Extrait du roman à paraître Celle que tu vis, celle que tu imagines |
-Bâtard, je suis. Homme de rien. J'avance homme du désert dans la
ville de pierre.
Nous nous penchons sur votre cas, Monsieur A.
- Vous vous penchez sur qui? dit-il innocemment.
- Décidément ce pauvre homme ne comprend rien à rien,
rétorque tout le groupe en choeur.
- Un jour, j'étais heureux, vraiment heureux, je me suis penché
par la fenêtre et...
- Qu'espériez-vous voir? dirent-ils avec mépris, vous habitez
un quartier d'ordures.
- Ce n'est pas vous que j'ai vus... vous savez je ne suis pas grand chose,
j'existe à peine. Je ne suis ni jeune, ni vieux, je n'ai plus rien dans
la tête. Pourquoi vous intéressez-vous à moi? Je vois bien
que je ne vous plais pas, vous avez des fusils dans les yeux.
Ils rirent en choeur.
- Que racontez-vous là?
- Rien, de toute façon il y a longtemps que je suis mort. La vie m'a
tourné le dos. Je ne suis pas un brillant amant. Pourtant... il me
semble que j'ai dû l'être. Je croise parfois des femmes qui me
sourient.
- Voyez-vous ça.
- Je n'ai rien à vous dire Messieurs.
- Vous devez tout nous dire. Qu'avez-vous vu? Car c'est bien depuis ce jour-là
que vous êtes un peu...
- Je ne suis pas fou mais si je vous dis tout, il ne me restera plus rien.
Qu'est-ce que ça peut vous faire? Vous êtes riches, vous avez les
cheveux lisses. Vous êtes savants, nets, propres, sans reproche. Pourquoi
voudriez-vous que je vous révèle mon seul secret. Il est unique,
il m'appartient. Si, je vous le livre, je suis un homme résolument mort,
mon existence aura été vaine. Je ne suis pas grand chose
Messieurs, laissez-moi dormir, trouvez quelqu'un d'autre. Je ne suis qu'une
sorte de gnome noir, insignifiant. Pourquoi vous intéressez-vous tant
à moi?
L'un des hommes blancs s'avance vers lui, juste un peu.
- Ne vous montez pas la tête, ce n'est pas de vous qu'il s'agit mais du
secret qui se trouve dans votre tête Monsieur A.
- Laissez-moi partir.
Le groupe en choeur:
- Comptez-vous quitter le pays un jour?
- Ne me parlez pas de pays, vous me fatiguez encore plus.
- Pourquoi Monsieur A? Tout le monde a son pays, ce n'est pas bien
de tenir de tels propos.
- Ce n'est pas vrai, tout le monde n'a pas son pays, vous avez des
trous de mémoire.
- Monsieur A, regardez-vous dans une glace, vos traits, votre couleur,
votre odeur devraient vous rappeler un lieu, une terre. Enfin, vous
voyez bien que vous n'êtes pas comme nous.
- Je ne suis comme personne, vous entendez?
- Nous entendons fort bien, il ne sert à rien de vous mettre en
colère,
nous sommes des hommes très compréhensifs, très patients.
Nous avons les moyens d'attendre, nous sommes très bien payés pour
cela. Faites-nous confiance, confiez-nous votre secret, vous serez un autre
homme après.
- Je veux rester comme je suis.
Les hommes blancs en choeur:
- Ce n'est pas possible, le temps ne joue pas en votre faveur.
- Cela m'est égal, il n'a jamais joué en ma faveur. Il fût
un temps où je m'en préoccupais mais aujourd'hui, je le nie, il
peut me passer dessus, me ratatiner, me rétrécir, me grossir.
J'ai décidé de rester intact à l'intérieur.
- Personne ne reste intact Monsieur A.
Livres déjà parus:
* Zeida de nulle part. Paris, L'Harmattan, 1985
Leïla Houari est née le 17 janvier 1958 à Casablanca
(Maroc).
Son père immigre vers la Belgique en 1965. N'ayant pas eu le choix, le
pays de la gueuze et de la frite est devenu un peu (beaucoup...) le sien.
Très tôt, elle exprime à travers l'écriture ses
émotions, ses angoisses, ses interrogations. Les formes en sont
multiples: romans, nouvelles, théâtre, poèmes, articles,
scénari, réalisation.
Dans l'urgence, elle utilise le moyen le plus approprié pour entrer en
communication avec le maximum de personnes.
Depuis 1996, elle vit à Paris.
* Quand tu verras la mer. Paris, L'Harmattan,1988
* Les cases basses. (théâtre) Paris, L'Harmattan, 1992
* Poème fleuve pour noyer le temps présent. Paris,
L'Harmattan, 1995
* Et de la ville, je t'en parle. Bruxelles: EPO,1995
* Femmes aux mille portes. (avec Joss Dray, portraits, mémoire)
Bruxelles: EPO/Syros,1996
* Damrak (poème illustré par un collage de l'artiste Sarah
Wiame) Tirage limité, Céphéides, 1997.
[Retour au haut de la page] ***
[Retour à la table des matière de MOTS PLURIELS]