Mots pluriels
No. 11. 1999.
https://www.arts.uwa.edu.au/MotsPluriels/MP1199ekomoarticle.html
© Camille Ekomo Engolo


Mutations socio-économiques et conditions de vie des ménages ruraux au Cameroun

Camille Ekomo Engolo
Université de Douala

Introduction

L'étude que nous menons se situe dans la perspective de la sociologie du développement. Celle-ci, on le sait, reste fort attachée à l'activité agricole, au rôle de la paysannerie dans l'effort de construction nationale, au fait que l'agriculture est censée servir de base à l'accumulation industrielle. L'un des objectifs principaux de notre recherche est d'appréhender les conditions de vie des ménages ruraux (notamment ceux des secteurs rentiers cacaoyers et caféiers) dans une perspective socio-économique qui met en rapport l'articulation, l'ordre social et les effets pervers de la récession économique. Dans un contexte de diversité et de multiplicité des phénomènes sociaux qui caractérisent la richesse du réel, le chercheur s'interroge sur la pertinence des outils de travail. Les concepts fondamentaux, les grilles d'analyse mises en oeuvre pour un découpage judicieux s'harmonisent-t-ils avec l'étude des phénomènes complexes en milieu rural africain ? [1] Ou bien s'éloignent-ils de leur objet d'étude par des effets d'inadéquation entre les outils classiques d'économistes de laboratoire peu rompus aux travaux de "terrain" et la richesse du réel des systèmes agraires [2] d'Afrique noire [3] ?

Un autre objectif de l'étude, non moins important, est l'aspect méthodologique et théorique qui caractérise les sciences sociales du développement en général et la sociologie en particulier. La sociologie du développement est dépourvue d'objet théorique propre et les innovations théoriques qu'elle tente de développer sont orientées vers les paradigmes de la dépendance, les structurations sociales anomiques, le pouvoir, l'idéologie et des essais critiques sur l'européo-centrisme des sciences sociales [4]. En réalité, cette faiblesse de théorisation caractéristique provient de ce que la sociologie du développement est née à un moment de crise des sciences sociales dans un contexte de mutations brutales du tiers-monde. Dans cette optique, une étude des mutations socio-économiques inspire à des "ajustements épistémologiques". Il s'agit notamment, dans l'orientation des choix méthodologiques, de mettre en exergue des phénomènes de quotidienneté. Ceux-ci incitent l'analyste à penser que les "valeurs d'intimité" qui composent notre univers quotidien, rituel, travaux ménagers, mode de production domestique, hygiène corporelle... ne se laissent pas appréhender avec la même facilité, mais posent tout au contraire de redoutables problèmes de méthodes [5]. L'idéal consisterait-il alors à adopter une démarche d'observation et d'analyse qui prenne en compte des faits et gestes jusque-là volontairement délaissés parce que considérés comme mineurs, anodins ou accessoires [6] ? Le chercheur est par conséquent appelé à mesurer (flux, états, comportements), à analyser (en intégrant le niveau d'observation, le choix et la pertinence des variables, la validité des échantillons, etc.) et à proposer (ou tout au plus faire des suggestions d'inflexions, reports de décision, annulations de politiques ou de programmes d'action) en fonction d'une argumentation rigoureuse basée sur l'observation des faits [7].

Cette étude adopte la même démarche et se situe résolument dans une perspective méthodologique, comparative et conceptuelle. Notre ambition est de contribuer à la théorisation et à la modélisation autant que possible, de la masse de données patiemment collectées sur le monde rural, notamment dans sa dimension sociale en milieux cacaoyers et caféiers. Aussi, nous efforçons-nous de construire un modèle d'interprétation des phénomènes sociaux dans des milieux ruraux qui subissent des effets de contraintes du fait de la crise et des mesures d'ajustement. Ensuite, inspirés par les données théoriques, nous tenterons de cerner analytiquement et empiriquement notre objet d'étude, à la fois dans son homogénéité, mais aussi dans sa diversité et son processus de différenciation.

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Notes

[1]. Georges Courade. "Des observatoires, des chercheurs et des planteurs: les observatoires ruraux d'OCISCA" in Courade (ed.). Le village camerounais à l'heure de l'ajustement. Paris: Karthala, 1994, p.155.

[2]. Système agraire : Ensemble des éléments d'ordre écologique, humain, technique, social, politique et culturel, qui déterminent la vie d'une communauté vivant essentiellement de l'agriculture.

[3]. Hugues Dupriez. Paysans d'Afrique noire. Paris: Maspéro, 1978, p.45.

[4]. André Guichaoua et Yves Goussault. Sciences Sociales et Développement. Paris: A. Colin, 1993, p. 91.

[5] Gilles Ferreol (ed.). Dictionnaire de sociologie. Paris: Armand Colin, 1991, p.210 et 211.

[6]. Erving Goffman. La mise en scène de la vie quotidienne. Paris: trad. fr. Ed. Minuit. 2 vol.1973.

[7]. Alain Valette. "L'évaluation des programmes d'ajustement structurel (PAS) : quelques repères sur les outils et méthodes" in Le Village Camerounais, op. cit., p.145.


Dr Camille Ekomo Engolo enseigne la sociologie à la Faculté des lettres. Département de Sociologie, Sciences Humaines & Sociales, et Communication. Douala - Cameroun. (B.P. 11.266 Douala New Bell).