Mots pluriels
No. 11. 1999.
https://www.arts.uwa.edu.au/MotsPluriels/MP1199ekomoarticle2.html
© Camille Ekomo Engolo

EKOMO ENGOLO. Mutations socio-économiques et conditions de vie des ménages ruraux au Cameroun

En guise de Conclusion


Cette étude privilégie deux axes de recherche ; le premier concerne la question de la reproduction de l'ordre désirable dans un contexte de mutations socio-économiques. En effet, il apparaît que la récession économique produit des comportements qui s'inscrivent dans une remise en cause de l'ordre social initial et le repositionnement d'acteurs. Les liens de grégarité inhérents aux comportements communautaires et à la famille-providence se désarticulent au profit des liens d'altérité dont la lecture donne à penser aux rapports de compétitivité et à un essor de l'individualisme social. L'hypothèse de l'optimisation tend à faire des rapports de compétition la fibre la plus visible du lien social
[46]. De sorte que toutes les autres formes de relations sociales, notamment les résistances au changement par la reconversion et la diversification risquent de générer des effets d'anomie par la marginalité et les effets pervers de l'exode rural [47]. La structuration du capital social en milieu rural augure d'une stratification sociale qui bouleverse les équilibres communautaires et favorisent l'émergence de nouveaux acteurs, lesquels construisent un nouvel ordre social, susceptible d'intéresser les recherches à venir.

Le second axe de recherche met en relief les difficultés du chercheur à construire de manière originale des indicateurs et des grilles d'analyses des sociétés rurales africaines en mutation. Ces dernières évoluent dans leur majorité, en marge de recensements nationaux, et les études qui y sont faites privilégient généralement, moins les approches quantitatives que qualitatives. Les sciences sociales du développement sont donc soumises à ce défi d'articuler l'anthropologie et la statistique pour que soit affermie la rigueur de la démarche scientifique ; tout comme elles doivent pallier à la faiblesse de théorisation dont elles se caractérisent depuis des années. Mais, le peuvent-elles sans intégrer de manière critique l'influence des apports des sciences sociales produites par les sociétés industrialisées ? Un questionnement mérite par conséquent l'attention de l'analyste. Comment les sciences sociales du développement problématisent-elles les théories et les méthodes en sciences sociales très souvent produites par des chercheurs en laboratoires déconnectés des réalités locales, pour appréhender des phénomènes sociaux qui collent mal aux dimensions des outils d'analyse ? Des études encouragées par des organismes internationaux sont menées un peu partout au Tiers-Monde : Afrique, Asie Centrale, Amérique Latine et Caraïbe. L'objectif est une tentative de mise en perspective des spécificités locales, qui doivent pourtant s'harmoniser avec les principes généraux du raisonnement et de la démarche scientifiques. Comment articuler le particulier et le général, comment produire des modes spécifiques d'appropriation du réel et rendre plausible leur mise en perspective sociologique ? Tels sont l'enjeu et l'objet des modules qui doivent nourrir les problématiques de recherche en sciences sociales de développement d'aujourd'hui.

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Notes

[46]. Quatre paradigmes contribuent à la structuration du lien social :
1- Paradigme de l'intégration (lien consensuel) ;
2- Paradigme de la compétition (lien instrumental) ;
3- Paradigme de l'aliénation (lien coercitif) ;
4- Paradigme du conflit (lien dissensionnel).
Lire Guy Bajoit. Pour une sociologie relationnelle. Paris: PUF, 1991. Ch. I et III.

[47]. Effets pervers de l'exode rural : chômage de longue durée, délinquance, inconsidération sociale, éclatement de la cellule familiale.