ENGLISH ORIGINAL |
La version française de cet article et les ouvrages cités
ont été traduits de l'anglais par l'auteur.
William W. Bostock
University of Tasmanie
La règle majoritaire de l'Afrique du Sud a pour tâche de construire une nation qui soutienne et maintienne la viabilité de son état. Cette communication à pour but de montrer, à l'aide de concepts tirés de la psychologie et de la sociologie, que la politique linguistique est cruciale dans la formation d'un Etat-nation s'appuyant sur une symbiose ethnopolitique (Breton, 1995:75).
Dynamique psychologique |
Le lien entre état et nation est le mécanisme psychologique de l'identification, qui est source de force psychologique, d'équilibre et d'épanouissement personnel (Breton, 1995:11).
Il est possible de définir l'identité comme "étant le moi essentiel et continu d'une personne, le concept interne et subjectif du soi en tant qu'individu." (Reber, 1995:355). L'identité est formée par l'identification que Freud voyait comme toute première expression d'un lien avec l'autre (Freud, 1955:105). Cette proposition fut développée par Erikson qui considérait un sens aigu de l'identité comme une condition nécessaire à la création d'un individu ou d'une société fonctionnelle. Erikson considérait le sens aigu de l'identité comme un générateur d'énergie et un sens faible ou confus d'identité comme une source de déclin. Quand l'identité se produit à grande échelle, elle devient collective et étaie un comportement collectif (Erikson, 1968)
Le concept de comportement collectif fut proposé par Le Bon qui théorisait que dans une foule, la psychologie de l'individu est subordonnée à la mentalité collective qui transforme radicalement le comportement individuel (Abercrombie, Hill et Turner, 1988:42).
Durkheim alla plus loin en proposant le concept de conscience collective comme étant:
Jung formula un concept similaire, celui d'inconscient collectif; Jung et Durkheim partageaient la même idée de représentations collectives ou archétypes qui étaient exprimés "de façon typique" dans la religion (Greenwood, 1990:1).
Le Bon et Durkheim décrivirent le mécanisme par lequel la conscience collective était issue d'un procédé de transmission par contagion. Plus récemment, Kiev continua sur cette même lancée lorsqu'il exprima le fait que, selon lui, la névrose d'anxiété collective se propageait par contagion comme une maladie infectieuse (Kiev, 1973:418).
Cependant à présent, le concept de conscience collective est tombé en désuétude à cause des objections faites au concept d'âme collective (Durkheim, 1964:8) ou à l'existence d'une conscience hypothétique, collective et transcendantale qui, on le supposait, caractérisait un groupe ou une communauté (Reber, 1995:323). Les difficultés qui se présentent lorsqu'on veut vérifier empiriquement une telle entité ont eu pour résultat sa mise à l'écart des discussions modernes. De ce fait, un observateur commenta "il n'y a pratiquement pas eu de recherches évaluant directement la réalité de la conscience collective." (Varvoglis, 1997:11).
Sans présupposer une âme collective l'on pourrait rassembler sous le terme d'état psychologique collectif un sens d'identité commune, des émotions partagées, une cosmologie et une culture communes.
On peut s'attendre à ce que des changements soudains et dramatiques dans l'état psychologique collectif, voire même des craintes de changements, produisent une réaction violente qui peut être exagérée par le mécanisme de contagion. Erikson observa ce phénomène dans la crise d'identité lorsque des facteurs puissants d'identité négative sont produits qui "...provoquent chez un homme la haine de l' autre." (Erikson, 1988:62).
On continue à prêter beaucoup d'attention à la psychologie de subjugation qui est la condition nécessaire des relations colonisateurs/colonisés. Parmi les grands écrivains qui ont traité de ce problème figurent Césaire, dont la poésie rejette le conquistador (1969: 39); Memmi qui décrit la situation du colonisé comme étant déterminée par un rapport de rabaissement (1965; 67); Mannoni (1964) et Fanon. A la lumière de ces interprétations incontestables de la condition coloniale, il est possible de supposer que l'humiliation collective est un facteur important que les leaders d'un état nouveau devront prendre en considération.
La peur collective est également un facteur qui produit de la violence, comme Lake et Rothchild suggèrent:
La politique linguistique et l'état psychologique collectif |
La politique linguistique est une sphère dans laquelle l'état psychologique collectif peut être évalué, modifié et d'une certaine façon, contrôlé. Cela est dû au fait que la langue est un mécanisme d'identification et un bien collectif : "la langue exprime l'expérience collective d'un groupe" (Herder dans Smith, 1981:45) et est un droit collectif (Breton, 1997:47). Toute atteinte à la position de la langue comme véhicule d'identité du groupe est susceptible de causer une réaction violente en provoquant ce que Breton appelle l'aliénation de la langue (Breton, 1997:76) ou le deuil anticipé de la perte de la langue (Bostock, 1997).
Tout ceci parce que, comme l'explique Breton, l'unité linguistique est gage d'unité politique et d'unité psychologique (Breton, 1997:76). Les conséquences d'une politique linguistique mal gérée peuvent être un désir d'obtenir une séparation par des moyens violents, comme on a pu le constater au Sri Lanka (Bostock, 1997).
Le romancier Danilo Kis a décrit cet état psychologique collectif qui produit ce genre de séparatisme nationaliste violent comme:
La politique linguistique peut donc être un instrument puissant dans la fusion de l'état et de la nation mais, lorsqu'on l'utilise d'une façon insensible et inappropriée, les conséquences peuvent en être violentes. La politique linguistique peut être utilisée pour calmer et pour rassurer l'état psychologique d'une collectivité en garantissant un avenir avec des lignes de conduite fermes qui assureront la sécurité et le rehaussement du statut de leur langue. Mais elle peut aussi être utilisée à d'autres fins pour troubler l'état psychologique d'une collectivité en remettant en question l'avenir de sa langue et de son identité (Neier, 1996, Karlins, 1998). Si l'état psychologique collectif d'une communauté peut être calmé, lorsque son avenir à long terme est garanti, il est tout à fait possible que cette communauté accepte un certain degré de réduction de statut si le processus est limité.
La politique linguistique de l'Afrique du Sud |
Le continent africain recèle une grande complexité sociolinguistique: on y trouve plus de la moitié des langues survivantes dans le monde et on a identifié plus de 5000 noms de langues en Afrique sub-Saharienne (Spencer, 1985:387). En Afrique du Sud on compte neuf langues africaines principales qui sont parlées par 67% des 40 millions d'habitants du pays. Ce n'est que depuis la règle majoritaire de 1994 que ces langues qui faisaient l'objet de la politique linguistique ont acquis un statut officiel qui, jusqu'alors, était réservé à l'afrikaans et à l'anglais.
Lorsque les Européens colonisèrent l'Afrique, le hollandais fut implanté dans le sud de l'Afrique en 1652 et continua à être reconnu officiellement après la prise de la Colonie du Cap par les Britanniques en 1814, époque à laquelle l'anglais devint langue officielle. En 1910, lorsque l'union d'Afrique du Sud devint un territoire indépendant au sein de l'Empire britannique, le hollandais acquit un statut égal à l'anglais. Le hollandais du dix-septième siècle, isolé des Pays Bas et en contact avec les langues africaines, le malais, l'anglais, le français et le portugais, se transforma, entre 1800 et 1850, en une variation d'une nouvelle langue, l'afrikaans. Au début, les habitants qui parlaient l'anglais et ceux qui parlaient le hollandais n'avaient pas de respect pour cette langue mais petit à petit, l'afrikaans gagna de la respectabilité. En 1875, un groupe de professeurs et d'ecclésiastiques au Cap fonda le Genootskap van Regte Afrikaners (Société des Vrais Afrikaners) pour représenter "notre langue, notre nation, notre terre' et produire un journal écrit en afrikaans et pour souligner le caractère unique de leur 'Avenir béni de Dieu" (Worden, 1995:88). Il en découla que l'afrikaans devint associé à la société blanche et, dans certains cas, ceux qui n'étaient pas blancs n'avaient pas le droit de parler l'afrikaans (Van Rensburg, 1999:81).
En 1918, une société secrète, la Broederbond Afrikaner fut établie et en 1929, cette société contribua à la création de la Fédération des Associations Culturelles afrikaners dont le but était d'unifier les Afrikaners et de propager chez eux un sens très développé de l'identité basé sur la langue, la culture et la race. Dans l'intervalle, l'afrikaans avait en 1925 remplacé le hollandais comme langue officielle de l'Afrique du Sud et était sur le même plan que l'anglais; cette situation dura jusqu'à ce que la règle majoritaire soit établie.
La politique linguistique sous la règle minoritaire |
On peut considérer la période sous la règle minoritaire comme étant une bataille entre les races mais aussi entre les Afrikaners et les Africains du Sud de descendance britannique. Le hollandais, puis l'afrikaans et l'anglais, en tant que véhicules d'identité au sein de l'état psychologique collectif des susnommés étaient le sujet de contestation. Ceci était d'importance primordiale pour les Afrikaners en particulier, "... dans la pensée nationaliste l'existence même du peuple se manifeste en afrikaans, une 'langue vivante'." (Giliomee, 1997: 122).
On peut aussi interpréter cette période comme étant un échange entre ces deux langues coloniales et les langues vernaculaires. Seront identifiées ici deux approches distinctes d'administration coloniale: celle des Européens parlant des langues dérivées du latin (les Français, les Portugais les Italiens et les Espagnols) et celle des Européens parlant des langues germaniques (les Britanniques, les Hollandais et les Allemands). Les premiers tendaient à être arrogants linguistiquement et culturellement et rejetaient les "cultures natives" et les langues indigènes tandis que ces derniers tendaient à être arrogants du point de vue racial, exigeant une ségrégation des races mais se montrant plus tolérants vis-à-vis des langues vernaculaires (Mazrui, 1988: 89). De plus, bien que tolérant les langues africaines, les Britanniques hésitaient à propager l'anglais en vue des implications politiques d'éventuelle mobilisation par le truchement d'un moyen de communication commun et d'un désir de "... maintenir une distance linguistique entre l'Anglais et son sujet de couleur afin de maintenir une distance sociale entre eux ..." (Mazrui, 1988: 98).
Lorsque les Afrikaners devinrent dominants grâce à la règle minoritaire en Afrique du Sud en 1948, ils utilisèrent la politique linguistique comme un outil important dans leur répertoire de lignes de conduite à suivre, afin de freiner l'occidentalisation de la population africaine.
Comme Mazrui l'a écrit:
L'Enseignement Bantu, la politique d'enseignement du Gouvernement Nationaliste dominé par les Afrikaners, essaya de guider les Africains vers l'afrikaans, avec une politique nommée "l'Enseignement en Langue maternelle". Il découlait de ceci que l'enseignement des Africains devait être fait dans la langue vernaculaire jusqu' au niveau tertiaire inclus (Bunting, 1969: 273). Cette politique fut une cause de détresse profonde et une commission officielle, en 1963, reçut des rapports émanant d' une majorité écrasante de témoins prouvant que "... le niveau de l'anglais s'était détérioré considérablement et continuait à se détériorer" (Bunting, 1969: 273). La politique d'enseignement essaya de convaincre les Africains d'opter pour l'afrikaans lorsque le choix semblait converger de plus en plus entre l'afrikaans et l'anglais. L'afrikaans était considéré comme le symbole de l'oppression blanche et une langue de claustrophobie raciale tandis que l'anglais était considéré comme une langue de communication panafricaine (Mazrui, 1988: 90). Lorsque l'ordre fut lancé en 1976 de donner les cours aux élèves noirs en afrikaans et non pas en anglais, de violentes manifestations éclatèrent à Soweto. Six cents personnes y trouvèrent la mort. Qui plus est, au fur et à mesure que les 'homelands' qui avaient été créés lors de la politique d'apartheid acceptaient l'autonomie, l'un après l'autre ils choisissaient l'anglais et une langue indigène comme langues officielles (Gilomee, 1997: 123).
Une autre raison qui pousse les Africains à choisir l'anglais est le développement d'un nouvel anglais bien distinct que l'on désigne sous le nom d'Anglais Noir Sud Africain (Wade, 1999), et qui gagne de plus de statut et d'autorité.
Lorsque l'avenir de l'afrikaans commença à être incertain, un nouvel allié fut trouvé parmi les gens de race mixte (dont le nom collectif reste encore douteux) (Reddy, 1999), un groupe parlant afrikaans en prédominance, et qui était aussi large que les Afrikaners eux-mêmes. Ainsi, après avoir exclus le peuple de race mixte de la collectivité afrikaner, le Parti National au gouvernement changea ses critères de définition pour inclure qui que ce soit parlant afrikaans (Schiff, 1996: 219).
Il est donc possible d'interpréter la politique linguistique de l'Afrique du Sud lors de la règle minoritaire comme ayant été une tentative visant à influencer l'état psychologique collectif en le divisant en une multiplicité d'états psychologiques séparés, qui avaient pour but d'assurer et de rehausser l'avenir d'un groupe, plus ou moins aux dépens des autres. La politique d'enseignement en langue maternelle et non pas en anglais avait pour but de créer collectivement chez les noirs, un état psychologique d' insécurité, de dépression, un sens réduit du réalisme, un sentiment d'exclusion et d'accoutumance à la violence. Pour les Africains du Sud de descendance britannique, son but était de créer quelques sentiments d' insécurité, de dépression et d'insinuer vaguement qu'une possibilité de violence n'était pas à exclure mais offrait comme solution viable, la possibilité d'inclusion au sein de la communauté afrikaner. Chez les Afrikaners, cette politique cherchait à créer un état psychologique où étaient reflétés un avenir sûr et une sensation d'exultation suscitée par l'illusion que leur avenir était béni de Dieu. Elle était aussi fondée sur la croyance irréaliste que la politique d'exclusion des Africains, basée sur une accoutumance à la menace de violence putative et toujours présente, était viable.
Les versions que l'on donne pour expliquer comment l'Afrique du Sud avait pu passer à règle majoritaire font l'objet d'une analyse spéculative (Giliomee, 1997) (Schwartzman et Taylor, 1999). Cependant l'on pourrait soutenir que la politique linguistique a joué un rôle majeur.
La politique linguistique après la règle majoritaire |
La Constitution de la nouvelle Afrique du Sud fut adoptée en 1996 et la section 6 des provisions fondatrices du chapitre 1 stipulaient les principes de la politique linguistique à suivre. On reconnaissait 11 langues officielles et on énonçait que des mesures pratiques et positives devaient être prises pour augmenter le statut et proposer l'usage des langues indigènes et que toutes les langues officielles devaient bénéficier de la même estime et être considérées équitablement (Afrique du Sud, 1997:1). La politique a été mise en question car elle ne spécifie pas l'usage des langues dans tous les domaines et elle a été décrite comme étant le résultat "d'un planning linguistique fait du bas", (McLean, 1999:17), ce à quoi on peut répondre que cette politique n'est encore qu'en voie de développement.
Bien que toutes les langues soient constitutionnellement égales, il y a une vaste différence entre démographie, littérature écrite et usage international. On estime que le nombre de personnes parlant chaque langue à la maison et le pourcentage de la population sont les suivants:
Il est encore trop tôt pour évaluer l'impact de cette nouvelle politique linguistique, d'ailleurs cela constitue toujours un sujet de discorde dans les reportages faits à la radio ou à la télévision (Economist, 1994:48) et dans le domaine de l'éducation (Van Schalkwyyk, 1999). Cependant on peut soulever deux questions intéressantes: premièrement, pourquoi un gouvernement minoritaire dominé par les Afrikaners a-t-il pu céder sans résistance à la règle majoritaire, ou se rendre sans défaite selon Giliomee (1997) quand l'on tient compte des effets probables sur leur langue. Deuxièmement, pourquoi le gouvernement majoritaire mené par l'ANC a-t-il adopté une politique si généreuse envers les afrikaans, lorsque l'on tient compte de toutes les humiliations subies? Il est possible que toutes les réponses soient apparentées et concernent la gestion de ces états psychologiques collectifs. On a beaucoup écrit sur l'état psychologique collectif des Afrikaners en découvrant qu'il émane de la crainte collective de perdre son identité après avoir perdu sa langue. Selon Giliomee
Le fait que la Namibie, qui venait d'obtenir son indépendance choisisse l'anglais comme seule langue officielle, tout en reconnaissant le droit à un enseignement fait en d'autres langues (Namibia, 1990) ne fut pas ignoré par les Afrikaners. En fait il s'avéra que SWAPO avait fait savoir bien avant, que l'afrikaans la lingua franca de la Namibie, serait remplacée par l'anglais (Phillipson, Skutnabb-Kangas and Africa, 1986:78).
Le gouvernement mené par l'ANC aurait tout aussi bien pu suivre une politique linguistique de rétribution envers les Afrikaners, détruisant la langue en annihilant son statut, mais au lieu de cela, il choisit de suivre la voie de l'augmentation du statut pour les neuf langues indigènes, tout en offrant à l'afrikaans de garder sa place comme de langue officielle en Afrique du Sud. En d'autres termes les Afrikaners avaient le droit de choisir entre une politique de réduction de statut contrôlée ou une chute libre dans le gouffre.
La situation offerte aux Afrikaners après l'Apartheid se résumait donc de cette façon : un certain degré de sécurité, une dépression limitée, la fin des illusions, un certain degré d'inclusion et un risque réduit de violence grâce à la politique linguistique, en d'autres termes, une offre bien plus avantageuse que ce qu'elle aurait pu être.
On doit inclure dans toute explication du processus politique très complexe, de "...se rendre sans défaite" (Giliomee, 1997), le rôle des principaux acteurs Frederik De Klerk, Nelson Mandela et Desmond Tutu. Le rôle de De Klerk, après ce que l'on a décrit comme étant "son remarquable changement d'avis" (Lake et Rothchild, 1996: 16), avait été d'apporter à l'état psychologique afrikaner une certaine acceptation du fait que la situation était insoutenable. Cependant sa démarche ne fut pas couronnée de succès. On dit que, pendant une réunion, l'un de ses ministres lui lança avec violence la répartie suivante "Qu'avez-vous fait? Vous avez donné l'Afrique du Sud!!" (Giliomee, 1997: 140).
La contribution de Mandela fut de voir la nouvelle Afrique du Sud comme une collectivité plus large en incluant tous les groupes dans le nouvel état psychologique où même ses anciens persécuteurs et leur langue auraient une place à tenir et un rôle à jouer.
Dans son discours inaugural fait principalement en anglais, le Président Mandela étonna les Africains du Sud en incluant un poème en afrikaans (Van Rensburg, 1999:88). Pour avancer cette position, un commentateur nota que (l'ex) Président Mandela s'était montré "fort sensible au problème des langues" (Schiff, 1996:221) et pour donner plus de poids à son argument, cita le fait que Mandela était opposé à l'élimination de l'usage de l'afrikaans dans le secteur militaire de l'Afrique du Sud (Schiff, 1996:221).
Le troisième acteur principal fut l'Archevêque Tutu qui en promouvant ubuntu, une coutume africaine et traditionnelle communautaire d'humanité commune (Statman, 1997), telle qu'elle était incarnée dans la Commission de Vérité et de Réconciliation, proposée et maintenant opérationnelle, fournissait un mécanisme d'inclusion dans le nouvel état psychologique collectif. C'est à l'Archevêque Tutu que l'on attribue le terme de nation arc-en-ciel, terme que le président Mandela utilisa lui aussi, et qui résonne aux oreilles des cultures indigènes comme la cosmologie Xhosa où le concept de l'arc-en-ciel signifie espoir et assurance d'un avenir glorieux (Baines, 1998).
Le futur rôle de la politique linguistique dans les domaines divers du développement politique de l'Afrique du Sud sera critique. Dans le domaine de l'éducation, de vives craintes ont été soulevées par le refus du gouvernement mené par l'ANC d'approuver les écoles et les universités où l'enseignement sera fait, soit en langue maternelle soit en langue unique (Giliomee, 1997:137).
En ce qui concerne les langues africaines, on note qu'il est nécessaire de déstigmatiser et de rehausser le statut, peut-être par le truchement d'un "planning caché et opposé" (Kamwangamalu, 1997:247). L'une des causes d'inquiétude majeures dans la phase post-apartheid est l'effet de la "toute puissante langue anglaise" (Kamwangamalu, 1998: 122) sur la survie des autres langues et les conséquences de ces problèmes sont à présent examinées par le Pan-South Africa Language Board., créé en 1995.
L'arène la plus saillante de la politique linguistique est celle de l'enseignement. En 1997, une Politique Linguistique en Education fut dévoilée après un processus de consultation et une investigation approfondis. Dans cette politique il était recommandé que les onze langues officielles devaient être promues et utilisées d'une façon équitable et que lorsque certaines de ces langues avaient été victimes de discrimination, un mécanisme de réparation était mis en application. Il est aussi intéressant de noter que les langues communautaires qui avaient jusque là été favorisées ne perdaient aucun droit.
Mais la mise en oeuvre de cette politique éclairée se heurta à de nombreuses difficultés comme l'a fait remarquer Mda
Dans le domaine de la radiodiffusion et de la télévision, il existe des dissensions puisque le temps alloué à l'anglais est en directe compétition avec les neuf autres langues officielles de l'Afrique du Sud (Nando.net:1996). On dût même remplacer l'acronyme afrikaans de l'organisation de diffusion, SAUK par l'acronyme anglais SABC dans les radiodiffusions et à la télévision afrikaans (Van Rensburg,1999:91).
Dans le domaine de la politique, un membre (blanc) du Parlement s'est adressé au parlement national en parfait zoulou, tandis que dans l'un des comités parlementaires, on répondit à un discours fait en afrikaans en zoulou et en venda; les services de traduction ont été mis à l'épreuve, mais la plupart des débats sont menés en anglais (Ridge, 1996:26-27). Il semble aussi qu' une tendance émerge au sein des personnalités publiques de choisir l'anglais comme langue de communication dans les occasions officielles: ce qui n'est pas salutaire au statut des autres langues officielles (Van Rensburg, 1999:91).
Pendant de nombreuses années à bord des avions de SAL/SAA, la compagnie sud-africaine, les annonces étaient faites en afrikaans et en anglais seulement, dans cet ordre. En 1994 on notait que l'on accueillait les passagers en anglais, xhosa et afrikaans, on donnait les consignes en anglais et en afrikaans mais on ajoutait que les passagers pouvaient être servis en français ou en allemand (Ridge, 1996:29). On rapportait qu'en 1999 la compagnie d'aviation sud-africaine n'utilisait plus que l'anglais sauf pour l'accueil qui était fait en d'autres langues (Van Rensburg, 1999:92).
Bien que l'afrikaans doive encore assumer son ancienne association avec l'Apartheid, il y a des signes qui apparaissent, montrant que la langue est de mieux en mieux acceptée comme l'une des langues importantes de l'Afrique du Sud. En 1996, Matthews Phosa, le premier ministre de Mpumalanga (l'une des nouvelles provinces de l'Afrique du Sud) publia une anthologie de poèmes en afrikaans (Van Rensburg, 1999:88).
Ces considérations reflètent le souci majeur causé par la toute puissance de l'anglais et de sa supériorité sur les autres langues (Kamwangamalu, 1998:122). De plus, on estime que l'anglais a un impact sur les formations discursives des langues africaines (McLean, 1999:10). Cette situation qui confronte les minorités linguistiques de l'Afrique du Sud n'est point différente de celle à laquelle on fait face partout ailleurs, mais le maintien de la symbiose ethnopolitique entre état et nation exige que les minorités évitent une dévaluation psychologique causée par la dévaluation des langues (Breton, 1995:76). La survie des langues est donc importante à la survie de l'Afrique du Sud mais le rôle de l'état central n'est pas en lui-même suffisant; les stratégies de survie engagent aussi les groupes eux-mêmes.
En admettant que des mesures soient prises pour maintenir et promouvoir les langues et que des efforts personnels soient faits, le scénario le plus probable en ce qui concerne les développements de la situation linguistique en Afrique du Sud est un état de multilinguisme stable où l'anglais sera le partenaire dominant des langues africaines solides et stabilisées résultant en une situation que l'on a baptisée "constellation linguistique" (Laitin, 1997) et qui semble déjà émerger en Inde et dans l'Union Européenne.
Conclusion: la politique linguistique et la gestion d'un état psychologique collectif |
A la lumière de cette discussion l'on pourrait dire que le maintien et la formation du nouvel état sud-africain dépend de l'émergence d'un nouvel état psychologique collectif auquel la politique linguistique peut contribuer en contrôlant soigneusement les changements de statut qui évitent ce que l'on pourrait appeler "l'exclusion linguistique" (Ridge, 1996:33) et qui aurait pour conséquences la rupture de la symbiose entre l'état et la nation et la formation de nationalismes séparés. A la lumière de l'évidence présentée ci-dessus, la présente politique linguistique de l'Afrique du Sud peut être favorablement évaluée.
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van Rensburg, C. "Afrikaans and Apartheid" International Journal of the Sociology of Language. 136, 1999.
Van Schalkwyk, M. "Afrikaans universities to take their rightful place" Speech to students at the University of Stellenbosch. May 5, 1999. https://www.askjeeves.com/main/askjeeves.asp?ask=mother+tongue+south+africa.html Varvoglis, M. "Conceptual frameworks for the study of transpersonal consciousness" World Futures. 48, 1997.
Wade, R. Arguments for Black South African English as a distinct 'new' English. http/www.und.ac.za/und/ling/archive/wade-03.html.
Worden, N. The Making of Modern South Africa: Conquest, Segregation and Apartheid. Second Edition. Oxford, UK and Cambridge, USA: Blackwell, 1994.
Je remercie David Owen, Christiane Conésa Bostock et deux lecteurs restés anonymes pour leurs commentaires.
Dr William W. Bostock a obtenu des diplômes dans les
universités suivantes: Monash, Reading, Tasmanie, et
Lumière-Lyon2. Il est actuellement Maître de Conférences en
Sciences Politiques à l'Université de Tasmanie. Il a
publié dans les domaines de la Francophonie, de Taalunie, Bahasa
Indonésie/Malaisie, la politique linguistique indienne, la politique
linguistique dans le ghetto de Lodz et les conséquences politiques de la
perte d'une langue. Ses publications récentes comptent entre autres:
"Classical and Modern Theories of Genocide'Peace Initiatives. V, 1 & 2, (January - April), 1999, pp.51-57;
"The Global Corporatisation of Universities: Causes and Consequences" Antepodium Victoria University of Wellington, 1999. [https://www.vuw.ac.nz/atp/articles/bostock.html];
"Disturbed Collective Mental States: Their Impact on Human Behaviour" Perspectives. 4, 3, (1999). [https://mentalhelp.net/perspectives/articles/art110119992.htm].
Paper presented at the African Studies Association of Australasia & the Pacific 22nd Annual & International Conference (Perth, 1999) New African Perspectives: Africa, Australasia, & the Wider World at the end of the twentieth century |
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