Un entretien avec Oumou Sangaré, chanteuse du Mali
A L'ECOUTE D'OUMOU SANGARE
proposé par Amadou Chab Touré
Editions Donniya
Cette interview a été publiée dans la revue culturelle
TAPAMA
no3 Décembre 1998, pp.29-30.
Reproduit avec l'aimable autorisation des Editions Donniya, BP1273, Bamako, Mali.
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Les Editions Donniya
© Editions Donniya, 1998.
Sa voix touche en plein coeur, ses paroles racontent les femmes, sa musique transporte ses racines du Wassoulou. Ma mère, dit-elle, me disait à mes premiers débuts que quand je chantais, elle croyait entendre sa mère... |
Oumou, comment composes-tu tes chansons?
Je ne saurais pas dire comment je compose. Ce n'est pas une démarche très très claire chez moi. Mais je te dirai pourquoi je compose. Je travaille généralement les chansons traditionnelles, les chants folkloriques de chez nous. Mais je ne prends que le rythme. Je me base sur le rythme car je ne veux pas créer quelque chose à laquelle les oreilles ne sont pas habituées. Sur ce rythme, je mets des textes qui sont de moi, des paroles contenues dans mon coeur. Donc, mon travail de composition est celui de sentir les choses de la vie, de les porter et d'en faire des chansons. Le reste est technique. Ce sont les musiciens, l'arrangeur, le technicien et moi, nous tous qui faisons la musique... mais de plus en plus je travaille au piano pour trouver mes mélodies.
De quelle manière tes sentiments deviennent-ils des mots?
Quand j'ai débuté la musique, j'aimais beaucoup les rastas. J'écoutais le reggae chez moi. A cette époque, beaucoup de gens confondaient les rastamen, leur musique et la drogue. Le reggae, pour la plupart, c'est la drogue. Cet amalgame me révoltait car ce que chante, le reggae, m'intéressait mais pas la drogue. Alors j'ai chanté Bamba Niaré rastaman pour dire que tout le monde peut et doit aimer le reggae et les rastamen plutôt que de les rejeter car ils sont pour le progrès de l'homme.
Quel rapport entretiens-tu avec le Wassoulou?
Il y a quelques mois, je me suis rendue au Wassoulou avec une équipe de télévision australienne. Ce sont des personnes qui se sont intéressées au Wassoulou à travers mes chansons et qui sont venues pour connaître ce pays que je chante et pour le faire connaître, parler des gens de là-bas. Nous avons fait une fête qui a duré une semaine. A Madina Diassa, j'ai invité toute la musique du Wassoulou et nous avons chanté et ri ensemble avec les étrangers venus en amis chez nous.
Quelle est la différence entre ta musique et les autres... ?
Chez moi, il y a vraiment le Wassoulou dans ma musique, comme chez Salif Kéita on retrouve le Mandé. Je fais attention au rythme originel. Ce sont les sons et leurs émotions qui font la différence. Je travaille à garder la pureté des sons. Le kamalé n'goni est à la base de ma musique. Il n'est pas mangé. Tous les autres instruments s'arrangent avec lui.
Quels sont les bons souvenirs que tu as de tes débuts?
Au tout début, je sortais, j'allais jouer en brousse dans les petits villages du Mali. C'était bien et simple. L'ambiance était bonne. Sur la place du village, on installait des taras et le spectacle se passait dans le cercle que formaient les villageois. Quand j'arrivais dans ces cercles, je me sentais une vraie vedette. Tout le monde était content. Cela fait très longtemps que je n'ai pas fait de spectacle en brousse, dans cette si bonne ambiance. J'ai gardé des souvenirs inoubliables. J'aimerais bien faire la même chose aujourd'hui. Ces moments-là me manquent.
Où te sens-tu mieux, sur scène ou en studio?
Je suis du Wassoulou. Ma musique est du Wassoulou. C'est la fête qui me plaît. Et sur la scène, je crée de la joie, j'apporte à mon public de la joie à partager avec lui.
Est-ce possible d'être une star et une mère de famille?
Oui! Mais il faut beaucoup de courage et d'amour. J'aime mon travail et j'aime ma famille. Je tiens aux deux. Donc, je suis obligée d'arriver à concilier les deux. Il faut dire que j'ai de la chance d'avoir un mari qui me comprend. Cela me donne du courage.
Ta plus grande satisfaction aujourd'hui?
Avoir su garder le noyau dur des musiciens avec lesquels j'ai commencé. Nous avons connu la galère et aujourd'hui, nous partageons les joies qui nous font continuer. Bien que je puisse trouver en France des musiciens blancs qui connaissent et peuvent jouer mon répertoire de A à Z, je préfère tourner avec mon groupe dans sa totalité.
Une rencontre qui t'a marquée?
L'expérience de Women of Africa. C'était une recontre de musiciennes africaines. Sali Nyolo du Cameroun, Anitra de Madagascar, Tibogui de Kumalo d'Afrique du Sud et moi-même. J'étais partie à cette rencontre avec mon joueur de kamalé n'goni, mes deux danseuses et mon batteur de djembé. Chacune des trois autres a fait venir un musicien. Nous avions travaillé pendant deux semaines au Swaziland, puis trois semaines à Londres. Et nous avons fait une tournée pendant un mois. Cette rencontre m'a beaucoup enrichie. J'ai senti des choses qui m'étaient inconnues dans la musique. Et j'ai hâte d'avoir une occasion de refaire une nouvelle expérience de ce type.
Le piratage? Tu en souffres?
Le piratage est un problème qui concerne tous les artistes. Moi, j'ai de la chance comme quelques autres. Nous gagnons de l'argent hors du Mali, hors d'Afrique. Les autres, ceux qui sont produits et distribués ici, ne tirent pas leur épingle du jeu. La solution? Peut-être que la protection des droits des artistes devrait être assurée par les artistes eux-mêmes au sein de structures associatives. Que les vieux artistes s'intéressent à la question et qu'ils nous aident par leurs expériences. Nous y gagnerons sûrement. Ceci dit, les pouvoirs publics commencent à s'intéresser aux problèmes des artistes et le Bureau malien des droits d'auteur commence à bouger dans le bon sens.
Quelles musiques écoutes-tu?
Le reggae et que du vrai, c'est-à-dire Bob Marley. Il n'y a que lui. Il est le maître.
Quel bonheur souhaites-tu aux femmes?
Celui d'être seule avec un mari et ses enfants.
La polygamie...?
On ne peut pas aimer deux fois! Mais pour que les femmes s'en sortent, il faut qu'elles s'ouvrent au monde, qu'elles aillent à l'école, qu'elles apprennent à connaître leurs droits car elles ne connaissent que des devoirs. La non-scolarisation des filles est un grave problème auquel les femmes doivent s'attaquer. Chacune de nous doit en abattre un petit pan... Alors, nous les femmes, nous serons les actrices du monde de demain.