KÄ MANA
Institut protestant de théologie de Porto-Novo (Bénin)
1. Une question décisive |
Depuis les indépendances de nos pays dans les années 1960, les élites intellectuelles d'Afrique ont pris l'habitude de poser à intervalles réguliers la question de la pertinence de leurs théories et de leurs pratiques sociales en regard des conditions politico-économiques et techno-scientifiques catastrophiques de notre continent.
Après avoir été liée aux nécessités du développement et de la libération de nos sociétés au cours des deux premières décennies de notre « autodétermination » où nous étions tous et toutes portés par d'étincelants rêves de prospérité, de liberté et de dignité, cette question a tendance à devenir l'expression d'une désillusion profonde face aux attentes lumineuses qui furent les nôtres.
Au début, les forces intellectuelles du Continent ont sérieusement cru à la grandeur du savoir pour construire l'Afrique post-coloniale. Elles ont misé sur les sciences dites exactes comme sur les sciences humaines pour libérer des dynamiques de la transformation sociale et sortir une fois pour toutes de l'état de « colonialité » à nos yeux inacceptable. Il existait comme un pacte évident entre la promotion des savoirs et des pratiques scientifiques dans les universités et les impératifs sociopolitiques d'une Afrique à construire hors des ornières du colonialisme. Il s'agissait en fait de briser l'étau qui étranglait la destinée du continent depuis cinq siècles d'humiliation dans nos relations avec le monde occidental.
Ce pacte entre science, développement et liberté a très vite fait long feu. Il a brillé pendant un temps dans le ciel de nos discours sans se transformer en pratiques politiques, sociales, culturelles et scientifiques à la mesure de nos rêves. Nos sociétés ont été précipitées dans une sorte de descente aux enfers vertigineuse : avec des dictatures militaires ubuesques, des partis uniques dévoyés, des logiques sociales débilitantes et une mentalité aux antipodes de nos attentes les plus orageuses.
Les préoccupations des forces intellectuelles se sont alors drapées d'une vaste désillusion et ont plongé nos intelligences dans une sorte « de dépression psychique» et « d'angoisse métaphysique » d'où jaillit constamment le besoin de comprendre ce qui nous arrive réellement. Le besoin de nous expliquer à nous-mêmes nos propres défaites, nos échecs patents en matière de développement, de libération et de construction d'une société de prospérité, de dignité et de bonheur.
Tout s'est passé comme si notre intelligence se trouvait confrontée à un travail de Sisyphe dans la conscience que nous avons aujourd'hui de notre désarroi face à la crise de notre humanité africaine confrontée au rouleau compresseur de l'Occident. Cette humanité, c'est-à-dire l'ensemble des principes vitaux qui ont guidé notre être au monde dans l'histoire, nous est devenue problématique et déroutante. Nous cherchons alors un principe global d'explication de son effondrement. Nous voulons une théorie générale capable de rendre compte non seulement des raisons de notre « ruine matérielle et humaine », comme dirait Fabien Eboussi Boulaga, mais aussi les raisons de la faiblesse de nos pratiques discursives pour rendre compte de nos réalités. Nous nous remettons en question dans notre être, nous nous interrogeons sur nos capacités d'action dans le monde d'aujourd'hui et nous doutons de notre propre intelligence créative.
Notre problème est ainsi celui de la crise de notre humanité et celui de la crise de nos instruments de connaissance dans la situation actuelle qui est la nôtre. Il s'agit aujourd'hui pour nous de repenser notre humanité et de repenser notre intelligence créative pour maîtriser le monde non tel que nous rêvons qu'il soit, mais tel qu'il est réellement dans ses exigences, ses contraintes, ses férocités et ses possibilités véritables.
C'est cette question qu'Emmanuel Ndongala pose à nouveau et qu'il propose comme chantier d'une recherche africaine pour « dégager l'horizon » de notre nouvelle destinée.
Avec inquiétude, le penseur congolais se demande pourquoi l'Afrique n'a pas une place de force dynamique et créative dans le monde actuel, pourquoi elle est « en dernière position » dans les paramètres du développement économique, social, politique et humain établis par l'ONU, pourquoi la « greffe de la démocratie » ne prend pas dans ses pays, pourquoi elle marginalise certaines de ses énergies de vie comme les femmes, à quelles conditions elle peut sortir de sa marginalisation actuelle, selon quels principes elle peut se moderniser et dans quelle mesure elle peut repenser ses relations avec l'Occident comme puissance d'universalisation concrète d'un type d'esprit particulier.
Ces interrogations, Emmanuel Ndongala nous les adresse dans le cadre d'une réflexion fondamentale sur la science au sens exact du terme et sur la mission des sciences humaines et sociales dans notre continent.
Je voudrais ici faire écho à la réflexion de ce grand intellectuel africain et vibrer à certaines de ses modulations pour ouvrir des pistes qui me paraissent essentielles pour enrichir le débat auquel il nous convie. Je le ferais du point de vue qui est le mien : celui d'un observateur attentif de nos sociétés africaines contemporaines et d'un penseur engagé dans l'action pour la construction d'une nouvelle société sur nos terres d'Afrique.
A ce double titre, j'intégrerai d'abord le discours du penseur congolais dans le champ global de la réflexion africaine de ces dernières années. Ensuite, j'en dégagerai les enjeux fondamentaux en vue d'éclairer avec mes propres lampes l'horizon qui s'ouvre et qui nous interpelle tous en tant que forces intellectuelles du Continent.
2. Balises du discours africain contemporain |
La réflexion proposée par Emanuel Ndongala vient de loin. Elle se rattache à toute une tradition de la pensée africaine dont il convient de présenter ici quelques repères capables d'en donner les grandes clés d'intelligibilité.
Au milieu des années 1970, V.Y. Mudimbé avait été confronté aux mêmes interrogations sur la crise de l'humanité africaine et sur le rôle du discours des sciences sociales en Afrique. Il avait d'emblée cadré sa réflexion dans ce qui faisait vraiment problème pour nos peuples : notre relation à l'Occident dont la présence en nous et dans nos sociétés nous obsède. Comme Emmanuel Ndongala aujourd'hui, Mudimbé avait compris que notre insertion dans l'espace discursif de l'Occident avait créé une situation de fait où nos sciences humaines et sociales se trouvaient engluées dans l'ordre occidental du monde; dans un carcan des concepts, des pratiques scientifiques et des schèmes de problématisation du réel dont l'ordre du discours déterminait notre regard sur nous-mêmes. Le chemin à prendre ne devait plus être l'engluement à ce discours ni l'enfermement dans son « odeur », mais la libération du discours africain par rapport aux « langages en folie » qui le conditionnent. Au fond il fallait oser un autre discours sur l'Afrique. Un discours capable de se déconditionner des théories déjà élaborées ailleurs en vue de comprendre la situation de l'Afrique à partir de l'Afrique elle-même et de ses propres pratiques discursives. Une telle rupture exige, disait Mudimbé, de savoir et de mesurer exactement ce qu'il en coûte aux Africains de rompre avec l'Occident, ce « Père » dont la logique vitale est déjà en nous.
Sous un autre angle mais toujours sur la même lancée, Fabien Eboussi Boulaga a donné un éclairage très intéressant sur cette exigence de rupture au début des années 1980. Analysant le discours du christianisme missionnaire et les nécessités de réinvention de la foi chrétienne par l'Afrique, il montrait clairement comment l'Afrique est appelée à repenser le cataclysme de sa défaite par rapport à l'Occident en se décomplexant de l'intérieur, en profondeur, pour assumer en toute responsabilité sa destinée historique et produire un discours délesté du mimétisme par rapport aux maîtres du monde. Dans le champ de la philospohie qui est le sien, il proposait que nous développions une philosophie ancrée sur la volonté de maîtrise du réel sur la base des défis et des nécessités actuels qui sont les nôtres, au lieu de prétende faire comme les « autres » et d'imiter constamment leur propre discours.
Toujours dans le champ de la religion et de la philosophie, au début des années 1980, Oscar Bimwenyi-Kweshi avait ouvert la voie à des recherches par l'Afrique des fondements de sa vision du monde, dans le but de se donner des repères théologiques et métaphysiques sûrs et non pollués par les complexes de colonisés. Il avait posé les fondements d'un discours africain propre, enraciné dans les repères profonds du noyau éthico-mythique africain : notre relation spirituelle à l'Absolu.
Elargissant ce champ de recherche, l'Egyptologie africaine contemporaine issue des travaux de Cheikh Anta Diop avait, à travers les recherches de Théophile Obenga, Kotto Essome, Fabien Kange Ewane et Guillaume Bilolo Mubabinge, indiqué la direction de la libération du discours des sciences humaines africaines : la redécouverte des sources pharaoniques de l'humanité africaine. L'ambition était de montrer que la rupture avec « l'odeur du Père » occidental exigeait une redécouverte consciente de la parole de notre vrai « Père », une refondation courageuse de notre être dans ses limons vitaux.
Dans le champ de l'économie politique, Samir Amin a proposé une « déconnexion » avec le système mondial qui étrangle l'Afrique, en vue d'une invention de nouvelles perspectives de production et de distribution des richesses. A ses yeux, il est moins question de sortir du monde que d'en réimaginer les logiques fondamentales pour changer les rapports de force actuels entre les civilisations, tâche urgente non seulement pour l'économie et la politique en Afrique, mais pour l'ensemble des mentalités sociales.
A la lumière des travaux d'Achille Mbembé, les forces intellectuelles africaines peuvent comprendre aujourd'hui que la rupture dont il s'agit ne doit s'opérer ni de manière traumatique ni de manière polémique. Cela veut dire qu'il ne sert à rien que nous demeurions esclaves des traumatismes que nos sociétés ont subis dans nos relations avec l'Occident depuis cinq siècles. Cela veut dire également qu'il est stérile de toujours accuser le monde occidental d'être la cause de nos catastrophes au lieu de prendre à bras le corps les problèmes de notre destin aujourd'hui.
Dans la deuxième moitié des années 1980, le refus de la conscience traumatique et de la conscience polémique a donné lieu à deux types de recherches :
celle de l'attaque en règle contre « l'Afrique malade
d'elle-même », dont parle Tidiane Diakité ;
et celle de la recherche de nouvelles rationalités africaines que
promouvait un groupe de jeunes philosophes africains en Europe autour de la
revue Nouvelles Rationalités Africaines animée par
Célestin Dimandja Eluya Kondo.
Au premier type de recherche se rattachent les critiques acerbes d'Axelle Kabou, de Daniel Etounga-Manguelle et de Jean-Paul Ngoupandé, des intellectuels dont le leitmotiv est de demander à l'Afrique de rompre avec sa culture obsolète au lieu d'aboyer sans fin contre la caravane de la modernité occidentale qui continuera son chemin sans l'Afrique. Au lieu de s'attaquer à l'Occident et de vouloir rompre avec lui, l'Afrique ferait mieux de s'emparer du secret du « Maître du monde » et de construire des logiques scientifiques, économiques et politiques fortes comme le proposaient déjà dans les années 1970 les philosophes africains dit critiques : Marcien Towa, Paulin Hountondji et Ebénezer Njoh-Mouelle ;
Au deuxième type de discours se rattachent les recherches sur la philosophie et la théologie de la reconstruction africaine animées par la Conférence des Eglises de Toute l'Afrique autour des penseurs comme Jesse Mugambi, André Karamaga et José B. Chipenda.
Les chercheurs qui ont animé la revue Nouvelles Rationalités Africaines continuent à produire des travaux sur les nouvelles logiques sociales pour l'Afrique : Célestin Dimandja Eluya Kondo travaille sur les conditions de production du discours scientifique africain ; Kaumba Lufunda Samajiku t s'interroge sur les savoirs universitaires et leurs impacts sociaux. Dans le champ de la théologie de la reconstruction, les églises africaines promeuvent des pratiques discursives où la volonté de libération du continent embrase une forte ardeur pour construire une nouvelle société.
Aujourd'hui, les débats théoriques ont pour enjeu la mondialisation. La production sur ce thème s'enrichit chaque année de nouvelles publications dont les plus marquantes sont celles d'Aminata Traoré, Mamadou Diouf, Bernard Mfounou, Kankuénda Mbaya et de Samir Amin. Toute cette production théorique est celle d'une Afrique de plus en plus concernée par son destin mondial et confrontée aux nécessités d'une réflexion de fond sur les conditions de son épanouissement comme continent d'expérience dans le monde d'aujourd'hui. La Commission Indépendante sur l'Afrique et les enjeux du 3ème Millénaire dirigée par Albert Tévoédjeré a publié sur cette orientation du discours africain un rapport important qui indique les voies à prendre en ces temps où le Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique s'est imposé comme lieu du débat essentiel sur l'avenir du continent. Sous le titre, Vaincre l'humiliation, la commission a montré qu'il s'impose à notre continent un devoir de courage pour bâtir sans complexe notre propre monde en relation avec tous les peuples.
Un regard d'ensemble sur toute l'impressionnante production théorique de l'Afrique contemporaine donne des indications précieuses sur les dimensions du problème de la crise de l'humanité africaine et du rôle que devront jouer les sciences humaines dans la société.
3. Discours pour sortir de la crise |
La première indication est que les sciences humaines et sociales ne sont pas dans la léthargie absolue où Emmanuel Ndongala croit qu'elles sont. Même si elles donnent l'impression de n'être que des « niches particulières à l'intérieur des champs définis par les chercheurs occidentaux », elles ont creusé un sillon où des débats de fond qui s'y déroulent permettront l'émergence d'une nouvelle conscience dans les orientations du discours africain. Cette nouvelle conscience est déjà née et l'on peut espérer qu'elle se développera peu à peu et contribuera petit à petit à la construction de la nouvelle société africaine. Ne voir dans les travaux des sciences humaines africaines rien que « des variations sur des vieux thèmes mille fois ressassés depuis les indépendances » traduit moins la réalité de la conscience discursive africaine que le désarroi intérieur et la profondeur de la désillusion où se trouve celui qui regarde. En fait, les variations sur les mêmes thèmes structurent une nouvelle vision de l'Africain par lui-même : la force théorique par laquelle la distance par rapport à l'Occident s'élargira de jour en jour et finira par la rupture que nous attendons tous comme acte de refondation.
Si cette lente évolution du discours africain échappe encore à nos regards, c'est parce nous ne sommes pas encore arrivés à cette rupture et que nous n'avons pas encore donné des preuves que cette rupture est notre destinée dans un monde dont nous voulons profondément qu'il devienne, pour son bonheur, un monde post-occidental et post-capitaliste.
C'est ici qu'intervient la deuxième indication précieuse donnée par les débats des sciences humaines africaines sur notre condition existentielle. Peu à peu s'est subrepticement opéré un déplacement de centre de gravité dont beaucoup d'entre nous n'ont pas encore pris conscience.
Dans la désillusion causée par l'effondrement des rêves de nos indépendances, nous nous étions toujours demandés pourquoi nous n'arrivons pas à construire des sociétés à la hauteur de ce que l'Occident moderne a construit dans sa force matérielle et scientifique. C'est la question que pose Emmanuel Ndongala quand il se demande « pourquoi depuis la colonisation, l'Afrique vient en dernière position dans tous les paramètres utilisés par l'ONU pour évaluer le progrès économique, l'éducation, la santé ». Or, aujourd'hui, cette question a épuisé son potentiel de sens car nous n'avons fait qu'y répondre depuis quarante ans à travers plusieurs théories :
les théories des traumatismes causés par la traite, la
colonisation et la néocolonisation dans la structuration de nos
mentalités.
Les théories de la dépendance et de l'échange
inégal dans l'ordre actuel du monde.
Les théories de notre impuissance matérielle, mentale et
psychique face à une civilisation mieux outillée que la
nôtre.
Les théories des faiblesses inhérentes à notre
système culturel incapable de répondre aux défis de notre
destinée.
Aujourd'hui, le disque de ses théories est rayé à force d'être joué à tous moments et dans toutes les consciences. C'est le disque de « ces variations sur des vieux thèmes mille fois ressassés » dont parle Ndongala. Nous ne l'écoutons plus, ce disque, sans un certain sentiment de lassitude. Nous ne l'entendons plus sans nous dire à nous-mêmes qu'il n'a rien changé à notre situation dans le monde moderne.
Pourtant, si nous regardons les choses du point de vue de ce que ce discours a investi dans nos consciences depuis bientôt quatre décennies, nous nous rendrons compte qu'il nous a conduit de la fascination exercée sur nous par le monde occidental au doute profond sur ce que l'Occident peut vraiment donner au monde en possibilité de bonheur existentiel. Dans les meilleures de ses intelligences et les plus sages de ses forces humaines, l'Afrique est aujourd'hui habitée par ce doute existentiel qui nous fait rêver d'un monde post-occidental et post-capitaliste. Dans notre inconscient collectif comme dans notre conscience, l'Occident n'a plus beaucoup de potentiel de sens à conférer à l'existence humaine. Nous le savons et nous nous demandons s'il vaut la peine de courir derrière les réalisations matérielles et les splendeurs des paramètres de développement dont nous sentons au fond de nous-mêmes « qu'il ne restera pas pierre sur pierre » au rythme où vont les choses. Nous sommes désillusionnés face à l'Occident comme nous ayons été désillusionnés par nos rêves d'indépendance.
Nous avons beau continuer à dire que nous voulons être et vivre comme vivent les peuples d'Occident dans leurs valeurs aujourd'hui mondialisées ; nous avons beau glorifier leurs réussites scientifiques, leurs systèmes de démocratie pluraliste, leur conscience de la liberté et des droits humains, leur confiance dans le libéralisme et leur efficacité dans la bonne gouvernance ; nous avons beau déserter nos pays pour aller vivre dans les grandes villes eur-américaines, je ne suis pas sûr que nous avons foi dans la capacité de l'Occident à nous rendre plus humains. Le problème n'est plus d'entrer dans son monde, mais d'en créer un autre. C'est face à cette tâche de démiurge que nous nous sentons réellement faibles, mais non pas face aux « paramètres » actuels de développement qui sont, somme toute, maîtrisables, comme les Asiatiques l'ont prouvé en les maîtrisant réellement.
Au fond, l'Afrique est capable de faire aussi bien que l'Asie, et même mieux, si nous lui fournissons les raisons pour lesquelles cela vaut la peine de le faire et si nous lui montrons que la voie de la modernité occidentale actuelle est porteuse d'une humanité digne d'être vécue.
C'est à cette question que les sciences humaines et sociales africaines devront désormais s'attaquer pour montrer qu'il n'est pas possible de dépasser l'esprit de la modernité occidentale sans l'avoir traversé de part en part et sans en avoir épuisé le potentiel de l'intérieur afin de proposer un autre projet d'humanité. La tentation de l'Afrique est aujourd'hui de chercher sa libération sans avoir traversé le désert implacable de l'Occident, sans avoir subi l'épreuve initiatique d'une victoire sur l'esprit occidental en vue d'un autre monde. C'est cela qu'il est urgent de faire comprendre à nos peuples pour les organiser en fonction de notre propre projet d'humanité, au-delà de la mondialisation néo-libérale actuelle.
Dans ce travail de production du sens, les sciences humaines pourront préparer le terrain à la promotion des sciences exactes, des sciences naturelles, des sciences de la vie, des techniques et des technologies dont parle Emmanuel Ndongala, en fonction d'une visée d'humanité indissociable du développement éthique et spirituel des peuples.
Je suis convaincu que l'Afrique peut gagner cette bataille. Elle la gagnera à coup sûr si ses spécialistes en sciences humaines et sociales lui rendent visible et intelligible son propre chemin de liberté et d'humanité après la traversé du désert occidental. Elle la gagnera sûrement si ses énergies morales et spirituelles sont mobilisées autour de ce projet dans un esprit d'une victoire sur nos propres faiblesses. Elle la gagnera sûrement si nos capacités de production scientifique sont activées et orientées vers la nouvelle humanité que nous devons créer, produire et promouvoir : une mondialisation heureuse et généreuse qui correspondrait au génie profond de nos peuples et intégrerait le meilleur de l'occident dans le concert de la nouvelle civilisation de l'Universel, comme dirait Léopold Sédar Senghor.
Sommes-nous capables de réussir cette œuvre de démiurge ? Telle est la vraie question pour l'Afrique dans ses forces créatrices, pour notre peuple dans ses énergies de profondeur qui donneront au développement, à la modernité, à la démocratie, au statut des femmes, à la science, à la technique et à toutes les questions qui obsèdent Emmanuel Ndongala le limon de sens sans lequel l'humanité errera longtemps encore loin de son être authentique.
KÄ MANA est né en République démocratique du Congo. Après une maîtrise en Philosophie et Religions africaines obtenue à la Facutlé de Théologie Catholique de Kinshasa (1980), il a soutenu une thèse de doctorat en philosophie à l'Université Libre de Bruxelles sur « La transcendance poétique : Dieu, l'Etre et le Sens dans la poésie française contemporaine »(1985), et une thèse d'habilitation en théologie à l'Université des Sciences humaines de Strasbourg (France)sur le thème : « L'éthique de la culture. Les enjeux philosophiques et théologiques de la problématique culturelle africaine »(1999). Il a enseigné comme professeur visiteur à l'Université de Lausanne (Suisse) et à la Faculté de Théologie protestante de Paris. Il est aujourd'hui professeur d'éthique et de philosophie à l'Institut protestant de théologie de Porto-Novo (Bénin) où il dirige le Centre d'études et de recherches oecuméniques et sociales (CEROS). Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont : L'Afrique va-t-elle mourir ? (Karthala, Paris, 1993) Théologieafricaine pour temps de crise (Karthala, Paris, 1993) Christ d'Afrique (Karthala, Paris, 1994) Chrétiens et Eglises d'Afrique : penser l'avenir (CLE, Yaoundé, 1997) La nouvelle évangélisation en Afrique, (Karthala, Paris, 2000) - Philosophie africaine et culture (Malaika, Ottawa, 2003) L'Afrique de la mondialisation (Malaika, Ottawa, 2003). |