Le premier constat qui s'impose en regardant l'ensemble de votre exposition, c'est que le thème principal est consacré à la femme noire, pourquoi ?
C'est exact, il y a un fil conducteur : "la femme". Je l'ai peinte dans ses fonctions spécifiques. Mais parler de la femme une et indivisible est réducteur. Il s'agit de plusieurs femmes, de plusieurs sujets. C'est avant tout la représentation de l'être. Cet être fait Noir pour incarner la singularité de son histoire en tant qu'individu participant à l'universel.
Pourquoi les avoir peintes nues ?
Je les ai peintes nues parce que je les ai souhaitées dépouillées de tout artifice, naturelles, "premières" comme Lucy. Il s'agissait de symboliser l'origine de l'humanité, de magnifier la vie à travers elles. Montrer une femme nue permettait aussi d'aller au-delà du nu.
Dans les toiles récentes on perçoit une combinaison de figuratif et d'abstrait. Quelle signification en donnez-vous ?
C'est une peinture tridimentionnelle. Le spectateur doit chercher à travers une succession d'images à reconstruire un univers. Il est d'abord dérouté par l'abstraction et donc obligé d'abandonner ses habitudes visuelles; et c'est là que je le "happe" et l'amène à regarder, à voir autrement, à le conduire ainsi vers une autre réalité. Le spectateur n'est plus passif mais aussi créateur.
Pourquoi dans votre peinture les pieds et les cheveux tiennent-ils une si grande place ?
Les pieds parce que leur représentation symbolise les étapes de notre histoire. La trace, l'empreinte, le passé restent attachés à nos pieds. L'histoire de la peinture a peu à peu révélé le pied, en nous le montrant de profil, puis de trois quarts et enfin de face. La représentation du pied a évolué avec la civilisation. Dans ma peinture, je m'intéresse à la plante du pied comme l'empreinte de l'humanité; et il y a autant d'empreintes qu'il y a d'hommes et autant d'histoires d'hommes.
Et les cheveux ?
Les cheveux parce qu'ils sont une des parures naturelles de l'homme. Ils soulèvent des tabous, des mystères ou incarnent la beauté. Mais en aucun cas la chevelure, rasée ou abondante, ne laisse indifférent. Il n'y a qu'à regarder la mythologie ou nos coutumes pour s'en rendre compte.
C'est votre première exposition à Abidjan. Est-ce très différent d'exposer ici qu'en Europe ?
Il y a évidemment une différence ! Exposer chez soi, c'est toujours plus lourd de conséquences que de le faire à l'extérieur. Vous connaissez l'adage... Mais l'interrogation de la femme aux prises avec sa condition humaine, c'est aussi celle de l'homme. La méditation philosophique, l'expérience spirituelle, l'angoisse métaphysique sont des questions qui n'ont pas de frontières. Alors, ici ou ailleurs, exposer reste une mise à nu. Le désir d'une quête incessante de l'autre dans le dépassement de soi. Un reste d'humanité dans un monde où bien des valeurs s'écroulent...
Le fait de créer en Côte d'Ivoire modifie-t-il votre inspiration ?
Bien sûr. Tout individu est réceptif à son environnement. En Europe, mon inspiration se nourrissait de projections, d'essences, d'amertumes. Ici, elle est confrontée à la cinglante réalité. On ne s'échappe pas de soi-même. Mais je reste toujours en éveil; en peignant, je me recentre tout en demeurant en accord avec la cosmogonie.
Pourquoi avoir choisi de travailler avec des matériaux tels que le grillage, le sable, etc.
Nous sommes dans une société postindustrielle... Il s'agit de travailler avec des matériaux de mon temps sans pour autant nier ceux du passé ni ceux du présent. Il est flagrant de voir que la peinture a subi souvent des révolutions selon le support utilisé par les peintres. Le grillage témoigne d'un enfermement volontaire. Comme je m'attache aussi à la lumière. Celle-ci transparaît dans l'aura qui émane de mes sujets et s'intensifie quand elle semble obstruée par le grillage. Ce dernier adoucit la lumière, la contrôle, la déforme, mais surtout propose un nouveau registre d'ombres.
Quelle place donnez-vous à l'amour dans votre peinture ?
La place qu'il mérite : omniprésent. Le sujet : la femme. Les thèmes : la trace et l'épanouissement, qui sont les maillons de cet amour. Il s'élabore selon une trilogie simple : être-rester-devenir.
Et dans votre vie privée ?
Ma vie privée doit continuer à le rester. Un métier : chef d'entreprise. Une vocation : mère de famille. Une passion : la peinture. Un être cher: mon époux. Tout le reste serait de trop...
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