Almaïr plus usagé que lui, minaudoit, braquoit sa lorgnette impitoyablement sur toutes les femmes, changeoit à tous momens de posture, étoit couché et non assis sur le balcon, et chantoit à demi voix ce que l'acteur chantoit sur le théâtre, le prince désolé de ce mouvement perpétuel, lui dit je croyois qu'on venoit au spectacle pour l'entendre, mais apparemment que ce n'est pas la mode, car vous êtes d'une distraction qui ne vous permet pas surement d'en remarquer les beautés ni les défauts, fi donc, vous mocquez-vous, reprit Almair, on a sa réputation à garder, et rien n'est si maussade que d'écouter une pièce comme le marchand du coin, ou comme un provincial qui débarque, nous autres gens d'une certaine façon, nous sommes censés tout sçavoir, on vient ici pour voir les femmes, pour en être vûs, on entend tout au plus deux ou trois morceaux consacrés par la mode, et à la fin on loue à l'excès ou l'on blâme hardiment toute la pièce.
Ch. J. La Morlère. Angola, histoire indienne (1746), p.225