Cet article est repris avec la permission de Notre Librairie qui l'a publié dans son numéro sur le Togo (no 131 juillet-septembre 1997, pp. 172-176) sous le titre: Sortir de la létargie. Table ronde sur l'édition au Togo |
Table ronde animée
par
Claudine Assiba Akakpo
Créées pour la plupart dans les années 70 dans une société à majorité analphabète et à faible pouvoir d'achat, les maisons d'édition togolaises ont été très vite confrontées à différents problèmes tels que l'étroitesse du marché, la concurrence des éditions étrangères, la non-performance des imprimeries locales, le faible pouvoir d'achat et l'analphabétisme des populations togolaises. Les représentants des diverses maisons d'édition togolaises réunis autour d'une table ronde se penchent sur les problèmes qui engourdissent l'édition au Togo et proposent des solutions pour l'aider à sortir de sa léthargie.
Claudine Assiba AKAKPO: |
Avant de diagnostiquer les maux dont souffrent les éditions dans notre pays et de voir dans quelle mesure on peut y remédier, nous allons, si vous le voulez bien, rappeler la genèse de l'édition au Togo.
Christiane Tchotcho EKUE (NEA-Togo): |
Au départ, la plupart des éditions étaient confondues avec les imprimeries. Ainsi, I'lmprimerie Évangélique de I'École Professionnelle éditait des brochures aussi bien en français qu'en anglais et en langues nationales togolaises. Il n'y avait pas d'édition de livres ou de romans. L'édition a véritablement commencé avec des maisons comme les Nouvelles Éditions Africaines (NEA), créées en 1972, les Éditions Akpagnon créées en 1978 et les Éditions Haho créées en 1983. I1 y a aussi la Société Nationale des Éditions du Togo ÉDITOGO, mais je me demande s'il faut la classer parmi les maisons d'édition, puisqu'elle fait beaucoup plus de travaux d'impression que de travaux d'édition.
Déo LAISON (Éditions Haho): |
Le nom Haho signifie en ewé, une des langues parlées au Sud-Togo, "puhlic". L'objectif de cette maison c'est d'éditer des ouvrages pour le public, des livres accessibles dans diverses catégories tels que des livres de littérature générale, qu'il s'agisse de romans de tous genres, de pièces de théâtre, de recueils de poèmes, de récits, de critiques, etc. Bref, les Éditions Haho, sont une maison d'édition pour le grand public comme l'indique son nom. Elles ont débuté leurs activités en 1983, et constituaient à l'époque une oeuvre sociale de l'Eglise Presbytérienne du Togo. Récemment, elles ont intégré la société dénommée "Le Centre Togolais de Communication Évangélique" (CTCE) qui comporte également une papeterie et une imprimerie. Les Éditions Haho sont une société anonyme à capitaux privés qui n'édite pas seulement de la littérature chrétienne comme certains le pensent. 60 % de nos parutions ont des thèmes para-scientifiques ou pédagogiques.
Yves-Emmanuel DOGBE (Éditions Akpagnon): |
Au départ, je n'avais aucune intention de créer une maison d'édition. Mes premiers ouvrages ont été publiés par d'autres maisons telles que NEA à Dakar en 1975, et Oswald, etc. Lorsqu'après mon exil en France, je suis revenu au Togo en 1973, j'ai essayé de réunir tous les écrivains de l'époque. Il y avait Paul-Akakpo Typamm, David Ananou et bien d'autres. Nous avions créé la première association d'écrivains du Togo et nous l'avions dénommée "Association des Poètes et Écrivains du Togo" (APET). C'est dans le cadre des activités de cette association que l'idée m'est venue de créer une maison d'édition pour publier des oeuvres d'auteurs togolais. C'est ainsi que retourné en exil pour la seconde fois en 1977, j'ai créé la maison d'édition Akpagnon sans aucun soutien financier. Dans le cadre de I'APET, les éditions Akpagnon ont publié deux ouvrages: il s'agit de L'Anthologie de la Poésie Togolaise et des Contes et légendes du Togo édités en 1978 comportant des textes de Paul Akakpo Typamm et de Jean Agblemagnon. Ce n'est que par la suite que nous avons pu bénéficier du soutien de L'Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT) qui nous a permis de publier des ouvrages comme L'Esclave de Félix Couchoro. Nous avons même réussi à publier des ouvrages d'auteurs africains et français. Le doyen des poètes togolais, Paul Akakpo Typamm, a pu obtenir le premier prix France-Togo en 1985 grâce à son recueil de poèmes Rythmes et Cadences publié par les Éditions Akpagnon. Les jeunes poètes togolais tels que Hilla-Laobé Amela et Nayé Théophile Inawissi se sont également fait connaître au public après avoir été publiés par les Éditions Akpagnon.
Christiane Tchotcho EKUE (Nouvelles Éditions Africaines, Togo): |
Organisme interafricain de promotion culturelle et pédagogique, les Nouvelles Éditions Africaines (NEA) sont nées en 1972 au lendemain de l'année internationale du livre décrétée par l'UNESCO. Le constat avait été fait que le livre n'était pas encore pris en compte dans nos pays comme un outil de développement. C'est à ce moment que le Sénégal et plus précisément, le Président Senghor a décidé de créer les Nouvelles Editions Africaines. La Côte d'lvoire y a adhéré la même année et le Togo s'est joint aux NEA en 1979. Mais le Bureau de Lomé n'est devenu réellement opérationnel qu'en 1980. L'objectif premier des Nouvelles Éditions Africaines du Togo, c'est de servir d'appui aux réformes de l'École Nouvelle, en éditant des ouvrages pour les élèves togolais, des manuels scolaires conformes aux objectifs de développement et reflétant l'univers culturel des Togolais. Les NEA ont fonctionné tant bien que mal jusqu'en 1988 quand est apparue une scission au sein de cet organisme international regroupant le Sénégal, la Côte d'lvoire et le Togo. En 1988, chaque bureau est devenu autonome. Les NEA-Togo sont nées le 19 février 1990 sous la forme d'une société anonyme avec des capitaux de l'État, des capitaux nationaux et de quelques éditeurs francais.
Jean-Marie Dosseh FIAWUMO (ÉDITOGO): |
En marge de l'édition du quotidien gouvernemental Togo-Presse, unique quotidien du pays, nous menons des activités d'impression. Nous faisons principalement de la sous-traitance en collaboration avec des maisons d'édition telles que Haho et NEA. Nous disposons d'une imprimerie assez performante pour satisfaire notre clientèle.
Victor ALADJI (AP-NET): |
Le réseau des éditeurs African Publishing Network (AP-NET) est basé à Hararé au Zimbabwé. C'est une association d'éditeurs africains répartis dans 26 pays mais menant des actions dans 44 pays africains; le réseau regroupe les éditeurs africains afin qu'ils puissent ensemble identifier leurs problèmes et y trouver des solutions communes. Nous avons recensé un certain nombre de difficultés. Au niveau du marché, aucun des éditeurs pris individuellement n'était en mesure de couvrir l'ensemble du marché potentiel des ouvrages qu'il produit. Il fallait mettre en place une solidarité, une coopération de telle sorte que les oeuvres produites par les NEA au Togo puissent être mises à la portée des marchés des autres régions, y compris les marchés anglophones et lusophones. Le réseau encourage également l'organisation des foires. C'est ainsi que sont organisées tous les ans les foires internationales de Harare au Zimbahwe et celles du livre pour enfants à Nairobi, au Kenya. Au Togo, la première Foire Internationale du livre pour enfants s'est déroulée à Lomé, du 14 au 17 novembre 1996.
Claudine Assiba AKAKPO: |
Quels sont les différents obstacles auxquels se trouvent confontées vos différentes maisons d'édition?
Christiane Tchotcho EKUE (NEA-Togo): |
Les Nouvelles Editions Africaines du Togo publient, outre des ouvrages littéraires, des manuels scolaires et parascolaires conformément au programme officiel en vigueur. C'est ainsi que bon an mal an, nous arrivons toujours à nous en sortir avec les manuels scolaires. En revanche, nous rencontrons beaucoup de difficultés avec des ouvrages de littérature générale qui ne nous sont pas commandés, mais que nous éditons quelquefois pour contribuer à la promotion des auteurs togolais. Les Éditions togolaises en général n'ont pas les moyens suffisants pour faire la promotion des ouvrages littéraires dans les médias. Les lecteurs aussi se plaignent du coût élevé des livres. Nous sommes également confrontés au problème de diffusion de notre production. Les coûts de transport sont exorbitants et les infrastructures ne sont pas bien organisées pour nous permettre de diffuser sur tout le territoire.
Victor ALADJI (AP-NET): |
Tout d'abord, je mentionnerai le problème de trésorerie. Quelle que soit la vitesse d'écoulement d'un ouvrage, il faut, pour faire marcher la maison, en produire un autre alors que le premier n'est pas encore épuisé. Ensuite, je citerai le problème de l'étroitesse du marché africain et togolais lié à l'analphahétisme, au coût exorbitant des livres, au faible pouvoir d'achat des populations togolaises. Enfin, j'aimerais ajouter à tous ces problèmes la concurrence que subissent les maisons locales face aux maisons d'édition étrangères; la concurrence est rude avec ce que l'on peut appeler les multinationales de l'édition.
Yves-Emmanuel DOGBE(Akpagnon): |
Les éditions Akpagnon rencontrent les mêmes problèmes que ceux déjà évoqués. Afin d'éviter de traîner des livres invendus pendant de nombreuses années, j'ai limité énormément le tirage. C'est d'ailleurs la politique adoptée depuis quelque temps par certaines maisons d'édition françaises qui commencent avec un tirage de 500 exemplaires, pour éviter que leur production ne finisse au pilon.
Jean-Marie FIAWUMO (ÉDITOGO): |
Nous n'effectuons que des travaux d'imprimerie, dans la plupart des cas sur commande à l'intention des éditeurs. Nous disposons d'équipements qui sont même sous-exploités.
Claudine Assiba AKAKPO: |
Nous allons, si vous le voulez bien, réfléchir aux solutions pour remédier aux maux dont souffrent les maisons d'édition
Victor ALADJI (AP-NET): |
La formation des éditeurs est un secteur très important. Nous avons mis en place un programme qui s'appelle API (African Publishing Institute) qui a pour l'instant deux antennes, l'une à Nairobi, l'autre ici à Lomé et dont l'objectif est d'organiser des stages à l'intention des éditeurs pour leur permettre de faire un travail de meilleure qualité. Ces stages couvrent tous les problèmes de l'édition tels que le choix des manuscrits, la production, la mise en page, la maquette, le design, le marketing, etc. Nous sommes convaincus qu'en travaillant patiemment à l'amélioration de la qualité de ce que nous produisons et en nous mettant ensemble pour minimiser les coûts, nous pourrons produire des ouvrages à des coûts raisonnables.
Christiane Tchotcho EKUE (NEA): |
Aux NEA, nous avons développé un volet littérature enfantine. Les enfants sont le baromètre de toute société. En les initiant très tôt, ils deviendront plus tard de bons lecteurs; il faut aussi que les pouvoirs publics aident également les éditeurs: il y a des taxes qui pèsent sur les imprimeries, sur les produits entrant dans la fabrication des livres; même les livres importés sont taxés, ce qui pèse sur le prix du livre. Il faudra également que l'État subventionne les livres de littérature générale qui se vendent très difficilement. Les poètes, par exemple, sont obligés maintenant par certaines maisons d'édition de financer eux-mêmes leurs ouvrages, parce que les éditeurs ne peuvent pas en prendre le risque. En instituant au niveau du Ministère de la Culture ou de l'Éducation, une aide à l'édition, le Ministère pourrait se charger de prendre ces ouvrages et de les distribuer dans les bibliothèques à l'intérieur du pays. Il faudrait également développer ce réseau à l'intérieur du pays et ne pas toujours attendre que ce soit l'ACCT, I'UNESCO ou la Mission Française de Coopération qui donne des valises de brousse pour l'intérieur du pays.
Yves-Emmanuel DOGBE (Akpagnon): |
Je pense qu'il faudra, pour remédier aux problèmes de l'édition dans notre pays, que les autorités aussi s'investissent dans la promotion culturelle. Je reconnais que c'est difficile dans un pays où la crise économique ne permet pas aux fonctionnaires d'avoir régulièrement leur salaire. Mais je crois qu'il faudra au moins mettre sur pied une politique de promotion du patrimoine culturel.
Table ronde animée
par Claudine Assiba AKAKPO.
© Notre Librairie, 1997.
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