Augustin Berque
Université du Miyagi (Sendai)
1. Où mène l'oubli de l'être |
Si la Terre occupe une si grande place en littérature, c'est qu'elle tient de notre existence. Parler de l'humain, cela ne peut se faire en l'abstraction de ce qu'elle comporte, comme elle nous porte : bois et montagnes, villes et campagnes, mers et déserts... Mais, entre les visions animistes où la nature jouit d'un statut ontologique égal ou supérieur aux humains, d'une part, et d'autre part la vision moderne, où la nature ne nous touche que dans la mesure où nous y projetons notre subjectivité ("paysage miroir de l'âme"), la distance est grande ; elle est même infranchissable, sinon par métaphore, tant que l'on s'en tient à ces catégories pourtant indispensables que sont le sujet et l'objet.
Le discours écologiste qui s'est développé dans le dernier tiers du XXe siècle fait en général l'impasse sur ce problème. Il ne peut, de ce fait, éviter une contradiction insurmontable. Le holisme écologique, par exemple, se fonde sur une approche scientifique des problèmes environnementaux - celle de l'écologie - pour accorder au vivant un statut supérieur à celui de l'humanité, laquelle n'est qu'une partie de ce tout qu'est la biosphère. Les conclusions qui en sont tirées, cependant, et qui pour l'essentiel se ramènent à la nécessité d'une conduite plus responsable de notre part, présupposent que l'humain soit justement capable d'une telle responsabilité ; en d'autre termes, qu'il soit un sujet moral, ce qui est le doter - implicitement - d'un statut ontologique que, jusqu'à ce jour, personne n'est arrivé à conférer de manière crédible à la nature. Ce qui est attendu des humains - la responsabilité morale -, les écologistes sont en effet les premiers à ne pas l'exiger des animaux, et à plus forte raison du reste de la nature. On ne sache pas, en effet, qu'un écosystème soit passible de réprimande, comme peuvent l'être les humains. Les chaînes trophiques fonctionnent, elles ne sont ni bonnes ni méchantes[1].
Cette contradiction, qui d'un côté subordonne l'humain à l'écologique et de l'autre lui confère un statut à part, résulte de ce que la science moderne - dont fait partie l'écologie - implique une objectivation de la nature ; fait qui de lui-même confirme l'être humain dans sa qualité de sujet. Telle est l'ontologie de la modernité. L'écologisme ne peut surmonter cette distinction qu'en renonçant au statut scientifique de l'écologie, ce qui est de facto le cas des multiples régressions vers l'animisme auxquelles ce courant d'idées a donné lieu (divinisation de Gaïa, etc.) ; mais un tel renoncement, aucun écologiste n'est prêt à l'assumer, puisqu'il impliquerait l'abandon du terme même d'écologie. En toute incohérence, donc, est invoquée d'une part une science moderne (ce qui suppose la réduction de la nature à un objet moralement neutre), tandis que d'autre part on projette sur la nature une morale purement humaine.
Cette attitude, on le voit, reste prisonnière du dualisme moderne, qu'elle pourfend par ailleurs. Dans la mesure où elle ne peut se satisfaire de cette absurdité, la philosophie de l'environnement a donc cherché à montrer que la nature, et par conséquent les sciences de la nature, n'est pas moralement neutre. C'est la voie de l'" éthique de la terre" (land ethic) tracée par Aldo Leopold, et qu'approfondit, notamment, un J. Baird Callicott en invoquant la "citoyenneté biotique" (biotic citizenship) que nous partageons avec les autres vivants. Mais cette approche elle-même ne surmonte pas la césure ontologique d'où procède la science moderne. Lorsque Callicott écrit, par exemple, que "[...] la nature n'est pas amorale. [...] L'analyse biosociale du comportement humain, qui fonde l'éthique de la terre, vise précisément à montrer qu'en fait un comportement moral intelligent est un comportement naturel. D'où il suit que nous sommes des êtres moraux non pas en dépit de, mais en accord avec la nature. Dans la mesure où la nature a produit au moins une espèce éthique, Homo sapiens, la nature n'est pas amorale"[2], il tombe derechef dans la contradiction dénoncée plus haut ; à savoir qu'il présuppose le statut moral singulier de l'humain pour, de là, conférer ce statut à la nature, sous prétexte que notre espèce en procède. Outre son inanité - car, selon ce principe de régressivité, nous devrions accorder un statut moral aux processus physico-chimiques d'où procède la vie, et, en deçà, au Big Bang lui-même -, ce raisonnement contient une téléologie implicite étrangère aux principes de la science. En effet, dire que l'éthique de la terre s'accomplit dans un "comportement moral intelligent", ce n'est autre qu'affirmer que la nature s'accomplit dans notre humanité. Ce finalisme n'est pas seulement contraire à l'objectivité scientifique (invoquée par ailleurs), il trahit en outre un anthropocentrisme incompatible avec l'idée même de " citoyenneté biotique".
Les mêmes inextricables contradictions minent toute la phraséologie, notable par exemple chez un Michel Serres[3], qui vise à conférer à la Terre, ou à la Nature, le statut de "partenaire" de l'humanité. Cette visée témoigne, d'une part, d'un anthropocentrisme paroxystique. En effet, d'un point de vue physique, la nature est, et restera dans un avenir indéterminé, infiniment plus puissante que l'humanité : une simple comète, et hop! plus d'Homo sapiens... Que dire alors des autres phénomènes cosmiques! Inversement, d'un point de vue moral, il y a dans l'humain quelque chose d'incommensurable au reste de la nature. En effet, rien dans la nature ne peut en faire notre partenaire au sens où, par exemple, nous disons que Clémentine choisit Mustapha pour partenaire aux échecs, ou à tout autre jeu. Même un chimpanzé ne peut pas l'être, comme le sont en revanche des machines créées et programmées par des humains, telles que Deep Blue. Cela, parce que rien dans la nature n'accède au degré de subjectité qui est celui de l'humain. Nous pouvons aimer les animaux et communiquer avec eux, mais pas comme avec d'autres personnes. Parler d'une nature partenaire, c'est donc d'autre part, et en toute incohérence avec l'anthropocentrisme susdit, rabaisser l'humain à un statut qui n'est pas le sien : celui de simple vivant. Or nous sommes et vivants, et quelque chose de plus.
2. Vers une ontologie des milieux humains |
De telles contradictions témoignent d'une aporie ; c'est que l'on ne peut penser la nature et l'humanité dans les termes soit de l'une (le point de vue physique), soit de l'autre (le point de vue moral). Cette dualité, nous ne l'héritons pas seulement du dualisme cartésien, de la morale chrétienne et de la cosmogenèse biblique, cibles faciles pour le discours écologiste ; mais plus profondément de la métaphysique platonicienne, qui distingua l'être absolu de l'étant relatif, et qui de ce fait est la condition lointaine de la science moderne. Celle-ci en effet a pu s'occuper de mesurer les étants sans plus se préoccuper de l'être, comme devait l'exprimer symboliquement Laplace dans sa fameuse réplique à Napoléon, qui le questionnait sur la place de Dieu dans son Système du monde : "Sire, je n'ai pas eu besoin de cette hypothèse"[4].
C'est dire que l'on ne peut fonder ontologiquement le rapport entre la nature et l'humanité sans remettre en question la métaphysique. Cette remise en question, ce fut le sens de l'ontologie heideggérienne. Heidegger lui-même, toutefois, n'a pas directement envisagé la question environnementale. De son côté, le discours écologiste, qui mélange des arguments scientifiques avec des convictions incompatibles avec les fondements métaphysiques de la science moderne (vues empruntées au bouddhisme, au taoïsme ou à toute autre tradition non occidentale), reste indéfiniment voué aux contradictions que l'on a vues plus haut. Ce dont nous avons besoin en l'affaire, c'est d'une véritable ontologie des milieux humains, c'est-à-dire du rapport des sociétés humaines avec leur environnement naturel, qui nous permette enfin de comprendre pourquoi nous aimons et pensons devoir respecter la nature, quand par ailleurs la science ne cesse de nous montrer que la nature ne nous aime pas et ne nous respecte pas. Elle nous a certes produits et nous permet d'exister, mais ni plus ni moins que les autres êtres. La nature connaît en effet des ordres de grandeur, mais pas des ordres de valeur. Pour elle, le virus du sida et Mère Teresa, l'oeuvre de Michel-Ange et celle des termites, c'est strictement du pareil au même ; il n'y a qu'à voir ce qu'un typhon ou un séisme peuvent en faire. C'est pour nous que ce n'est pas pareil. Mais pourquoi?
Le premier à avoir envisagé une ontologie des milieux humains est sans doute le philosophe japonais Watsuji Tetsurô, dans un ouvrage paru en 1935, Fûdo[5]. Son point de départ est une lecture critique d'Être et temps (1927), de Heidegger[6]. Watsuji en reprend l'option décisive, celle de fonder l'existence humaine dans une relation au monde et non dans une transcendance ; mais il la centre différemment. Pour lui en effet, la perspective de Heidegger surestime l'individuel et le temporel, aux dépens du social et du spatial. Selon Watsuji, l'existence humaine est tout autant sociale qu'individuelle, et spatiale que temporelle. Cela le mène par exemple à opposer un "être-vers-la-vie" (sei e no sonzai, p. 16) à l'"être-vers-la-mort" (Sein zum Tode, p. 258) de l'être-là (Dasein) heideggérien. En effet, nous ne cessons pas d'exister à notre mort, parce que durant notre vie nous n'existons pas seulement dans notre corps mais aussi dans notre milieu, c'est-à-dire aussi dans les autres, puisque les relations sociales (aidagara) en sont constitutives autant que les relations matérielles (nous dirions aujourd'hui écologiques) ; et que l'existence d'autrui ne cesse pas à notre mort.
On voit que la problématique de Watsuji, comparée à celle de Heidegger, est plus radicalement mésologique[7]. Pour lui, l'existence humaine s'étend véritablement au milieu qui nous entoure. Celui-ci est non seulement constitutif de notre être, qu'il prolonge dans l'espace, mais, en le prolongeant aussi dans le temps, il lui donne une échelle qui nous rattache bien plus directement aux phénomènes de la nature. Cette cosmicité, du reste, n'est pas clairement appréhendée par Watsuji, ce qui le fera dériver en fin de compte vers l'erreur classique du déterminisme environnemental : expliquer la culture par la nature.
Cette dérive a fait classer la théorie watsujienne, dans la mesure où l'on n'ignore pas tout bonnement son existence, pour un déterminisme de plus ; et cela d'autant plus aisément que la plupart de ses lecteurs, peu avertis de Heidegger, n'ont rien saisi de sa problématique et n'y ont vu qu'une interprétation des rapports entre environnement naturel et culture. Or le livre de Watsuji commence - abruptement il est vrai - par une distinction radicale : le milieu (fûdo), ce n'est pas l'environnement (kankyô). Celui-ci s'appréhende, comme le font les sciences de la nature, au prix d'une objectivation qui est une abstraction : celle qui extrait le sujet humain de sa relation existentielle avec le milieu, ne laissant donc à la place qu'un objet : l'environnement.
Cette relation existentielle, Watsuji la nomme fûdosei ; ce que j'ai rendu en français par "médiance"[8]. Il définit cela d'emblée (à la première ligne de son livre !) comme "le moment structurel de l'existence humaine" (ningen sonzai no kôzô keiki). Cette formule est d'une profondeur vertigineuse. Elle signifie à peu près que nous existons dans la dynamique d'un certain dispositif ontologique, lequel n'est autre que notre milieu.
3. L'extériorisation de l'humain dans son milieu |
Cette disposition essentielle, Watsuji la conceptualise à peu près dans les termes du Dasein, même si, comme on l'a vu, il en déplace la perspective. L'idée de base, c'est celle qui est contenue dans l'étymologie d'"exister" ; à savoir se tenir (sistere) au dehors (ex). Pour Watsuji comme pour Heidegger, en effet, nous "ek-sistons" hors de nous-mêmes ; ce qu'il rend par des expressions diverses (soto ni dete iru, etc.), mais qui n'ajoutent rien à la thématique heideggérienne de l'Ausser-sich-sein. Pour l'essentiel, il s'agit dans les deux cas d'une argumentation de type phénoménologique, laquelle, pour révolutionnaire qu'elle fût, présente deux faiblesses : d'une part elle n'approfondit pas la question de la corporéité, qui est le véritable noeud du problème, et d'autre part elle manque cruellement d'un étayage anthropologique vérifiable dans l'expression matérielle de l'existence humaine.
C'est le deuxième point, en particulier, qui explique que la mésologie watsujienne n'ait eu aucune influence notable non seulement sur les approches techniques de l'environnement (celles des aménageurs, architectes etc.), mais même en philosophie. La land ethic anglo-saxonne, en particulier, ne lui doit strictement rien, alors qu'elle s'est pour l'essentiel développée après la traduction de Fûdo en anglais sous les auspices de l'UNESCO (1961). Quand à l'introduction de l'ontologie heideggérienne en géographie par Eric Dardel[9], elle s'est effectuée sans rapport avec la problématique watsujienne (et pour cause : Fûdo, à l'époque, n'avait été traduit dans aucune langue occidentale) ; et Dardel non plus n'approfondit pas la question de la corporéité.
Cette double question de la corporéité humaine et de sa réalité anthropologique devait être révolutionnée par Merleau-Ponty d'une part, et Leroi-Gourhan de l'autre. L'approche phénoménologique du premier, qui s'étayait sur un arsenal incontournable de références en psychologie clinique, a clairement établi que notre "corps phénoménal" ne se réduit pas à notre "corps objectif", mais se déploie dans notre milieu, lequel est donc structuré par ce "schéma corporel ". La réalité qui nous entoure, par conséquent, est "chargée(e) de prédicats anthropologiques" par "l'investigation sensorielle qui l'investit d'humanité "[10]. De son côté, Leroi-Gourhan devait montrer, sur des bases paléontologiques irrécusables, comment la corporéité humaine s'est, par le biais de la technique, peu à peu extériorisée dans ce qu'il appelle "corps social", mais qui équivaut à ce que Watsuji appelle milieu (fûdo) et compare du reste à notre chair (nikutai). Avec les premiers galets aménagés (choppers), en effet, s'enclenche un processus qui n'est autre qu'un transfert des fonctions du corps humain dans un milieu techno-social de plus en plus complexe et étendu. Si tout cela commence quand "l'incisive devient chopper "[11], c'est de par cette même extériorisation que nos fonctions manuelles se prolongent dans le robot qui, tout au bout d'un immense complexe techno-social, saisit une pierre sur Mars[12].
4. Notre médiance essentielle |
Leroi-Gourhan a montré que cette extériorisation de la corporéité humaine n'a pu se faire que dans l'interrelation du symbole et de la technique. Tout en souscrivant pleinement à cette idée, je me sépare de Leroi-Gourhan quant à celle que la symbolisation serait, comme la technicisation du milieu, une extériorisation. C'est en effet tout le contraire à mes yeux : les symboles sont justement ce qui permet de rapatrier dans notre corps, et donc dans la sensibilité de notre chair, le monde que la technique en a fait sortir. C'est avec mon corps - mes poumons, ma gorge, ma langue, mon visage et mes gestes - que je parle ici du robot qui, là-bas sur Mars, prolonge le travail des mains humaines ; et si je peux le faire, c'est parce que les systèmes symboliques (au premier rang desquels le langage) sont ce qui permet à l'humain de s'affranchir des contraintes de la matière (le poids, la distance, etc.), et de représenter ainsi les choses là où elles ne sont pas présentes ; c'est-à-dire au-dedans même de chacun de nous.
Cette pulsation existentielle qui, d'un côté, prolonge notre corps jusqu'au bout du monde et, de l'autre, ramène le monde au fond de notre corps, c'est ce qui explique pourquoi notre terre est imprégnée d'humanité, tandis qu'en retour elle investit nos sens - fondant par là dans notre chair toute esthétique et toute morale de l'environnement. C'est cela que l'humain ajoute à la condition écologique qu'il partage avec les autres vivants. Cette pulsation irréductible à l'écologie n'a cependant rien à voir avec une simple projection de la subjectivité sur la nature, vue moderne qui se ramène à un solipsisme tout droit issu de la dichotomie "chose pensante / chose étendue" de Descartes, et qui n'expliquera jamais pourquoi les choses affectent notre sensibilité. Si elles le font, si nous trouvons la terre belle, bonne à vivre et digne de respect, c'est parce que notre être est à moitié hors de nous-mêmes : nous sommes existés par notre milieu non moins que par notre corps, et à plus forte raison que par notre conscience. Voilà notre médiance essentielle[13], qui, d'avoir extériorisé notre corps jusqu'au delà de l'horizon, n'en appelle que plus intensément le monde en nous-mêmes - jusqu'au foyer qu'est notre coeur.
Sendai, 25 juin 1999.
[1]. Thème que je discute avec plus de précisions dans Être humains sur la terre. Paris: Gallimard, 1996.
[2]. J. Baird Callicott. In Defense of the Land Ethic. Essays in Environmental Philosophy. Alabany: State University of New York Press, 1989, p. 97.
[3]. Exemplairement dans Le Contrat naturel. Paris: François Bourrin, 1989.
[4]. Cité par Alexandre Koyré. Du monde clos à l'univers infini. Paris: Gallimard, 1973 (1957), p. 336.
[5]. Watsuji Tetsurô. Fûdo. Ningengakuteki kôsatsu (Milieux. Étude humanologique). Tokyo: Iwanami, 1962 (1935). Il existe une traduction anglaise de cet ouvrage par Geoffrey Bownas. Climate and Culture, a philosophical Study. New York Westport London: Greenwood Press, 1988 (1961) ; malheureusement, cette traduction gomme complètement la problématique de Watsuji ; notamment parce qu'elle n'en traduit pas le concept central, fûdosei (celui-ci étant rendu de manière incohérente par, selon le cas, climate, climatic character, climatic phenomena, etc.). Il existe aussi une traduction allemande, de bien meilleure qualité, et une espagnole, que je n'ai pas lue. En français, j'ai traduit et commenté le chapitre théorique essentiel de Fûdo dans Philosophie, 51 (septembre 1996), pp. 3-30.
[6]. Martin Heidegger. Sein und Zeit. Tübingen: Niemeyer, 1993 (1927).
[7]. Le mot de mésologie (science des milieux), forgé par le médecin, démographe et statisticien Louis-Adolphe Bertillon (1821-1883), est antérieur à celui d'Ökologie (écologie), créé en 1866 par le biologiste Ernst Haeckel ; mais il a été éclipsé par celui-ci, sans doute parce que son objectif trop ambitieux pour l'époque ne lui a pas permis d'accéder à un statut scientifique. Bertillon y comprenait en effet aussi les phénomènes socio-culturels, alors que l'écologie, dans la mesure du moins où il s'agit d'une science et non d'une mystique (i.e. l'écologisme), n'est qu'une science de la nature. Le projet de Bertillon, pour être envisageable, supposait l'étape de la phénoménologie, qui était encore à venir. À ce sujet v. mon Médiance. De milieux en paysages. Paris: Belin/RECLUS, 1999 (1990).
[8]. V. mon Le Sauvage et l'artifice. Les Japonais devant la nature. Paris: Gallimard, 1998 (1986). Médiance est un doublet néologique de médiété, que l'on trouve dans le français de la Renaissance, du latin medietas, i.e. la qualité de ce qui se rapporte à un milieu.
[9]. Éric Dardel. L'Homme et la terre. Nature de la réalité géographique. Paris: CTHS, 1990 (1952).
[10]. Maurice Merleau-Ponty. Phénoménologie de la perception. Paris: Gallimard, 1942, p. 370.
[11]. André Leroi-Gourhan. Le Geste et la parole. Paris: Albin Michel, 1964, vol. II, p. 44.
[12]. Exemple qui n'est pas de Leroi-Gourhan, mais que j'emploie en toute fidélité à sa pensée.
[13]. Comme on le voit, médiance prend ici le sens de moitié (du latin medietas), notre être étant pour moitié immanent à notre milieu. On voit aussi que la médiance, en ce qu'elle suppose la technique et le symbole, est propre à l'humanité. Les animaux, eux, sont pauvres en médiance, au sens où Heidegger disait qu'ils sont pauvres en monde. Or le dualisme moderne, faisant de notre milieu un objet, nous a condamnés à un manque-à-être qui, en un sens, nous rabaisse à cette pauvreté ; ce qu'accomplit à la lettre le holisme écologique, qui corrélativement fétichise l'environnement. Cette forclusion de la moitié de notre être, nous ne la compensons plus - autant courir après l'horizon ! - que par la consommation effrénée des étants, avec les conséquences écologiques que l'on sait. Nous l'avions compensée par la foi en une transcendance, mais...
Géographe et orientaliste, Pr. Augustin Berque, membre de l'Academia
europaea, enseigne à l'École des hautes études en sciences
sociales (Paris) et à l'Université du Miyagi (Sendai). Il est
l'auteur de nombreux ouvrages sur le Japon et sur la question des milieux
humains en général ; parmi lesquels Le sauvage et l'artifice. Les
Japonais devant la nature (Paris, Gallimard, 1998 [1986]) ; Les raisons du
paysage, de la Chine antique aux environnements de synthèse (Paris:
Hazan, 1995) ; Être humains sur la terre. Principes d'éthique de
l'écoumène (Paris: Gallimard, 1996). Il travaille actuellement
à une synthèse sur la question de la médiance.
Courriel :
[email protected] ou [email protected]
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