A L'ECOUTE DE KANDIOURA COULIBALY |
"Kandioura Coulibaly et ses costumes"
Un entretien avec Kandioura Coulibaly, costumier
proposé par Amadou Chab Touré
Editions Donniya
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Cet article a été publié dans la Revue culturelle TAPAMA no2, Décembre 1997, pp.31-33. Reproduit avec l'aimable autorisation des Editions Donniya. This article may not be published, reposted on the web, or included in a CD-Rom without written permission from Les Editions Donniya. |
Le costume habille l'histoire. Le costumier capte une partie du rêve du réalisateur et aide
celui-ci à marcher vers l'écran. Notre cinéma... nos films
doivent faire ressortir la culture malienne : nos parures, nos costumes, nos
façons de vivre et nos manies.
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Toutes les histoires que racontent les films africains sont celles d'hommes et de femmes, d'objets et de symboles, de paroles et de vérités d'ailleurs... du passé. En ces temps là, la lumière de la nuit était différente de celle de maintenant. La couleur de la terre, la forme des maisons et même les vêtements des hommes étaient autrement faits. Le cinéma africain conte
Les costumes dans le cinéma, sont vraiment comme l'éclairage, comme le son...
Le costume est même plus que tout cela. Il est, dans le film conteur, une deuxième voix silencieuse qui raconte la même histoire que les images.
Le costumier capte une partie du rêve du réalisateur et aide celui-ci à marcher vers l'écran. Notre cinéma... nos films doivent faire ressortir la culture malienne : nos parures, nos costumes, nos façons de vivre et nos manies.
Faire ressortir le caractère de ceux dont c'est l'histoire.
Quand on voit un personnage apparaître, on doit pouvoir savoir qui il est de par son costume. Dans notre réalité sociale, le rôle de chacun est défini et précis. Si le cinéma ne peut pas prendre en compte tous ces éléments, il sera sans âme, sans racine.
Le costume habille l'histoire, il paysage le propos du réalisateur. Mais le cinéma africain semble, maintenant seulement, se rendre compte de cette place importante du costume et du décor.
A travers Guimba, le costume a tapé du poing sur la table. Le costume a fait une révolution au Fespaco cette fois-ci. Mais cette révolution doit s'améliorer par une recherche continue. Il faut continuer à vouloir une bonne toilette pour nos films, continuer à vouloir les pousser plus loin sur les marchés du monde. Mais il faut se dire que si la marchandise est "sale", les clients passent à côté. Ils ne demandent pas de quoi il s'agit.
Les histoires de tournage sont toujours les mêmes : le travail a commencé avec un tiers du budget prévu. Il a fallu tout arrêter pendant plusieurs mois. Les infidélités : un réalisateur qui lâche un acteur exigeant; un acteur qui refuse de tourner dans un deuxième film alors qu'il n'a pas été payé pour le premier. Le cinéma africain compte.
Moi je pense que le costume aide le scénario, il le rend séduisant, lui donne de la crédibilité, il l'habille pour aller voir le financier. C'est comme quand vous allez voir un ministre ici. Si vous êtes bien habillé, alors vous êtes bien accueilli même si vous n'avez pas de bonnes idées. Il vous préfère à celui qui est mal habillé.
Dans le cinéma africain, c'est comme dans le théâtre amateur : le costume et le décor doivent cacher le malheur du jeu des acteurs, remédier à la légèreté des sujets et à l'insipidité du texte.
Si l'acteur joue mal, on l'oublie et on regarde son costume. Il n'y a rien sans difficulté. Il faut savoir faire des sacrifices. L'Afrique a des difficultés. Le cinéma ne peut pas ne pas en avoir. Il ramasse l'erreur de l'Afrique. Ce qui se passe en Afrique est triste mais les Africains ne sont pas tristes. Il faut que l'on montre ce côté jovial, cette réalité. Montrer l'Afrique toilettée à travers le cinéma. Le costumier va doucement s'imposer comme élément important du grand cinéma Africain. Pour moi, le film malien est costume d'abord.
Même si les réalisateurs n'ont pas tous les moyens, ils ne doivent pas oublier cela. Pour créer chaque costume, je me mets dans la peau des acteurs, je joue leur rôle intérieurement, en silence. Ce jeu intérieur me permet de trouver dans mon laboratoire tous les éléments qu'il lui faut: les gestes qui vont avec les mots qu'il doit dire, les accessoires qui accompagnent mieux les gestes eux-mêmes, l'habit qui aide le geste à s'accomplir. Si l'acteur a un front dégagé, comment le coiffer?
Le cinéma malien se jouait à deux rôles principaux : le réalisateur et l'acteur. Les autres rôles de figuration, ils se les partageaient : le réalisateur assurant parfois à lui seul quatre-vingt pour cent. Un troisième rôle principal est en train de se jouer. Avec lui, de nouveaux malentendus. Des conflits de compétence. Le réalisateur ne peut plus tricher avec les costumes! Il doit jouer le jeu. Garder tous les rôles mais céder celui du costumier...
Chaque plan est un tableau. En tant que costumier, je peins des tableaux vivants dans les couleurs, la profondeur et les mouvements. Je peins avec les éléments naturels.
A Hombori, pendant le tournage du film La "génèse", je suis allé voir le terrain, toucher les pierres, voir la couleur de l'herbe aux différentes saisons, la densité du ciel et la force du vent... Je me dis, c'est le costume qui crée l'harmonie du film.
Depuis Guimba, on parle du cinéma malien en termes de costumes et de décor... Le costume séduit doucement, petit à petit. Nous rêvons de grandes productions... qui fassent venir du monde et de l'argent, qui donnent du travail à l'artisanat et aux techniciens d'ici. Avec douceur mais en force, le costume perce!
Nous les costumiers n'avons pas l'écran, il appartient aux réalisateurs. Nous devons être doux si nous voulons être dans la bateau. Ce sont eux les commandants à bord. Du premier clap au dernier et même après, il faut être là. Cela demande de la patience et de l'argent, même si ce n'est pas beaucoup.
Je rêve de faire des défilés après chaque film. Donner l'occasion au public de toucher les matériaux, de voir de plus près ce qui brille. Je rêve aussi (pour le moment nous n'avons pas de gros budget costumes) d'un musée du costume de cinéma malien. En attendant, patience! Du scénario aux costumes finis, il me faut au moins sept mois de travail. Puis après, c'est le public content et fier des trouvailles qui me met dans d'autres rêves. Je rêve tout le temps. Je fais mes mises en scènes.
Il faut aller vite, la roue tourne et ne perd pas de temps.
La vie est une course. Nous sommes dans des réseaux-aide-obstacles. Mais le rêve, c'est d'aller vers la lumière. Pour cela, il faut séduire et le public viendra vers nous. Pour séduire, il n'est pas besoin de grandes écoles professionnelles modernes ni même d'écoles traditionnelles. Il faut tout juste aimer. Moi, je n'ai pas fait d'école de couture ou de stylisme. C'est l'amour du beau costume qui m'a amené là. Il faut préserver la beauté de nos ancêtres et de notre famille intérieure... Alors ce que l'on crée prendra l'espace.
L'écran est un bel espace...
Un autre rêve, c'est d'avoir toute la jeunesse derrière moi. Qu'elle ait envie de consommer les costumes du film Guimba parce qu'elle les trouve beaux. Que cela devienne une mode comme le look américain l'est devenu. Oui, l'écran a un impact sur nous. Donc, il faut qu'on arrive à améliorer notre cinéma pour gagner l'espace de nos écrans. Pour qu'ils soient un peu à nous.
Le costume du cinéma est tellement différent du costume de la vie de tous les jours. Le cinéma historique veut des costumes d'époque. Il y a des contraintes et des choix. D'ailleurs, le costumier est-il libre?
La création du costume dépend du scénario. Puis, il faut trouver les matériaux. Je touche à tout ce qui est malien si le scénario est malien : le cuir, le coton, la calebasse... toutes les matières de notre culture et de nos traditions pour coller au scénario. S'il le faut, je sors de l'environnement malien pour trouver les meilleures matières.
Ensuite, je regarde la vie et je parle avec les gens pour savoir comment ils sont, pour comprendre leurs gestes... C'est tout cela qu'il faut pour créer un costume qui ne soit pas yougou-yougou (friperie). Je ne reste pas toujours dans la tradition même si j'emprunte mes éléments à la racine, à la tradition. J'adapte. Je modernise aussi. En bon styliste, je crée des costumes modernes avec des matières textiles maliennes. C'est par là que j'ai commencé : les bandes de cotonnade. Ces bandes, pour moi, sont des gris-gris, une sorte d'énergie. C'est la peau de la fileuse, de la teinturière.
La chair plus que la peau.
Oui! La chair du tisserand. Les gens qui portent les bandes de cotonnade ont comme une deuxième peau d'énergie.
J'ai envie de passer de l'autre côté du mur, rentrer dans le labo pour voir les secrets qui bénissent les mélanges de couleurs et d'éclats. Je peux?
Une autre fois... Mais il n'y a pas de secrets cachés.