Mariama Ndoye Mbengue
Abidjan
S'habiller avec élégance est déjà un art; s'habiller au goût du jour, avec élégance et au moindre prix est un défi que les sénégalaises moyennes relèvent quotidiennement.
La mode vestimentaire au Sénégal est très fluctuante tout en ayant des constantes. Les femmes d'un certain age s'habillent long en boubous, "ndokets"(robes grand-mères) et marinières (ensembles constitués d'un haut ample et d'un pagne). Lors des cérémonies familiales, les femmes jeunes et moins jeunes sont habillées long, à la manière traditionnelle; il est alors de très mauvais ton d'être court-vêtue, à l'occidentale, respect de la culture exige.
L'échancrure des boubous, leur forme peut varier. La manière d'attacher le foulard est tellement variable que les coiffeuses se sont spécialisées dans cet art capricieux et se font rémunérer. Si le tissu est soyeux ou le montage compliqué, on fixe l'ouvrage, parfois cartonné, avec des aiguilles, épingles et diverses pinces pour le garder intact pendant des heures, des semaines, voire des mois sans le défaire. I1 se pose alors comme un chapeau au moment de sortir. Attacher le foulard s'apprend comme attacher le pagne; pas au même âge cependant car les toutes jeunes filles ne portent pas le foulard.
Le foisonnement de broderies, de dentelles, de garnitures diverses en provenance d'Orient permet toutes les fantaisies quant à l'ornement des boubous. Les tailleurs rivalisent de fantaisie et de talent. Quand le pouvoir d'achat est peu élevé, les tissus bon marché, popeline, percale par exemple sont décorés à la main avec des points de couture multiples, tige, jour, feston, chaînette surtout. C'est un travail de fourmi impeccable fait par des femmes, même âgées, pour se rendre utiles. Localement, il est peu rémunéré car les clientes de ce genre de vêtements ont de faibles revenus. De plus en plus les couturières de renom et les stylistes adoptent ces pagnes traditionnels pour leur originalité et leur beauté. Ils sont appelés à un bel avenir. La filière des pagnes tissés, oeuvre des tisserands est la plus exploitée depuis longtemps. Ces pagnes quand ils sont de bonne facture coûtent relativement cher, au moins vingt cinq mille francs CFA la pièce de cinq ou six bandes. Chaque femme se doit d'en conserver dans ses malles pour faire honneur à une mariée, une nouvelle maman, un circoncis, une veuve. Les stylistes s'en donnent à coeur joie en adaptant ces pagnes, spécialité des tisserands d'ethnie mandjaque, à d'autres modes venues d'ailleurs. Les pagnes étant épais, ils ne sont pas portables tous les jours, donc les productions qu'on en tire sont souvent exportées vers des pays tempérés sous forme de manteaux, vestes, cardigans. Les tissés plus légers sont adaptés en accessoires, chaussures, pochettes, cravates.
En Afrique, chaque pays selon ses traditions, selon la religion dominante aussi, a son vêtement de prédilection. Dans les pays humides de l'ouest africain comme la Côte d'Ivoire et le Togo, le pagne "wax" ou "fancy" est plus porté car il est en coton et absorbe la sueur. Il s'entretient mieux que les matières soyeuses prisées des sénégalaises et les basins riches des maliennes; les mauritaniennes préférant les voiles très légers ou les cotonnades. Seules les femmes travailleuses de l'administration qui séjournent dans des endroits climatisés, donc une petite minorité, sont les adeptes des stylistes new-look. Cependant les boubous brodés sont appréciés de toutes car lors des cérémonies comme je l'ai dit tantôt, ils ont la palme.
L'art de la coiffure, les adaptations modernes des tresses traditionnelles avec des matériaux nouveaux, le sisal, la laine de grand-mère remplacés par des mèches naturelles ou synthétiques, permettent toutes les audaces et des réalisations de toute beauté. C'est un vaste domaine impossible à circonscrire d'un seul regard.
Bien avant la mondialisation, la circulation des biens et des personnes, quel que fût son rythme, a permis à la mode de s'exporter, de se métisser, de s'épanouir. Les médias n'ont pas été étrangers à cet essor nouveau de la mode interafricaine, internationale. Les sénégalaises ont adopté le pagne de fabrication locale suivant l'exemple des Ivoiriennes, séduites qu'elles furent par les réalisations de stylistes comme Pathé 0. Alphadi qui a séduit le Niger et le monde avec de riches broderies empruntées aux tailleurs du Niger, du Nigéria et du Bénin. Les amples boubous du Sénégal habillent les ivoiriennes, surtout de confession musulmane, lors des cérémonies. Les pagnes teints du Mali, teints originellement à l' indigo mais maintenant sophistiqués et disponibles dans toutes les nuances et coloris possibles, ont fait l'unanimité. Les bijoux touareg, wolof, baoulé inspirent l'art de la table après avoir paré les femmes. Dans ce domaine, c'est la coopération idéale, totale et sans complexe d'infériorité ni de supériorité, avec la satisfaction garantie de tous les partenaires.
La mode est un facteur d'échange dans le microcosme ouest africain mais elle est aussi un facteur non négligeable de développement à l'extérieur car elle s'exporte dans le monde occidental, notamment en Europe, en Amérique et même plus loin. De nos jours, le monde de la mode est vaste et puissant.
Pour parler de ma modeste expérience personnelle, la mode m'a aussi happée comme nombre d'intellectuelles africaines. La raison en est que toute femme coquette par nature, tout au moins soucieuse de son apparence, est adepte de la mode dès l'âge le plus tendre. A l'école primaire, de mon temps, il n'y avait pas de blouse ni d'uniforme obligatoire. Chaque jour, Maman devait soigner ma mise pour qu'elle soit à la fois simple, correcte et élégante. C'était la tâche de toutes les mères (souvent d'une nombreuse progéniture), tâche ardue s'il en est. La mienne s'en est bien sortie même quand parfois je désirais des fanfreluches supplémentaires pour sortir de l'ordinaire et épater mes camarades. Devenue une jeune fille plutôt jolie, je fus sollicitée comme mannequin pour des défilés de mode chez Tara-Boutique de Mme Rose Thiam, ou chez Elisabeth Fall Koaté qui guidait alors les premiers pas de Katoucha Niane. Je participai ainsi aux semaines culturelles du Sénégal au Maroc, en Belgique (1978), au salon du prêt-à-porter parisien (1977). Je fis la une de magazines comme Africaine ou Amina (no.12).
Aujourd'hui, fidèle à mon amour des Arts et Lettres, je suis à la demande professeur de français, de latin, conservateur de musée, chercheur, consultante, et écrivain par choix. Confrontée à la difficulté de trouver un emploi stable à l'étranger où je me trouve pour des raisons conjugales..., j'ai choisi de rester dans le monde de l'art et du beau en ouvrant un magasin de mode essentiellement vestimentaire. Je m'attèle à faire apprécier et fructifier "Sipane" auprès des élégantes africaines résidant en Côte d'Ivoire et friandes d'une mode originale. C'est ainsi que se conjuguent mode, culture et art à ma manière, dans une quête permanente d'harmonie.
Mariama Ndoye ép. Mbengue - Juillet 1998.
Mariama NDOYE | |||
Note à mes lecteurs en forme de poème |
Portrait de Mariama Ndoye |
Bio-bibliographie de Mariama Ndoye épouse Mbengue |
Vient de paraître SOUKEY (roman, 1999) |