COMPTE RENDU DE LECTURE DE JEAN-MARIE VOLET |
L'Afrique côté cuisines. Regards africains sur l'alimentation
Collection d'articles de divers auteurs.
Coordonné par Pierre Barrot
(SYFIA)
Editions Syros, Paris. 192p. ISBN: 2 84146 021.5 |
Publié en 1994 par le système francophone d'information agricole (SYFIA), L'Afrique, côté cuisines. Regards africains sur l'alimentation est un ouvrage qui mérite qu'on s'y arrête aujourd'hui encore. L'univers culturel africain, très divers certes, est aussi guidé dans ces choix par un certain nombre de principes similaires que l'on retrouve au coeur des systèmes alimentaires qui en influencent le développement: l'idée de partage, par exemple, ou encore celle de réciprocité ou encore la ritualisation des échanges.
Le "portrait impressionistique et passionné de l'Afrique qui mange" dressé par vingt cinq journalistes africains et français qui ont contribué à la rédaction de ce volume rappelle que
L'ouvrage est divisé en cinq parties thématiques augmentées d'un petit cahier photos encarté, d'un avant propos et d'une préface excellente qui souligne les aléas d'une cuisine africaine qui a su s'adapter et évoluer au gré d'influences multiples, mais qui reste résolument attachée à la tradition et donne une impression "de diversité", "de mouvement"(p.15) et d'un "savoir faire complexe que des milliers de femmes apprennent et transmettent à leur tour"(p.17).
La première partie intitulée "Traditions en perdition" souligne l'émergence de nouvelles habitudes alimentaires adaptées aux conditions de la vie urbaine et aux flux migratoires qui permettent de retrouver partout certains plats nationaux ayant "voyag[é] d'un pays à l'autre sur les pas des migrants". (p.13)
La deuxième partie intitulée "Produits du terroir ou agro-alimentaire?" souligne les difficultés rencontrées par l'industrialisation dans le domaine de l'agro-alimentaire face à la dominance des circuits de production et de distribution traditionnels, infiniment plus souples et plus proches des besoins et des goûts des consommateurs.
En contraste, la troisième partie intitulée "la pâte et le grain" souligne l'influence de l'aide alimentaire sur les habitudes de consommation de céréales. Le succès du riz imposé au Sénégal à l'époque coloniale et le pain importé dans des régions ne produisant ni blé ni céréales facilement panifiables, ont créé des dépendances alimentaires que l'attrait limité pour les céréales locales a bien du mal à modifier.
"Manger sans danger", le titre de la quatrième partie fixe quant-à lui, davantage un objectif qu'un état de fait. Des ravages de la malnutrition provoqués par une utilisation inadéquate du lait en poudre Nestlé aux biberons mal stérilisés en passant par les fréquentes intoxications alimentaires dues aux "poulets cadavres" et autres produits surgelés peu adaptés aux pratiques des marchés, les denrées excédentaires ou périmées de l'Europe, les carences de tous ordres et les grossistes peu scrupuleux, de nombreux facteurs sont liés à un monde en mutation difficile à maîtriser.
La cinquième partie "Chasse, cueillette et traditions" souligne que si les tabous alimentaires et la récolte d'aliments en brousse n'ont pas été abandonnés, ils évoluent et s'adaptent aux conditions socio-économiques et aux besoins du moment. De plus, quand la vie devient par trop difficile, bière et alcools forts produits localement coulent à flot.
Dans son ensemble, L'Afrique côté cuisine offre une image assez ambiguë de l'univers nutritionnel africain. D'un côté, la cuisine africaine atteint les sommets de la convivialité, de la diversité, de la sophistication des mets et, assez paradoxalement, de la flexibilité; mais au-delà du choix incomparable d'aliments et de breuvages qui ravissent les papilles gustatives de l'Africain d'aujourd'hui, se dessine le spectre des conditions sanitaires déplorables, l'appétit démesuré de certains marchands peu scrupuleux, les technologies inadaptées aux conditions locales et une industrialisation sauvage et inadaptée. La famine qui guette de nombreux pays en guerre semble prête à jaillir de partout. On ne peut nier ces problèmes, mais il serait aussi faux d'en surestimer la portée. Comme le disent les auteurs de l'ouvrage: "Le domaine de l'alimentation est peut-être celui où s'affrontent de la façon la plus spectaculaire les logiques de la tradition et de la modernité, de la quête de l'identité et de l'ouverture au monde, de l'autosuffisance et de la dépendance." Oui, c'est sans doute du côté des cuisines que l'on perçoit le mieux "le dynamisme d'une Afrique qui bouge, résiste, invente et s'adapte" et nous fait envie. (Quatrième de couverture).