Sidi Ahmed Alioune Cheik Ndao est né en 1933 à Bignona
(Sénégal). Il a fait une partie de ses études secondaires
à Dakar et en France, puis il a fréquenté
l'Université de Grenoble en France et de Swansea en Grande-Bretagne.
Ancien professeur d'anglais à l'Ecole Normale William Ponty, il a
également enseigné aux Etats-Unis en 1972 à De Pauw
University de Greencastle (Indiana). Son premier recueil de poésies, Kairée publié en 1964 a obtenu le prix des Poètes Sénégalais de langue française. Sa pièce de théâtre, l'Exil d'Albouri (1967) a été mise en scène en 1968 au théâtre Daniel Sorano de Dakar, et a été jouée sur de nombreuses scènes africaines et européennes, notamment à l'Odéon (Paris), ainsi qu'en Belgique. Présentée au Festival culturel panafricain d'Alger en 1969, elle obtint le premier prix. Traduite en anglais aux Etats-Unis, cette pièce symbolise les débuts du théâtre historique sénégalais. Elle figure dans la plupart des anthologies de la littérature africaine d'expression française. Partisan de la transcription des langues africaines, Cheik Ndao est l'un des rares écrivains Sénégalais a avoir publié un roman en Wolof "Buur Tillen" qui est actuellement épuisé. La version française est une adaptation de l'original. 30 ans plus tard, il publie dans sa langue maternelle, le wolof, son dernier roman "Mbaam Dictateur", réédité en français par Présence Africaine en 1997. |
Comment êtes-vous arrivé à la littérature?
Mes études m'ont ouvert la voie à la littérature puisque j'ai une formation classique. En outre, j'ai toujours aimé la lecture. Il se peut que tous ces éléments conjugués aient attisé mon sentiment pour la culture d'une façon générale. Cependant, je ne pense pas qu'on choisisse consciemment de venir à la littérature. Je suis persuadé qu'au départ, il y a eu une espèce de don qui pousse à écrire ses impressions. D'abord d'une manière maladroite et au fur et à mesure que l'on acquiert de la maturité, on se corrige et là le don devient un métier.
Quels sont les auteurs qui vous ont influencé dans votre voie littéraire?
De par ma formation, j'ai été appelé à me frotter
l'esprit à plusieurs auteurs. J'ai été influencé par
mes lectures, par les auteurs anglais. Probablement l'école coranique
m'a fortement marqué, car dans ces classes, j'apprenais non seulement le
Coran mais aussi des poèmes wolofs avec des caractères arabes, si
bien que nos propres auteurs ont modelé ma pensée.Trois
étapes ont joué un rôle important dans ma vie
future d'écrivain. A l'époque, je fréquentais
l'école primaire de Louga et Abdoulaye Sadji avait prêté
à mon père le premier numéro de la "Revue Présence
Africaine". Pour la première fois de ma vie, je lisais des noms
d'auteurs africains au bas d'un texte. Je me souviens que dans ce
numéro, la pièce d'Amadou Cissé Dia intitulée La
mort du Damel, ainsi que le conte de Birago Diop L'os de Mor Lam, y
étaient imprimés.
Le deuxième événement décisif a été
ma lecture de L'Anthologie de la nouvelle Poésie Nègre
et Malgache de Lépold Sédar Senghor qui m'a
révélé d'autre noms d'auteurs. Ce fut aussi pour moi la
découverte du vers libre.
La troisième étape a été marquée par la
représentation de la pièce Sarzan au théâtre
du Palais de Dakar (Sénégal). C'est un conte de Birago Diop qui a
été adapté à la scène par Lamine
Diakhaté. J'ai également été impresionné
par La fille des Dieux d'Abdou Anta Kâ qui a été
jouée à la même époque.
Quels sont les auteurs africains qui ont joué un rôle dans votre vie littéraire?
Il me semble qu'un auteur de ma génération doit reconnaître publiquement sa dette à l'égard d'aînés tels que: Léopold Sédar Senghor, Léon Gontron Damas, Aimé Césaire, Alioune Diop, Birago Diop, Abdoulaye Sadji, Ousmane Socé Diop. J'ai lu tous ces auteurs et j'ai essayé de les imiter. Je crois que cela est essentiel. Des écrivains tels que Lamine Diakhaté, Djibril Tamsir Niane, Abdou Anta Kâ ont influencé inconsciemment ma vie littéraire.
Quel est votre premier critique. Quit lit vos manuscrits?
Quand j'ai écrit ma première pièce L'Exil d'Albouri, c'était une pièce en 6 tableaux. Mes premiers critiques étaient des amis, les étudiants sénégalais qui étaient avec moi à Grenoble. Ils m'ont fait des critiques soulignant que j'aurais pu exploiter davantage le récit. Ce fut une critique salutaire qui m'a aidé puisque j'ai ajouté trois tableaux à L'Exil d'Albouri. Actuellement, ma femme est la personne qui lit mes manuscrits et me donne son avis. En tant que professeur de lettres, elle est une critique très judicieuse.
Peut-on parler d'une émergence de littératures nationales: sénégalaise, malienne, béninoise, ou doit-on considérer la littérature africaine comme une entité globale?
Je pense qu'au départ on peut parler d'une littérature africaine.
Les premiers écrits ont vu le jour alors que nous étions en
période de combat politique pour la libération de l'Afrique. Nous
insistions davantage sur ce qui nous unissait plutôt que sur ce qui nous
séparait. C'est pour cela que même dans le domaine des arts, on
utilisait les expression suivantes: Art Nègre, Art africain,
littérature africaine.
Chaque roman a sa propre spécificité. Cependant en lisant les
auteurs issus du Mali, du Sénégal, du Nord de la Côte
d'Ivoire, on décèle une certaine unité littéraire.
On peut donc considérer deux aires de civilisation: la savane et la
forêt.
La littérature africaine est-ce seulement une réaction à une situation coloniale?
Si on se limite à la littérature écrite en français, on peut avoir l'impression que c'est une littérature qui a débuté lorsque les élites ont commencé à réagir contre le colonialisme. Mais en fait, il existe une littérature africaine très ancienne écrite dans nos langues mais en caractères arabes. Et là, il ne s'agit pas d'une réaction face à l'Europe ou à l'Orient. C'est une littérature tout court.
Quels sont vos auteurs africains préférés ou bien ne les lisez-vous pas. Trouve-t-on des auteurs étrangers sur les rayons de votre bibliothèque?
Non seulement, je les lis, mais j'ai consacré de nombreux articles dans
différents journaux de la place à leurs oeuvres. Je ne me limite
pas aux écrivains Sénégalais dont les ouvrages ont nourri
ma réflexion depuis les années 60. Déjà à
cette époque, j'ai publié des articles sur Sembène
Ousmane, Abdoulaye Sadji dans "L'Etudiant Sénégalais". Je suis de
très près la production littéraire actuelle et j'ai
présenté aux lecteurs des créateurs comme Bernard
Dadié de la Côte d'Ivoire, Jean-Baptiste Tati- Loutard du Congo,
les Maliens Badian, Makan Diabaté et Ibrahima Ly, sans oublier Assane Y.
Diallo de la Mauritanie.
Une saison à Rihata de Maryse Condé m'a inspiré un texte
paru dans "Famille et Développement". J'ai également
publié un commentaire consacré à l'essai sur les "Mosse"
de Titinga Pacere du Burkina Faso. Je lis les auteurs africains par
curiosité intellectuelle. Depuis le séminaire de la FEANF
(Fédération des Etudiants d'Afrique Noire en France) en 1961
à Paris au cours duquel j'avais eu à présenter une
communication, je m'intéresse à la critique littéraire, ce
qui m'amène à lire tout ce qui est écrit en
français et en anglais, car je suis de formation angliciste. De même
ce qui est publié sur les Antilles ne me laisse pas indifférent.
Mes lectures englobent des ouvrages d'imagination et des essais. "Les
Anglophones" retiennent tout spécialement mon attention. En dehors de
l'Afrique et de la Diaspora noire, je lis de temps en temps des auteurs
français. Actuellement, ma principale préoccupation, c'est
l'Afrique.
Que signifie pour vous la francophonie ?
Nos relations avec la Francophonie ne peuvent pas être les mêmes que celles d'un habitant du Québec ou de la Wallonie. Nous, Africains, ne sommes pas attachés à la francophonie par sentiment ou par nostalgie. Il n'existe pas de respiration charnelle entre ce vocable et nous. Nous n'écrivons pas en français par amour ou à cause d'un choix délibéré. Nous employons la langue de Molière par accident historique. La francophonie n'est pas notre héritage, car notre notre moi profond s'exprime dans nos langues maternelles. Il ne faut pas oublier qu'en Afrique, le Mandingue, le Pulaar, le Haoussa, le Swahili sont parlés par un plus grand nombre de locuteurs que le français et l'anglais. Ecrire dans une langue d'emprunt, c'est accepter de participer à la création d'une littérature de transition, en attendant d'imiter nos devanciers comme Khali Madiakaté et Hadi Touré qui nous ont laissé une oeuvre exceptionnelle mais en wolof.
Vous publiez un journal en wolof. Quel est l'écho de ce journal?
Le titre du journal est "SOFAA". D'après les échos qui nous parviennent, il circule assez bien. Mais je ne fais pas partie du comité de rédaction.Yoro Sylla, chercheur à l'IFAN (Institut Fondamental d'Afrique Noire) en est le responsable.
Dans votre roman "Un bouquet d'épines pour elle", vous décrivez le cas d'une jeune femme assez légère de moeurs, Faatu. Cependant elle change totalement de mode de vie après le pèlerinage qu'elle entreprend à la Mecque. Elle s'enferme dans un monde de prières et de dévotion. Cette conversion inattendue de l'héroïne s'insère-t-elle dans cette flambée de l'islamisme que l'on constate aujourd'hui. Peut-on dire que le mouvement intégriste marque lentement de son empreinte les oeuvres littéraires au Sénégal?
L'attitude de Faatu n'est pas particulière à l'Islam. On constate dans toutes les religions, qu'une vie dissolue est souvent suivie d'une dévotion extrême; comme s'il y avait le regret d'avoir cédé à la tentation. Je ne puis emprunter la voie de ceux qui ont trop vite fait de parler d'islamisme, là où il n 'y a que ferveur. Je ne peux pas employer le même langage que l'Occident pour user de termes tels que les "barbus", "les intégristes" etc.. Aussi aurais-je du mal à distinguer une influence "intégriste" sur notre littérature actuelle. Tout jugement est le reflet de la culture reçue depuis le berceau. Pour en revenir à Faatu dans le roman, sa recherche d'une plus grande proximité avec le Divin est une sorte de rachat de ses péchés de jeunesse.
On assiste à une montée des femmes dans la littérature. Comment considérez-vous la littérature féminine?
Dans la tradition africaine, la femme a joué un rôle non négligeable. Si l'on pense qu'elle a été au centre des grandes décisions et qu'elle est l'élément primordial dans l'éveil de l'enfant, il est normal qu'elle apporte sa contribution à la littérature. Des écrivains comme Aminata Sow Fall, Mariama Bâ, Nafissatou Niang Diallo ont marqué une première étape de la littérature féminine alors que Ken Bugul, Mame Seck Mbacké, Ndèye Boury Ndiaye, Fatou Ndiaye Sow nous promettent de belles moissons. Je n'oublie pas Annette Mbaye d'Erneville qui, déjà en 1964 avait remporté le 1er prix des Poètes Sénégalais de langue française. Récemment, nous avons eu la joie de lire les poèmes de Ndèye Coumba Diakhaté Filles du Soleil. Les femmes continueront de contribuer aux Belles lettres africaines.
Dr. Pierrette Herzberger-Fofana
FAU Universität Erlangen-Nürnberg