Jean Pierre Boulé
Université de Nottingham Trent
Reprinted with kind permission from Nottingham French Studies Vol.34 no.1. Spring 1995.
Guibert désirait avant tout faire du cinéma. Son style de narration sera grandement influencé par cette sensibilité pour l'image. Il développera un style photographique, limpide, inspiré par son journal qu'il commencera à tenir en 1978. Tous ses livres en seront des ramifications. Certains s'inspireront directement de lettres (La Mort propagande), d'autres de son journal - en partie (Mes parents) ou intégralement (Fou de Vincent) -. Certains seront inspirés par des voyages (Voyage avec deux enfants), d'autres par des faits divers lus dans des journaux mêlés à une expérience réelle (Des Aveugles), d'autres par des faits réels (Les Gangsters), d'autres encore seront modifiés en cours d'écriture suite à un événement (un meurtre dans le cas de L'Incognito) et enfin les romans sur le sida seront commencés sans savoir si l'auteur aura la force vitale pour les finir, comme le journal d'hospitalisation (Cytomégalovirus) où il raconte son agonie au jour le jour. Tous ces éléments de vécu seront pipés par le prisme de l'imagination romanesque. Nourri de Sartre, Dostoïevski, Tchekhov, Gogol et Genet, il s'inspirera de Bataille, Sade, Sarduy, Guyotat pour Vous m'avez fait former des fantômes, de Handke pour Les Aventures singulières, d'Hamsun pour Les Gangsters, de Barthes pour L'Image fantôme et Fou de Vincent et enfin de Lindon pour L'Incognito; ajoutons à cette liste son ami Savitskaya, tout en n'oubliant pas celui qu'il appelait son maître: Bernhard pour A l'ami et Le Protocole compassionnel.
Quand je disparaîtrais, j'aurais tout dit. Je me serais acharné à réduire cette distance entre les vérités de l'expérience et de l'écriture.1
Hervé Guibert a toujours eu le projet de tout écrire. On voit bien que ce souhait s'inscrit en filigrane de la totalité de son oeuvre et que, s'il n'a capturé l'imagination de ses lecteurs qu'à partir du moment où il s'est mis à écrire le sida, il était bien présent depuis 1977. Guibert, lui, n'a aucun doute quant à la continuité de sa trajectoire: '(...) le sida aura été pour moi un paradigme dans mon projet de dévoilement de soi et de l'énoncé de l'indicible(...)' (Le Protocole compassionnel, p.247). Ceci dit, son oeuvre sera pourtant truffée de pièges à l'égard du lecteur mais aussi de révélations voire de trahisons à l'égard de ses proches et de sa famille qui deviennent eux aussi la matière de ses livres: 'Ecrire est une trahison, un crime'.2 Ainsi donc, selon son propre aveu, dans tous ses livres il y aura un crime: crime contre l'image des aveugles, crime contre celle des parents, plusieurs crimes dans A l'ami etc.3 Peut-on tout dire en littérature?
1. 'Les aveux permanents d'Hervé Guibert'. Propos recueillis par Antoine de Gaudemar. Libération. 20 octobre 1988, p.12.
2. Ibid.
3. 'Vie à crédit' par François Jonquet. Globe. Avril 1990, p.44.
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Notes
Dr. Jean Pierre Boulé enseigne à l'Université de Nottingham. Ses recherches sont consacrées à la littérature du Sida en France. Au nombre de ses publications, une étude de toute l'oeuvre de Guibert intitulée Hervé
Guibert: Voices of the Self doit sortir aux presses universitaires de Liverpool en janvier 1998.