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Le Syndrome du pays
UNE NOUVELLE
de
Ghislaine Nelly Huguette Sathoud
Prière de lire la notice sur la protection des droits d'auteur |
Mounami était heureux de me voir. Le salon était comble. C'était là une bonne occasion de penser au pays, de rencontrer du monde et de sortir de la solitude, ne serait ce que pour quelques instants. C'était là une occasion d'échanges permettant d'oublier un peu les frustrations des exilés que nous étions. Malheureusement, on ne peut pas se le cacher, c'était aussi dans ces rencontres que commençaient les commérages... Alors, me disais-je, je serai discret. Je resterai tapi dans un coin. Je ne donnerai mon téléphone à personne. Tant pis. Je ne me préoccuperai pas des qu'en-dira-t-on. La vie est ainsi faite. On ne peut pas se faire aimer de tout le monde. |
Je somnolais lorsqu'un jeune garçon un peu hésitant s'approcha de moi.
- Excusez-moi Monsieur, dit-il, vous ressemblez à quelqu'un que je connais.
- Je suis peut-être son sosie dis-je pour éviter d'engager la conversation.
- Je ne sais pas, poursuivit-il. La ressemblance est très frappante mais ça fait une vingtaine d'années que je n'ai pas vu ce monsieur.
- Depuis une vingtaine d'années ? dis-je comme pour l'inciter à se taire.
- Oui. Depuis qu'il a quitté le pays, insistait mon interlocuteur. C'est exact, depuis une vingtaine d'années. Dites-moi, êtes-vous originaire du plus beau pays au monde, mon pays, le Bouala ?
- Certes, le Bouala, c'est mon pays, dis-je en commençant à me dérider.
- Alors c'est vous... J'en suis maintenant certain. Vous êtes grand Mahinou.
- Grand Mahinou? Et qui est ce monsieur pour vous ? demandais-je d'un air moins indifférent que je ne l'aurais voulu.
- C'est l'ami de mon défunt frère Hivounda. Il a quitté le pays depuis longtemps. Je m'appelle Hilétsi...
- Viens dans mes bras mon cher petit, c'est bien moi. Qu'est-ce que tu as grandi !
- Je suis ici depuis trois ans et j'ai rencontré des gens qui te connaissent mais personne ne semble avoir tes coordonnées.
- Mon frère, nous sommes à l'étranger, il faut savoir éviter les ennuis.
- Grand frère, depuis trois ans que je vis ici, j'ai constaté que la vie à Didilu n'est pas aussi facile qu'on le pense. Tout le monde au pays rêve de venir ici. Pourtant la réalité est différente de ce que l'on pense.
- Eh ! Oui. Ce n'est vraiment pas le paradis, petit-frère.
- En tout cas, si j'avais su que les choses se passaient ainsi...
- Tu n'aurais pas fait le voyage, dis-je sans même lui laisser le temps de finir sa phrase.
- Même entre compatriotes, on se met les bâtons dans les roues. On ne sait plus à qui faire confiance. On se méfie de tout le monde. C'est vraiment triste.
- C'est pour toutes ces raisons que je préfère me ranger dans mon coin. Comme tu l'as remarqué, mes compatriotes ne savent pas où me trouver.
- Grand-frère, je veux savoir comment, depuis tant d'années, tu arrives à vivre dans ce pays. Peut-être que tu as un secret ? Pour moi c'est difficile, je t'assure. Il fait très froid. A cela s'ajoute la solitude. Je ne supporte pas la routine métro, boulot, dodo. C'est le même scénario tous les jours. Et puis, j'ai des factures énormes de téléphone...
- Tu n'es pas seul dans cette situation. Quand la solitude nous enlace, le seul moyen de se débarrasser de cette étreinte étouffante est d'écouter les voix des nôtres. Moi aussi, j'appelle beaucoup au pays. Ça me coûte cher, mais c'est réconfortant.
- Grand-frère, peut-être que la meilleure solution serait de rentrer au pays.
- Oui, rentrer au pays, j'y ai pensé pendant longtemps ...
- C'est la seule chose à faire !
- J'y ai pensé souvent, mais chaque fois que la date fixée est arrivée, j'ai remis mon projet à plus tard.
- Et pour quelle raison, mon cher aîné ?
- Oh, les raisons sont nombreuses. On ne rentre pas au pays à la légère. Comme bien d'autres, je me demandais si je trouverais un emploi en arrivant. Par ailleurs, ma grand-mère m'a toujours déconseillé de retourner au pays. Tu sais qu'il y a beaucoup de choses qui se passent là-bas et on devient facilement la cible des sorciers. C'est vrai que ces gens là peuvent venir même ici pour me"chercher". Il paraît que dans le monde des sorciers, il y a des avions aussi . C'est ainsi qu'ils voyagent à travers le monde à la recherche des victimes. Mais je pense quand-même qu'il est plus prudent de vivre loin de ce monde-là.
- N'empêche que vivre ici nous crée aussi des problèmes insurmontables. Tiens, grand frère, je voudrais me marier mais c'est très difficile de trouver une femme qui respecte nos traditions. Ici, nos soeurs appellent la police dès qu'il y a le moindre problème dans le couple. Je préfèrerais trouver une femme au pays. Quand elle arrive ici, j'évite les contacts avec le monde extérieur et tant qu'elle reste dans l'ignorance des réalités d'ici, nous vivons en paix.
- Il y a quelques années, je pensais comme toi. Avant de vivre moi-même cette expérience, je pensais exactement comme toi. J'ai fait venir une femme du pays. J'ai essayé d'éviter les contacts avec le monde extérieur. Mais si je peux te donner un conseil, ne commets pas la même erreur. Ce n'est pas possible de garder une femme dans l'ignorance et ça ne sert à rien. C'est mon avis. Avant de condamner le comportement des femmes ici, il faut s'examiner soi-même...
- Excuse-moi de t'interrompre, mais quand nos soeurs arrivent ici, elles changent. Les femmes veulent que les hommes participent dans les travaux ménagers. Pourquoi une femme doit-elle me demander de faire son "travail" ? Je n'ai jamais vu mon père dans la cuisine faire le travail de ma mère. Je n'accepterai pas de le faire. Qu'est-ce que ma mère et mes soeurs diraient au pays si elles apprennaient que j'étais le cuisinier de ma femme ? Quel que soit l'amour que j'ai pour une femme, je ne négocierai pas sur ces questions là.
- Petit-frère, je pensais comme toi à mon arrivée ici. Aujourd'hui ma vision a changé. Tu te rendras compte que ce n'est rien du tout. Ici, ce n'est pas comme chez nous. Il est impossible de se payer le luxe d'avoir des domestiques. C'est encore différent du pays parce qu'il n'y a pas les autres membres de la famille qui peuvent contribuer à la réalisation de toutes ces choses. Si ta femme travaille, celui qui arrive en premier apprête le repas. L'argent que la femme apporte est une forme de contribution aussi.
- Mais ça ne se passe pas ainsi chez nous.
- Justement ce sont les réalités d'ici. Il faut savoir composer avec toutes ces choses. Au pays, il y a la famille. C'est différent.
- Mon frère, je ne sais pas même faire une simple omelette.
- Alors comment te débrouilles-tu ?
- Je mange dans les restaurants. J'achète des boîtes de conserve...
- J'imagine que tu dépenses beaucoup d'argent. Il faut apprendre à cuisiner.
- C'est difficile.
- Ce n'est pas si difficile que tu le penses. C'est en forgeant qu'on devient forgeron. Mon petit, il y a plusieurs sortes d'exil. Certains partent du pays parce qu'ils sont en danger. D'autres quittent le pays pour chercher une meilleure situation, un bon travail. D'autres encore quittent le pays pour des raisons familiales, mais nos difficultés sont les mêmes: nous souffrons tous de l'absence de nos proches à nos côtés, nous devons nous battre pour nous faire des amis et nous adapter aux conditions de vie de notre nouvel environnement. Tu dis par exemple que dans ton pays, les hommes ne vont pas dans la cuisine. Ici, c'est différent. Tu es obligé de participer.
- Je ne pense pas que tout ce qui se fait ici est bon.
- Bien sûr petit frère, mais c'est à nous de savoir faire la nuance. Regarde, nous sommes venus ici pour assister notre compatriote qui vient d'apprendre le décès de son oncle au pays, mais la veillée ne se passe pas comme au pays. Chez nous on pleure, on chante. Ici, s'il y a du bruit la police arrive et il faut payer une amende pour avoir dérangé les voisins. Ce qui n'empêche pas que quand j'arrive dans des veillées mortuaires, j'imagine une vraie veillée, comme ça se passe au pays. Tous les jours j'ai le "syndrome" du pays. Je pense aux enfants qui jouent au football dans les rues. Je pense au soleil. Je pense à tout. Il a fallu que je sois loin de mon pays pour comprendre à quel point toutes ces petites choses font partie de moi.
- Tu n'es pas le seul à regretter là-bas...
- Et quand on se rend compte de ce qu'on a perdu, ce sont les larmes, la tristesse, la déprime - pour ne citer que quelques symptômes de ce manque qui nous ronge comme une maladie.
- Oui grand frère, et pour lutter contre cette maladie-là, j'ai un remède : j'appelle mes parents et amis au pays, j'écoute la musique du pays, j'essaie de penser à mon village même si la réalité me rappelle que je n'y suis pas.
- Et tu paies des factures énormes de téléphone, petit frère...
- Oui, mais pas aujourd'hui grand frère , pas aujourd'hui où notre rencontre m'a donné suffisamment d'énergie pour vaincre le syndrome du pays.
© Ghislaine Sathoud
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