Et je pense, dist Geburon, que vous dictes verité et que
l'ypocrisie, soit envers Dieu, soit envers les hommes ou la Nature, est cause
de tous les maulx que nous avons.
Marguerite de Navarre. Heptameron (1550), la quatrième
journée, trente troisième nouvelle.
Et toutesfois, si elle ne recherchoit que sa perfection, comme
elle y est obligée par la raison, elle devroit rejetter bien loing ces
considerations, puis que la nature nous a seulement donné les sens
pour instruments, par lesquels nostre ame recevant les especes des choses
vient à leur cognoissance, mais nullement pour compagnons de ses
plaisirs
Honoré d'Urfé. L'Astrée (1610), p.17
Apres avoir choisi de l'oeil un lieu propre pour me reposer, je m'en allay
coucher au pied d'un myrthe, où la mousse estoit plus espaisse qu'en
nulle autre part, comme si mon sort m'eust conduit où la nature avoit
preparé de long-temps un lit pour mon repos
J. de Gombaud. L'Endimion (1624), p.133
Ô merveille ! s'escria Lysis, en s'enfuyant, je
sçavois bien que ce magicien avoit renversé l'ordre de la
nature. Au lieu qu'aux autres endroits l'eau tombe du ciel et va contre la
terre, icy elle sort de la terre, comme pour aller menacer le ciel.
Charles Sorel. Le Berger extravagant (1627), p.208.
Quelques beautez que la nature donne à la naissance des
fleurs, et quelques aymables couleurs dont elle imite la peinture, rien
n'est beau comme les lys qui sont au sein de Phillis !
Balthazar Baro. Conclusion de l'Astrée (1628), p.253.
Le bon vieillard pensa d'abord que la nourrice s'extravagast,
et que la passion extréme qu'elle avoit pour Orixe, luy fist trouver
en effect ce qui n'estoit que dans son desir, parce qu'il y avoit desja plus
de quatorze heures que la pauvre princesse estoit demeurée comme
morte, sans poux, sans chaleur, et sans mouvement : mais quand il s'aprocha
d'elle, il luy trouva les mesmes signes de vie que la nourrice avoit
remarquez, aussi tost il luy respandit de l'eau froide sur le visage, luy fit
sentir des parfuns, et recourut à tous les remedes qui se pratiquent
en telles extremitez, parce que veritablement la princesse que l'on croyoit
morte, estoit seulement tombée en la derniere crise de son mal, dans
un assoupissement mortel, que les grecs appellent lethargie, qui, à ce
que nous dit Evandre, ne signifie autre chose qu'oubly, non pas tant parce
qu'en ce miserable estat on oublie toutes choses, que parce que la nature
s'oublie elle-mesme, et se suspend de toutes ses fonctions.
F. de Boisrobert. Histoire indienne (1629), p.349.
L'intention du Prince Marucie estoit de faire reconnoistre si
l'on pourroit aller par la mer Adriatique dans la Germanie, royaume le plus
riche et le plus fecond de la terre, d'où l'on tire aujourd'huy tout ce
que la nature a de plus rare, et qui peut remplir la boutique d'un marchand.
L'Acarnanie avoit receu un grand profit des voyages que ces peuples avoient
faits dans la Germanie pour y trafiquer ; mais il estoit si long que les
chemins consumoient tousjours la moitié de tout leur gain, d'autant
qu'il falloit faire un grand circuit tirant devers la ligne du midy, pour
passer de la Mediterranée dedans l'ocean ; et l'on vouloit
sçavoir si de l' Istrie il y avoit de la mer jusques là, et si
l'on pourroit racourcir par cét endroit un tour si long et si penible.
Voila donc les vaisseaux preparez à ce voyage, on met la voile au
vent, et ils partent du port avec les acclamations et les voeux d'un peuple
qui ne faisoit d'autres prieres aux dieux que pour leur retour ; mais ils
furent arrestez entre l'isle de Corcyre et de Cephalenie, par l'avarice du
roy Marchedan, qui fallit à luy faire perdre ces deux isles.
A. Mareschal. La Chrysolite (1634) pp.191-192.
Il n'y a personne qui ne s'imagine un paradis terrestre : mais,
quoique l'art y fasse tous les jours quelque nouveau travail, c'est un lieu
qui semble être maudit du ciel, où la nature ne produit rien que
de fâcheux et d'insupportable. Les palissades ne sont que de regrets et
d'inquiétudes ; il n'y a pour fleurs que des pensées noires, des
soucis renaissans, et des espérances perdues ; pour plantes, de
l'absynthe et des amaranthes, et, pour fruits, des poires d'angoisses, et
quelques autres qui n'ont pas meilleur goût. Les fontaines y
jaillissent de tous côtés, mais les eaux en sont toujours
amères, et de leur chute, elles font le lac de confusion, au bord
duquel est un salon à l'italienne, nommé la berne des
coquettes, fort haut et spacieux, élevé sur des colonnes
mêlées de mépris et d'ingratitude. En cet endroit
s'assemblent à certains jours les plus fameux coquets, tous d'esprit
rare et d'adresse singulière ; et choisissant telle dame qu'il leur
plaît ou qui leur déplaît entre celles que l'imprudence a
conduite dans le palais des bonnes-fortunes, ou que le dépit en
retire, la font venir au milieu d'eux ; et l'ayant fort promenée dans
toutes les allées du jardin, et suffisamment rassasiée des
fleurs et des fruits qui s'y recueillent, la mènent dans le salon,
où ils la mettent dans un fauteuil pour en jouer au roi artus ; et
après plusieurs croquignoles imprévues, genuflexions grotesques
et turlupinades ingénieuses, ils la dépouillent insolemment de
tous ses ornemens, jusqu'à ceux qu'ils lui avoient donnés,
l'arrosent par trois fois de l'eau de confusion qu'ils ont toujours
prête à cet effet, et lui font en jolis vers, un reproche public
de toute sa vie, qu'ils lui chantent au nez sur l'air des petits sauts de
bordeaux.
Abbé d'Aubignac. Relation royaume coquetterie (1654), p.320
- Monsieur, luy réplicqués-je, voicy les raisons
qui nous obligent à le préjuger : premièrement, il est
du sens commun de croire que le soleil a pris place au centre de l'univers,
puis que tous les corps qui sont dans la nature ont besoin de ce feu radical,
qui habite au coeur du royaume pour estre en estat de satisfaire promptement
à leurs nécessitez , et que la cause des
générations soit placée esgallement entre les corps
où elle agit ; de mesme que la sage nature a placé les parties
génitales au milieu dans l'homme, les pepins dans le centre des pommes,
les noyaux au milieu de leur fruit ; et de mesme que l'ognon conserve à
l'abry de cent escorces qui l'environnent le précieux germe où
dix millions d'autres ont à puiser leur essence : car cette pomme est
un petit univers à soy-mesme dont le pépin, plus chaud que les
autres parties, est le soleil qui respand autour de soy la chaleur
conservatrice de son globe ; et ce germe dans cet ognon est le petit soleil de
ce petit monde qui reschauffe et qui nourrit le sel végétatif de
cette masse. Cela donc supposé, je dis que la terre ayant besoin de la
lumière, de la chaleur et de l'influence de ce grand feu, elle se
tourne autour de luy pour recevoir esgalement en touttes ses parties cette
vertu qui la conserve. Car il seroit aussy ridicule de croire que ce grand
corps lumineux tournast autour d'un point dont il n'a que faire, que de
s'ymaginer quand nous voyons une allouette rostie qu'on a, pour la cuire,
tourné la cheminée à l'entour.
Cyrano de Bergerac. Estats et empires de la lune (1655), p.11.
Le mariage assaisonne ce que la nature a laissé de trop
crû, et qui pourroit estre indigeste à des gens de mon age.
Abbé Michel de Pure. La Prétieuse (1656),
p.260.
C'est pourquoy je me contenteray de prier celuy qui doit estre
mon juge de repasser dans son imagination la beauté du sallon, de la
belle veuë, des jardins differens, des bois, des fontaines, des canaux,
des allées, du quarré d'eau, de ce jet merveilleux qui va
presque attaquer le soleil, et de cette cascade admirable où l'art
fait vne si douce violence à la nature, où les fontaines
deviennent torrens, où les torrens se changent en paisibles rondeaux,
et où l'on voit enfin ce qu'on ne peut mesme voir en la superbe
Italie, ni en nul autre lieu du monde, puisqu'il est vray que depuis que les
hommes ont trouvé l'art de tyranniser les eaux et de les assujettir
à suivre leur volonté, on ne les a jamais employées ni
avec tant de magnificence, ni avec tant de beauté.
M. de Scudéry. Les Jeux servant de préface (1667),
p.105.
Est-ce la physique que vous voulez apprendre?
Monsieur jourdain:
Qu' est-ce qu' elle chante cette physique ?
Maître de philosophie:
La physique est celle qui explique les principes des choses naturelles, et les
propriétés du corps ; qui discourt de la nature des
éléments, des métaux, des minéraux, des pierres,
des plantes et des animaux, et nous enseigne les causes de tous les
météores, l'arc-en-ciel, les feux volants, les comètes,
les éclairs, le tonnerre, la foudre, la pluie, la neige, la grêle,
les vents et les tourbillons.
Monsieur jourdain:
Il y a trop de tintamarre là dedans, trop de brouillamini.
Maître de philosophie:
Que voulez-vous donc que je vous apprenne ?
Monsieur jourdain:
Apprenez-moi l'orthographe.
Molière. Le Bourgeois gentilhomme (1670) Acte 2.
Sc.4.
Jamais cour n'a eu tant de belles personnes et d'hommes
admirablement bien faits ; et il sembloit que la nature eust pris plaisir
à placer ce qu'elle donne de plus beau dans les plus grandes princesses
et dans les plus grands princes.
Madame de la Fayette. La Princesse de Clève. (1678),
p.7.
Celui-cy est si artistement applany, qu'on y marche plus
à son aise, et qu'on croit même y voir plus clair que dans
l'autre : ces deux guides se tuënt de crier, c'est icy, c'est icy
l'unique route qu'il faut tenir pour découvrir tous les secrets de la
nature : si l'on me demande lequel des deux a raison, je diray que l'un a
pour luy la raison de l'ancienneté, et l'autre la raison de la
nouveauté.
Charles Du Fresny. Amusements sérieux et comiques. (1699),
p.135
Je me sentois ému et comme hors de moi-même, pour
chanter les grâces dont la nature a orné la campagne. Nous
passions les jours entiers et une partie des nuits à chanter ensemble.
Tous les bergers, oubliant leurs cabanes et leurs troupeaux, étoient
suspendus et immobiles autour de moi pendant que je leur donnois des
leçons : il sembloit que ces déserts n'eussent plus rien de
sauvage ; tout y étoit devenu doux et riant ; la politesse des
habitants sembloit adoucir la terre.
Fénelon. Les Aventures de Télémarque (1699),
p.79
La nature avoit pris plaisir à former en Afrique un
naturel aussi riche qu'elle eût pu faire en Europe. Il trouva Elvire, au
moment qu'il la vit, telle que tout le monde la trouvoit, c'est-à-dire
pleine de charmes ; il remarqua sur son visage les restes d'une beauté
touchante, que les fatigues de la mer et les approches de la captivité
n'avoient pu tout-à-fait effacer ; et ses beaux yeux, au travers de
quelques larmes, jetèrent des feux qui passèrent jusqu'à
son coeur. Baba-Hassan s'approcha d'elle ; il la pria en des termes obligeants
de ne se pas affliger : il lui dit que la servitude où elle
étoit tombée seroit si douce, que la liberté
l'étoit moins. Il la fit conduire à l'instant par un officier
à l'appartement de ses femmes, qui ne purent voir sans une jalousie
extrême les charmes de cette jeune odalisque. Le malheureux Zelmis fut
présent à ce triste spectacle ; il crut voir Elvire pour la
dernière fois, en la voyant entrer dans un lieu d'où l'on sort
difficilement : mais quelle que fût sa douleur, je ne sais s'il n'aima
pas autant la voir entre les mains de Baba-Hassan qu'au pouvoir de son mari,
qui fut acheté presque aussitôt d'un nommé Omar. Zelmis
fut vendu comme les autres. Il tomba entre les mains d'Achmet Thalem, de la
race de ces maures appelés Tagarims, qui se répandirent sur la
côte d'Afrique lorsqu'ils furent chassés d'Espagne.
Jean-François Regnard. La Provençale (1709),
p.312.
C'étoit de tous les mortels celui qui avoit le plus
pénétré dans les secrets les moins
pénétrables de la nature : mais comme il se livroit tout entier
à la spéculation, il négligea le gouvernement de ses
états, pour s'informer comment les étoiles se gouvernent
là haut. Son pays, arrosé par les deux plus grands fleuves de
l'univers, étoit si riche, que ses sujets le devinrent trop : les plus
puissans sentirent leur force, et connurent sa foiblesse. Chacun
s'établit comme il voulut, tandis que leur prince, loin de s'en mettre
en peine, parut ravi d'être débarrassé d'un pays sans
montagnes ; il lui en falloit pour se perfectionner dans des connoissances qui
lui coûtoient tant. Il quitta donc ses états pour en chercher ;
et tandis que de montagne en montagne il s'entretenoit avec les mouvemens des
cieux, on se mit paisiblement en possession de ce qu'il abandonnoit sur la
terre.
Antoine Hamilton. Histoire de fleur d'épine (1719),
p.306.
Un peuple si juste devoit être chéri des dieux.
Dès qu'il ouvrit les yeux pour les connoître, il apprit à
les craindre, et la religion vint adoucir dans les moeurs ce que la nature y
avoit laissé de trop rude. Ils instituerent des fêtes en
l'honneur des dieux : les jeunes filles, ornées de fleurs, et les
jeunes garçons les célébroient par leurs danses.
Montesquieu. Lettres persanes (1721), lettre 12, p.32.
Les chaldéens, les égyptiens, et les
gymnosophistes avoient une merveilleuse connoissance de la nature, mais ils
l'enveloppoient d'allégories mythologiques ; c'est sans doute ce qui a
fait reprocher à l'antiquité de n'avoir connu la physique que
très-imparfaitement. Zoroastre dévoila à Cyrus les
secrets de la nature, non seulement pour satisfaire à sa
curiosité, mais pour lui faire reconnoître les marques d'une
sagesse infinie répandues dans l'univers, et par-là le
préparer à des instructions plus élevées sur la
divinité et sur la religion. Tantôt il lui faisoit admirer la
structure du corps humain, les ressorts qui le composent, et les liqueurs qui
y coulent ; les canaux, les pompes, les réservoirs qui se forment par
le simple entrelassement des nerfs, des artéres et des veines, pour
separer, pour épurer, pour conduire et pour reconduire les liquides
dans toutes les extrêmités du corps ; puis les leviers, les
cordes et les poulies formées par les os, les muscles et les
cartilages, pour faire tous les mouvemens des solides. C'est ainsi, disoit le
mage, que notre corps n'est qu'un tissu merveilleux de tuyaux sans nombre,
qui se communiquent, se divisent et se subdivisent sans fin ; tandis que des
liqueurs différentes et proportionnées s'y insinuent, et s'y
preparent, selon les régles de la plus exacte mécanique. Il lui
fit comprendre par-là, qu'une infinité de petits ressorts
imperceptibles, dont nous ignorons la construction et les mouvemens, jouent
sans cesse dans nos corps, et par conséquent qu'il n'y a qu'une
intelligence souveraine, qui ait pû produire, ajuster, et conserver une
machine si composée, si délicate, et si admirable. Un autre
jour il expliqua la formation des plantes, et la transformation des insectes.
On n'avoit pas alors nos verres optiques pour rapprocher et grossir les
objets ; mais l'esprit pénétrant de Zoroastre, voyoit encore
plus loin.
A.-M. de Ramsay. Les Voyages de Cyrus (1727), p.99.
N'est-ce pas un mal que notre infirmité nous oblige
à vivre cachés presque continuellement sous un toit, et qu'elle
nous prive ainsi de la vue du ciel, qui est le plus beau spectacle de la
nature ? Cependant nous ne sçaurions nous dispenser de nous faire
à nous mêmes ces espèces de prisons. Mais la raison ne
demande point que nous y mettions des ornemens capables de nous y attacher.
Abbé Prévost. Le Philosophe anglois (1731),
p.262.
La nature fait assez souvent de ces tricheries-là, elle
enterre je ne sais combien de belles âmes sous de pareils visages, on
n'y connaît rien, et puis, quand ces gens-là viennent à se
manifester, vous voyez des vertus qui sortent de dessous terre.
Marivaux. Le Paysan parvenu (1734), p.39
La prairie étoit ornée dans toute son
étenduë de bosquets délicieux, placés dans de justes
distances pour plaire aux yeux, et comme si la nature aimoit aussi
quelquefois à imiter l'art, comme l'art se plaît toûjours
à imiter la nature, j'apperçus dans quelques endroits des
especes de desseins réguliers formés de gazon, de fleurs et
d'arbrisseaux qui faisoient des parterres charmans
Guillaume Hyacinthe Bougeant. Voyage du Prince Fan-Feredin (1735),
p.24.
La nature est-elle muette, poursuivit-il en prenant l'enfant des
bras de sa nourrice, et en le mettant dans ceux de Mylord D'Arondel ? Ne
vous dit-elle rien pour ce fils ? Je vous le rends, ajouta-t-il, avec autant
et plus de joie, que vous n'en avez vous-même de le recevoir. Il lui
conta alors comment le hasard l'avoit mis en sa puissance. Mylord D'Arondel
l'écoutoit, les yeux toujours attachés sur son fils, qu'il
serroit entre ses bras, et qu'il mouilloit de quelques larmes que la joie et
la tendresse faisoient couler. Je reconnois, disoit-il, les traits de sa
mère ; voilà sa physionomie ; voilà cette douceur aimable
qui règne sur son visage ; voilà ses graces. Ces discours
étoient accompagnés de mille caresses, qu'il ne cessoit de
prodiguer à ce fils si chéri et si heureusement retrouvé.
Il sembloit que cet enfant, inspiré par la nature, reconnût
aussi son père. Il s'attachoit à lui ; il ne pouvoit plus le
quitter ; il lui sourioit ; il vouloit lui parler.
Marquise de Tencin. Le Siège de Calais (1739), p.50.
Le prince curieux de la nature, et de tous les secrets, je ne
doute pas qu'il ne trouvât dans cet événement de quoi
exercer son génie, et le porter peut-être à bien des
réflexions. Ce qui me porte à le croire, c'est que le lendemain
à son lever, il se plaignit d'avoir passé une mauvaise nuit, de
s'être livré à mille pensées, et qu'il
s'écria, comme un homme qui sortiroit moins du sommeil que d'une
profonde méditation : ah que l'esprit de l'homme est borné
partout !
J. de Varenne. Les Mémoires du Chevalier de Ravanne (1740),
p.332
C'étoit pour nous que les jours se levoient clairs et
sereins, que les fleurs s'épanouissoient, exhaloient leurs odeurs
suaves, que la nature se paroit d'une verdure riante, que la terre et le ciel
nous présentoient leur spectacle enchanteur.
François-Thomas-Marie d'Arnaud. Les Epoux malheureux (1745),
p.288.
L'interêt que je prends à lui augmente, à
mesure que son mérite se développe, et le rend plus digne de
mes soins, c'est à moi d'achever ce que la nature et vos soins ont si
heureusement commencé, je vais le transporter dans un nouvel
élement, dans une cour brillante et tumultueuse, où j'avoue que
le vrai et le faux sont difficiles à distinguer, l'un se pare sans
cesse des couleurs de l'autre, et y ajoute peut-être des nuances, qui
ne servent qu'à en rendre l'atrait plus dangereux.
Ch. J. La Morlère. Angola, histoire indienne (1746),
p.225
Heureuse la nation qui n'a que la nature pour guide, la
vérité pour principe, et la vertu pour mobile !
Madame de Graffigny. Lettres d'une jeune péruvienne (1747),
p.160.
Il répondit que ces gens, que la nature semble avoir
destinés à tout, n'étaient bons à rien.
Diderot. Les Bijoux indiscrets (1748), p.61.
Il faut avouer, dit Micromégas, que la nature est bien
variée. Oui, dit le saturnien, la nature est comme un parterre dont les
fleurs... ah ! Dit l'autre, laissez-là votre par-terre. Elle est,
reprit le sécrétaire, comme une assemblée de blondes et
de brunes dont les parures... et qu'ai-je affaire de vos brunes ? Dit
l'autre. Elle est comme une galerie de peintures dont les traits... et non,
dit le voyageur, encore une fois la nature est comme la nature, pourquoi lui
chercher des comparaisons ? Pour vous plaire, répondit le
sécrétaire. Je ne veux pas qu'on me plaise, dit le voyageur, je
veux qu'on m'instruise.
Voltaire. Micromégas (1752), p.123.
Où sont ces amateurs de la nature, qui sçavent si
bien jouir d'un beau tems et d'un joli paysage ? C'est pour eux que je parle
; car pour moi, j'étois alors moins occupé de cet objet, que
d'une paysanne en corset et en cotillon blanc que je voyois venir de loin
avec un pot au lait sur sa tête.
Stanislas-Jean de Boufflers. La Reine de Golconde (1761),
p.11.
La sagesse ne contredit la nature que lorsque la nature a
tort.
Jean-François Marmontel. Contes moraux (1761), T.1,
p.83
Si jeunes encore, rien n'altère en nous les penchans de la nature, et
toutes nos inclinations semblent se rapporter. Avant que d'avoir pris les
uniformes préjugés du monde, nous avons des manières
uniformes de sentir et de voir, et pourquoi n'oserois-je imaginer dans nos
coeurs ce même concert que j'apperçois dans nos jugemens ?
Jean-Jacques Rousseau. La Nouvelle Héloïse (1761),
p.7.
Et couvrant son visage comme pour se cacher à la nature
entière, elle resta dans cette espèce d'insensibilité
où conduit la violence d'une douleur trop vivement sentie pour
être exprimée. Ses femmes, empressées à la
secourir, ne purent la rappeler à elle-même ; la pâleur de
la mort avoit déjà effacé les couleurs de son teint. On
la mit au lit sans qu'elle s'y opposât, ou y consentît. Elle
demeura dans cet état, paisible en apparence, jusqu'à neuf
heures du soir. Alors Lidy, la plus jeune de ses femmes, lui présenta
une lettre. On venoit de l'apporter de la part d'Edouard. Ce nom et la vue de
cette écriture, réveillèrent ses sens assoupis par le
saisissement de son coeur. Ses larmes commencèrent à couler.
Madame Riccoboni. Histoire de Miss Jenny (1764), p.121
En un mot, redevenons semblables à nos premiers parens,
qui vivaient errans, sans industrie, sans parole, sans guerre, sans liaison,
sans nul besoin de leurs semblables, se suffisant à eux-mêmes,
contens de peu, vivant des seuls alimens que la nature leur offrait, heureux
enfin, et mille fois plus heureux que tous les rois de la terre.
Henri-Joseph Du Laurens. Le Compère Mathieu (1766),
p.41.
Ô Voyez couler des larmes éternelles : voyez
Sidley, Sidley si fidelle et si tendre, seule dans la nature, sans parens,
sans appuis, faisant retentir sa retraite de sanglots auxquels personne ne
répondra, pleurant le jour où elle vous a connu, celui où
elle a scellé de sa foiblesse sa confiance à vos sermens, se
rappellant toutes ses pertes, n'ayant que d'horribles souvenirs, et pas une
consolation.
Claude Joseph Dorat. Les Malheurs de l'inconstance (1772),
p.90.
C'est une terre enchantée, où sont réunies
toutes les merveilles de la nature. Là, dans des solitudes fleuries,
au milieu d'un printemps éternel, nous vivrons pour nous, tranquilles,
indépendants, riches des biens que le ciel prodigue à l'homme
sauvage et content. Si tu veux me suivre, ce voyage nous sera facile...
Nicolas Germain Léonard. La Nouvelle Clémentine (1774),
Lettre 20, p.101.
Nous regardons comme un remède universel toutes les
plantes odoriférantes, abondantes en sels volatils, comme infiniment
propres à dissoudre le sang trop épaissi : c'est le plus
précieux don de la nature pour conserver la santé
Louis Sébastien Mercier. L'An deux mille quatre cent quarante :
rêve s'il en fut jamais (1774), p.70.
Une des choses dont je jouis le plus, c'est le spectacle de la
nature. Elle n'est pas dans ces contrées si inculte ni si privée
d'attraits que tu la supposes ; et dans les lieux même les plus
sauvages, la nature a pour un coeur tranquille des charmes secrets, que toute
la richesse de l'art ne peut égaler. Lorsqu'au lever de l'aurore je me
transporte sur nos montagnes ; que je vois le ciel se teindre peu à peu
des plus vives couleurs ; un globe de feu paroître, s'élever, et
par ses rayons naissans effacer les ombres des collines opposées ; les
neiges se fondre lentement, et former des ruisseaux qui coulent près
de moi avec un agréable murmure ; des fleurs champêtres
mêler leurs douces odeurs à celles des plantes qui croissent
dans les fentes des rochers ; des gouttes de rosée briller sur ces
fleurs, sur les buissons voisins, et sur les filamens légers qui
voltigent à l'entour ; les tranquilles zéphyrs se jouer entre
les feuilles des foibles arbrisseaux, et en agiter mollement les branches :
lorsque j'entends les oiseaux, qui, par un tendre gazouillement, saluent tous
ensemble l'astre du jour, et préludent à de nouveaux concerts :
lorsque je vois des tourbillons de fumée qui s'élèvent
des toits rustiques des bergers, et annoncent le retour du travail ; le
bûcheron, qui, s'arrachant au repos, quitte sa chaumière pour
s'enfoncer dans la forêt prochaine ; les laboureurs qui se
répandent dans les campagnes ; les troupeaux qui sortent à pas
lents des hameaux, et se dispersent sur le penchant des collines ; toute la
nature qui s'éveille, et, sans perdre encore une impression de
fraîcheur, reprend une vigueur nouvelle ! Ah ! Quel enchantement
j'eprouve ! Et quel ennemi de la divinité pourroit résister
à un spectacle si touchant ! Ravi par ces douces images, je me livre
à la méditation la plus profonde ; mon esprit s'agite, mes
pensées se préssent, une sorte d'enthousiasme
élève mon ame, j'entre dans les conseils du très-haut,
je crois assister au moment de la création. Rien n'existoit encore que
celui qui existe par lui-même. Il parle : l'univers est
créé, le chaos se forme et va se débrouiller à
l'instant ; la lumière paroît, les élèmens sont
distingués, les astres brillent au firmament, la terre reçoit
sa fécondité et sa parure, le monde s'anime et se peuple de
mille êtres divers.
Abbé Ph. L. Gérard. Le Comte de Valmont (1775), p.108.
Tout ce que défend la nature est universel et absolu.
Rétif de la Bretonne. Le paysan perverti (1776),
p.166.
Dans l'enclos qui entourait leur demeure, était une
grotte, ouvrage de la nature, creusée dans des rochers, et où
croissaient des rosiers solitaires. Ce réduit plaisait à
Lucile. Chaque jour, au lever, au coucher du soleil, elle venait y nourrir sa
mélancolie, et souvent le gazon y recevait ses pleurs. C'est là
qu'elle aimait à répandre son ame, pleine d'inquiétudes
vagues et déchirantes qui repoussaient de son esprit les idées
heureuses d'un riant avenir. " cruelle absence ! Disait-elle ; cher amant !
Reviens, ah ! Reviens pour m'apprendre à chérir la vie.
Loaisel de Treogate. Lucile et Milcourt (1779), p.14.
Les deux pays qui me paroissent contraster le plus entr'eux,
sont l'Italie et la Hollande : en Italie, la nature est majestueuse et
variée, elle présente partout de grands effets, d'énormes
rochers, de hautes montagnes, des précipices, des cascades ; en
Hollande, le pays est toujours plat, uniforme, des canaux, de la verdure, de
petites plantations, c'est toujours la même chose. En Italie, on trouve
à chaque pas d'antiques monumens qui retracent les faits les plus
anciens de l'histoire ; l'architecture moderne y est grande, noble, imposante,
tout y frappe l'imagination, tout y demande du détail, de l'attention
et de l'examen ; les tableaux, comme le reste, y sont toujours d'un genre
héroïque et sublime ; en Hollande, aucun vestige de monumens,
tout paroît neuf, rien n'a l'air antique ou vieux ; il ne faut
considérer que l'ensemble ; dans le détail, chaque chose perd de
son prix, et devient mesquine et de mauvais goût ; chaque objet en
particulier n'est qu'un colifichet : l'architecture, les arts, y paroissent
ignorés. Tout est agréable, mais petit et sans aucune noblesse.
Les tableaux qu'on y trouve sont d'un fini précieux, mais ils sont
presque toujours petits, et toujours d'un petit genre, ils n'offrent que des
objets ignobles ; en Italie, ils représentent des héros, des
demi-dieux ; ici, ce sont des matelots ivres, des vendeuses de choux, des
marchandes de poisson ; en Italie, les hommes sont vains, artificieux,
paresseux ; en Hollande, ils sont bons, simples, industrieux, laborieux, ils
méprisent le faste et la magnificence.
Madame de Genlis. Adèle et Théodore (1782), Lettre 32,
p.191.
Je sens bien que voilà une belle occasion de crier au
parjure : mais si la nature n'a accordé aux hommes que la constance,
tandis qu'elle donnait aux femmes l'obstination, ce n'est pas ma faute.
Choderlos De Laclos. Les Liaisons dangereuses (1782), p.362.
Je respirai l'air pur de l'atmosphere, le baume des fleurs, l'ame de la
nature. Je vis ce beau soleil tranquille dans les cieux, qui sembloit me voir
sans couroux, comme n'ayant point de part à mon malheur, et ne
s'oposant point à ma liberté. Dans mon ravissement je tombai sur
mes deux genoux, et j'adorai l'eternel. Après cet acte de
piété, je me mis à courir. Sortant d'une retraite de
trois mois, je me sentois d'un leste à ravir, et ne touchois pas
terre. J'étois cependant chargé de ma chaîne, que nos
libérateurs n'avoient pu m'ôter, faute de lime. Je la cachois le
mieux que je pouvois et l'empêchois de faire du bruit.
Robert Martin Lesuire. L'Aventurier françois (1782),
p.245.
Nous sommes heureux de ce qu'il n'est pas en notre pouvoir de
régler le cours de la nature.
Arnaud Berquin. L'Ami des enfants (1773), p.128.
La nature vous donne pour rien tous les plaisirs dont nous
achetons l'image
Jean-Pierre de Florian. Galatée (1783), p.93.
Le soleil se lève, brille sur toute la nature, et la
ranime de ses feux ; moi seule suis importunée de son éclat il
m'est odieux et me flétrit ; semblable au fruit qu'un insecte
dévore au coeur, je porte un mal invisible... et pourtant de vives et
rapides émotions viennent souvent frapper mes sens ; je me sens
frissonner dans tout mon corps : mes yeux se portent du même
côté, s'attachent sur le même objet ; ce n'est qu'avec
effort que je les en détourne : mon ame étonnée, cherche
et ne trouve point ce qu'elle attend ; alors, plus agitée, mais
affoiblie par les impressions que j'ai reçues, je succombe
tout-à-fait, ma tête penche, je fléchis, et, dans mon
morne abattement, je ne me débats plus contre le mal qui me tue.
Madame Cottin. Claire d'Albe (1799), p.200.
Il est un enthousiasme qui est à l'âme ce que le
printemps est à la nature : il fait éclore mille sentimens ; il
fait verser des larmes auxquelles on croit le pouvoir d'en faire
répandre d'autres. C'était là ma situation en lisant les
fragmens de Gustave ; et si quelques regards attendris s'attachent sur cet
ouvrage, comme sur un ami qui nous a révélé notre propre
coeur, ils sauront tout à la fois et m'excuser et me défendre.
Madame de Krudener. Valérie (1803), p.5.
Il se complut cependant à peindre la
sensibilité passionnée qui inspirait la poésie de
Corinne et l'art qu'elle avait de saisir des rapports touchans entre les
beautés de la nature et les impressions les plus intimes de l'ame. Il
releva l'originalité des expressions de Corinne, de ces expressions
qui naissaient toutes de son caractère et de sa manière de
sentir, sans que jamais aucune nuance d'affectation pût altérer
un genre de charme non-seulement naturel, mais involontaire. Il parla de son
éloquence comme d'une force toute-puissante qui devait d'autant plus
entraîner ceux qui l'écoutaient, qu'ils avaient en
eux-mêmes plus d'esprit et de sensibilité véritables.
Madame de Staël. Corinne ou l'Italie (1807), p.64.
Un peu plus loin, l'arbre de science étend de toutes
parts ses racines profondes et ses rameaux innombrables : il porte,
cachés sous son feuillage d'or, les secrets de la divinité, les
lois occultes de la nature, les réalités morales et
intellectuelles, les immuables principes du bien et du mal. Ces connoissances
qui nous enivrent font la nourriture des élus : car, dans l'empire de
la souveraine sagesse, le fruit de science ne donne plus la mort. Les deux
grands ancêtres du genre humain viennent souvent verser des larmes
(telles que les justes en peuvent répandre) à l'ombre de cet
arbre merveilleux. La lumière qui éclaire ces retraites
fortunées, se compose des roses du matin, de la flamme du midi et de
la pourpre du soir ; toutefois, aucun astre ne paroît sur l'horizon
resplendissant ; aucun soleil ne se lève, aucun soleil ne se couche
dans des lieux où rien ne finit, où rien ne commence ; mais une
clarté ineffable, descendant de toutes parts comme une tendre
rosée entretient le jour éternel de la délectable
éternité. C'est dans les parvis de la cité sainte, et
dans les champs qui l'environnent, que sont à la fois réunis et
partagés les choeurs des chérubins et des séraphins, des
anges et des archanges, des trônes et des dominations : tous sont les
ministres des ouvrages ou des volontés de l'éternel. à
ceux-ci a été donné tout pouvoir sur le feu, l'air, la
terre et l'eau ; à ceux-là appartient la direction des saisons,
des vents et des tempêtes. Ils font mûrir les moissons, ils
élèvent la jeune fleur, ils courbent le vieil arbre vers la
terre. Ce sont eux qui soupirent dans les antiques forêts, qui parlent
dans les flots de la mer, et qui versent les fleuves du haut des montagnes.
Les uns gardent les vingt mille chariots de guerre de Sabbaoth et d'
Elohé ; les autres veillent au carquois du seigneur, à ses
foudres inévitables, à ses coursiers terribles, qui portent la
peste, la guerre, la famine et la mort. Un million de ces génies
ardents règlent les mouvements des astres, et se relèvent tour
à tour, dans ces emplois magnifiques, comme les sentinelles vigilantes
d'une grande armée.
Chataubriand. Les Martyrs (1810), pp.184-185.
Un bruit sourd les accompagne, et cesse quand ils
s'arrêtent : alors la nature entière reste enchaînée
de terreur, comme un animal menacé de sa destruction, qui prend
l'aspect de la mort pour lui échapper. Il n'y a pas une feuille qui
frémisse, pas un insecte qui bruisse sous l'herbe immobile. Si l'on
tourne les yeux vers l'endroit où doit être le soleil, on voit
flotter dans une colonne oblique d'atomes lumineux la poussière
impalpable que le sirocco a enlevée au désert, et dont on
reconnoît l'origine à sa nuance d'un rouge de brique. Nul
mouvement d'ailleurs qui se fasse apercevoir, si ce n'est celui du milan qui
décrit, au haut du firmament, son vol circulaire, en marquant de loin,
dans le sable, sa proie accablée sous le poids de cette
atmosphère redoutable. Nulle voix qui se fasse entendre, si ce n'est le
cri aigu et plaintif des animaux carnassiers, qui, remplis d'un instinct
féroce, et se croyant au dernier jour du monde, viennent
réclamer les débris des êtres créés qui leur
ont été promis. L'homme lui-même, malgré sa
puissance morale, cède à cette puissance contre laquelle il n'a
jamais essayé ses facultés. Son noble front se penche vers la
terre, ses membres foiblissent et se dérobent sous lui ; sans courage
et sans ressort, il tombe et attend dans une langueur invincible qu'un air
plus doux le ranime, rende le mouvement à ses esprits, la chaleur
à son sang et la vie à la nature.
Charles Nodier. Jean Sbogar (1818), p.109.
Hiver comme été, il lui falloit des fleurs ; et,
lorsque la nature faisoit défaut, elle avoit des fleurs artificielles
légèrement parfumées.
Honoré de Balzac. Anette et le criminel (1824), p.60.
Tout est harmonie, tout est bonheur dans ce désert. Ah !
Lui dis-je, il devrait servir d'asile à ceux qui s'aiment. Là,
on serait heureux des seuls biens de la nature, on ne connaîtrait pas la
distinction des rangs, ni l'infériorité de la naissance !
Là, on n'aurait pas besoin de porter d'autres noms que ceux que
l'amour donne.
Madame de Duras. Edouard (1824), p.173.
Cependant, sans le vouloir, je venais de faire une importante
découverte : je venais d'apprendre que, même dans l'horreur, la
nature morale était au moins l'égale de la nature physique.
Jules Janin. L'Ane mort et la femme guillotinée (1829),
p.73.
Le mauvais air du cachot devenait insupportable à Julien.
Par bonheur, le jour où on lui annonça qu'il fallait mourir, un
beau soleil réjouissait la nature, et Julien était en veine de
courage. Marcher au grand air fut pour lui une sensation délicieuse,
comme la promenade à terre pour le navigateur qui longtemps a
été à la mer.
Stendhal. Le rouge et le noir (1830), p.506.
C'est qu'aussi, en présence de ces instants
décisifs, de ces imminentes questions de vie ou de mort, les petits
détails de beauté conventionnelle s'effacent, l'âme seule
se reflète sur le visage, et si, au moment du péril, cette
âme s'est réveillée puissante et vigoureuse, elle
imprimera toujours un caractère noble et grandiose aux traits de
l'homme qui osera lutter contre la nature en furie.
Eugène Sue. Atar-Gull (1831), p.3.
Sonneur de Notre-Dame à quatorze ans, une nouvelle
infirmité était venue le parfaire ; les cloches lui avaient
brisé le tympan ; il était devenu sourd. La seule porte que la
nature lui eût laissée toute grande ouverte sur le monde
s'était brusquement fermée à jamais.
Victor Hugo. Notre dame de Paris (1832), p.206.
La nature avait mis en moi le germe du bien, tu l'as
flétri comme un vent malfaisant.
Alphonse Karr. Sous les tilleuls (1832), p.141.
La rêverie ne peut rien évoquer, parce que, dans
les créations de la pensée, rien n'est aussi beau que la nature
brute et sauvage.
George Sand. Lélia (1833), p.74.
Par moments, sans qu'il y eût un souffle au ciel, toutes
les vagues du lac limpide, ridées, tendues sur un point, s'agitaient
avec une émotion incompréhensible que rien dans la nature
environnante ni dans l'air du ciel n'expliquait ; ce n'était jamais un
courroux, c'était un frémissement intérieur et une
plainte. Les deux jolis ruisseaux s'arrêtaient alors et rebroussaient de
cours ; le lac les retirait à lui comme avec un effroi de tendre
mère. Et puis, ces mêmes vagues, retombées subitement et
calmées, redevenaient un paresseux miroir ouvert aux étoiles,
à la lune et à la splendeur des nuits. D'autres fois, un
brouillard non moins inexplicable que le frémissement de tout à
l'heure couvrait le milieu du lac par un ciel serein ; ou bien on aurait dit,
spectacle étrange ! Que ce milieu réfléchissait plus
d'étoiles et de clartés que ne lui en offrait le dais
céleste. Et aussi les bords les plus riants vers les endroits
opposés au rocher, les saules et les accidents touffus des rives
cessaient à certains moments de se mirer en cette eau, qui était
frappée comme de magique oubli ; l'oiseau qui passait à la
surface, en l'effleurant presque de l'aile, n'y jetait point son image ; et
moi, il me semblait souvent, avec un découragement mortel et une sorte
d'abandon superstitieux, que je glissais sur une onde qui ne s'en apercevait
pas, qui ne me réfléchissait pas !
Sainte-Beuve. Volupté (1834), p.158.
Ce qui me ravissait autrefois ne me fait pas la moindre
impression. Je commence à le croire, je suis dans mon tort, je demande
à la nature et à la société plus qu'elles ne
peuvent donner. Ce que je cherche n'existe point, et je ne dois pas me
plaindre de ne pas le trouver.
Théophile Gautier. Mademoiselle de Maupin (1836),
p.81.
Mon grand plaisir était de l'emmener à la campagne
durant les beaux jours de l'été, et de me coucher avec elle dans
les bois, sur l'herbe ou sur la mousse, le spectacle de la nature dans sa
splendeur ayant toujours été pour moi le plus puissant des
aphrodisiaques.
Musset. La Confession d'un enfant du siècle (1836),
p.40.
Je ne sais quelle perception, jusque-là inconnue, de la
nature entra dans son âme comme une faculté nouvelle, comme une
jouissance intime et transparente, au dedans de laquelle il voyait se mouvoir
confusément des pensées riantes, des images tendres, vagues,
indécises.
Gustave Flaubert. Smarth (1839), p.92.
Cette paix du soir, ce spectacle de la nature qui s'enveloppe
d'ombres et s'endort dans la nuit, exercent sur l'âme une secrète
puissance qui y éteint le trouble et les préoccupations dans le
charme d'une douce mélancolie.
Rodolphe Toepffer. Nouvelles genevoises (1839), p.376.
Loin que ma pensée divague et se porte sur des objets
difficiles ou bizarres, éloignés ou extraordinaires, et
qu'indifférent pour ce qui s'offre à moi, pour ce que la nature
produit habituellement, j'aspire à ce qui m'est refusé, à
des choses étrangères et rares, à des circonstances
invraisemblables et à une destinée romanesque, je ne veux, au
contraire, je ne demande à la nature et aux hommes, je ne demande pour
ma vie entière que ce que la nature contient nécessairement, ce
que les hommes doivent tous posséder, ce qui peut seul occuper nos
jours et remplir nos coeurs, ce qui fait la vie.
Etienne Pivert de Senancour. Obermann (1840), p.25.
La nature remplace avec succès les prestiges de l'art, et
je ne sais point de décoration d'opéra qui puisse atteindre aux
effets d'un coucher de soleil dans nos montagnes.
Louis Reybaud. Jérôme Paturot à la recherche de la
meilleure des républiques (1842), p.451.
Voyez, la nature sait calmer les plus vives douleurs.
Alexandre Dumas. Le Comte de Monte-Cristo (1846), p.591.
La nature semblait mourir, mais comme meurent la jeunesse et la
beauté, dans toute sa grâce et dans toute sa
sérénité.
Alphonse de Lamartine. Raphaël (1849), p.137.
Elle était musicienne et peignait le paysage avec toute
l'habileté qu'on peut exiger d'un paysagiste qui n'a jamais vu la
nature. Elle avait pris des leçons de Frédéric Chopin
et de Paul Huet. Le tout par vanité. Une fois sortie de pension,
dès qu'elle connut pleinement sa richesse, Laure embrassa d'un regard
avide les perspectives éblouissantes qui s'ouvraient devant elle. Elle
avait assez d'esprit pour comprendre qu'avec un million de dot et deux
millions en espérance, elle ne devrait pas prétendre à
être épousée par amour.
Jules Sandeau. Sacs et parchemins (1858), p.2.
Que non, ce n'est pas de la nature morte, quand on vit, comme
moi, au milieu des grès et de la faïence. Il se passe des drames
entre les marmites, les chenets, les pelles à feu et les pincettes : ce
sont quelquefois des comédies bien gaies, quand le soleil joue sur les
bouteilles, les fioles, et les quitte pour aller courir sur d'autres
poteries... je ne le dis pas à tout le monde ; mais, sitôt que je
trouve quelqu'un disposé à me comprendre, je parle de mes pots
comme d'amis absents.
Champfleury. Les Aventures de Melle Mariette (1853), p.32.
Seul, à cheval, parmi des paysages magnifiques, suivi par des hommes
qui parlent un langage inconnu, en communion directe et permanente avec la
nature, on accomplit sur soi-même, en voyage, des évolutions et
des tournoiements continuels.
Maxime du Camp. Mémoires d'un suicidé (1853),
p.43.
Les petites pelouses, les petits ruisseaux, les petits ponts,
allaient bientôt détrôner l'olympe pour le remplacer par
une laiterie, étrange parodie de la nature, que les anglais copient
sans la comprendre, vrai jeu d'enfant devenu alors le passe-temps d'un
maître indolent, qui ne savait comment se désennuyer de
Versailles dans Versailles.
Alfred de Musset. La Mouche (1854), p.292.
Etre né au XIXe siècle, manier la vapeur et
l'électricité, posséder une bonne moitié des
secrets de la nature, connaître à fond tout ce que la science a
inventé pour le bien-être et la sécurité de
l'homme, savoir comme on guérit la fièvre, comme on
prévient la petite vérole, comme on brise la pierre dans la
vessie, et ne pouvoir se défendre d'un coup de canne, c'est un peu
trop fort, en vérité ! Si j'avais été soldat et
soumis aux peines corporelles, j'aurais tué mes chefs
inévitablement. Quand je me vis asis sur la terre gluante, les pieds
enchaînés par la douleur, les mains mortes ; quand
j'aperçus autour de moi les hommes qui m'avaient battu, celui qui
m'avait fait battre et ceux qui m'avaient regardé battre, la
colère, la honte, le sentiment de la dignité outragée, de
la justice violée, de l'intelligence brutalisée,
soufflèrent dans mon corps débile un gonflement de haine, de
révolte et de vengeance. J'oubliai tout, calcul, intérêt,
prudence, avenir ; je lâchai la bonde à toutes les
vérités qui m'étouffaient ; un torrent d'injures
bouillonnantes monta droit à mes lèvres, tandis que la bile
extravasée débordait en écume jaune jusque dans le blanc
de mes yeux. Certes, je ne suis pas orateur, et mes études solitaires
ne m'ont pas exercé au maniement de la parole ; mais l'indignation,
qui a fait des poëtes, me prêta pour un quart d'heure
l'éloquence sauvage de ces prisonniers cantabres qui rendaient
l'âme avec des injures et qui crachaient leur dernier soupir à la
face des romains vainqueurs.
Edmond About. Le Roi des montagnes (1857). p.233.
Il y avait une sorte de joie secrète dans la nature,
quelque chose comme un hymne mystérieux et confus exécuté
par un orchestre aux mille voix pour célébrer le départ
de l'hiver, cette saison morose que Dieu infligea à la création
pour la faire souvenir que rien n'est parfait - hors lui.
Ponson du Terrail. Rocambole (1859), T.1 p.402.
Au
delà, de chaque côté de la route, s'étendaient les
bruyères d'un violet sombre, où flottaient des bancs de vapeurs
grisâtres auxquelles les rayons de l'astre nocturne donnaient un air de
fantômes en procession, bien fait pour porter la terreur en des
âmes superstitieuses ou peu habituées aux
phénomènes de la nature dans ces solitudes.
Théophile Gautier. Le Capitaine fracasse (1863). p.70.
Toute la nature est un échange.
Victor Hugo. Les travailleurs de la mer (1866), p.326.
Là, la nature était encore maîtresse de ses
produits, du cours de ses eaux, de ses grands arbres vierges de la hache, et
les squatters, rares jusqu'alors, n'osaient lutter contre elle.
Jules Verne. Les Enfants du capitaine Grant (1868), p.199.
Il regardait autour de lui et trouvait sublime le spectacle
déroulé sous ses yeux par la nature.
Joseph Arthur de Gobineau. Les Pléiades (1874),
p.157.
Patissot fut délicieusement ému quand il se trouva
seul, sous l'ombre touffue du bois, à cette heure langoureuse du
crépuscule, avec cette petite femme inconnue qui s'appuyait à son
bras. Et, pour la première fois de sa vie égoïste, il
pressentit le charme des poétiques amours, la douceur des abandons, et
la participation de la nature à nos tendresses qu'elle enveloppe.
Guy de Maupassant. Les Dimanches d'un bourgeois de Paris (1880)
[https://lib.univ-fcomte.fr/PEOPLE/selva/Maupassant/textes/dimanche.htm].
Le sentiment qui me remplit tout entier fut, non pas une
douleur aiguë, mais la tristesse profonde et tranquille d'une âme
docile aux grands enseignements de la nature.
Anatole France. Le Crime de Sylvestre Bonnard (1881), p.341.
Et toujours, pas un souffle dans l'air, pas un
frémissement dans la nature accablée. Puis tout à coup
une grande rafale terrible, un coup de fouet formidable couche les arbres, les
herbes, les oiseaux, fait tourbillonner les vautours affolés oiseaux,
fait tourbillonner les vautours affolés, renverse tout sur son passage.
C'est la tornade qui se déchaîne, tout tremble et
s'ébranle ; la nature se tord sous la puissance effroyable du
météore qui passe. Pendant vingt minutes environ, toutes les
cataractes du ciel sont ouvertes sur la terre.
Pierre Loti. Le Roman d'un Spahi (1881), p.101.
Mais l'horizon brillait tellement sur les forêts de
chênes lointains et de pins sauvages où les derniers oiseaux
s'envolaient dans le soir, les eaux d'un étang couvert de roseaux, dans
l'éloignement, réfléchissaient si solennellement le ciel,
la nature était si belle, au milieu de ces airs calmes, dans cette
campagne déserte, à ce moment où tombe le silence, que je
restai - sans quitter le marteau suspendu, - que je restai muet. Ô toi,
pensai-je, qui n'as point l'asile de tes rêves, et pour qui la terre de
Chanaan, avec ses palmiers et ses eaux vives, n'apparaît pas, au milieu
des aurores, après avoir tant marché sous de dures
étoiles, voyageur si joyeux au départ et maintenant assombri,
-coeur fait pour d'autres exils que ceux dont tu partages l'amertume avec des
frères mauvais, - regarde ! Ici l'on peut s'asseoir sur la pierre de
la mélancolie ! -ici les rêves morts ressuscitent,
devançant les moments de la tombe ! Si tu veux avoir le
véritable désir de mourir, approche : ici la vue du ciel exalte
jusqu'à l'oubli.
Villiers de l'Isle-Adam. Contes cruels. (1883), p.289.
Comme il le disait, la nature a fait son temps ; elle a
définitivement lassé, par la dégoûtante
uniformité de ses paysages et de ses ciels, l'attentive patience des
raffinés. Au fond, quelle platitude de spécialiste
confinée dans sa partie, quelle petitesse de boutiquière tenant
tel article à l'exclusion de tout autre, quel monotone magasin de
prairies et d'arbres, quelle banale agence de montagnes et de mers ! Il
n'est, d'ailleurs, aucune de ses inventions réputée si subtile
ou si grandiose que le génie humain ne puisse créer ; aucune
forêt de Fontainebleau, aucun clair de lune que des décors
inondés de jets électriques ne produisent ; aucune cascade que
l'hydraulique n'imite à s'y méprendre ; aucun roc que le
carton-pâte ne s'assimile ; aucune fleur que de spécieux taffetas
et de délicats papiers peints n'égalent ! à n'en pas
douter, cette sempiternelle radoteuse a maintenant usé la
débonnaire admiration des vrais artistes, et le moment est venu
où il s'agit de la remplacer, autant que faire se pourra, par
l'artifice.
Jaris Karl Huysmans. A rebours (1884), p.31.
II Pourquoi, à table, entre deux verres de vin fin et
des épaules nues, l'image du tombeau me vient-elle sans cesse, et
l'insoluble question sur le sens de cette farce meurtrière qui est la
nature, le monde, la vie?
Paul Bourget. Un Crime d'amour (1886), p.55.
Mais j'aime surtout Benjamin Constant parce qu'il vivait dans
la poussière desséchante de ses idées, sans jamais
respirer la nature, et qu'il mettait sa volupté à surveiller
ironiquement son âme si fine et si misérable.
Maurice Barrès. In Homme libre (1889), p.72.
Parents et voisins se blasent. Seuls quelques étrangers
lèvent encore les bras au ciel, quand on les met au courant : -vous
exagérez : nul n'échappe aux exigences de la nature. Le
médecin consulté déclare que le cas lui semble bizarre,
mais qu'en somme rien n'est impossible.
Jules Renard. Poil de carotte (1894), p.57 .
TROISIèME PARTIE La nature est un dieu absurde.
E. Estaunie. L'Empreinte (1896), p.321.
Mademoiselle nous menace tout bas de châtiments effroyables
si nous chantons faux, et allons-y de l'hymne à la nature :
déjà l'horizon se colore des plus éclatantes lueurs.
Colette. Claudine à l'école (1900), p.303.
Il s'ennuyait au milieu des prairies, des arbres et des
fleurs... la nature ne lui était supportable qu'avec des bars, des
champs de courses, des bookmakers et des jockeys.
Octave Mirbeau. Journal d'une femme de chambre (1900), p.344.
Oui, selon les principes de Jean- Jacques, il fallait vivre naïfs, s'en
remettre à la nature, devenir des bêtes de force et de joie,
danser avec les glaneuses et les moissonneurs au son des pipeaux, embrasser
vigoureusement les beautés naturelles, ne pas craindre la mort qui est
un loi nécessaire, vanter le goût du vin et des fruits, lever son
verre, baiser le sein de Lisette, et chanter la gloire, sous la tonnelle.
Paul Adam. L'Enfant d'Austerlitz (1902), p.232.
Mistigris abattu, sentant que toute la nature est contre lui,
toutes les choses et tout ce qui respire, ne pouvant plus rester devant
l'arbre, ne pouvant plus rester devant les plantes, ni devant la
lumière, Mistigris se coule misérable, la tête basse, la
queue basse, vers la maison.
Léon Frapié. La Maternelle (1904), p.136..
Je le suppliai de ne point se fâcher, mais il
l'était déjà beaucoup trop pour m'écouter, et il
déclara qu'il admirait le doute prudent avec lequel certaines gens
(moi) abordaient de loin les problèmes les plus simples, ne se risquant
jamais à dire : "ceci est" ou "ceci n'est pas", de telle sorte que leur
intelligence aboutissait tout juste au même résultat qui aurait
été obtenu si la nature avait oublié de garnir leur
boîte cranienne d'un peu de matière grise.
Gustave Leroux. Le Mystère de la chambre jaune (1907),
p.44.
Mais ce qu'il aimait en elle, c'était la nature du midi,
la généreuse mère, qui ne lésine point avec ses
dons, qui ne s'amuse point à fabriquer des beautés de salon et
des intelligences de livres, mais des êtres harmonieux, dont le corps et
l'esprit sont faits pour s'épanouir au soleil.
Romain Rolland. Jean-Christophe la nouvelle journée (1907),
p.480.
Maclotte qui emplit les petits pots de grès de deux sous,
retrouve aux désordres d'aujourd'hui, les causes anciennes, sorties des
faibles mémoires des hommes. Il sait que la nature est sans
pitié pour l'homme, autant que pour la goutte d'acide ou le caillou qui
tombent. Les imprudences actuelles, il les voit déjà grosses de
tout le futur empoisonné.
Louis Delattre. Carnets d'un médecin de village (1910), p.182.
La nature étant demeurée ordre et splendeur, la vie
logique devrait être, aujourd'hui encore, adoration profonde, car la
chose qui hors de nous a nom beauté, au dedans de nous se nomme
amour.
Oscar Vladislas Milosz. L'Amoureuse initiation (1910),
p.155.
J'éprouvai devant eux d'abord cette sorte d'admiration
confuse qui, devant les oeuvres d'art accompli ou devant les merveilles de la
nature, nous laisse, aux premiers instants, stupides et incapables
d'analyse.
André Gide. Isabelle (1911), [Gallimard 1961], p.617.
C'est ici, sous l'excitation de l'esprit des sommets, que
l'orgueilleux Manfred, qui se flatte de n'avoir jamais courbé la
tête, entre en lutte avec la nature elle-même et prétend
violenter, lui mortel, les lois souveraines de la vie.
Maurice Barrès. La Colline inspirée (1913),
p.339.
Sans trop savoir pourquoi, ma grand'mère trouvait au
clocher de Saint-Hilaire cette absence de vulgarité, de
prétention, de mesquinerie, qui lui faisait aimer et croire riches
d'une influence bienfaisante la nature quand la main de l'homme ne l'avait pas,
comme faisait le jardinier de ma grand'tante, rapetissée.
Marcel Proust. Du Côté de chez Swann (1913),
p.64.
Je me contenterai de développer cette idée
générale : que - notre seul point de départ logique pour
étudier l'homme étant le milieu vital où il évolue
- la philosophie moderne, la seule qui puisse renouveler le domaine
philosophique, doit être biologique, doit être une philosophie
à notre niveau, au plan que l'homme occupe dans la nature.
Roger Martin du Gard. Jean Barois (1913), p.329.
Même lorsqu'ils avaient conscience de contrarier le voeu
profond de la nature, ils se plaisaient à croire qu'ils respectaient
l'intention formelle du créateur.
Jules Romains. Les Copains (1913), p.227.
De ces deux tableaux, elle sait que l'un est peint
d'après des rêves, l'autre d'après la nature, et qu'ils
sont inconciliables.
Paul Bourget. Le Sens de la mort (1915), p.176.
Quand la voiture s'arrêta devant une grande bâtisse
en pierre si blanche que c'était de la clarté dans la nuit, quand
Gaspard vit s'approcher, pour l'aider à descendre, des jeunes gens, un
vieillard, un prêtre, une soeur, une infirmière, alors il lui
sembla que toute la nature venait au-devant de lui, et cet accueil charmant
tua sa méchante humeur.
René Benjamin. Soldats de la guerre Gaspard (1915),
p.86.
La vie avait toujours été une et simple pour eux :
le dur travail nécessaire, le bon accord entre époux, la
soumission aux lois de la nature et de l'église.
Louis Hémon. Maria Chapdeleine (1916), p.127.
Je suis sûr que tôt ou tard, quand on s'est plu, comme vous,
à violenter la nature, celle-ci prend sa revanche.
Edouard Estaunié. L'Ascension de M.Baslèvre (1921),
p.26.
Vous divaguez, fit Poisson-Rouge interrompant le cours de ses
songes... vous divaguez, je crois, et vous tremblez... D'où venez-vous
donc... avec cette langue épaisse, ces yeux ourlés
d'écarlate et cette exaltation des moindres sentiments devant les
spectacles de la nature ?
Pierre Mac Orlan. A bord de l'Etoile Matutine (1920), p.84.
J'étais déconcertée de trouver si peu
d'harmonie, pour la première fois où elle daignait me reparler,
dans la voix de la nature.
Jean Giraudoux. Suzanne et le Pacifique (1921), p.101.
Encore ému par le bourdonnement grave de l'orgue,
excité par l'allégresse des cantiques, j'aimais me livrer, en
cet état d'ivresse spirituelle, à une activité tout
animale : courir, bondir à travers les buissons, aspirer l'odeur de la
terre et des feuilles, me laisser toucher par les vivants effluves de la
nature.
Jacques de Lacretelle. Silbermann (1922), p.32.
Il fallait à la nature une protection royale pour qu'il
lui trouvât du charme.
Raymond Radiguet. Le Bal du Comte d'Orgel (1923), p.66.
Combien le philosophe peut apprendre de choses
précieuses, incomparables, du seul instinct de quelque vieux
prêtre tel que celui-ci, tout proche de la nature, héritier de
ces solitaires inspirés dont nos pères firent jadis les
divinités des champs.
Georges Bernanos. Sous le soleil de Satan (1926), p.301.
Godeau pensait que rien de ce qui est n'est au hasard,
excepté le mal, que tout ici-bas est parallèle à Dieu,
que rien de fini n'existe sans représenter quelque chose de l'infini et
que la nature exprime dans la conversation des choses quelque aspect
mystérieux de l'univers intérieur où elle nous invite
d'entrer.
Marcel Jouhandeau. Monsieur Godeau intime (1926), p.266.
Plus nos rapports sont intimes avec la nature, plus nous sommes
proches du surnaturel.
Henri de Montherlant. Les Bestiaires (1926), [Gallimard, 1962],
p.512.
Que faire contre ces grandes forces de la nature : la pluie, le
vent, les animaux, les imbéciles, les Cerbelot ?
Georges Duhamel. Journal de Salavin (1927), p.77.
Se détacher de tout, n'aimer rien : ni la nature, ni ses
semblables, ni une idole.
Maurice Genevoix. Les Mains vides (1928), p.184.
La nature que j'avais tant aimée depuis qu'Odile me
l'avait révélée, ne chantait plus que des motifs mineurs
et tristes.
André Maurois Climats (1928), p.117.
Cependant lui-même aimait ces paysans, leur
simplicité, leur vie soumise à la nature, et jusqu'à leur
grossièreté.
Marcel Arland. L'Ordre (1929), p.43.
En ce moment, où je parais m'éloigner de la
nature, il me faut la louer d'être partout présente, sous la
forme de nécessité.
Marguerite Yourcenar. Alexis ou le traité du vain combat (1929),
p.31.
Pourtant la Nature, aussi majuscule que tu la voudras, tu sais
bien qu'elle n'est, flore et faune, qu'un dictionnaire, sans doute dictionnaire
à surprises où le rêve parfois a trouvé son verbe,
mais dictionnaire tout de même, et rien que dictionnaire.
René Crevel. Etes-vous fou? (1929), p.106.
Tu ne connais pas la nature - tu ne connais pas la vie
réelle - tu ne connais pas l'appel du sol, et au fond de ton coeur
l'obscur bredouillement de l'atavisme animal, tu ne connais que des lois mal
comprises.
Pierre Reverdy. Risques et périls: contes 1915-1928 (1930), p.18.
Il n'avait pas le sentiment de la nature parce qu'il
était la nature même, confondu en elle, une de ses forces, une
source vive entre les sources.
François Mauriac. Le Noeud de vipère (1932),
p.152.
Puis, au bout d'un nouveau silence : - au fond, c'est cela.
Retrouver son enfance. Ce moment où l'on ne discute pas sa vie,
où l'on est en communication spontanée avec la nature, les
êtres, les paysages, tout. Où chaque instant à un sens !
Je me sens déjà si vieux ! ...
Daniel Rops. Mort où est ta victoire? (1934), p.409.
Pendant que la nature faisait seule le travail, gonflant
d'alcool les raisins, les gens, n'ayant guère à s'occuper, se
débauchaient de la langue, se mêlaient des affaires du voisin,
des amours des autres, et buvaient quand même un peu trop, à
cause de cette satanée bonne chaleur qui vous vidait l'eau du corps.
Gabriel Chevalier. Clochemerle (1934), p.175.
Et elle était couleur de rouille, couleur de mousse, sa
houppelande, couleur d'écorce, couleur de pierre ; elle avait la
couleur des choses de la nature, ayant longtemps connu comme elles les grands
soleils, les averses, la neige, le froid, le chaud, le vent, les emportements,
les repos de l'air, la longue succession des jours et des nuits.
Charles-Ferdinand Ramuz. Derborence (1934), p.50.
Tant la nature adhère au sort que l'homme lui a fait, que
l'homme lui-même paraît détaché de son ensemble
où pourtant il devrait faire figure de lieu, de lien, d'anneau ou
d'amarre.
Tristan Tzara. Personnage d'insomnie (1934), p.151.
La nature entière, me semblait-il, son passé et
son avenir, se résumaient sur la muraille claire de la maisonnette, de
même qu'il suffisait d'agrandir ou de réduire la maisonnette
dans le temps pour obtenir la nature entière, avec son bonheur et sa
mort : et c'est seulement alors que j'aperçus que la maisonnette
encastrée dans une muraille était une partie du
cimetière.
Pierre Jean Jouve. La Scène capitale (1935),
p.170.
La nature-même réduite par tout cet
encombrement de banlieue qui compose une "station balnéaire" -
s'emparait de lui et l'arrachait aux influences ravageuses de la rue
Caumartin.
Pierre Drieu la Rochelle. Rêveuse bourgeoisie (1937),
p.189.
Un rayon de soleil brilla, et la baie entière s'anima
d'une fête mélancolique qui parut le dernier sarcasme de la
nature à leur fin maintenant inévitable.
Julien Gracq. Au Château d'Argol (1938), p.94.
Il ne s'apercevait point que rien n'est plus artificiel que la
sincérité, et que la nature est le royaume du mimétisme,
des mensonges infinis des plantes, des insectes, il cherchait simplement
l'image de lui-même qui pourrait enfin parmi toutes les figures
possibles enchaîner pour toujours Catherine et la décider
à l'éclat.
Paul Nizan. La Conspiration (1938), p.166.
Il a écrit de deux ramiers blessés qui
s'étaient lourdement abattus sur un frêne au pied duquel l'ombre
le rendait invisible : "Ils se dirent leur malheur", puis il ajoute sans
transition : "La plus douce chose de la nature est de trouver un écho,
fût-il des plus humbles, au cri de sa souffrance".
Francis Carco. A voix basse (1938), p.194.
La brume s'était levée, il y avait une belle lune, une belle
nuit comme la veille, mais vraiment Juliette n'avait pas le coeur d'admirer
les beautés de la nature... sa maison derrière le talus ne lui
dit rien qui vaille.
Elsa Triolet. Le Premier accroc coûte 200 francs (1945),
p.20.
Car le paysan n'aime pas le jeu, surtout quand il s'agit de la
terre, qui a elle-même tant de peine à fournir, parmi ces
servitudes que l'homme et la nature lui imposent, ce peu de blé, ce peu
de vin qu'on lui arrache.
Henri Bosco. Le Mas Théotime (1945), p.45.
Mais ce n'était pas encore assez, et elle savait qu'il
fallait s'engager davantage pour vaincre cet égoïsme de la nature
qui commande à chacun de limiter sa part dans la peine d'autrui.
Gabrielle Roy. Bonheur d'occasion (1945), p.327.
Il ne savait pas. Le matériel de camping de Lando
était très perfectionné et l'occupait beaucoup. On
pouvait admirer que ce retour à la nature se fît dans le respect
du confort moderne. mais le confort importait peu à Lando.
Raymond Abellio. Heureux les pacifiques (1946), p.203.
Bien joli, leur retour à la terre, mais quand on a un peu
de pèze, la nature est la dernière des distractions
René Fallet. Banlieue sud-est (1947), p.122.
Dans le courant de l'après-midi, b vii, pour satisfaire
à la nature qui laisse aux prêtres les mêmes exigences de
vessie qu'aux impies, fit un court pèlerinage à la tourelle,
laissant la porte entr'ouverte.
Hervé Bazin. Vipère au poing (1948), p.171.
Pinette avait couché cette femme sous lui, il
l'écrasait dans la terre, il la fondait à la terre, à l'
herbe hésitante ; il tenait la prairie couchée sous son ventre,
elle l'appelait, il s'enracinerait en elle par le ventre, elle était
eau, femme, miroir ; elle reflétait sur toute sa surface le vierge
héros des batailles futures, le mâle, le soldat glorieux et
vainqueur ; la nature, haletante, à la renverse, l'absolvait de toutes
les défaites, murmurait : mon chéri, viens, viens. Mais il
voulait jouer à l'homme jusqu'au bout.
Jean-Paul Sartre. La Mort dans l'âme (1949), p.138.
Seulement quand ils recommencèrent à
pédaler sur une route ensoleillée l'horrible rengaine se vida de
tout sens ; une ville de quatre cent mille âmes volatilisée, la
nature désintégrée : ça n'éveillait plus
d'écho. Cette journée était bien en ordre-du bleu au
ciel, du vert sur les feuilles, du jaune sur le sol assoiffé-et les
heures glissaient une à une de l'aube fraîche au
grésillement de midi.
Simone de Beauvoir. Les Mandarins (1954), p.222.
D'ailleurs je préfère la ville et les pierres et
les hommes à la nature et aux arbres qui me pèsent rapidement.
Albert Memmi. Agar (1955), p.79.
Prisonnier de son royaume, la ville stérile
sculptée dans une montagne de sel, séparée de la nature,
privée des floraisons fugitives et rares du désert, soustraite
à ces hasards ou ces tendresses, un nuage insolite une pluie rageuse et
brève, que même le soleil ou les sables connaissent, la ville de
l'ordre enfin, angles droits, chambres carrées, hommes roides, je m' en
fis librement le citoyen haineux et torturé, je reniai la longue
histoire qu'on m'avait enseignée.
Camus. L'Exil et le royaume (1957) [Gallimard, 1962],
p.1587.
Plus il regardait les sapins et plus il se sentait chaud et
heureux, plongé dans la nature et participant lui-même à
une force tranquille.
Jean Duvignaud. L'Or de la république (1957), p.285.
Il faut s'y résigner, la nature l'a voulu ainsi.
Nathalie Sarraute. Le Planétarium (1959), p.101.
... et j'ai été accoucheur, je peux dire
passionné par les difficultés de passages, visions aux
détroits, ces instants si rares, où la nature se laisse observer
en action, si subtile, comment elle hésite, et se décide... au
moment de la vie, si j'ose dire... tout notre théâtre et nos
belles-lettres sont au coït et autour... fastidieux ressassages!
Louis Ferdinand Céline. Rigodon (1961), p.233.
Je me demande même si au fond ce n'était pas la
Nature qui faisait tout, c'est difficile à dire, je ne peux pas aller
jusqu'à prétendre que je me faisais baiser par les
étoiles mais il y a de ça.
Christiane Rochefort. Les Petits enfants du siècle (1961),
p.193.
Découverte de Spetsai. à la fin d'une dure
journée de prières en public, la nature reprenait ses droits et
ce pope que Rabelais eût aimé glisser dans sa collection de
moines à bonne fourchette, se donnait à la nourriture avec une
joie énorme, bienfaisante.
Michel Déon. Le Balcon de Spetsai (1961), p.33.
Cette nuit-là, il sembla que la nature avait voulu
s'associer à une délicate pensée du garçon, car le
lumineux crépuscule s'était à peine éteint qu'au
ciel un millier d'étoiles avait germé.
Cheikh Hamidou Kane. L'Aventure ambiguë (1961), p.82.
Oui, c'est vrai, ils sont assez sociables. Mais en même
temps ils recherchent une certaine - comment dire ? - une certaine
communicabilité avec la nature. Je pense - ils veulent - ils
cèdent facilement à des besoins d'ordre purement
égocentrique - anthropomorphique. Ils cherchent un moyen de s'introduire
dans les choses.
Jean-Marie Le Clézio. Le Procès verbal (1963),
p.279.
Ma grand-mère aimait tellement la nature, que les arbres,
les taillis, les buissons, les bambous poussaient en liberté dans le
jardin, et ceux qui ont acheté la maison l'ont nommée : la
sauvagère.
José Cabanis. Les Jeux de la nuit (1964), p.88.
>Notre baiser est harmonieux comme la nature.
Albertine Sarrazin. L'Astragale (1965), p.232.
La nature a été bénie par Dieu avant
l'homme.
Catherine Paysan. Les Feux de la Chandeleur (1966), p.52.
A quoi bon les caresses, les attendrissements quand la nature
dicte ses lois?
Robert Sabatier. Le Chinois d'Afrique (1966), p. 66.
>Alors, tandis que le grondement de la pluie redoublait sur les
feuillages et que tout semblait vouloir se dissoudre dans la nuée
vaporeuse qui montait du sol, il vit se former à l'horizon un arc-en
ciel plus vaste et plus coruscant que la nature seule n'en peut
créer.
Michel Tournier. Vendredi ou le limbes du Pacifique (1967),
p.31.
Les gens ne voient la nature qu'à travers des voiles plus
ou moins épais d'idées préconçues, qui leur
masquent les formes réelles.
Jean Dutourd. Pluche, ou l'amour de l'art (1967), p.152.
... ces parterres de maigres rosiers que la tante entoure des
scories de sa chaudière pour être sûre que la nature ne s'y
aventure pas. Car la nature, c'est comme les couples et comme l'air de la mer,
c'est sale.
Benoîte et Flora Groult. Il était deux fois (1968),
p.281.
J'aime les vieilles pierres et les chiens, les violences de la
nature et les douceurs de la musique.
François Nourissier. Le Maître de maison (1968),
p.217.
On verrait plus tard à résoudre ce
problème, qu'une occasion se présente... Y avait qu'à se
tenir à carreau, éviter toute connerie qui nous oblige à
décliner l'explosive identité... - On va se faire oublier
gentiment, j'explique à Pierrot... Se fondre dans la nature... Leur
mettre des kilomètres dans le pif à tous ces trous du
Languedoc-Roussillon!
Bertrand Blier. Les Valseuses (1972), p.204.
Mais nous vivons à une époque où tout ce qui
vient de la nature et du silence est suspect.
Henri Vincenot. Le Pape des escargots (p.1972), p.355.
Ils avaient peur, tous les deux, car ce n'est pas vrai que la
nature fait bien les choses.
Emile Ajar. La Vie devant soi (1975), p.149.
Je feins la plus grande surprise et jure qu'il ne m'appartient
pas. Menteur. Et il grogne que peut-être, mais que ça n'est pas
une raison pour le refiler aux locataires suivants. Couplet sur
l'égoïsme sacré et sur la nature qui serait autrement plus
propre si chacun balayait devant sa porte. C'est qu'il me ferait la
leçon, en plus. Je bous de colère et lui réponds qu'il a
parfaitement raison et que je suis tout à fait d'accord.
Jean-Luc Benoziglio. Cabinet portrait (1980), p.14 .
La nature pour elle ça fait prendre l'air quand on est
enfermée toute la semaine au bureau.
Annie Ernaux. La Femme gelée (1981), p.70.
La plupart des femmes du Harem abandonnèrent riches brocarts et
pantalons bouffants pour le costume traditionnel des paysannes bédouines
! Ce soir-là, la nature elle-même participait à
l'enchantement en nous offrant le flamboiement de l'automne, riche d'ors, de
pourpres et de bruns.
M. de Grèce. La Nuit du sérail (1982), p.296.
C'est vrai que les gens l'intéressent encore plus que les
livres, la nature et la musique.
Monique Lange. Les Cabines de bain (1982), p.29.
La nature était étrange ce matin-là,
silencieuse, privée de formes, de couleurs, endormie, "morte" avait
pensé Lucille, et c'était à ce moment-là qu'elle
avait relevé les yeux.
Catherine Hermary-Vieille. L'Epiphanie des dieux (1983), p.214.
Sous le chapeau d'homme, la minceur ingrate de la forme, ce
défaut de l'enfance, est devenue autre chose. Elle a cessé
d'être une donnée brutale, fatale, de la nature. Elle est
devenue, tout à l'opposé, un choix contrariant de celle-ci, un
choix de l'esprit. Soudain, voilà qu'on l'a voulue.
Marguerite Duras. L'Amant (1984), p.20.
L'endroit n'avait pourtant rien de désagréable.
Une législation stricte interdisait aux promoteurs de passer la nature
à la trappe des profits. Le quartier conservait le charme kitsch des
résidences pataudes disséminées au travers de vastes
parcs soigneusement peignés.
Michel Embareck. Sur la ligne blanche (1984), p.15.
La Nature engendrant parfois des choses monstrueuses, vous
conviendrez avec moi qu'il est du devoir d'un honnête homme de mettre
fin à de telles anomalies.
Philippe Djian. Le Matin (1985), p.113.
Avant de la vieillir, la nature semblait avoir accordé un
dernier sursis à son éclat.
Alexandre Jardin. Bille en tête (1986), p.116.
Comme tous les amoureux de ce genre de jardin, je rêvais
d'y prendre un jour du repos. Mais c'était oublier le travail de la
nature, la poussée de l'herbe et des arbres, le souffle du vent qui
roulait les feuilles contre la tonnelle, la violence des orages qui
brouillaient mes allées.
Gisèle Bienne. Le Silence de la ferme (1986), p.159.
Après-guerre Lesquels pacifistes - en majorité des
dames très âgées et de jeunes oisifs ne se coupant jamais
la barbe et les cheveux parce que amis de la nature - défilèrent
autour du cimetière en scandant : << Nous sommes tous des
bébés phoques.
Remo Forlani. Gouttière (1989), p.120.
Décidément, la nature avait plus d'un tour dans
son sac à neurones.
Daniel Pennac. La Petite marchande de prose (1989), p.236.
Carole se substituait à la nature - terre, eau, soleil -
car, au fond, elle se consumait d'une envie, jamais dite à personne,
celle de se dévouer.
Julia Kristeva. Les Samourais (1990), p.131.
La boucle est bouclée : la nature a fait l'homme et
l'homme défait la nature.
Jean d'Ormesson. La Douane de mer (1993), p.335.
Dans sa démesure, la nature la plus folle s'impose des
limites.
Jacques Lanzmann. La Horde d'or (1994), p.309.
Avec son visage "à la Picasso", avait-elle dit, elle
deviendrait l'une des figures du siècle, avant d'ajouter, avec un
sourire où se peignait la victoire remportée sur les
réticents, que la nature finirait par imiter l'art.
Hector Bianciotti. Le Pas si lent de l'amour (1995) p.59.
La Dezonnière Auguste, Blanche, Alexis... les autres
bouseux étaient en matière brute avec, bien entendu, un savoir
presque inné de la terre, une science de la nature instinctive, mais
cette vioque avec son bonnet blanc, ses hochements de tête, elle avait
dû frotter ses jupes ailleurs, justement sous ce Napoléon
barbichu qu'elle évoquait avec vénération.
Alphonse Boudard. Mourir d'enfance (1995), p.34.
La Nature, était-il dit, ferait le reste : conclusion
pourrie d'idéologie que le subtil neurophysiologiste que je suis
à mes heures anéantit en quatre secondes en démontrant
que le proverbe : "Il y a un Dieu pour les ivrognes" a un fondement
scientifique précis, ce qui n'empêcha point ladite motion de
récolter 13 % des voix.
Georges Perec. Quel petit velo à guidon au fond de la cour?
(1996), p.56.
J'avais neuf ans et il avait semblé éducatif de
m'enseigner la patience et la nature, c'était d'ailleurs la même
chose, en plantant des oignons de tulipes, des futurs crocus et des radis.
Geneviève Brisac. Week-end de chasse à la mère
(1996), p.85.
Première journée Immobiles sur leurs chevaux aux
pattes droites et qui secouaient mollement leurs crinières, tout en
plumes et en couleurs, festonnés, brodés, dorés
jusqu'à leurs bottes qui brillaient de cire, ces héros
composaient un tableau anachronique que Lejeune regrettait de ne pouvoir
fixer, même au crayon, à la va-vite, tant l'excitait ce
décalage qu'il ressentait si vif entre la nature et les soldats, la
sérénité de l'une et l'impatience des autres.
Patrick Rambaud. La Bataille (1997), p.90.
Il n'est pas permanent, non, il passe, renaît et passe
encore, par cette loi inhérente à la nature de tout ce qui est
créé, le mouvement, l'éternelle rotation des hommes et
des choses.
Philippe Sollers. Le Coeur absolu (1997), p.369 .
La nature ici était accueillante. Elle donnait envie de jouer. Se rouler dans l'herbe pour y laisser l'empreinte de son corps. Chez lui, la forêt et la savane contenaient trop de secrets redoutables.
Véronique Tadjo. Champs de bataille et d'amour (1999), p.10.
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