un autre endroit où recommencer à bâtir un autre lendemain. Oublier ce cauchemar, le coeur en bouillie. Oublier cette mère devenue folle parce qu'elle avait perdu ses deux seuls fils qui s'étaient réfugiés au Congo démocratique. Oublier ces autres jeunes hommes morts à Brazzaville après avoir quitté Kinshasa. Sans compter les produits chimiques déversés par les bombes et les malformations que ces produits vont provoquer chez les enfants à naître. La liste des atrocités n'en finit pas. Après la révolution rouge, le Congo a aussi connu son Chernobyl. Et personne n'en parle. Crime contre l'humanité. Silence. L'Occident se tait. C'est une question entre Africains, n'est-ce pas ? Des milliers de vies sont brisées, mutilées, anéanties, mais l'Afrique c'est loin de l'Afghanistan, loin de la Bosnie, loin du Kosovo. Et puis, l'Afrique sans les Africains, n'est-ce pas le rêve idéal?
Partir n'a donc pas été un choix, mais une nécessité...
... et j'ai quitté le Congo le 18 février 1999 en passant par Pointe-Noire, la capitale économique du Congo pour me rendre au Niger. Une famille amie m'a accueillie, mais le Niger a été victime d'un coup d'Etat peu après mon arrivée à Niamey. Ce coup d'Etat du 9 avril 1999[2] m'a déroutée parce que la famille amie qui nous avait accueillis, mes enfants et moi, était très proche du président assassiné. J'ai donc décidé de quitter le Niger. Nous étions perdus. Nous voulions un asile de paix. A la fin de l'année scolaire, en juillet 1999, nous sommes descendus à Cotonou où nous sommes restés jusqu'au 13 novembre 2001, date à laquelle nous avons quitté le Bénin pour le Québec au Canada, par le biais du HCR. Je pense ainsi donner d'autres chances aux enfants pour demain. La vie est une lutte de chaque jour et j'apprends à me battre.
Comment s'est passé votre séjour au Bénin.
J'ai essayé de travailler avec quelques femmes, chefs d'entreprises. J'ai rejoint l'équipe de "La Contemporaine", magazine économique et politique de "La Béninoise". Je ne suis pas restée assez longtemps pour sortir plusieurs numéros. Mais, en tant que rédactrice en chef du magazine, nous avons sorti un numéro. J'ai participé à des rencontres avec l'Atelier Nomade, un espace culturel béninois. Ça a été une étape non négligeable dans ma vie. Je l'accepte. Un jour, je parlerai peut-être de tout cela dans un livre.
Pourquoi avez-vous choisi de vous lancer dans un magazine économique et politique alors que vous avez une longue expérience de la littérature et des arts, et que c'est plutôt dans ces domaines qu'on se serait attendu à vous retrouver?
"La Contemporaine" est un magazine qui existait déjà quand je suis arrivée à Cotonou en 1999. Je me suis intéressée à ce travail parce qu'il concernait les femmes et c'est ce genre de "truc" que j'ai souhaité faire, éditer une revue, un magazine, monter une maison d'édition, une librairie. Me noyer dans le monde du verbe et des mots avec toute mes folies.
La directrice de la revue, bien ancrée dans le commerce, s'est toujours sentie attirée par la politique. Elle est hôtelière, membre actif d'un parti politique de l'opposition. Elle pense que la femme doit se battre à tous les niveaux et "La Contemporaine" est une plate-forme ouverte à la femme du Bénin et d'ailleurs.
Je venais d'ailleurs et donc je pouvais aussi apporter ma pierre à la construction de cet édifice. Dans un premier temps, j'ai rencontré des femmes, des journalistes et des étudiants congolais avec qui j'ai discuté de la reprise du magazine. Leur collaboration m'étant acquise, nous avons mis sur pied un plan de travail. La partie technique, les rubriques, tout était mis en place. Nos collaborateurs du Bénin nous ont aidés bon an, mal an. Par la suite nous avons rencontré des femmes béninoises qui nous ont accordé des interviews. Je pense que côté textes, nous n'avions pas de gros problèmes. Des articles variés traitaient de la femme et les affaires, l'industrie culturelle, la coopération, l'exil...
J'étais et je suis encore une journaliste free lance car je travaille encore avec "Amina" un magazine de la femme édité en France. J'avais découvert "Amina" en 1982 (!) et quand les femmes de Cotonou m'ont demandé de travailler avec elles, je ne me sentais pas en terre inconnue, seules les fonctions avaient changé puisque j'étais rédactrice en chef du magazine "La Contemporaine".
Votre fuite du Congo vous a conduite pour un temps au journalisme. Est-ce que vous vous souvenez de ce qui vous avait conduit au théâtre et à devenir comédienne dans la Troupe du Rocado Théâtre de Brazzaville? Quels souvenirs avez-vous de cette époque?
Le Rocado Zulu Théâtre a été une merveilleuse aventure: j'ai rencontré Sony Labou Tansi chez l'écrivain Sylvain Bemba (tous deux décédés, hélas!). Sony cherchait des comédiennes pour sa troupe car dans les années 70, une fille sur les planches ou faisant de la musique était considérée comme perdue, ces activités n'étant pas réservées aux filles bien. Les choses commencent à changer, heureusement!
Faire du théâtre me plaisait et les comédiens du Rocado avaient tous appris le théâtre à l'école de la vie. Nous vivions ces moments avec passion. C'était à une période où le Congo, rouge et expert, n'avait qu'une direction à suivre, celle du guide éclairé, léniniste et marxiste! Et bien des fois, des censeurs sont venus assister à nos répétitions en biffant certains passages qu'ils estimaient trop osés. Ils s'attendaient toujours à des répétitions qui chanteraient les louanges du guide pas souvent éclairé!
Nous avions le soutien de nombreux amis aussi bien africains, congolais, américains (j'étais bibliothécaire au Centre Culturel Américain et il me fallait toujours négocier quand nous partions en tournée pour de longues semaines), qu'européens. Une époque que je n'oublie pas, en tout cas.
Je me souviens de la première pièce, "Sur la tombe de ma mère", une satire du gouvernement qui voulait que la construction du chemin de fer passe par le village du ministre de la construction. Le chemin de fer est construit en faisant fi des avis techniques des ingénieurs et il y a éboulement et mort d'hommes et le ministre devient fou... à l'époque, c'était osé et ça n'a d'ailleurs pas empêché les projets foireux des gouvernements de se succéder jusqu'à ce jour! Oui, cette pièce de Nicolas Bissi, un auteur non encore publié, a eu un grand succès. Par la suite, nous avons monté et joué des pièces collectives et celles de Sony lui-même, sans conteste un dramaturge émérite, avec l'assistance de metteurs en scène français comme Daniel Mesguish, Pierre Vial, Pierre Débauche, Guy Lenoir et bien d'autres. C'était ma folie! Une folie que j'ai interrompue en 1998, année où je me suis mariée, (encore une folie, sans doute plus belle).
La troupe vit-elle encore, avec tous les chamboulements que le Congo a subi, je ne saurais le dire. Il faut dire aussi que la maladie et la mort de Sony avaient ralenti les activités de la troupe.
Le théâtre était votre folie, mais on vous connaît surtout pour votre poésie? Comment en êtes-vous venue à ce genre et que représente la poésie pour vous aujourd'hui?
Si le père du roman congolais s'appelle Jean Malonga avec son roman publié en 1953, "La légende de mpfoumou ma mazono", à présence africaine, le père de la poésie congolaise se nomme par contre Tchicaya Utamsi. En effet, en 1955 Utamsi ouvre le bal poétique avec son recueil "Le mauvais sang" ("Makila mbae" en langue congolaise) et une question fondamentale qui a dominé toute son oeuvre : 'Comment vivre ?'.
Je pense que la poésie congolaise s'est bâtie autour de cette question, quelle soit écrite par un Tati Loutard, Maxime Ndebeka, Dominique Ngoie Ngalla, Makouta Mboukou, Eugene Ngoma, Diop Kegni, Philippe Makita, Bilombo Samba ou Matondo Kubu Ture (sans oublier la génération de nouveaux poètes qui vivent en Europe, en exil forcé ou voulu). Les poèmes de Sony, on le sait, n'ont été publiés pour la plupart qu'a titre posthume. "Comment vivre" en tant que Congolais, car avant de s'ouvrir "vers le monde, vers l'autre", c'est d'abord du Congo qu'il s'agit dans l'écriture congolaise.
La femme que je suis n'est entrée dans le bal littéraire qu'en 1980, presque trente ans plus tard. Je suis arrivée dans ce monde où l'homme règnait en maître, et j'ai été saluée par "mes grands frères", avec bonheur, parce que ma poésie a été discutée, critiquée sans complaisance et acceptée. Du coup, je suis devenue membre de la fratrie congolaise et ça a ouvert la voie à d'autres femmes qui sont entrées à leur tour en scène: Amélia Nene, Cecile Diamoneka, Félicité Safouesse, Céline Bikoumou, Léa Kimbekete, Ghislaine Sathoud et je suis consciente d'en oublier d'autres, malheureusement. Envers et contre tout, la poésie congolaise - et la création littéraire congolaise en général - ont gagné leurs lettres de noblesse par de nombreux prix nationaux et internationaux et leur succès continue d'ailleurs jusqu'à ce jour
La poésie m'a séduite un jour sur la route de l'école : j'adorais le rouge fou des flamboyants au mois de novembre, le bleu insolent d'un ciel d'avril, la nature en fête. Depuis, elle me permet de tenir devant les coups du destin.
Comment voyez-vous votre futur et celui de vos enfants : au Canada? Au Congo? Ailleurs?
Le futur est un mot bien grand. Ici, il représente la terre d'une nouvelle espérance, d'un nouveau chant de départ (un titre emprunté à un poète congolais dont le nom m'échappe) de nouveaux soleils neufs (encore un titre emprunté au poète Maxime Ndebeka cette fois-ci). J'ai rencontré des personnes, ici, qui veulent me confier la direction de leur journal. Comment résister à la tentation! J'ai dit oui!
Merci Marie-Léontine Tsibinda
Note de la rédaction
[1] Cocoyes : milices loyales à l'ancien
Président Patrice Lissouba.
Ninjas : milices loyales à l'ancien Premier Ministre Bernard
Kolélas.
[Republic of Congo in 2000 Amnesty international report]
[2] Le président Baré fut assassiné le 9 avril 1999.
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